« Christel (éd. RDDM) » : différence entre les versions

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Il y avait deux mois environ que la mère et la fille remplissaient l'office qui devenait leur unique ressource dans le présent, et même leur dernière perspective d'avenir (on disait déjà que M. Dessolles se retirait); leur vie était établie telle, ce semble, qu'elle devait demeurer long-temps. Elles ne sortaient pas, elles n'avaient fait aucune connaissance dans la ville; une ancienne domestique amenée avec elles les servait. La mère malade, et à jamais brisée au dedans, ne bougeait guère du fauteuil placé près de la fenêtre du fond. Dès que la porte de la rue s'ouvrait et qu'un visage paraissait à la grille; la jeune fille était debout, élancée, polie, prévenante pour chacun (comme si elle n'avait été élevée qu'à cela), recevant de sa main blanche les gros sous des paysans qui affranchissaient pour leur ''pays'' ou ''payse'' en condition à Paris. Les jours de marché particulièrement, elle répondait à tous et les aidait quelquefois à écrire l'adresse de leurs lettres ou même la lettre tout entière. Elle fut bientôt connue et respectée de ces gens des environs, bien qu'ils fussent d'une fibre, en général, ingrate, d'une nature revêche et dure.
 
Un jour, une après-midi, pendant que sa mère, au sortir du dîner, sommeillait dans son fauteuil, comme il lui arrivait souvent (et c'étaient ses meilleures heures de repos), la jeune fille, Christel (1)<ref> ''Christel'', dans les ballades du Nord, quelque chose de plus doux que ''Christine'',</ref>, rêveuse, attentive au rayon de premier printemps qui perçait jusqu'à elle ce jour-là et jouait dans la chambre, rangeait d'une main distraite les lettres reçues, la plupart à distribuer, quelques-unes (pour les châteaux des environs) à garder poste restante. Parmi ces dernières, il lui arriva d'en remarquer jusqu'à trois à la même adresse, à celle du comte Hervé de T..., et toutes les trois de la même main, d'une main qui semblait élégante, et de femme, et comme mystérieuse. Parmi ces autres papiers grossiers, la netteté du pli les séparait et disait qu'un ongle délicat y avait passé. L'odeur fine qui s'en exhalait sentait encore le lieu embaumé d'où le triple billet coup sur coup était sorti. Ces traces légères remirent Christel aux regrets de la vie élevée et choisie pour laquelle elle était née. Fille simple, généreuse, capable de tous les devoirs et de tous les sacrifices, elle avait un fonds de distinction originelle, plus d'une goutte de sang des nobles aïeux de sa mère qui se mêlait, sans s'y perdre, à toutes les franchises d'une nature ingénue et aux justes notions d'une éducation saine. Sa soumission au sort dissimulait seulement l'intime fierté, comme sa simplicité courante permettait toutes les graces, comme sa douceur recélait des flammes. Christel souffrait; ce jour-là elle souffrait plus. Elle se cachait soigneusement de sa mère, et, de peur de se trahir, elle tâchait de ne se l'avouer à elle-même que durant l'heure de ce sommeil de chaque après-dînée, qui la laissait comme seule à sa tristesse. Christel n'avait aimé encore ni pensé à aimer que sa mère; elle ne l'avait jamais quittée que pendant une année pour aller à Écouen, et c'avait été la dernière année de cette maison. Les douleurs de sa patrie française tenaient une grande place dans la jeune ame, et couvraient pour elle le vague des autres sentimens. Pourtant les frais souvenirs d'enfance qu'elle évoquait à cette heure, les beaux lieux qu'elle avait traversés et qui s'étaient peints si brillans en elle, tel bosquet d'Alsace, tel balcon de Burgos, les mille échos d'une militaire fanfare dans le labyrinthe gazonné d'un jardin des camps, n'étaient là, sans qu'elle le sût, que comme un prélude sans cesse recommençant, comme un cadre en tous sens remué pour celui qu'elle ignorait et qui ne venait pas. Christel prit les trois petites lettres et les mit à part sur un coin du bureau, comme pour ne pas les mêler aux autres : Quel bonjour empressé, se disait-elle, quel appel impatient et redoublé, quel gracieux chant d'avril devait-il en sortir pour celui qui les lirait! Elle achevait à peine de les poser qu'un jeune homme entra, et, se découvrant respectueusement derrière la grille, demanda si l'on n'avait pas de lettre à l'adresse qu'il nomma. Christel, au moment où la porte de la rue s'était ouverte, avait brusquement quitté sa place et était déjà debout, à demi élancée, comme elle faisait pour tous (craignant toujours, la noble enfant, de ne pas assez faire). A la question de l'adresse, elle répondit oui vivement, sans avoir besoin de regarder au bureau, et avant d'y songer; puis, s'apercevant peut-être de sa promptitude, elle remit les trois lettres en rougissant.
 
Le comte Hervé était trop occupé de ce qu'il recevait pour s'apercevoir d'autre chose ; il sortit en saluant, et, lorsqu'il passa devant les fenêtres, Christel vit qu'il avait déjà brisé l'un des cachets, et qu'il commençait à lire avidement ce qui semblait si pressé de l'atteindre.
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::Aussitôt qu'on le voit, prend droit de nous charmer,
::Et qu'un premier coup d'oeil allume en nous les flammes
::Où le Ciel, en naissant, a destiné les ames (2)<ref> Molière, ''princesse d'Élide'', acte I, scène I.</ref> !
 
Dante, Pétrarque, ces mélodieux amans, ont pu noter l'an, et le mois, et l'heure, où le dieu leur vint; ils ont eu l'étincelle rapide, sacrée, le coup de tonnerre lumineux. Un autre aussi sincère, après deux années de lenteur, a pu dire :
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- « C'est trop vrai, dit alors une jeune et belle femme, et déjà éprouvée, qui avait écouté jusque-là en silence toute cette histoire; ô hommes, combien vous faut-il donc ainsi de ces existences cueillies en passant pour vous tresser un souvenir! »
 
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<small>(1) ''Christel'', dans les ballades du Nord, quelque chose de plus doux que ''Christine'',</small><br />
<small>(1) Molière, ''princesse d'Élide'', acte I, scène I.</small><br />
 
 
S.-B.
<references/>
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