« Le musée étrusque du Vatican » : différence entre les versions

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Les monumens étrusques sont, comme les monumens romains, répandus dans toute l'Italie; mais c'est de Florence à Naples, et principalement entre Florence et Rome, que l'on a découvert d'inépuisables mines de richesses en ce genre. C'est donc surtout dans les musées de ces villes que l'on peut refaire l'histoire de cette belle civilisation étrusque, qui finit par triompher de la barbarie romaine, qui l'avait vaincue et qui voulait l'étouffer.
 
Jusqu'ici, à Rome comme à Florence, la plupart de ces monumens de l'art étrusque se trouvaient dispersés sans ordre dans les musées, confondus avec une foule d'objets d'art, il est vrai, mais qui leur étaient complètement étrangers. Naples seule avait un commencement de musée étrusque. Elle le devait au goût éclairé de la reine Caroline Murat, cette femme supérieure qui, ainsi que son frère, possédait à un si haut degré le sentiment du grand et du beau; mais ce musée de Naples, fort augmenté depuis, ne renferme guère que des urnes, des coupes et toute espèce de poterie étrusque, mêlées aux vases grecs, campaniens et calabrais, parmi lesquels brillent au premier rang les admirables vases de Nola <ref> Deux de ces vases sont surtout remarquables : l'un d'eux représente la ''Dernière nuit de Troie'', l'autre ''une Bacchanale''. La bacchanale est charmante, mais un peu sérieuse. Je préfère la ''Nuit de Troie''. Cependant le galbe du vase manque peut être de légèreté; les peintures qui le décorent sont exécutées avec trois couleurs; l'artiste a seulement indiqué les blessures avec un peu de vermillon. Chacun de ces vases a été payé 15,000 piastres (180,000 fr.). En lisant ce chiffre, beaucoup de gens ne douteront plus de leur mérite.</ref> : on n'y voit ni meubles, ni bronzes, ni statues.
 
Depuis les excellens travaux de Visconti, d'Hamilton et d'Inghérami, les archéologues et les savans italiens ont changé d'allure, la netteté et la précision ont remplacé leur incroyable et nuageuse prolixité. Nous ne sommes plus au temps où l'historien d'Herculanum, monsignor Bayardi, arrivé à la fin du deuxième volume de son histoire, après plus de onze cents pages in-4° d'impression, atteignait à peine l'époque où Hercule délivra Thésée des prisons d'Edonnée et de Pluton. De nos jours, on va droit au but et l'on recherche tous les moyens de l'atteindre.
 
L'ordre a paru le plus assuré de ces moyens; l'exemple de Naples n'a donc pas été perdu; les antiquaires romains ont mis à profit l'idée de la formation d'un musée étrusque et l'ont développée. Le Vatican et les divers musées nationaux renfermaient des trésors, de ce genre, recueillis dans les villes étrusques qui font partie des domaines du Saint-Siége : Todi, Bolsena, Cerveteri, Norcia (2)<ref> Ces villes sont bâties dans le voisinage ou sur l'emplacement des villes étrusques ''Tuder, Vulcinium, Coere, Nursia.</ref>, ou qui provenaient des collections dont l'évêque de Chiusi, Barbagli, avait fait don au cardinal Gualteri, et qui depuis étaient passés à la bibliothèque du Vatican. Ces richesses n'avaient été ni classées ni rendues publiques; à peine en connaissait-on l'importance. On proposa donc de les réunir dans celles des onze mille salles du Vatican qui étaient restées vacantes. Le pape actuel, qui aime les arts comme tous les Italiens éclairés, sourit à l'idée d'attacher son nom au nouveau musée, et s'empressa d'accueillir ce projet qui sur-le-champ fut mis à exécution. Les collections éparses furent rassemblées, dépouillées et classées dans les salles du grand cintre, voisines du Belvédère; c'est ainsi que fut fondé le plus nouveau et peut-être le plus curieux des musées romains.
 
