« Revue littéraire de l’Allemagne — 31 janvier 1843 » : différence entre les versions

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Tandis que, dans une des grandes villes de la Prusse, M. Wasselrode se moque ainsi en plein auditoire de l’Allemagne entière, à Munich, le roi de Bavière, qui, entre autres prétentions démesurées, a celle de vouloir se faire considérer comme un grand poète et un habile prosateur, compose les biographies des personnages auxquels il a décerné dans son Walhalla les honneurs de l’immortalité, et un ordre émané de toutes les chancelleries prescrit à tous les censeurs de l’Allemagne d’empêcher qu’on parle de ce livre dans les recueils périodiques et les journaux quotidiens. Le voilà placé de fait à l’état des livres condamnés par l’''index'', et c’était en vérité le plus grand service qu’on pût lui rendre; car cet ouvrage est écrit avec si peu de respect pour les plus simples règles de la grammaire, qu’un professeur allemand me disait : Si un des élèves de nos écoles élémentaires remettait à son maître une composition faite dans ce style-là, il mériterait qu’on lui donnât le fouet. » Pourquoi donc proscrire l’enseignement de la langue française dans les écoles de Bavière, quand on maltraite ainsi la langue allemande? Le roi Louis serait-il jaloux par hasard du style de Montesquieu et de Bossuet? Sur ma foi, il aurait en ce cas bien de la bonté, car il est inimitable dans son genre.
 
A Zurich, un jeune poète allemand (1)<ref> ''Gedichte von Herveg, 1842. </ref>, proscrit par le conseil d’état de sa principauté, compose un recueil de chansons démagogiques, fougueuses, ardentes, qu’il lance comme des flèches incendiaires dans son pays. J’en citerai seulement un échantillon qui pourra faire juger du reste :
 
« Arrachez les croix de la terre et faites-en des glaives. Le Dieu du ciel nous pardonnera. Ne vous fatiguez plus à écrire d’inutiles strophes. Mettez le fer sur l’enclume. Que le fer soit notre sauveur!
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C’est assez guerroyer cependant contre les défauts actuels d’un pays que nous voudrions pouvoir louer sans réserve. Essayons de retracer quelques-uns de ses titres littéraires. Voici venir, sous le titre d’''Atta Troll'', un nouveau poème de M. Henri Heine. A en juger par ce que nous en connaissons, ce doit être une œuvre humoristique, spirituelle, digne de l’auteur des ''Reisebilder'', Déjà l’Allemagne en lit avec avidité les premiers chants. En attendant que ce poème ait été entièrement publié, et que nous puissions l’apprécier dans son ensemble, la disette de livres nouveaux nous oblige à retourner vers le passé. Tieck a fait paraître son recueil de poésies, et Tieck est le représentant d’une des nuances les plus délicates et les plus attrayantes du vrai génie de l’Allemagne.
 
Le peuple allemand a, dans son caractère même, les élémens essentiels de la poésie. Il est rêveur, superstitieux, tendre et ardent. Au fond de son cœur, il conserve avec un sentiment pieux les traditions historiques et les traditions religieuses. Il aime la vie de famille et les scènes de la nature, les épanchemens affectueux et les vagues caprices de la pensée, qui, par une belle matinée de printemps, s’enfuit comme l’oiseau à travers les vallées odorantes et les forêts mystérieuses. Tout ce qui offre à ses yeux une apparence idéale exerce sur lui un grand prestige, et tout ce qui est naïf charme son imagination. Une des occupations favorites de l’Allemagne était encore récemment de recueillir les légendes de châteaux et de monastères, les histoires de sorcellerie et de mythologie populaire conservées dans les manuscrits des bibliothèques ou dans la mémoire des paysans. Jacob Grimm, le savant philologue, n’a pas cru déroger à sa haute réputation en publiant un recueil de contes pour les enfans (2)<ref> ''Kinder und Haus Moerchen''.</ref>, et la moitié des œuvres des poètes modernes est employée à la reproduction des naïfs récits du moyen-âge. Mais ce n’est pas seulement dans les œuvres d’art et de poésie qu’il faut chercher le reflet du caractère poétique des Allemands; c’est dans leur existence même, dans leurs mœurs, dans leurs habitudes journalières et leurs loisirs du dimanche. Pendant long-temps, les productions littéraires de l’Allemagne n’ont été que l’expression d’une société bien restreinte, d’une coterie de gentilshommes ou de pédans fardée et mignarde, revêtue d’oripeaux étrangers et dénaturée par le mauvais goût. Ceux qui voudraient juger de la nature poétique du peuple allemand d’après les livres les plus célèbres de cette époque tomberaient dans une grave erreur, car le peuple n’était pour rien dans cette littérature d’école et cette poésie de château.
 
