« La Dynamique de l’électron » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m Typo : espace avant ; (fin)
m Typo ;
Ligne 8 :
</center>
 
Les principes généraux de la Dynamique, qui ont, depuis Newton, servi de fondement à la Science physique et qui paraissaient inébranlables, sont-ils sur le point d’être abandonnés ou tout au moins d’être profondément modifiés ? C’est ce que bien des personnes se demandent depuis quelques années. La découverte du radium aurait, d’après elles, renversé les dogmes scientifiques que l’on croyait les plus solides : d’une part, l’impossibilité de la transmutation des métaux ; d’autre part, les postulats fondamentaux de la Mécanique. Peut-être s’est-on trop hâté de considérer ces nouveautés comme définitivement établies et de briser nos idoles d’hier ; peut-être conviendrait-il, avant de prendre parti, d’attendre des expériences plus nombreuses et plus probantes. Il n’en est pas moins nécessaire, dès aujourd’hui, de connaître les doctrines nouvelles et les arguments, déjà très sérieux, sur lesquels elles s’appuient.
 
Rappelons d’abord en quelques mots en quoi consistent ces principes :
Ligne 46 :
Un rayon cathodique, qui est une pluie de projectiles chargés d’électricité négative, peut être assimilé à un courant ; sans doute, ce courant diffère, au premier abord tout au moins, des courants de conduction ordinaire, où la matière est immobile et où l’électricité circule à travers la matière. C’est un ''courant de convection'', où l’électricité, attachée à un véhicule matériel, est emportée par le mouvement de ce véhicule. Mais Rowland a démontré que les courants de convection produisent les mêmes effets magnétiques que les courants de conduction ; ils doivent produire aussi les mêmes effets d’induction. D’abord, s’il n’en était pas ainsi, le principe de la conservation de l’énergie serait violé ; d’ailleurs, Crémieu et Pender ont employé une méthode où l’on mettait en évidence ''directement'' ces effets d’induction.
 
Si la vitesse d’un corpuscule cathodique vient à, varier, l’intensité du courant correspondant variera également, et il se développera des effets de self-induction qui tendront à s’opposer à cette variation. Ces corpuscules doivent donc posséder une double inertie : leur inertie propre d’abord, et l’inertie apparente due à la self-induction qui produit les mêmes effets. Ils auront donc une masse totale apparente, composée de leur masse réelle et d’une masse fictive d’origine électromagnétique. Le calcul montre que cette masse fictive varie avec la vitesse, et que la force d’inertie de self-induction n’est pas la même quand la vitesse du projectile s’accélère ou se ralentit, ou bien quand elle est déviée ; il en est donc de même de la force d’inertie apparente totale.
 
La masse totale apparente n’est donc pas la même quand la force réelle appliquée au corpuscule est parallèle à sa vitesse et tend à en faire varier la grandeur, et quand cette force est perpendiculaire à la vitesse et tend à en faire varier la direction. Il faut donc distinguer la ''masse totale longitudinale'' et la ''masse totale transversale''. Ces deux masses totales dépendent, d’ailleurs, de la vitesse. Voilà ce qui résulte des travaux théoriques d’Abraham.
Ligne 64 :
</center>
 
Au point où nous en sommes, cette conclusion peut sembler prématurée. Peut-on appliquer à la matière tout entière ce qui n’a été établi que pour ces corpuscules si légers, qui ne sont qu’une émanation de la matière et peut-être pas de la vraie matière ? Mais, avant d’aborder cette question, il est nécessaire de dire un mot d’une autre sorte de rayons. Je veux parler d’abord des ''rayons-canaux'', les ''Kanalstrahlen'' de Goldstein. La cathode, en même temps que les rayons cathodiques chargés d’électricité négative, émet des rayons-canaux chargés d’électricité positive. En général, ces rayons-canaux, n’étant pas repoussés par la cathode, restent confinés dans le voisinage immédiat de cette cathode, où ils constituent la « couche chamois », qu’il n’est pas très aisé, d’apercevoir ; mais, si la cathode est percée de trous, et si elle obstrue presque complètement lé tube, les rayons-canaux vont se propager ''en arrière'' de la cathode, dans le sens opposé à celui des rayons cathodiques, et il deviendra possible de les étudier. C’est ainsi qu’on a pu mettre en évidence leur charge positive et montrer que les déviations magnétiques et électriques existent encore, comme pour les rayons cathodiques, mais sont beaucoup plus faibles.
 