Cette collection se compose de tombeaux et urnes funéraires, de statues de péperin, d'albâtre, de marbre et de bronze ; de terres cuites; de vases, de coupes, de meubles et d'ustensiles de tout genre; de bijoux, d'armes, et enfin de cette foule de petits objets de luxe qui constituent une civilisation avancée, comme l'était celle des Étrusques.
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Les premières salles du musée contiennent naturellement les monumens des premiers temps de l'art étrusque. Ce sont des tombeaux du travail le plus simple, pour ne pas dire le plus grossier, en pierre brute, et recouverts de longues figures en péperin, en terre cuite, quelquefois en marbre. Ces statues naïves rappellent d'une manière étonnante, dans leur incorrecte simplicité, les statues gothiques ou byzantines qui décorent les porches de nos cathédrales. C'est le même travail mesquin et cependant ''cherché'' dans les draperies, disposées comme les rochets de nos prêtres, et dont les plis droits et parallèles semblent creusés avec un râteau de fer ; la même incorrection et le même manque de science dans les attaches et le modelé, les mêmes formes pauvres et allongées qui donnent à l'ensemble de la figure l'apparence d'une quenouille. Ces rudes ébauches d'un art à son enfance remontent à l'origine de la société étrusque, à cette période où la nouvelle colonie, naturellement commerçante, en relation avec les Égyptiens, alors à l'apogée de leur puissance, les imitait dans ses mœurs et dans ses arts. Les statuettes en glaise noire trouvées en si grand nombre dans les premiers tombeaux de la nation semblent, à la coiffure près, calquées sur les modèles égyptiens de l'époque des Pharaons. Vous retrouvez dans l'ensemble de ces personnages les positions contraintes et raides des statues égyptiennes, la forme ovale et oblongue de leurs têtes, leurs yeux tirés en haut vers les coins, toujours obliquement à l'os du nez, leur bouche large et souriante et leurs pommettes saillantes. Les cheveux réunis derrière la tête dans une espèce de poche qui ressemble étonnamment aux bourses de nos coiffures du dernier siècle, ou séparés en longues tresses qui forment deux crochets sur la poitrine et tombent le long des reins jusqu'aux talons, diffèrent seuls des modèles de l'Égypte. Le travail des statues de péperin ou d'argile qui décorent les tombeaux est plus indépendant de l'imitation égyptienne; elles se rapprochent davantage des sculptures chinoises et mexicaines, et plus encore, comme nous venons de le dire, des premières statues gothiques. L'enfance de l'art est partout la même.
 
On voit, dans ces salles des tombeaux, un grand nombre de petites urnes d'albâtre destinées sans doute à renfermer des cendres et ornées de figurines et de bas-reliefs d'un travail plus incorrect que celui des statues des grands tombeaux. Ces urnes sont encore de l'école archaïque étrusque, mais ce travail fort imparfait est cependant facile, et facile jusqu'à la négligence. Ce sont autant d'ouvrages qu'on pourrait appeler ''de pacotille'', Chiusi, Pérouse et surtout Volterre étaient les principales fabriques de ces tombeaux. Les ateliers de Volterre surtout étaient fameux; leurs nombreux ouvriers trouvaient d'abondans matériaux dans les riches veines d'albâtre que renferment les contreforts de l'Apennin voisins de la ville. Cette école fut transitoire ; elle remplit l'espace intermédiaire entre l'école archaïque et l'école hellénienne qui suivit. Les groupes et les bas-reliefs qui accompagnent ces tombeaux offrent la représentation de sujets nationaux, retracent des actions héroïques dont l'histoire ne nous a pas conservé le souvenir, ou ont trait à d'antiques superstitions locales. Le sujet le plus répété de ces bas-reliefs, c'est la lutte du bon et du mauvais principe, telle que la concevaient les anciens Étrusques d'après les Orientaux. Leurs artistes d'ordinaire se montrent peu scrupuleux sur l'exactitude et la réalité des détails des scènes qu'ils représentent. Par une sorte d'anachronisme commun à toutes les écoles primitives, ils donnent leurs vêtemens et leurs armes aux personnages d'autres nations et d'époques antérieures, ou bien ils décorent le fond de leurs compositions d'édifices et de monumens empruntés à leurs villes; ainsi, dans un bas-relief représentant la mort de Capanée, l'artiste, au lieu de la porte de Thèbes, a figuré la porte de Volterre, telle qu'elle subsiste encore de nos jours (3)<ref> Micali, 276, c. XXV.</ref>.
 