C’était après la guerre de trente ans. L’Allemagne, épuisée, accablée par cette lutte désastreuse, abdiqua pour ainsi dire son sentiment de nationalité littéraire, et se mit patiemment à marcher à la suite des écrivains étrangers. Le présent ne pouvait éveiller en elle qu’une pensée d’humiliation; le moyen-âge faisait pitié à ses savans elle se tourna vers l’antiquité; mais la France était là, qui prétendait reproduire dans ses bergeries et ses drames, dans les entretiens de l’hôtel de Rambouillet et les romans de Mlle de Scudéry, la quintessence de l’antiquité, et L’Allemagne n’alla pas plus loin. Elle copia nos Catons galans et nos Brutus damerets, elle eut ses Lucrèces langoureuses, ses héros en perruques, ses Tircis soupirant au pied des hêtres, et ses Chloés suivies d’un charmant troupeau. Le labeur mythologique étouffa l’inspiration; les termes de convention remplacèrent le trait senti et naturel. Au lieu de se laisser aller, comme les Minnesingers, aux douces et naïves rêveries, de peindre avec abandon l’image qui frappait leurs regards et l’émotion qui agitait leurs cœurs, les poètes allemands des XVIIe et XVIIIe siècles s’occupaient tout simplement d’arranger avec art la phraséologie apprise dans les écoles, ils exprimaient les souffrances de leur amour en comptant les flèches que leur avait lancées Cupidon. On ne cessait de parler alors des dieux de l’olympe et des héros de la Grèce, mais ces héros et ces dieux arrivaient en Allemagne comme des fils de bonne maison qui venaient de faire leur éducation en France et qui en rapportaient les formes de langage les plus raffinées et les modes les plus récentes. Homère et Sophocle, en les voyant passer, ne les auraient pas reconnus.
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De temps à autre, une voix grave et sévère s’élève du milieu de ces traducteurs faméliques et lance contre eux un arrêt de réprobation. Je lis dans le ''Deutsche vierteijahres Schrift'' les lignes suivantes : Pourquoi traduit-on plus mal en Allemagne que partout ailleurs?Pourquoi le sérieux Allemand, chaque fois qu’il s’occupe d’un idiome étranger, traite-t-il si légèrement sa propre langue? Qu’on pénètre dans cet amas de soi-disant journaux des beaux esprits, ''journaux de modes, chroniques du monde élégant''; qu’on regarde toutes ces feuilles qui se parent de l’écume des littératures étrangères et qui ont la prétention d’introduire au milieu de la nation allemande le raffinement des mœurs; qu’on parcoure l’un après l’autre tous ces romans à couverture rose, bleue, jaune, tous ces recueils de nouvelles, où l’esprit des idoles les plus brillantes et les plus vulgaires du peuple de Paris se trouve jeté dans la vase allemande. Qu’on se souvienne que celui qui a écrit ces livres est Allemand, qu’il doit penser, parler, et écrire en allemand. Qu’y trouvera-t-on à chaque page et pour ainsi dire à chaque phrase? La langue à laquelle on attribue à juste titre tant de qualités, la noble langue allemande ravalée, dégradée, réduite au rôle du plus grossier drogman. Mais nous nous sommes habitués à cette misère, et nous ressemblons à ceux qui, vivant au milieu d’un air corrompu, n’en sentent plus les miasmes empestés. Toutes ces protestations n’arrêtent point l’activité des traducteurs. Les journaux qui s’ouvrent à ces justes plaintes s’abandonnent eux-mêmes au flot qui les entraîne. Ils ont de plus que les autres l’orgueil, ils refusent de reconnaître leur plagiat, mais leur manteau plus ample déguise mal leur pauvreté. Qu’on retranche de la collection de la ''Gazette d’Augsbourg'' et des ''Unterhaltungs Blaetter'' ce qui appartient à la France, et l’on verra ce qui leur restera.
 
 
<small>xxxxxxxxxx</small><br />
<small>(1) ''Gedichte von Herveg, 1842. </small><br />
<small> (2) ''Kinder und Haus Moerchen''.</small><br />
 
 
F. de LAGENEVAIS.
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