« De l’état de la poésie en Allemagne » : différence entre les versions

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<center>La dernière saison poétique</center>
 
:I. ''Ketch und Schwert (la Coupe et l'Épée''), par M. Maurice Hartamnn. - Leipzig, 1845. - II. ''Geibel's Gedichte'', poésies de M. Geibel.- Berlin, 1846. - III. ''Gedichte von L. Schücking'', poésies de M. L. Schücking. - Stuttgart, 1846. - IV. ''Der Weltpriester (le Prêtre séculier''), par M. Leopold Schefer. - Nuremberg, 1846. - V. ''Lieder vom armen Mann (Chansons d'un Homme pauvre''), par M. Charles Beck. - Leipzig, 1846. - VI. ''Hamdsa'', recueil de chants arabes, traduit par Rückert. - Stuttgart, 1846.
:I. - ''Ketch und Schwert (la Coupe et l'Épée''), par M. Maurice Hartamnn. - Leipzig, 1845.
:II. - ''Geibel's Gedichte'', poésies de M. Geibel.- Berlin, 1846.
:III. - ''Gedichte von L. Schücking'', poésies de M. L. Schücking. - Stuttgart, 1846.
:IV. - ''Der Weltpriester (le Prêtre séculier''), par M. Leopold Schefer. - Nuremberg, 1846.
:V.- ''Lieder vom armen Mann (Chansons d'un Homme pauvre''), par M. Charles Beck. - Leipzig, 1846.
:VI.- ''Hamdsa'', recueil de chants arabes, traduit par Rückert. - Stuttgart, 1846.
 
 
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Cette obstination du mysticisme allemand, dans une époque comme la nôtre et chez un poète qui appartient à l'école de Hegel, est vraiment un phénomène singulier, une curiosité bizarre. En vain M. Schefer s'est-il raclé à la vie véritable, en vain a-t-il vu des contrées diverses, l'Italie, l'Orient, les capitales tumultueuses: il semble qu'il ait passé son existence au fond d'un cloître. S'il eût vécu il y a plusieurs siècles, dit un écrivain allemand, Léopold Schefer eût fondé une religion. Je ne sais, mais il est certain que la philosophie hégélienne est devenue pour lui toute une église, et que, du fond des chapelles obscures, sa voix nous arrive comme la psalmodie sans fin d'un moine agenouillé.
 
Le premier poème de M. Schefer, ''le Bréviaire des laiques'', avait charmé bien des esprits, malgré l'inexpérience littéraire qu'il accuse si hautement. Ce bréviaire est un recueil de chants religieux et philosophiques, appropriés à chaque saison, à chaque mois, à chaque jour de l'année; le texte de la prédication quotidienne, ce sont les moindres événemens de la nature, une fleur qui s'ouvre, un oiseau qui chante, l'arrivée des cigognes, le départ des hirondelles; la leçon morale s'associe gracieusement aux scènes du bois et de la prairie, et l'on respire, pendant tout le sermon, je ne sais quelle franche odeur de foin, de fougère et de serpolet. Il y a bien dans tout cela des bizarreries inexplicables : tantôt une négligence inouie, tantôt une raideur technique qu'on excuserait à peine dans un traité spécial; mais la pieuse émotion du poète est si vraie, qu'elle éclate sous la dureté du langage. Son sermon terminé, M. Schefer est rentré dans sa cellule de moine; il a donné alors ''les Vigiles'', c'est-à-dire ses méditations solitaires, ses dévotions philosophiques sous la lampe nocturne. Or, cette froide cellule l'a moins bien inspiré que la nature printanière; comme il n'était plus soutenu par le spectacle de la vie, il est retombé dans les ténèbres de l'abstraction, et j'ai dit ici même (1)<ref> Voyez dans la ''Revue'' du 15 août 1844, ''De la Poésie philosophique en Allemagne''. </ref> tout ce qu'il y a de subtilités et de galimatias dans les rêveries de ses veilles. Le poète toutefois y continuait le développement d'une même pensée; c'était toujours la philosophie devenue religion, l'école transformée en église. Eh bien ! M. Schefer poursuit encore aujourd'hui la tâche qu'il a commencée; après ''le Bréviaire des laïques'', écrit en présence de la nature, après les élévations de ses nuits pieuses, le voilà maintenant qui se mêle à la foule, il parcourt le monde, il frappe à chaque seuil, il va consoler les coeurs souffrans, relever les malheureux qui doutent; il s'impose enfin les plus actives fonctions du sacerdoce, et, pour qu'on ne s'y méprenne pas, il intitule son livre ''le Prêtre séculier''.
 