Beaucoup de ces petits tombeaux sont semblables et ont dû sortir du même atelier. Les statuettes accroupies sur leurs couvercles portent le même costume, et sont dans la même position. Elles offrent du reste une singularité qui doit être signalée. Chez quelques-unes, le buste est d'une étude délicate et consciencieuse; on reconnaît des portraits dont la ressemblance a dû être grande; chez d'autres, ce buste est informe et à peine ébauché. On en a enfin trouvé un petit nombre où le bloc qui doit former la tête n'est pas même dégrossi. Il est probable que cette imperfection était calculée, et que l'artiste exposait en vente son ouvrage inachevé, attendant pour terminer le buste qu'il pût lui donner la ressemblance que désirerait l'acheteur.
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De la salle des statues, on passe dans celle des bas-reliefs en terre cuite. Cette salle renferme plusieurs morceaux précieux, ce sont de grandes plaques carrées recouvertes de bas-reliefs estampés avec beaucoup d'adresse. Ces plaques, aux quatre coins desquelles on voit encore les trous destinés à les sceller au mur, servaient à la décoration des appartemens et sont d'un art fort avancé. On doit les rapporter à la troisième période de l'art étrusque, lorsque l'influence grecque proprement dite commençait à dominer et prenait la place de ce style archaïque étrusque, analogue du style dorien qui, vers la même époque, c'est-à-dire du Ier au IIIe siècle de Rome, florissait à Sybaris, à Crotone, à Cumes et à Poestum.
 
Le style grec ou hellénien, qui remplaça le style toscan, ne commença guère à régner qu'après Phidias. L'influence de cette grande école athénienne devait se faire sentir chez tous les peuples qui s'occupaient d'art, et les Étrusques étaient au premier rang de ces peuples. Déjà, du temps de Phidias, on les regardait comme les plus habiles potiers du monde connu, et les meubles, les ustensiles et tous ces objets d'usage domestique qu'ils fabriquaient, jouissaient, dans toute la Grèce et l'Asie mineure, d'une réputation méritée d'élégance. Les Grecs, si adroits eux-mêmes, en étaient fort curieux. Le vieux comique athénien Phérécrates, contemporain de Periclès, voulant vanter le travail d'un candélabre, se contente de dire qu'il est tyrrhénien (4)<ref> Ap. Athen., XV, 18.</ref>. Cet éloge prononcé à Athènes, en plein théâtre, était d'un grand prix. Phidias lui-même avait donné à sa Minerve des sandales étrusques (an de Rome 322); enfin, quand les Grecs voulaient faire l'éloge d'un ouvrier habile et appliqué, ils disaient C'est un Toscan.
 
Les Étrusques étaient un peuple essentiellement commerçant, et tout nous porte à croire que l'art chez eux n'était qu'une branche de commerce de plus. Il est vrai qu'ils étendaient indéfiniment les applications de l'art; aussi, comme nous venons de le voir, leurs vases, leurs meubles et les ustensiles qui sortaient de leurs fabriques, étaient-ils très recherchés. Leurs statues, mais surtout leurs bas-reliefs, également appréciés, trouvaient des acheteurs dans toute l'Italie et même en Grèce. Phidias ayant opéré dans l'art une révolution complète, et donné à la statuaire grecque une prépondérance décidée, le culte de la nature fit place au culte de la beauté, et l'on rechercha plutôt la noblesse, la pureté et le grand caractère de la forme, que sa parfaite et naïve vérité. Les artistes toscans de la précédente école durent se soumettre au goût dominant; commerçans avant tout, ils se conformèrent aux caprices des acheteurs. Cette révolution dans l'art ne fut donc pas désintéressée, mais eut lieu sous l'influence d'un esprit mercantile qui ne nuisit cependant pas à son excellence. Cette révolution ne fut du reste parfaitement accomplie que du jour où Rome, déjà victorieuse des Étrusques, conquit la Sicile et puisa dans Syracuse les modes grecques (an de Rome 541). Dès-lors l'hellénisme domina dans la littérature, les arts, et même dans les mœurs des peuples qui lui étaient soumis. Cette école étrusque hellénienne fut la plus durable et la plus féconde peut-être de toutes celles qui se succédèrent sur le sol de l'Italie. Pline rapporte que Marcus Flavius, général romain, s'étant rendu maître de Vulcinium (Bolsena), fit transporter de cette seule ville dans Rome deux mille statues, dont l'une de cinquante pieds de haut. Cet évènement se passait vers l'an 489 de la fondation de Rome, et par conséquent aux débuts de l'école hellénienne, qui fleurit du IVe au VIIe siècle de Rome. Sa décadence ne commença que vers le milieu du premier siècle de l'ère chrétienne. Les chefs-d'œuvre de ce style sont ces belles statues de bronze qu'on croirait grecques au premier aspect, mais chez lesquelles, avec un peu d'étude, on distingue quelque chose de la vérité et du naturel primitif, et peut-être de la dureté de l'ancienne école toscane : les formes sont en effet plus anguleuses, les méplats plus larges et plus hardis, la charpente osseuse plus accusée, et en même temps les détails plus travaillés que dans les ouvrages des sculpteurs grecs. Le ''Harangueur étrusque'' de Florence, le ''Mercure barbu'' de la villa Borghèse, et les statues du ''Mercure sans ailes'', du ''Jeune garçon'' (Putto) et du ''Guerrier'' du Vatican, dont nous parlerons tout à l'heure, sont de précieux ''specimen'' de cette manière à laquelle appartint sans aucun doute cet ''Apollon'' toscan colossal de la bibliothèque du temple d'Auguste, si fameux dans l'antiquité (5)<ref> Pline, XXXIV. - Cette statue avait cinquante pieds de haut. Ne serait-ce pas ce même colosse enlevé à Vulcinium?</ref>.
 
