« L’Espagne depuis la révolution de février/02 » : différence entre les versions

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m Nouvelle page : <center>II – Situation intérieure</center> L’imprévu a joué le principal rôle dans la situation extérieure de nos voisins L’intelligente fermeté du cabinet Narvaez a tra...
 
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Où trouver d’abord ici les élémens d’un 93? Serait-ce dans l’oppression aristocratique? Dessaisie de temps immémorial de tous droits féodaux, assujétie aux charges communes, sauf d’insignifiantes exceptions qui ont pour pendant des charges exceptionnelles, la grandesse espagnole en est à peu près réduite aux quelques privilèges de fait que donne la fortune, privilèges purement politiques, qui n’ont dès-lors rien d’oppressif pour les masses, qui s’exercent même au profit des masses. Trop riche en effet et d’ailleurs trop fière pour rechercher les emplois, qu’elle abandonne presque entièrement à la classe moyenne, la haute aristocratie a pu devenir le point d’appui naturel de toutes les réformes tentées ou opérées dans le domaine fiscal, administratif et judiciaire, centre des seuls abus, des seules exactions dont les masses aient à souffrir. C’est ainsi que le parlement espagnol a plus d’une fois offert le spectacle d’un sénat libéral en face d’une seconde chambre rétrograde. Quant au principe aristocratique en soi, il n’a rien d’irritant, rien qui porte ombrage au susceptibilités populaires, dans un pays où la hiérarchie nobiliaire embrasse une notable partie de la population et descend, en certaines provinces, jusqu’au prolétariat. Là où s’arrête la hiérarchie, les moeurs y suppléent. Qu’y a-t-il au fond de cet orgueil égalitaire qui, depuis soixante ans, bat chez nous en brèche toute supériorité sociale? De l’envie, c’est-à-dire un aveu d’infériorité. L’orgueil espagnol est plus intelligent, trop convaincu pour se ravaler jusqu’à l’envie. N’étant pas contestée, la grandesse, à son tour, croit pouvoir se dispenser d’être exclusive; elle n’a pas intérêt à agrandir des distances que personne ne songe à combler, et c’est une autre source de bons rapports entre les deux classes. Du sentiment aristocratique découle ainsi l’égalité pratique qui permet à l’Espagne d’attendre fort patiemment l’égalité républicaine.
 
Le trône, chez nos voisins, s’abrite sous le même principe que l’aristocratie. Je ne sais plus quel ancien écrivain a dit: « La France est le royaume des conséquences. » L’Espagne, elle aussi, est le royaume des conséquences, raisonneuse et logique avant tout. La hiérarchie sociale admise, le bon sens pratique du peuple espagnol ne la comprendrait pas sans sommet. - ''Viva la reyna, aunque no lo merezca'' (1)<ref> « Vive la reine, qu’elle le mérite ou non! » </ref>! criaient, il y a onze ans, les gardes nationales mécontens de Saragosse en repoussant la bande de Cabañero: voilà cette nuance. Ajoutons que l’excessive décentralisation de l’ancien régime n’a jamais permis au peuple espagnol de résumer ses griefs dans la royauté. Les innombrables franchises du clergé, de la noblesse, des corporations, des provinces, des communes, du personnel administratif lui-même, rétrécissaient à tel point le cercle d’action du ''rey neto'', qu’il aurait pu envier les prérogatives de maints rois constitutionnels. Le nouveau régime a plutôt étendu qu’affaibli le pouvoir royal; mais la centralisation a beaucoup à marcher, chez nos voisins, avant d’atteindre la limite où elle cesse d’être bienfaisante pour devenir tracassière. Où est la cause du gaspillage et des exactions bureaucratiques? Dans l’indépendance que laissaient et que laissent encore en partie aux agens secondaires du fisc, de la justice, de l’administration, l’insuffisance du contrôle gouvernemental et un népotisme passé à l’état de règle. Tout ce qui tend à centraliser L’action officielle est donc un bienfait immédiat pour les masses qui paient les frais de ce gaspillage et de ces exactions. Le pouvoir royal est ici pour long-temps dans cette position singulière, qu’il ne peut s’accroître qu’aux dépens des abus, qu’il se popularise en se fortifiant. Accepté dans son principe, sans responsabilité réelle dans le passé, n’ayant qu’une action libérale et progressive dans le présent, quel prétexte laissait-il à la propagande républicaine? Et de fait, les manifestes anti-monarchiques dont l’Espagne a été inondée durant quelques mois se réduisaient à de nébuleuses divagations, à quelques aphorismes de la force de celui-ci, que jetait de temps en temps à la poste de la rue Jan-Jacques Rousseau un certain M. Abdon Terradas: « La haine des rois est la première vertu civique. » M. Terradas est décidément trop avancé pour l’Espagne, qui ne mérite pas la sollicitude de M. Terradas.
 
