« Le Connétable du Guesclin » : différence entre les versions

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{{journal|Le Connétable du Guesclin|[[Auteur:Louis de Carné|Louis de Carné]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.32, 1842}}
 
==__MATCH__:[[Page:Revue des Deux Mondes - Période initiale, 4e série, tome 32.djvu/595]]==
:I.- Histoire de Bertrand du Guesclin, par M. de Fréminville. (1)
 
:II.- Chronique de Bertrand du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle. (2)
:I.- Histoire de Bertrand du Guesclin, par M. de Fréminville. (1)<ref>Un gros vol. in-8°. Brest, chez Proux.</ref>
(2):II.- Chronique de Bertrand du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle. <ref>Publiée pour la première fois par M. E. Carrière, dans la collection des Documens inédits sur l'histoire de France; 2 vol. in-4°.</ref>
 
 
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Cette mission était réservée à Du Guesclin. Mais avant de l'entreprendre, avant de recevoir cette épée de connétable à la pointe de laquelle il tracerait les frontières de la France, jusqu'alors incertaines et mal définies dans la conscience des peuples, il était appelé à l'une de ces épreuves redoutables qui seules préparent aux grandes destinées.
 
Dès sa première jeunesse, Du Guesclin tournait ses rêves vers l'Orient; son imagination s'enflammait au souvenir récent encore des croisades, à la pensée des saints lieux profanés. Cette pensée n'était pas moins vive au XIVe et au XVe siècle qu'aux jours même de Philippe-Auguste et de saint Louis, et personne n'ignore que les grands évènemens politiques et militaires sortis de la lutte de l'Angleterre et de la France arrêtèrent seuls le cours des projets, souvent formés sous le règne, des trois Charles, pour la délivrance de la Palestine. Il aurait donc suffi à Du Guesclin d'être de son temps pour aspirer de toutes les puissances de son ame à la gloire des pieux combats d'outre-mer. Combien d'ailleurs ce sentiment ne devait-il pas être plus énergique encore chez un enfant de cette Bretagne dont le sang avait coulé à grands flots dans ces expéditions héroïques, et qui avait vu une foule d'entre ses gentilshommes engagés dans les deux croisades de saint Louis ! Parmi les noms de ces gentilshommes qu'on a recueillis dans des titres inexplorés, après six siècles d'oubli (3)<ref>Voyez cette liste encore incomplète dans la Revue d'Armorique, n°du 15 août dernier.</ref>, on distingue au nombre des compagnons de Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, à la croisade de 1249, un Glayquin ou Guesclin, qui fut probablement l'aïeul même de Bertrand. C'est là tout ce qu'on sait de cette famille, dont l'illustration ne remonte qu'au connétable, quoique les fantastiques généalogies ne lui aient pas manqué. Mais ce détail, découvert après un si long espace de temps, ne suffit-il pas pour illuminer la nuit des âges et nous initier aux influences premières qui durent planer sur ce berceau? Accroupi dans la vaste cheminée de Lamothe-Broons, petite gentilhommière dont les derniers débris viennent de disparaître, l'enfant avait entendu conter à son père, si ce n'est à son aïeul lui-même, les combats de Damiette et de la Massoure, les grands coups d'épée des chevaliers, la captivité et la fin du saint roi mort sur la cendre. Quoi d'étonnant si Bertrand jura dans son cœur de prendre aussi la croix, et si ses pensées se portèrent vers le grand objet des préoccupations de la chrétienté tout entière?
 
Nous admettons donc volontiers, avec la plupart de ses biographes, qu'après le traité de Guérande et la négociation de sa rançon, acquittée des deniers du roi de France, Du Guesclin songea sérieusement à réaliser le rêve de ses premières années, et nous croyons sans peine qu'il trouva dans ses compagnons d'armes un concours et un dévouement chaleureux à la même pensée; mais nous n'oserions ajouter, avec M. de Fréminville, qu'il était poussé vers les lieux saints par des devoirs plus étroits et des liens mystérieux, dont cet écrivain se croit en mesure de révéler le secret, enseveli jusqu'à lui dans une nuit profonde.
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Il est difficile d'admettre que la haute direction d'un ordre proscrit et surveillé pût être confiée à un jeune homme de vingt-sept ans, qui à cette date citée de 1357 n'était pas encore connu hors des limites de la Bretagne, où il préludait alors à sa renommée. Cette objection nous semble péremptoire, et pourrait néanmoins être appuyée par plusieurs autres. C'est à regret que nous l'adressons à M. de Fréminville : nous aimerions à pouvoir lui faire une concession qui imprimerait au front de Du Guesclin l'éclat d'une grandeur nouvelle, et nous comprenons fort que, portant à l'ordre du Temple un dévouement filial, M. de Fréminville attache du prix à faire intervenir la grande figure du connétable entre Jacques de Molay et M. Fabré-Palaprat.
 