Ce titre m'a séduit, je l'avoue. Il me semblait que l'auteur des Vigiles, averti par la chute de son dernier ouvrage, ambitionnait enfin le succès poétique. Quelle meilleure occasion, en effet, pour renoncer à ses monotones divagations? Prêtre séculier, il allait converser avec ses semblables et porter à tous le pain de la doctrine nouvelle; il ne serait certainement pas, me disais-je, subtil et inintelligible comme dans ''les Vigiles''; mêlé au mouvement de la vie humaine, il rencontrerait sans doute des tableaux, des scènes animées, des émotions profondes qui lui étaient interdites dans ''le Bréviaire des laïques''. Une fois ce genre admis, où trouver une matière plus fertile, un plus riche programme? C'était du moins un sujet favorable pour justifier complètement, si cela est possible, les essais de poésie hégélienne. Imaginez un Jocelyn nourri de la pensée puissante de Hegel, et qui va prêchant avec une foi enthousiaste les conséquences morales de la doctrine du maître, le respect de la raison, l'adoration de l'esprit suprême, le sentiment de la vie universelle : le panthéisme du philosophe de Berlin nous choquera peut-être moins, enseigné avec une sérénité si pure, et les tableaux que découvrira l'artiste, les scènes diverses qu'il va illuminer de sa pensée, nous rappelleront le magnifique épisode des ''Laboureurs''. N'est-ce pas là aussi qu'aspirait ce jeune maître si pieux dans ses audaces, si fervent dans ses témérités, ce noble poète trop tôt enlevé à la philosophie, M. Frédéric de Sallet? Je me plaçais, comme on voit, sur le terrain même de M. Schefer, quoique je me défie singulièrement de cette poésie métaphysique; j'acceptais le programme annoncé, et par M. Schefer, et par M. de Sallet; je l'acceptais avec toute sorte de réserves, on le pense bien, et en attendant le chef-d'oeuvre qui devait en sortir. Le chef-d'oeuvre n'est pas venu, et ne viendra pas. Au lieu de ces inspirations que je cherchais, au lieu de ces scènes vivantes qui auraient mis en relief la pensée du philosophe, je n'ai trouvé que de longues dissertations, de longs traités en vers iambiques. Il semble même que M. Schefer ait exagéré dans ce livre tous ses défauts accoutumés, comme il a accusé plus nettement aussi le caractère religieux de sa philosophie. Jamais le ''prêtre'' hégélien n'a été plus convaincu des vérités qu'il annonce; jamais il n'a montré une plus ardente ferveur. Le panthéisme de Hegel, avec tous ses dogmes, est prêché ici par le plus affectueux des lévites, et on en voit sortir, grace à l'onction du prédicateur, des conséquences inattendues, des préceptes de charité, d'amour, de dévouement, qui semblaient bien étrangers à cet effrayant système. Le dieu de Hegel, si grand, mais si impitoyable, devient tout à coup sympathique et miséricordieux; il a des tendresses presque chrétiennes. Voilà la part vraiment originale de cette étrange production. Cependant, plus le poète s'exalte et abandonne la terre, plus aussi il est entraîné dans les abstractions stériles et le fatras des formules. Nous espérions que cet enthousiasme si sincère allait produire un poète; nullement, il en sort un docteur chargé de son lourd bagage. On ne trouvera pas plus de thèses et d'antithèses, de géométrie et d'algèbre métaphysique dans la ''Phénoménologie'' de Hegel, qu'il n'y en a dans ''le Prêtre séculier''. M. Schefer a beau écrire en vers sur les grands sujets qui remplissent son ame, c'en est fait, il n'y a plus ici ni poète, ni poésie; tout cet appareil pédantesque a étouffé l'imagination. Vous qui aimiez l'auteur du ''Bréviaire'' pour ses pieuses ferveurs et qui espériez en lui, renoncez désormais à ce Novalis plus ardent que vous vous promettiez : il faut vous résigner pour toujours à une scolastique barbare.