Le radium émet également des rayons analogues aux rayons-canaux, et relativement très absorbables, que l’on appelle les rayons &alpha;.
Ligne 187 :
Voyons ce que devient, dans la théorie de Lorentz, le principe de l’égalité de l’action et de la réaction. Voilà un électron A qui entre en mouvement pour une cause quelconque ; il produit une perturbation dans l’éther ; au bout d’un certain temps, cette perturbation atteint un autre électron B, qui sera dérangé de sa position d’équilibre. Dans ces conditions, il ne peut y avoir égalité entre l’action et la réaction, au moins si l’on ne considère pas l’éther, mais seulement les électrons ''qui sont seuls observables'', puisque notre matière est formée d’électrons.
 
En effet, c’est l’électron A qui a dérangé l’électronB ; alors même que l’électron B réagirait sur A, cette réaction pourrait être égale à l’action, mais elle ne saurait, en aucun cas, être simultanée, puisque l’électron B ne pourrait entrer en mouvement qu’après un certain temps, nécessaire pour la propagation. Si l’on soumet le problème à un calcul plus précis, on arrive au résultat suivant : Supposons un excitateur de Hertz placé au foyer d’un miroir parabolique auquel il est lié mécaniquement ; cet excitateur émet des ondes électromagnétiques, et le miroir renvoie toutes ces ondes dans la même direction ; l’excitateur va donc rayonner de l’énergie dans une direction déterminée. Eh bien, le calcul montre que ''l’excitateur va reculer'' comme un canon qui a envoyé un projectile. Dans le cas du canon, le recul est le résultat [394] naturel de l’égalité de l’action et de la réaction. Le canon recule, parce que le projectile sur lequel il a agi réagit sur lui.
 
Mais ici, il n’en est plus de même. Ce que nous avons envoyé au loin, ce n’est plus un projectile matériel : c’est de l’énergie, et l’énergie n’a pas de masse ; il n’y a pas de contre-partie. Et, au lieu d’un excitateur, nous aurions pu considérer tout simplement une lampe avec un réflecteur concentrant ses rayons dans une seule direction.
Ligne 289 :
Toutefois, les effets de cette onde d’accélération, en particulier la perte d’énergie correspondante, sont négligeables dans la plupart des cas, c’est-à-dire non seulement dans la Mécanique ordinaire et dans les mouvements des corps célestes, mais même dans les rayons du radium, où la vitesse est très grande sans que l’accélération le soit. On peut alors se borner à appliquer les lois de la Mécanique, en écrivant que la force est égale au produit de l’accélération par la masse, cette masse, toutefois, variant avec la vitesse d’après les lois exposées plus haut. On dit alors que le mouvement est ''quasi-stationnaire''.
 
Il n’en serait plus de même dans tous les cas où l’accélération est grande, et dont les principaux sont les suivants: 1° Dans les gaz incandescents, certains électrons prennent un mouvement oscillatoire de très haute fréquence ; les déplacements sont très petits, les vitesses sont finies, et les accélérations très grandes ; l’énergie se communique alors à l’éther, et c’est pour cela que ces gaz rayonnent de la lumière de même période que les oscillations de l’électron ; 2° Inversement, quand un gaz reçoit de la lumière, ces mêmes électrons sont mis en branle avec de fortes accélérations et ils absorbent de la lumière ; 3° Dans l’excitateur de Hertz, les électrons qui circulent dans la masse métallique subissent, au moment de la décharge, une brusque accélération et prennent ensuite un mouvement oscillatoire de haute fréquence. Il en résulte qu’une partie de l’énergie rayonne sous formes d’ondes hertziennes ; 4° Dans un métal incandescent, les électrons enfermés dans ce métal sont animés de grandes vitesses ; en arrivant à la surface du métal, qu’ils ne peuvent franchir, ils se réfléchissent et subissent ainsi une accélération considérable. C’est pour cela que le métal émet de la lumière. C’est ce que j’ai déjà expliqué au chapitre IV. Les détails des lois de l’émission de la lumière par les corps noirs sont parfaitement expliqués par cette hypothèse ; 5° Enfin, quand les rayons cathodiques viennent frapper l’anticathode, les électrons négatifs qui constituent ces rayons, et qui sont animés de très grandes vitesses, sont brusquement arrêtés. Par suite de l’accélération qu’ils subissent ainsi, ils produisent des ondulations dans l’éther. Ce serait là, d’après certains physiciens, l’origine des rayons Röntgen, qui ne seraient autre chose que des rayons lumineux de très courte longueur d’onde. [398]
 
