« L’Administration de l’agriculture en France » : différence entre les versions

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Afin d’accomplir les prodiges que nous appelons de tous nos vœux, il faut le double concours de l’intérêt privé et de celui de l’état; mais pour que les individus se mettent à l’œuvre, il nous manque une législation qui aplanisse les obstacles qui s’élèvent toujours sous leurs pas; il faut l’emprunter aux peuples qui ont eu les mêmes besoins que nous. Cette législation des peuples méridionaux nous manque encore; on voit trop que nos lois sont faites au quarante-huitième degré de latitude, et que nos pays agricoles les plus riches sont encore au nord de la capitale. Sans cela, nous aurions mis depuis long-temps les travaux destinés à conduire l’eau par l’irrigation au nombre des travaux d’utilité publique, fussent-ils l’œuvre d’un simple particulier. La législation du Milanais accorde à tout individu le droit de conduire l’eau qui lui appartient partout où il le juge convenable, même à travers la propriété d’autrui, pourvu qu’il paie au propriétaire une indemnité proportionnée au terrain emprunté pour le canal; les jardins et les maisons de campagne sont seuls exceptés de cette mesure. Ces lois sont réunies dans le recueil publié sous Charles V, et intitulé : ''Constitutiones Domini mediolanensis'', etc. La république de Venise admettait le même droit. Les statuts particuliers qui régissaient la principauté d’Orange étaient bien plus larges encore que cette législation: tout canal de dérivation pouvait, sans indemnité, traverser les propriétés voisines pour servir à l’irrigation. On devait par le plus court chemin le passage à l’eau, comme le code civil admet que l’on doit le passage pour le service des propriétés enclavées. Ces deux lois dérivent du même principe. Chacun doit pouvoir parvenir à son champ pour le cultiver, pour l’amender, pour le récolter; il doit y parvenir par le plus court chemin et le moins dommageable, et, si je puis traverser la terre de mon voisin pour charrier de la marne, par exemple, pourquoi n’en serait-il pas de même de l’eau, qui est aussi un amendement et le principal de tous? J’entends bien l’objection, c’est que ce droit n’existe que pour les terres enclavées. Mais pourquoi cela? Parce que celles où l’on aboutit par un chemin n’en ont pas besoin. Ce qui est vrai pour tout ce qui peut se transporter par les moyens ordinaires ne l’est plus quand il s’agit de l’eau, qui n’a qu’une seule direction à suivre, celle de son niveau. Dans ce cas, le champ est toujours isolé, excepté dans la direction de ce niveau; il est dans la position de champ enclavé, si on lui ferme cette direction. D’ailleurs, outre cette raison d’équité qui veut que, sans porter préjudice à son voisin ou en l’indemnisant de ce préjudice, chacun puisse jouir de ce qui lui appartient, l’intérêt public commande de protéger des entreprises qui tendent à l’amélioration du sol; il veut que l’on puisse vaincre le caprice du propriétaire qui, en empêchant une dérivation d’eau, stérilise toutes les propriétés inférieures. Aurait-on quelque scrupule de faire intervenir la loi, s’il s’agissait d’une mine placée sous le terrain de ce propriétaire? En pareil cas, elle autorise l’exploitant à s’y établir, à percer le sol, à le creuser sous la surface, moyennant indemnité, pour que la richesse souterraine profite à la société; et cette autre richesse qui coule à flots sur la surface, que nous voulons solidifier et convertir en or par la culture, cette richesse que nous avons trop méconnue, nous ne pourrions la saisir, parce que l’industrie que nous exerçons s’appelle agriculture et non métallurgie ! Mon frère a proposé un projet de loi fondé sur ce principe dans la conférence agricole de la chambre des députés; ce projet a été bien accueilli. Les amis de la prospérité du pays regretteront comme moi que, dégoûté de la stérilité de nos débats politiques, il se soit retiré de la députation; mais ses anciens collègues restés à la chambre ne répudieront pas cet héritage.
 