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On est heureux de retrouver dans la poésie allemande contemporaine ces belles études qui faisaient jadis sa gloire. C'est une bonne fortune de voir renaître ce noble souci de l'art, ce grave enthousiasme cosmopolite dont Goethe a été le prêtre majestueux, et que les mesquines prétentions de nos jours ont fait repousser avec dédain. Est-il permis de croire à ces promesses? nous l'espérons. La tyrannie des poètes politiques de 1840 est déjà ruinée; la lyre reprendra ses sept cordes. Tandis que Rückert continue ses études orientales, Uhland recueille les chants des Minnesinger; avec quel soin pieux, avec quel sentiment filial, on doit le comprendre! Ainsi, avant de reparaître sous une forme plus directe, la poésie des maîtres s'annonce dans les travaux sérieux, dans les traductions et les recherches lumineuses. La poésie! qui pourrait, en effet, y renoncer si long-temps? N'est-elle pas le besoin le plus impérieux des ames élevées, des intelligences délicates? Les émotions violentes qu'une littérature suspecte emprunte aux passions du moment ou aux vulgaires appétits ne détourneront pas les esprits de la pure beauté, de l'idéal, qui ne s'éteint ni ne pâlit jamais. Si l'imagination se tait, si l'art sérieux, l'art divin, se cache trop long-temps, on va chercher ses traces chez les plus humbles de ses disciples. C'est pour cela que nous avons interrogé aujourd'hui quelques talens aimables. Certes, on l'a vu, tous ne sont pas également dignes d'estime. Je désirerais bien que M. Geibel, M. Beck, M. Schefer, pussent donner les mêmes espérances que M. Maurice Hartmann; je désirerais trouver dans ''le Prëtre séculier'', dans ''les Chansons d'un Homme pauvre'', cette maturité vigoureuse, cette belle alliance de la pensée et de la forme, en un mot cette science littéraire qui place déjà très haut l'auteur de ''la Coupe et l'Épée''. Ce que j'ai voulu surtout, je l'ai dit en commençant, c'était indiquer une situation nouvelle, un retour à la pure poésie, à l'art vrai et désintéressé, et, bien que les sentiers meilleurs n'aient pas été ouverts par des poètes du premier ordre, nous ne devions pas négliger d'y suivre la Muse immortelle. ''Son ombre même est douce'', a dit un de ceux qui l'ont le mieux aimée. Il faut espérer pourtant que les maîtres reprendront bientôt la parole; ils se taisent au-delà du Rhin, comme en France Lamartine, Alfred de Vigny, Hugo, de Musset, et ce silence est fatal aux lettres sérieuses. Qu'ils reviennent à leurs projets inachevés; que M. Henri Heine, que M. Anastasius Grün, provoqués par tant d'appels, que M. Freiligrath et M. Herwegh, effrayés peut-être d'une victoire trop éclatante, tous enfin, qu'ils reviennent aux belles contrées de l'imagination! Ils ont encore plus d'un effort à tenter pour la durée de leur nom, ils doivent aussi plus d'un conseil à leurs jeunes successeurs.
 
 
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<small>(1) Voyez dans la ''Revue'' du 15 août 1844, ''De la Poésie philosophique en Allemagne''. </small><br />
 
 
SAINT-RENÉ TAILLANDIER.
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