Mais si l'histoire peut conserver quelques doutes sur la secrète pensée qui poussait Du Guesclin vers cette terre d'Orient, d'où viennent toutes les grandes gloires (4)<ref>Napoléon.</ref>, elle n'en entretient aucun sur le but que se proposait Charles V en favorisant cette entreprise, et en pourvoyant amplement son général des moyens de l'exécuter. Esprit froid et tout pratique, ce prince n'aspirait point, comme la plupart de ses contemporains, à l'honneur d'une nouvelle croisade qui l'aurait détourné de la grande entreprise à laquelle il avait voué sa vie. L'on put en acquérir la preuve en le voyant substituer brusquement le plan d'une campagne toute politique au-delà des Pyrénées au projet primitif d'une expédition religieuse en Chypre et en Syrie. Un seul mobile agissait sur ce monarque, une seule pensée dominait son ame : organiser la France, y fonder l'ordre matériel sur la prépondérance du pouvoir royal, absorber en celui-ci toutes les forces féodales et militaires, devenues tour à tour ou des instrumens d'insurrection contre le trône, ou des instrumens d'anarchie contre la société elle-même.
 
On sait qu'au XIVe siècle, l'état militaire du royaume se composait de deux élémens : d'une part, les gens de guerre appartenant au domaine de la couronne, et ceux que les grands vassaux étaient tenus de mener au roi sous peine de forfaiture; de l'autre, les hommes libres pour qui la guerre était une profession, dont l'épée se vendait à qui voulait en payer l'usage, et que le souverain prenait temporairement à sa solde, sous des conditions déterminées. Ces soldoyers ou soldats s'engageaient, soit directement avec le prince lui-même, soit avec des chevaliers auxquels on délivrait des commissions de capitaines, et qui se chargeaient eux-mêmes, moyennant un prix convenu, de l'équipement des hommes engagés au service de la couronne, Le pacte féodal, ou du moins les usages universellement consacrés, n'imposaient aux vassaux et arrière-vassaux qu'un service annuel de quarante jours, et l'on avait vu dans les circonstances les plus critiques les montres se débander parce que ce terme se trouvait outrepassé.
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On sait le résultat de la double expédition conduite dans la Péninsule avec une si rare prudence et un génie militaire inconnu jusqu'alors. Personne n'ignore comment Henri de Transtamarre s'assit une première fois sur le trône de Castille pour en tomber bientôt sous les efforts d'une formidable expédition anglaise, conduite par le Prince Noir, pour renverser le roi élevé par la France. On sait aussi comment les fautes et les crimes de don Pèdre rendirent, bientôt après, des chances à son rival, qui, après une laborieuse campagne, dirigée par Du Guesclin comme commandant en chef des troupes françaises et castillanes, finit enfin par conquérir la possession d'un trône ensanglanté par un fratricide.
 