Une autre cause de la prédominance du style grec, ce fut le manque d'épopée nationale chez les Etrusques. Obligés de prendre aux Grecs leur mythologie et leurs fables héroïques, ils durent leur emprunter aussi la façon de les exprimer. Cette observation nous ramène aux bas-reliefs en terre cuite dont les plus importans représentent, sur une surface de dix pieds carrés environ, les divers travaux d'Hercule : ''Hercule tuant le lion de Némée, combattant l'hydre de Lerne'', etc. C'est là surtout que l'on peut voir combien les Étrusques excellaient dans la représentation des animaux en mouvement. Pline nous apprend en effet que leurs artistes possédaient de profondes connaissances anatomiques, et qu'ils étudiaient la victime sous le couteau de l'aruspice. L'art grec n'a rien produit de plus achevé que ces bas-reliefs, et cependant ce n'était là qu'une décoration, que les pièces d'un lambris destiné à recouvrir une muraille. Quelques-uns de ces morceaux portent en effet des frises, des corniches et de petits entablemens; ce sont ceux qui formaient l'encadrement du lambris.
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Les Etrusques eurent aussi leurs terres cuites peintes, mais seulement dans les premiers temps de l'art. Le style de ces grossières peintures est égyptien ; les bas-reliefs de Bolsena sont l'expression la plus sincère de cette antique et primitive manière.
 
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<small>(1) Deux de ces vases sont surtout remarquables : l'un d'eux représente la ''Dernière nuit de Troie'', l'autre ''une Bacchanale''. La bacchanale est charmante, mais un peu sérieuse. Je préfère la ''Nuit de Troie''. Cependant le galbe du vase manque peut être de légèreté; les peintures qui le décorent sont exécutées avec trois couleurs; l'artiste a seulement indiqué les blessures avec un peu de vermillon. Chacun de ces vases a été payé 15,000 piastres (80,000 fr.). En lisant ce chiffre, beaucoup de gens ne douteront plus de leur mérite.</small><br />
<small>(2) Ces villes sont bâties dans le voisinage ou sur l'emplacement des villes étrusques ''Tuder, Vulcinium, Coere, Nursia.</small><br />
<small>(3) Micali, 276, c. XXV.</small><br />
<small>(4) Ap. Athen., XV, 18.</small><br />
<small>(5) Pline, XXXIV. - Cette statue avait cinquante pieds de haut. Ne serait-ce pas ce même colosse enlevé à Vulcinium?</small><br />
 
 
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Les Étrusques, qui excellaient dans la plastique, furent naturellement d'admirables potiers. « Leurs vases de terre peints sont la merveille de l'art chez les anciens! » s'écrie Winckelmann, et cette fois son enthousiasme est justifié.
 
