« Académie française - Réception de M. Mérimée » : différence entre les versions

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Certes l'ironie aussi était propre à Nodier, et jamais la malice peut-être, sous air de bonhomie, ne s'est plus vivement aiguisée que sous cette fine plume, que sur ces lèvres amincies exprès pour le sourire; mais, par une de ces contradictions qui ont fait la faiblesse et en même temps le charme du talent de Nodier, le douteur chez lui était susceptible d'enthousiasme, le moqueur tombait dans la sensibilité au sortir du persiflage le plus sceptique, il se jetait dans les candeurs de la crédulité et résolvait le difficile problème d'être un railleur sentimental. La première de ces qualités n'a pas compensé la seconde aux yeux de p. périmée. J'avoue qu'en bien des choses il eût été difficile de mettre Nodier d'accord avec lui-même. Novateur en littérature et conservateur outré en linguistique, romantique dans ses livres et puriste à l'Académie, cultivant tour à tour le pastiche et l'invention, cédant aux modes littéraires et pratiquant l'originalité, fidèle à sa fantaisie de poète et soumis aux inspirations de ses libraires, passionné pour les élans de Werther et prenant au sérieux les virgules du chevalier Croft, érudit et romanesque, bibliomane et se moquant des livres, démocrate des républiques perdues et royaliste des monarchies en péril, il n'a cessé toute sa vie de se donner des démentis, démentis sincères et peu compromettans après tout dans une si aimable et si poétique nature.
 
On pourrait croire qu'à la longue cette mobilité de sentimens ôta à la physionomie de Nodier son caractère. Point; c'en est, au contraire, la marque en quelque sorte distinctive. L'honneur et le malheur à la fois de l'auteur de ''Thérèse Aubert'' et du ''Dictionnaire des Onomatopées'', c'est de s'être éparpillé à travers tous les dilettantismes de l'esprit, d'avoir cherché en flâneur les curiosités érudites comme les raffinemens d'imagination, de s'être aussi irrésistiblement passionné pour un Elzévir ''à la sphère'' que pour un conte de Perrault, et pour une reliure de Derôme que pour une page de Bonaventure Desperiers; d'avoir disserté avec le même plaisir sur l'antenne d'un insecte et sur l'étymologie d'un mot oublié, de s'être fait enfin le chevalier errant des causes désespérées et, des paradoxes insoutenables. Vous le voyez, nulle unité dans tout cela, nul centre, nul point de ralliement : on a spirituellement comparé l'oeuvre de Charles Nodier à une armée brillante à laquelle manquerait le quartier-général. Heureusement les prestiges de la forme et le pétillant de l'esprit sont là un gage sûr de durée. Le style de Nodier est d'un artiste consommé; il a des vivacités charmantes et des langueurs ineffables. Imaginez un jeu de rayon à travers une cascade ou dans une clairière, et vous aurez l'idée de cette diction savante, délicate, flexible, colorée comme un prisme, ciselée comme une arabesque. Quand les personnages des romans de Nodier sont, ainsi qu'il arrive souvent, chimériques et impossibles, il se trouve que le style jette son riche vêtement sur ces fantômes et leur prête la vie de l'art. Le cadre est si splendide, que l'on garde le tableau. Du reste, si l'auteur de ''Jean Sbogar'' n'a guère donné dans ses héros que des décalques de Werther, quelques-unes de ses héroïnes, en revanche, ont été touchées de la baguette magique : Clémentine, Séraphine, Thérèse, Amélie, choeur gracieux qui sera long-temps cher aux rêveurs par je ne sais quelle fleur de jeunesse et de sentiment. C'est ce don exquis de ne pas vieillir qui a toujours conservé sa fraîcheur au talent de Nodier. On l'a dit, ici même, mieux que je ne saurais faire : « De toutes les aimables soeurs de notre jeunesse qui nous quittent une à une en chemin, et qu'il nous faut ensevelir, il lui en était resté deux, jusqu'au dernier jour fidèles, deux muses se jouant à ses côtés, et qui n'ont déserté qu'à l'heure toute suprême le chevet du mourant, la Fantaisie et la Grace (1)<ref> Voyez les articles de M. Sainte-Beuve sur Charles Nodier, dans la ''Revue'' du 1er mai 1840 et du 1er février 1844.</ref>. » Charles Nodier s'est gaspillé, et il l'a su, et il le disait avec franchise; mais comment ne pas pardonner à son insouciance? On l'aime comme l'enfant prodigue; on ne peut lui en vouloir de s'être borné, lui aussi, à être, non pas un ''roi d'Yvetot'', comme Rabelais, mais un ''roi de Bohême'' en littérature. Ce vagabondage de son esprit ressemble à la Prairie de Cooper; on s'ennuierait bientôt de cette vie errante à travers les steppes, si une créature mystérieuse n'était point toujours là, cachée sous son voile, et ne jetait un intérêt romanesque sur ces pérégrinations maussades; cette inconnue qui vous touche, chez Nodier c'est la Poésie.
 