Nous venons de dire ce que la législation devait faire pour fournir aux individus et aux associations les facilités qui seules peuvent étendre et généraliser l’irrigation; mais le gouvernement peut faire plus encore. Quand on pense que chaque dizaine de milliers de mètres cubes d’eau qui s’écoule à la mer pendant l’été peut, dans nos climats les plus chauds, soustraire un hectare de terre à toutes les vicissitudes du climat, et, dans ceux qui sont plus tempérés, une plus grande étendue encore; quand on songe que, dans le midi, on n’hésite pas à payer annuellement 40 et 50 francs par hectare pour obtenir le bénéfice de l’eau, on s’étonnera que l’on n’ait pas cherché depuis long-temps à généraliser ce moyen d’amélioration. Pour avoir une idée de ce qu’il y aurait, à faire, prenons pour exemple le département des Bouches-du-Rhône. C’est un de ceux où les canaux d’irrigation ont été adoptés avec le plus de faveur, et cependant ce département, qui n’arrose que 44,500 hectares sur 260,000, est loin d’arroser encore tout ce qui peut l’être; le nouveau canal des Alpines, celui de Marseille, vont accroître sa surface arrosable; toute l’île de Camargue soupire après le moment où elle sera abondamment pourvue d’eau. Je n’hésite pas à croire que, si l’on utilisait partout les eaux courantes, on parviendrait facilement à l’état où se trouve actuellement ce département. On peut donc le regarder comme représentant l’état moyen qu’on atteindra partout aisément. On pourrait donc opérer cette métamorphose sur 4,450,000 hectares qui paieraient pour droit d’arrosage une somme de 200 millions, en laissant un large bénéfice aux propriétaires. Ce serait plus de 300 millions de produit ajoutés à la richesse de la France (<ref> Nos rivières de France portent chaque année à la mer un tribut de près de 1,400 milliards de mètres cubes d’eau, sur lesquels les mois d’été ne débitent pas plus d’un cinquième de cette quantité (un septième seulement pour la vallée du Rhône) ou 280 milliards, pouvant arroser 28 millions d’hectares. On ne peut pas prétendre à absorber complètement cette quantité d’eau, mais, on voit qu’en l’utilisant convenablement, la bonification pourrait s’étendre beaucoup plus que nous le supposons ici. </ref>. Quel est le commerce extérieur le plus favorisé, le plus soigneusement protégé, qui donne de pareils résultats? Ce but peut être atteint par un gouvernement intelligent qui comprendrait bien les vrais intérêts du pays, et je fais l’honneur au nôtre de le croire capable de vouloir tenter cette grande œuvre. Pour l’accomplir, l’agriculture ne demandera pas le milliard des chemins de fer, elle n’attend qu’une direction et des encouragemens.
 
Une direction : c’est au gouvernement à s’en emparer en faisant étudier toutes nos rivières sous le rapport de l’irrigation. Qu’une division d’ingénieurs soient chargés sans délai de cette vaste reconnaissance; ils savent si bien trouver le moindre filet d’eau pour l’alimentation des canaux de navigation, ils trouveront sans peine, à partir de la source d’une rivière, les différens étages de niveau où il faut arrêter l’eau pour en faire profiter les vallées et les plaines qui l’avoisinent. Quand il se présentera des torrens dont les eaux tarissent dans la saison chaude, ils examineront s’il n’est pas possible de les barrer et de faire une réserve de l’excédant de leurs eaux d’hiver et de printemps pour s’en servir dans les temps de sécheresse, ou si au moins on ne peut utiliser ces torrens, même pendant l’hiver, pour les forcer à déposer sur les terres inférieures les limons qu’ils entraînent; industrie qui enrichit en ce moment le territoire de plusieurs communes de Vaucluse, bordées par la rivière d’Ouvèze.
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On peut le voir par ce que nous venons de dire, l’administration de l’agriculture est une des plus vastes et des plus importantes carrières qui puissent s’offrir à la louable ambition d’un homme d’état, et cependant je n’ai pas encore parlé des reboisemens de montagnes, des défrichemens de landes, de l’amélioration de nos races d’animaux, du bon emploi des produits de tous genres et de la première main-d’œuvre, d’où dépend quelquefois toute la valeur de ces produits, de la répartition de l’impôt et des lois de douane considérées soit comme protectrices, soit comme hostiles pour l’agriculture, et enfin des moyens de diriger l’esprit public vers cette base première de la fortune de la France. Qui ne voit le rang que pourrait prendre dans l’état et dans l’opinion un ministre qui imprimerait un vif mouvement à de si grands intérêts, et qui, placé à leur tête, viendrait développer devant les chambres des plans dignes du pays? Il en serait compris, il en serait appuyé; elles mettraient à son service toutes les forces qu’il leur demanderait, et il compléterait l’œuvre d’un règne que l’on appréciera mieux un jour que ne le fait l’esprit frondeur des contemporains.
 
 
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<small>(1) Nos rivières de France portent chaque année à la mer un tribut de près de 1,400 milliards de mètres cubes d’eau, sur lesquels les mois d’été ne débitent pas plus d’un cinquième de cette quantité (un septième seulement pour la vallée du Rhône) ou 280 milliards, pouvant arroser 28 millions d’hectares. On ne peut pas prétendre à absorber complètement cette quantité d’eau, mais, on voit qu’en l’utilisant convenablement, la bonification pourrait s’étendre beaucoup plus que nous le supposons ici. </small><br />
 
 
 
CTE DE GASPARIN.
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