Que de difficultés à vaincre, en effet, pour arriver à cette sorte d'irréprochable beauté des vases antiques ! Il faut modeler d'abord une argile extrêmement friable et lui donner la forme que choisit l'artiste. Ce vase qu'on ne pouvait présenter au feu qu'avec les plus grandes précautions (1)<ref> Le potier le saisissait à la base et près du cou avec deux petites branches eu fer et le plaçait dans un fourneau recouvert et isolé. Une vignette du second volume du voyage de l'abbé de Saint-Non dans le royaume de Naples, exécutée d'après une cornaline antique, nous représente un de ces fourneaux dans lequel le potier va placer un vase.</ref>, on le recouvrait ensuite d'un émail en quelque sorte insaisissable, et qu'il fallait bientôt enlever de toutes les parties que le dessin devait recouvrir. Que de science de composition et d'études de détail ne suppose pas ce seul dessin, qui souvent n'est rien moins qu'un magnifique bas-relief peint et renfermé dans un espace de quelques pouces! Cette composition terminée, il faut la transporter du premier coup sur le vase, car l'argile, rebelle depuis la cuisson, ne souffre plus ni tâtonnemens ni retouches. On a supposé, sans toutefois en donner la preuve, que les artistes étrusques se servaient de calques en cuivre (2)<ref> Caylus, Rec. d'antiq. 86.</ref> ; mais comment appliquer ces calques avec sûreté sur des surfaces ou convexes ou profondément concaves? Et puis ce n'est pas d'une manière indécise, avec un à peu près de dessin, que cette composition est arrêtée sur le vase; c'est de la manière la plus précise qui soit au monde, avec un trait de burin d'une justesse et d'une pureté surprenantes.
 
Le musée du Vatican renferme une grande quantité de ces vases de toutes les formes, de toutes les manières, et depuis un pouce jusqu'à quatre ou cinq pieds de haut : vases ''votifs'', vases ''funéraires'', vases ''laraires''. Quelques-uns sont d'une exécution qui ne laisse rien à désirer; les décrire ou en donner un catalogue serait fastidieux; nous nous bornerons à les examiner en masse, mêlant à cet examen quelques considérations sur cette branche de l'industrie artistique des Étrusques, qui, à en juger par l'incroyable variété de ses produits, n'était pas l'une des moins importantes.
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Les sujets de ces peintures ne soit pas non plus absolument égyptiens. Ces vases servant aux funérailles, et du nombre de ceux que les Grecs appelaient balsamaires (λήχυτος), sont décorés de peintures appropriées à ces cérémonies. Ce sont des transfigurations de Bacchus en dieu des enfers, ou Bacchus ''Zagréen'', des luttes du génie du bien contre le génie du mal. Cette lutte est figurée de différentes manières; mais d'ordinaire le génie du bien est représenté par cet ''Ized'' ailé en costume babylonien qui serre entre ses mains le cou d'une autruche, oiseau consacré à Ahriman. Les Étrusques, qui entretenaient des relations de commerce avec l'Orient, lui empruntaient ses superstitions, le culte de Bacchus multiforme et à mille noms (''myriomorphos et myrionime'') et son mystique dualisme.
 
A cette même époque primitive appartiennent encore ces vases de terre noire qui n'ont pas été présentés au feu, mais qui doivent leur adhérence et leur solidité au vernis de plomb ou de manganèse dont on les a revêtus. Sur les anses, la base, et même sur le corps de ces vases, sont disposés des bas-reliefs estampés, représentant des sujets mythologiques, des chars et des génies ailés, des jeunes garçons et des jeunes filles les mains jointes sur la poitrine et supplians, des offrandes aux dieux infernaux, des processions d'ombres et d'initiés aux mystères funèbres, des cérémonies d'initiation et de consécration, enfin toutes sortes de compositions se rapportant aux mystères de la vie future et à la transformation des ames, mais toujours figurées d'après des symboles orientaux étrangers aux mythes grecs. Sur quelques-uns de ces vases, on voit représentées les divinités étrusques : ''Thalna'' (Junon), ''Aplu'' (Apollon), ''Hercla'' (Hercule), ''Tinia'' (Bacchus), grand dieu des ames; d'ordinaire ces divinités ont des ailes, la plupart sont armées de la foudre (3)<ref> Neuf divinités étrusques portaient la foudre en main : Apollon, Hercule, Bacchus, Mars, Vulcain, Pan, Cybèle, Pallas et l'Amour.</ref>. Sur d'autres apparaît la monstrueuse effigie de ''Mantù'' la magicienne, cette gorgone des Toscans qui tire effroyablement la langue, et qu'on plaçait à dessein sur ces vases funéraires, comme tant d'autres images horribles, pour terrifier les sacrilèges profanateurs des tombeaux.
 