<center>
Ligne 365 :
Darwin a démontré que la théorie de Lesage ne conduit exactement à la loi de Newton qu’en supposant des corpuscules entièrement dénués d’élasticité. L’attraction exercée par la Terre sur une masse 1 à la distance 1 sera alors proportionnelle, à la fois, à la surface totale S des molécules sphériques qui la composent, à la vitesse ''v'' des corpuscules, à la racine carrée de la densité &rho; du milieu formé par les corpuscules. La chaleur produite sera proportionnelle à S, à la densité &rho;, et au cube delà vitesse ''v''.
 
Mais il faut tenir compte delà résistance éprouvée par un corps qui se meut dans un pareil milieu ; il ne peut se mouvoir, en effet, sans aller au-devant de certains chocs, en fuyant, au contraire, devant ceux qui viennent dans la direction opposée, de sorte que la compensation réalisée à l’état de repos ne peut plus subsister. La résistance calculée est proportionnelle à S, à &rho; et à ''v'' ; or, on sait que les corps célestes se meuvent comme s’ils n’éprouvaient [401] aucune résistance, et la précision des observations nous permet de fixer une limite à la résistance du milieu.
 
Cette résistance variant comme S&rho;''v'', tandis que l’attraction varie comme <math>S\sqrt{\rho}v</math>, nous voyons que le rapport de la résistance au carré de l’attraction est en raison inverse du produit S''v''.
Ligne 371 :
Nous avons donc une limite inférieure du produit S''v''. Nous avions déjà une limite supérieure de S (par l’absorption de l’attraction par les corps qu’elle traverse) ; nous avons donc une limite inférieure de la vitesse ''v'', qui doit être au moins égale à 24.10<sup>17</sup> fois celle de la lumière.
 
Nous pouvons en déduire &rho; et la quantité de chaleur produite ; cette quantité suffirait pour élever la température de 10<sup>26</sup> degrés par seconde ; la Terre recevrait dans un temps donné 10<sup>20</sup> fois plus de chaleur que le Soleil n’en émet dans le même temps ; je ne veux pas parler de la chaleur que le Soleil envoie à la Terre, mais de celle qu’il rayonne dans toutes les directions.
 
Il est évident que la Terre ne résisterait pas longtemps à un pareil régime.
Ligne 413 :
Est-il bon de les avertir qu’elle n’est qu’approchée ? Oui ; mais plus tard, quand ils s’en seront pénétrés jusqu’aux moelles, quand ils auront pris le pli de ne penser que par elle, quand ils ne risqueront plus de la désapprendre, alors on pourra, sans inconvénient, leur en montrer les limites.
 
C’est avec la Mécanique ordinaire qu’ils doivent vivrevivr e; c’est la seule qu’ils auront jamais à appliquer ; quels que soient les progrès de l’automobilisme, nos voitures n’atteindront jamais les vitesses où elle n’est plus vraie. L’autre n’est qu’un luxe, et l’on ne doit penser au luxe que quand il ne risque plus de nuire au nécessaire.
<div style="text-align:right">'''Henri Poincaré''',</div>
<div style="text-align:right">de l’Académie des Sciences et de l’Académie française.</div>