Les deux expéditions de 1365 et de 1368 sont l'un des premiers exemples qui se rencontrent dans notre histoire d'une opération difficile et lointaine conçue dans la pensée d'une influence extérieure à conquérir et à conserver. Du Guesclin sut maintenir parmi les aventuriers chargés de cette entreprise autant d'ordre et de discipline qu'en comportaient les temps. Ces troupes de pillards rentrèrent en France transformées en soldats; ils devinrent, sous la main de l'homme dont l'unique préoccupation consistait à prêter aide et puissance à son roi, le noyau permanent de cet établissement précieux qui allait bientôt changer la face de la monarchie. On sait comment Charles VII, profitant de la force que lui avait prêtée Jeanne d'Arc, comme son aïeul de celle qu'il avait reçue de Du Guesclin, compléta, par la mémorable ordonnance de 1448, l'organisation qu'avait commencée ce grand homme, en créant un rôle militaire par paroisse, et en instituant les compagnies d'ordonnance dans lesquelles se précipita bientôt toute la jeune noblesse <ref>« Ordonnons qu'en chaque paroisse de notre royaume y aura un archier qui sera et se tiendra continuellement en habillement suffisant et convenable de salade, dague, espée, arc, trousse, jacque ou hugue de brigandine, et seront appelés les francs archiers; lesquels seront esleus et choisis par nos esleus en chaque élection, sans avoir égard ne faveur à la richesse et aux requêtes que l'ont pourroit sur ce faire. Et seront tenus de nous servir toutes les fois qu'ils seront par nous mandez, et leur ferons payer quatre francs pour homme, pour chacun, mais du temps qu'ils nous serviront. » (5Ordonnance de Montils-lèz-Tours.)</ref>. Dès ce moment, les montres et les contingens seigneuriaux ne furent plus que des accessoires sans importance dans l'organisation militaire du royaume; le service cessa d'être la conséquence et le prix de la tenure territoriale, l'édifice féodal fut frappé dans sa base même, et l'armée, placée sous la main des rois, devint l'instrument de cet absolu pouvoir qui nivelait le sol pour le préparer à recevoir, des semences nouvelles. Les compagnies royales achevèrent cette aristocratie superbe dont l'artillerie à feu eut bientôt démoli les imprenables demeures. M. de Fréminville, qui a inséré, dans son livre spécialement consacré à l'armée, des documens curieux sur la poliorcétique du XIVe siècle, établit en effet de la manière la plus solide qu'avant l'invention du canon, le siège d'une place était une opération infiniment plus longue dans ses mesures, plus incertaine dans ses résultats, qu'elle ne le devint après que l'artillerie à feu se fut propagée. Avant cette époque, il n'était pas rare de voir le plus modeste château, défendu par une cinquantaine d'hommes déterminés, tenir en échec, durant le cours d'une année entière, des forces assaillantes infiniment supérieures; et tel fut, comme le montre cet écrivain, l'effet de la révolution commencée par l'application de l'artillerie à feu au siège des places, que l'avantage, qui jusqu'alors appartenait toujours aux assiégés, passa tout entier aux assiégeans, et qu'il n'y eut plus de place imprenable.
 
Ainsi allaient tomber pierre par pierre cette multitude de donjons et de châteaux qui bravaient depuis des siècles la puissance du suzerain; ainsi la physionomie matérielle de la France allait se renouveler comme celle de la société même. Ce fut donc un grand jour dans l'histoire que celui où Du Guesclin braqua quelques canons en batterie contre une mauvaise bicoque; ce ne fut pas un jour moins décisif que celui où, à la stupéfaction des bourgeois de la capitale, on le vit, selon la promesse qu'il en avait faite, conduire à Paris pour souper en grande pompe dans les appartemens royaux, où les attendaient Charles V en personne, les chefs de ces terribles bandes destinés à devenir bientôt de fidèles et dévoués capitaines. L'homme auquel il a été donné de faire cela a été autre chose qu'un brave chevalier; ce fut un grand esprit politique, qui sut agir sur son siècle parce qu'il le devançait, et les beaux coups de lance dont ses chroniqueurs ont si grand soin de conserver le souvenir sont assurément son moindre titre à la reconnaissance et à l'admiration de la postérité.
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Après ce grave échec infligé aux armes anglaises, nous voyons Du Guesclin entamer par la prise de Saumur, de Saint-Maur et de Bressuire, cette campagne poliorcétique qu'il continua durant près de dix années en Poitou, en Saintonge, en Guyenne et en Auvergne., arrachant toutes ces provinces aux Anglais ville par ville, château par château, et pour ainsi dire bastion par bastion. A chaque marche sur ce sol hérissé de forteresses féodales, on était arrêté par une barrière, et l'on n'avançait qu'à force d'assauts. La mine et l'incendie détruisaient l'une après l'autre ces tours de granit, devenues les derniers asiles de l'étranger. D'affreuses cruautés, d'horribles souffrances, venaient de part et d'autre imprimer à cette guerre un caractère inexorable; elles élevaient une barrière éternelle entre les combattans. A la longue apathie des populations avaient succédé la fureur de l'agression et le désespoir de la résistance. Le cours des idées changeait visiblement, et cette longue lutte se transformait de jour en jour en un immense duel de peuple à peuple. Ce n'étaient plus deux familles rivales qui se disputaient un trône et une suprématie d'honneur : c'étaient la France et l'Angleterre qui se heurtaient avec rage l'une contre l'autre; c'étaient deux nationalités qui naissaient à la fois dans des couches laborieuses et sanglantes.
 