La plupart de ces vases étaient, en effet, consacrés aux funérailles. Les nécropoles de Tarquinie, de Chiusi (Clusium), de Bolsena et de Cerveteri en renfermaient une quantité prodigieuse. Les grandes urnes poreuses ou ''canopes'', qu'on trouve aussi dans ces mêmes tombeaux, sont de cette première époque de l'art.
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Le musée du Vatican renferme un grand nombre de ces vases de l'époque grecque. Plusieurs sont d'une rare perfection; le travail est simple et uniforme. Ces vases subissaient plusieurs cuissons, car la pâte en est plus ferme et plus légère, et l'émail plus brillant que dans les vases de l'époque précédente. Beaucoup de détails en blanc ou de couleur pourpre et lilas, formant parfois un léger relief et donnant aux vases l'apparence de camées, n'ont dû être appliquées, qu’au dernier feu. Souvent même, et par une sorte de falsification de l’ouvrier, ces détails, et jusqu'à des figures entières, sont peints seulement en détrempe après la cuisson. La ligue si précise qui détache les figures du fond, était, comme nous l'avons dit, burinée sur la pâte demi-molle après le premier feu. Mais quelle adresse pour conduire avec tant, d'aisance et de netteté cette ligne si correcte et si savante!
 
Ces vases gravés et sculptés en bas-reliefs sur des fonds de couleur et formant camées s'appelaient ''murrhins''. Le prix des beaux vases murrhins était excessif. Pline rapporte en effet que Pétrone étant sur le point de mourir, et voulant déshériter Néron, son bourreau, brisa un de ces vases murrhins qu'il avait payé 300 talens <ref> T. Petronius consularis moriturus… trullam murrhinam trecentis talentis emptam fregit. '(4Plin., Hist. Nat., I. XXXVI.)</ref>, c'est-à-dire 900,000 francs à la plus petite évaluation du talent. Ces prix paraissent exorbitans, et cependant Pline ajoute ailleurs que, de son temps, le luxe était si prodigieux, que des vases ''fictiles'' furent payés plus cher encore que les vases murrhins (5)<ref> Plin., Hist. Nat., I. XXXV.</ref>.
 
La salle des coupes renferme de précieux ouvrages de l'époque grecque; le galbe de ces coupes est toujours d'une légèreté et d'une délicatesse infinie, et le travail en est admirable. La plupart ont été consacrées à Bacchus et datent de l'époque où le culte de ce dieu, poussé jusqu'au plus violent fanatisme, avait envahi toute l'Italie. On reconnaît ces coupes consacrées aux deux grands yeux ronds qui les décorent.
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Toutes les pièces que renferme cette salle, l'une des plus curieuses du musée étrusque, sont montées sur un ingénieux mécanisme, qui permet de les examiner sous toutes leurs faces sans les déplacer.
 
La dernière époque de la céramique ne commence guère que vers la décadence des rites bacchiques, à la fin du Ve siècle de Rome. Sous Jules César et Auguste, cet art se perd. On n'invente plus, on copie. C'est une époque de renaissance de l'art égyptien et de l'archaïsme toscan. Les vases des premiers temps, devenus fort rares, étaient aussi recherchés des amateurs romains que les poteries du XVe siècle et le vieux Sèvres le sont chez nous. Strabon et Suétone nous racontent qu'à diverses reprises on découvrit un grand nombre de ces vases dans les tombeaux de Corinthe et de Capoue, et qu'on les vendit à Rome au poids de l'or. Ce furent les soldats que Jules César avait colonisés dans la Campanie, aux environs de Capoue, qui les premiers trouvèrent ces précieux vases dans des tombeaux qu'ils rencontrèrent en creusant les fondemens de leurs habitations. Ces vases étaient de la plus haute antiquité, et ces soldats travaillaient avec d'autant plus d'ardeur qu'ils étaient sûrs d'être récompensés de leurs peines par les découvertes qu'ils faisaient (6)<ref> Suetone, In Jul. Coes. c. XVIII.</ref>. Comme nous venons de le voir, ces vieux vases fictiles obtinrent la préférence sur les vases murrhins et même sur les vases de bronze. Les tombeaux étant inviolables, il fallait une occasion extraordinaire, comme l'incendie et le rétablissement d'une ville ou le bouleversement causé par un tremblement de terre, pour faire des découvertes de ce genre; ces trouvailles étaient donc sans prix. D'un autre coté, vers la fin de la république, les superstitions égyptiennes jouissaient d'une grande faveur. Isis et Osiris avaient détrôné Bacchus et les dieux grecs. Sous ce nouveau culte, les funérailles étaient pompeuses, et des vases en grand nombre y étaient consacrés. La céramique dut une sorte de résurrection à cette nouvelle mode. On copia le mieux qu'on put les anciens vases, on en composa de nouveaux dans le même style; mais ces vases de terre ou de bronze qu'on trouve dans les tombeaux de ce temps-là sont aussi loin de la délicatesse et de la perfection des beaux temps de l'art qu'une copie l'est toujours de l'original.
 