I. Mérimée s'est moins appliqué à discerner dans leurs nuances les qualités de l'écrivain qu'à raconter la vie aventureuse de l'homme; il a fait sa tâche plus biographique que critique. Son discours est un morceau bien fait, un récit franc et allant au but, habilement semé de traits d'observation et de mots incisifs : l'ordonnance en est simple, mais parfaite; les ornemens en sont sobres, mais exquis. Là, comme toujours, cette plume constamment sûre d'elle-même s'empare du détail caractéristique et répugne à tout développement inutile. L'odyssée singulière et presque fabuleuse de sa jeunesse, à laquelle Nodier lui-même a emprunté depuis tant de souvenirs pittoresques qu'il a idéalisés et transformés, cet enfant dont on imprimait à douze ans les discours républicains, ce terroriste imberbe qui menaçait son père de se tuer pour avoir la grace d'une inconnue, ce candide enthousiaste de Werther qui regardait comme le plus beau jour de sa vie celui où il put se vêtir d'un habit bleu et d'une culotte jaune, ce monomane du malheur qui se croyait proscrit et qui poursuivait les papillons dans les montagnes en croyant fuir les gendarmes, ce démocrate que le jury faillit condamner à mort pour s'être fait le parodiste des clubs démocratiques, ce royaliste qui dénonçait lui-même ses vers républicains contre Bonaparte, toute cette série enfin de personnages bizarres que joua successivement Nodier est mise en scène avec l'art achevé qu'on connaît à M. Mérimée. S'il n'y avait dans ce récit je ne sais quel caractère chimérique exclusivement propre au héros, on pourrait le regarder comme un de ses meilleurs contes. Mais voyez si le contraste est piquant! M. Mérimée ici ne fait que raconter, et il se trouve pourtant être moins ''réel'' que quand il invente. C'est que, de tous les romans de Nodier, le plus invraisemblable à coup sûr est encore le roman de sa vie. M. Mérimée n'eût pas de lui-même choisi ce thème-là.
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Assurément M. Étienne est un homme d'esprit : tout le monde se souvient de sa vive et libérale polémique de la restauration. Comment la réponse qu'il a faite à M. Mérimée a-t-elle un peu trompé notre attente? Des expressions vieillies s'y étaient glissées et on passait trop souvent des ''bruits du forum au poignard du fanatisme''. M. Étienne, qui avait beaucoup connu Nodier, n'a rien trouvé à ajouter à ce que venait de raconter M. Mérimée qui ne l'avait jamais vu; il s'est contenté de redire la même chose en moins bons termes. Ce morceau, où l'emphase n'est pas toujours évitée, ne rappelait guère, il en faut convenir, l'agréable discours de réception dans lequel l'honorable académicien avait avancé, et très spirituellement prouvé, il y a trente ans, que si l'histoire de France se perdait, on pourrait la reconstruire avec les comédies. Pourquoi M. Étienne n'a-t-il pas retrouvé seulement cette verve sobre et élégante qui, naguère encore, à l'inauguration de la statue de Molière, se distingua si heureusement de la harangue maussade et lourde de M. Arago? Y aurait-il donc aussi pour l'esprit des modes qui vieillissent, et le don qu'eut Nodier de toujours rester jeune était-il une exception? J'en veux douter, et je vais relire ''les Deux Gendres''.
 
 
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<small> (1) Voyez les articles de M. Sainte-Beuve sur Charles Nodier, dans la ''Revue'' du 1er mai 1840 et du 1er février 1844.</small><br />
 
 
CHARLES LABITTE.
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