Rien de plus curieux à étudier que ce travail intérieur qui a constitué la France moderne. Lui seul fait bien comprendre cet antagonisme de deux grands peuples devenu la loi de leur existence mutuelle, et comme la condition même de tous leurs développemens ultérieurs. «Le roi, dit Froissard, qui sage étoit et subtil, savait gens attraire et tenir à amour où son profit étoit. Il avoit tant fait que les prélats de Bretagne, les barons, les chevaliers et les bonnes villes estoient de son accord... De l'autre côté, tastoit aussi bellement ceux d'Abbeville et de Ponthieu, quels il les trouveroit, et s'ils demeureroient Anglois ou François. Et ne désireroient-ils alors autre chose que d'estre François, tant haieoient-ils les Anglois. Ainsi acqueroit le roi de France des amis de tout lez. » Mais c'était surtout dans 1a midi du royaume que ce travail de propagande s'opérait avec ardeur. La plus grande partie de la noblesse, froissée dans ses susceptibilités et dans ses droits par les mesures arbitraires du gouvernement anglais, en appelait depuis quelques années au roi de France. « Car estoient les Anglois orgueilleux et présomptueux; et ceux de Poitou, de Quersin, de Limosin, de Hovergnes, de La Rochelle, ne peuvent aimer les Anglois, quelque semblant qu'ils leur montrent, mais les tiennent en grand dépit et vileté. Et ont les officiers du prince si surmonté toutes gens en Poitou, en Saintonge et en La Rochelle, qu'ils prennent tout en abandon, et ils fond si grand levée, au titre du prince, que nul n'a rien du sien. Avec ce, touts les gentilshommes du pays ne peuvent venir à nul office, car tout emportent les Anglais (6)<ref>Chronique de Froissard, livre Ier, seconde partie.</ref>. »
 
A mesure que Du Guesclin s'avançait sur cette terre ainsi préparée, qu'il avait mission de reconquérir pas à pas, il trouvait donc une immense force morale, et quelquefois un dévouement sublime dans les populations, au cœur desquelles il savait parler. Les dispositions menaçantes des habitans de Poitiers contraignirent les Anglais à évacuer cette grande ville. Peu après les bourgeois de La Rochelle, et leur maire, Jean Cadorier, stimulés par la vue des bannières fleurdelisées flottant autour de leurs remparts, s'emparaient, par un audacieux coup de main, du gouverneur et de ses principaux officiers, et ouvraient leurs portes à l'armée du connétable. A Chisay, dans une bataille rangée disposée avec un art infini, celui-ci écrasait les forces anglaises, et faisait, par cette victoire, rentrer sous la domination du roi l'Aunis et la Saintonge, dont la conquête préparait celle de la Guyenne, de l'Aquitaine et de l'Auvergne. Mais un important épisode dans la vie de Du Guesclin devait couper en deux cette campagne du midi, qui ne fut interrompue que par quelques voyages à Paris, où le ramenait le besoin de s'entendre directement avec Charles V pour triompher quelquefois du mauvais vouloir, le plus souvent de l'ignorance de ses conseillers.
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Dieux ayt pitié sur toutes ames,
 
De la sienne, car bonne estoit (7)<ref>Entrait du poème d'un auteur contemporain, Guillaume de Quimper, manuscrit de l'église de Saint-Aubin d'Angers.</ref>.
 
 
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et ses grands hommes dans la naïveté de leurs mœurs et la continuité de leur vie, n'hésitons pas à nous faire paléographes plutôt qu'historiens : imprimons nos nombreux monumens inédits, car le moins important d'entre eux vaudra nos meilleurs ouvrages.
 
 
 
(1) Un gros vol. in-8°. Brest, chez Proux.
 
(2) Publiée pour la première fois par M. E. Carrière, dans la collection des Documens inédits sur l'histoire de France; 2 vol. in-4°.
 
(3) Voyez cette liste encore incomplète dans la Revue d'Armorique, n°du 15 août dernier.
 
(4) Napoléon.
 
(5) « Ordonnons qu'en chaque paroisse de notre royaume y aura un archier qui sera et se tiendra continuellement en habillement suffisant et convenable de salade, dague, espée, arc, trousse, jacque ou hugue de brigandine, et seront appelés les francs archiers; lesquels seront esleus et choisis par nos esleus en chaque élection, sans avoir égard ne faveur à la richesse et aux requêtes que l'ont pourroit sur ce faire. Et seront tenus de nous servir toutes les fois qu'ils seront par nous mandez, et leur ferons payer quatre francs pour homme, pour chacun, mais du temps qu'ils nous serviront. » (Ordonnance de Montils-lèz-Tours.)
 
(6) Chronique de Froissard, livre Ier, seconde partie.
 
(7) Entrait du poème d'un auteur contemporain, Guillaume de Quimper, manuscrit de l'église de Saint-Aubin d'Angers.
 
 
LOUIS DE CARNE
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