La plupart des vases retouchés et falsifiés dont nous avons parlé tout à l'heure sont de cette époque de renaissance.
 
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<small>(1) Le potier le saisissait à la base et près du cou avec deux petites branches eu fer et le plaçait dans un fourneau recouvert et isolé. Une vignette du second volume du voyage de l'abbé de Saint-Non dans le royaume de Naples, exécutée d'après une cornaline antique, nous représente un de ces fourneaux dans lequel le potier va placer un vase.</small><br />
<small>(2) Caylus, Rec. d'antiq. 86.</small><br />
<small>(3) Neuf divinités étrusques portaient la foudre en main : Apollon, Hercule, Bacchus, Mars, Vulcain, Pan, Cybèle, Pallas et l'Amour.</small><br />
<small>(4) T. Petronius consularis moriturus… trullam murrhinam trecentis talentis emptam fregit. '(Plin., Hist. Nat., I. XXXVI.)</small><br />
<small>(5) Plin., Hist. Nat., I. XXXV.</small><br />
<small>(6) Suetone, In Jul. Coes. c. XVIII.</small><br />
 
 
===III. Les bijoux, les bronzes, les meubles===
 
Les Romains, jaloux oppresseurs des Étrusques, dont ils auraient voulu anéantir jusqu'à la mémoire, n'étaient, auprès de ce peuple si avancé dans les arts, que des barbares pleins de courage et d'énergie. On en a la preuve en jetant un regard sur la foule d'objets d'un travail si délicat, ustensiles, meubles, bijoux, trouvés dans la tombe de l'un des douze chefs ou ''lucumons'' du pays, qui régnait vers le IIIe siècle de Rome (1)<ref> L'Étrurie était partagée en douze provinces; chacune avait un chef ou ''lucumon''; l'un d'eux jouissait d'une autorité plus grande que les autres. Les ''lucumons'' s'asseyaient en public sur une chaise d'ivoire, étaient précédés par douze licteurs, et portaient une tunique de pourpre brodée d'or et un sceptre avec un aigle au bout.</ref>. Ces objets, recueillis dans un même tombeau près de Corneto, ont été déposés dans la salle principale du musée. Les bijoux seuls, dont la valeur intrinsèque, poids de l'or, s'élève à près de 400,000 francs, sont placés au centre de la salle dans une vaste étagère en glaces, qui permet de les bien examiner, en les mettant à l'abri de la cupidité des voleurs et de la convoitise des antiquaires.
 
Ces bijoux, en grand nombre et appropriés à une foule d'usages, sont fort curieux. Des bagues, des cachets, des agrafes de forme ingénieuse, des bracelets en filigrane que l'on croirait chinois à la forme et à la délicatesse du travail, et des couronnes en feuilles d'or d'une légèreté merveilleuse, sont les pièces capitales de cette collection unique. Les Étrusques, il y a vingt-quatre siècles, savaient donc travailler l'or avec autant d'adresse que nos meilleurs ouvriers; ils le filaient en perles, le tressaient en chaînes, et le réduisaient en feuilles en quelque sorte impalpables. Ils savaient aussi filer le verre. On voit, en effet, dans cette collection, des verres filés et des émaux qui rappellent les plus délicats ouvrages des verreries de Murano. Cet art des émaux leur venait sans doute des Égyptiens. Les bagues et cachets de cette collection sont ornés de pierres gravées, les agrafes et les épingles de pierres précieuses. Il y a dans le nombre une agrafe en améthyste que l'on croirait sortie de l'atelier de l'un de nos bijoutiers à la mode, tant la forme, quelque peu tourmentée, se rapproche de nos formes modernes, dites ''renaissance''; seulement l'améthyste n'est qu'arrondie et non taillée à facettes.
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Ces mêmes salles contiennent d'énormes vases, cruches, amphores, etc., servant à renfermer l'huile, le vin et les grains. Le travail en est grossier. Les rares ornemens qui les décorent étaient appliqués par estampage sur la pâte molle. Ces ornemens représentent des fleurs, des animaux, et l'on voit que souvent l'ouvrier peu habile, en appliquant le moule sur la pâte, l'a laissé glisser quelque peu; de là, le manque de parfaite régularité de ces ornemens, qui souvent fléchissent sur les bordures.
 
