« Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps/08 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Zoé (discussion | contributions)
mAucun résumé des modifications
m malin -> matin
Ligne 47 :
«D'Aix, 23 juillet 1778.
 
« Beaumarchais a enfin gagné son procès a Aix. La cause a été jugée en sa faveur tout d'une voix, avec dépens, dommages et intérêts, le Falcoz <ref> M. de La Blache s'appelait Falcoz de La Blache. </ref> débouté de toutes ses demandes et prétentions, comme mal fondées et ''calomnieuses'', ce mot est dans l'arrêt. L'affaire a été examinée et discutée ici avec une attention particulière, et les questions de droit ont été traitées avec une clarté et une profondeur qui doivent faire honneur au barreau de cette ville. Le Falcoz était d'une prodigieuse activité et d'une excessive adresse; tous les jours, il sortait dès cinq heures du malinmatin, il visitait tous ses juges, il courait chez ses six avocats, il se montrait partout. Beaumarchais faisait tout le contraire, il ne voyait personne, il n'allait pas même chez ses juges ; je l'en grondais quelquefois, il me répondait, comme le misanthrope : « Ma cause n'est-elle bonne? » Pour répondre à la consultation du Falcoz, qui avançait avec une impudence inconcevable que jamais Beaumarchais n'avait eu de liaisons avec M. Duverney, Beaumarchais lui décocha le mémoire que vous devez avoir reçu, '' Réponse ingénue'', etc. Le Falcoz, secondé de Châtillon et de six avocats, ayant présenté sa requête pour faire brûler ledit mémoire par la main du bourreau, et ayant publié en outre mémoire et une autre consultation, signée des six, Beaumarchais leur riposta par un nouvel écrit que vous ne connaissez pas encore, intitulé ''le Tartare à la légion''. Il les y traitait en véritable Tartare, si ce n'est qu'il les plaisantait avec plus de gaieté qu'il n'y en eut jamais dans toute la Scythie. Pendant qu'il s'amusait ainsi et qu'il riait avec ses conseils, maints avocats de cette ville communiquaient à lui et à son avocat, ou même faisaient imprimer des écrits qui prouvaient qu'il avait pour lui la loi et les autorités de tous les commentateurs des lois. Les jutes gardaient le plus profond silence et examinaient cette affaire avec une sévérité propre à confondre, tout téméraire. Notre Tartare demanda à parler à tous ses juges assemblés et à les instruire tous ensemble; mais comme il ne prétendait aucun avantage sur son adversaire, il demanda la même grâce pour lui; on la leur accorda, et comme ils parlent bien l'un et l'autre, les deux séances furent très intéressantes. Mais la fierté, la confiance, la manière franche d'exprimer les faits, les bonnes raisons de notre Tartare ne pouvaient manquer d'entraîner les esprits, que les subtilités de son adversaire, entendu après lui, ne purent éblouir. Les esprits, prévenus depuis deux ans par la consultation du Falcoz et depuis deux mois par ses visites, par ses discours, par son uniforme et son titre et ses allégations, lui avaient tout à coup été enlevés par les réponses vigoureuses du Tartare. Il ne lui restait plus qu'un faible parti de gens obstinément attachés à la noblesse ou à leurs intérêts.
 
«Toute cette ville, qui subsiste de procès, était dans l'attente et dans l'impatience. Les juges délibéraient, les portes du palais étaient assiégées; les feuillus, les curieux, les amateurs, étaient sous une belle allée d'arbres, non loin du palais; les oisifs remplissaient les cafés qui bordent cette promenade. Le Falcoz était dans son salon, bien éclairé, regardant sur celle allée, notre ami dans un quartier fort éloigné; la nuit venait, enfin les portes du palais s'ouvrent, ces mots se font entendre : "Beaumarchais a gagné''; mille voix les repètent, les battemens de mains se propagent le long de la promenade, les fenêtres et les portes de Falcoz se ferment soudainement, la foule arrive avec des cris et des acclamations chez notre ami, les bommes, les femmes, les gens qu'il connaît et ceux qu'il ne connaît pas l'embrassent, le félicitent, le congratulent; celle joie universelle, ces cris, ces transports le saisissent; les larmes le gagnent, et le voilà qui, comme un grand enfant, se laisse aller dans nos bras et y reste évanoui. C'est à qui le secourra, qui du vinaigre, qui un flacon, qui de l'air; mais, comme il l'a dit lui-même, les douces impressions de la joie ne font point de mal. Il revint bientôt, et nous allâmes ensemble voir et remercier le premier président. Ce magistral, avec la noble sévérité du chef d'un tribunal auguste, lui reprocha la vivacité de ses mémoires. Il avait raison : comme homme, on doit les approuver; comme magistrat, on ne le peut pas en conscience. En effet, le parlement les avait trouvés si gais, qu'il n'avait pu se dispenser de condamner le second à être lacéré, non pas par la main d'un bourreau, comme le voulait ce Falcoz, mais par celle d'un huissier, ce qui est bien différent. Pour lui apprendre à être si plaisant, on l'a condamné, outre cette lacération, à donner mille écus aux pauvres de cette ville, et il leur en a donné deux mille, « pour les féliciter, a-t-il dit, d'avoir de si bons et de si vertueux magistrats. » Les mémoires du Falcoz ont été aussi supprimés. En revenant de chez le premier président, nous retrouvâmes la même foule à la maison : les tambourins, les flûtes, les violons se succédèrent avant et après le souper; tous les fagots du quartier furent entassés et firent un feu de joie. Les gens instruits disaient, en passant sous les fenêtres :