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<small>(1) L'Étrurie était partagée en douze provinces; chacune avait un chef ou ''lucumon''; l'un d'eux jouissait d'une autorité plus grande que les autres. Les ''lucumons'' s'asseyaient en public sur une chaise d'ivoire, étaient précédés par douze licteurs, et portaient une tunique de pourpre brodée d'or et un sceptre avec un aigle au bout.</small><br />
 
 
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Aux fosses succédèrent les ''cuniculi''; c'étaient des couloirs horizontaux creusés à une grande profondeur. Ces couloirs ou galeries aboutissaient à un puits rond ou carré. Ce puits, renfermant plusieurs étages de couloirs convergeant tous au même centre, était commun à la ville; chaque famille avait son couloir où elle ensevelissait ses morts. Quand toutes les places du couloir étaient occupées, on en fermait l'entrée avec une grosse pierre; lorsqu'enfin tous les couloirs d'un même puits étaient remplis, on comblait ce puits, ou bien on roulait un rocher sur son ouverture; de cette façon, les cadavres, profondément cachés dans les entrailles de la terre, étaient nécessairement inviolables.
 
Ce genre de sépulture date encore des premiers temps de la nation, on l'a reconnu à la grossièreté des ouvrages déposés auprès des morts. En se civilisant, les Étrusques remplacèrent les fosses et les ''cuniculi'' par des chambres sépulcrales qu'ils creusaient dans le roc vif ou dans la terre la plus compacte, sur les pentes des montagnes, le long des fleuves, mais toujours le plus près possible des villes, dans lesquelles les lois étrusques défendaient les inhumations. On choisissait aussi de préférence le voisinage des routes fréquentées des voyageurs. Cette coutume était rationnelle chez les Grecs et les Romains, qui mettaient, en dehors du tombeau, l'épitaphe du mort; mais on a peine à l'expliquer chez les Étrusques, qui plaçaient cette épitaphe en dedans, et qui se gardaient bien de trahir, par aucune décoration extérieure, le mystère de ces sépultures souterraines (1)<ref> Il y a cependant quelques exceptions à cette règle, mais seulement dans les nécropoles ou réunions de tombeaux. Par exemple, la roche qui contient les célèbres tombeaux du ''Val d'Asso'' est ornée de divers détails de sculpture architectonique, et à son sommet on voit gravés en grandes lettres étrusques ces mots :<br/>
::SAUFS ET EN PAIX.<br/>
A Bolsena, on distingue quelques restes d'architecture qui laisseraient croire à l'existence d'une décoration visible à distance. À Norcia, sur le rocher dans lequel les tombes sont creusées, on voit un timpan avec une figure en relief d'un assez bon ciseau.</small><br /ref>.
 
Ces chambres sépulcrales étaient proportionnées à l'importance de la famille qui les avait fait creuser. Elles se composaient habituellement d'une seule pièce, et plus rarement de plusieurs salles et cabinets. Ces chambres étaient garnies de lits funéraires taillés dans le roc, sur lesquels on déposait les cadavres; la tête reposait sur un oreiller de pierre creusé vers le centre, de manière à l'emboîter; les pieds du lit figuraient quelquefois des colonnes, comme dans les lits d'un ''triclinium''. Tout autour du cadavre couché, on déposait des candélabres de bronze, des vases funéraires, des urnes et des ustensiles de toute espèce.
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Nous croyons plus ingénieuse que fondée cette critique de la légèreté des jugemens français. Sans doute, et même en parcourant les salles du musée du Vatican, on est quelquefois exposé à prendre une copie pour un original, tant la restauration de quelques objets, des coupes par exemple, a été ''complète''; mais jamais on ne pourra commettre d'erreur sur les morceaux du premier ordre, pour peu qu'on ait, je ne dirai pas la science d'un antiquaire, mais seulement le tact de l'artiste.
 
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<small>(1) Il y a cependant quelques exceptions à cette règle, mais seulement dans les nécropoles ou réunions de tombeaux. Par exemple, la roche qui contient les célèbres tombeaux du ''Val d'Asso'' est ornée de divers détails de sculpture architectonique, et à son sommet on voit gravés en grandes lettres étrusques ces mots :
 
SAUFS ET EN PAIX.
 
A Bolsena, on distingue quelques restes d'architecture qui laisseraient croire à l'existence d'une décoration visible à distance. À Norcia, sur le rocher dans lequel les tombes sont creusées, on voit un timpan avec une figure en relief d'un assez bon ciseau.</small><br />
 
 
FRÉDÉRIC MERCEY.
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