Serait-ce dans l’influence ecclésiastique enfin qu’un 93 espagnol trouverait un prétexte à ses fureurs? Encore moins. L’abolition des couvens a détruit cette influence en ce qu’elle avait d’excessif. On peut même dire que le libéralisme révolutionnaire a beaucoup dépassé dans cette voie la limite que lui traçaient et le voeu et les intérêts immédiats des masses. A force d’être absorbans, les accaparemens monastiques avalent cessé d’être onéreux. Immensément riches, dégagés par l’esprit même de leur institution de l’égoïsme de famille et des tentations du luxe, la plupart des couvens remettaient la dîme aux familles peu aisées, accordaient aux fermiers des baux avantageux, et trouvaient encore dans leurs revenus, volontairement réduits de moitié et souvent des deux tiers, le moyen de faire d’innombrables aumônes. Le clergé séculier n’était pas moins charitable. Je prouverais aisément que l’église espagnole donnait annuellement aux classes nécessiteuses, tant en secours directs que sous forme de revenus abandonnés, une valeur de plus de quarante millions de francs, répartie sur moins d’un million de têtes. Quel programme républicain réaliserait aussi largement le droit à l’assistance? il n’est pas jusqu’au problème de l’instruction gratuite à tous les degrés dont le clergé espagnol n’ait donné une large solution, bien autrement large que celle que promettent aujourd’hui les alchimistes de la république rouge: les étudians pauvres des principales universités étaient nourris par les couvens. L’économiste et le philosophe eussent trouvé là beaucoup à redire; mais ce n’est pas la question. Lorsque le radicalisme espagnol prend texte des tendances religieuses du parti modéré pour mettre en avant le fantôme de la domination monastique, il soulève contre lui-même les souvenirs et les appétits populaires qu’il entreprend d’ameuter. Quel principe lui restait-il donc ici à invoquer contre le clergé? Un seul, la liberté de conscience, mot parfaitement vide dans un pays exclusivement catholique. L’Espagne ne peut guère s’éprendre d’un bien dont elle ne trouverait l’emploi. Où la foi suffit, qu’importe la liberté?
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L’état de siége est venu paralyser à temps le groupe parlementaire qui, dans les insurrections précédentes, lui avait servi de levier et de prête-nom, et la révoltante franchise de lord Palmerston, je l’ai dit un autre jour, n’y a pas moins contribué que l’état de siége. Le mot de patrie n’est pas encore un mot usé dans la Péninsule. L’opposition espagnole ne s’est pas encore élevée à la hauteur de ces abstractions humanitaires qui bourraient hier de manifestes français les fusils de chargé à Rome sur les soldais français et qui appelleraient demain les Cosaques, si S. M. Nicolas Ier consentait à devenir socialiste. Beaucoup de notabilités progressistes qui, à d’autres époques, avaient accepté le concours de l’Angleterre, ont plus ou moins ouvertement renié cette fois une cause devenue exclusivement anglaise. Le duc de la Victoire et M. Olozaga entre autres, sollicités à Londres de prêter leur influence à l’intrigue carlo-exaltée, ont répondu, dit-on, par le plus énergique refus. Cette intrigue n’a rencontré dans l’opposition parlementaire que deux adhérens, M. Salamanca, dont l’éclectisme agioteur est au-dessus de certains scrupules, et M. Escosura, sorte de fantaisiste politique que tous les drapeaux connaissent, que tous les extrêmes attirent, et que devait doublement séduire l’amalgame de ces deux extrêmes: légitimisme et démagogie.
 
Avec son point d’appui parlementaire, la faction exaltée avait perdu la majeure partie de son personnel d’insurrection. On ne saurait trop le répéter, quel était l’élément militant dans les mouvemens soi-disant progressistes de 1836 et de 1840? L’élément contrebandier, appuyé et soudoyé par l’Angleterre. La diplomatie britannique poursuivait vivement à ces deux époques la conclusion d’un traité de commerce qui eut fait de l’Espagne une province anglaise. Le gouvernement espagnol voulait de son côté la réforme douanière, mais une réforme vivifiante qui rattachât à la Péninsule, avec les intérêts anglais, ceux de la France et du reste du continent. De là cette coalition : dans des vues diamétralement opposées, les contrebandiers et l’Angleterre étaient également intéressés à repousser un abaissement général des tarifs qui eût enlevé à celle-ci ses chances d’accaparement commercial, à ceux- là leur industrie. La preuve qu’ici les principes n’étaient guère en jeu, c’est que l’insurrection de 1843, qui a rouvert l’Espagne au parti modéré, a eu pour théâtre les mêmes centres; pour personnel les mêmes populations, pour meneurs les mêmes hommes, à peu d’exceptions près, que l’insurrection de 1840, cause de l’expulsion de ce parti (2)<ref> Ajoutons que le parti modéré, à peine rentré aux affaires, a pu reprendre, sans soulever les moindres protestations, cette fameuse réforme des municipalités dont la simple annonce avait servi de signal officiel à l’insurrection de 1840 : nouvelle preuve que la question politique n’avait été ici qu’un prétexte, un mot d’ordre de convention.</ref>. C’était logique; le ''Foreign-Office'' venait de profiter de l’isolement diplomatique d’Espartero pour lui arracher un projet de traité dont l’accomplissement aurait porté un coup mortel à la contrebande des cotons. Un intérêt analogue à celui qui, trois ans auparavant, avait jeté nos prétendus progressistes dans les bras de l’influence anglaise, les soulevait contre cette influence. Là est aussi le secret du ridicule avortement de la faction exaltée de 1848. Qu’aurait, en effet, gagné la corporation contrebandière à seconder les manoeuvres de M. Bulwer? Le réveil des exigences contre lesquelles elle avait dû s’insurger en 1843, exigences qui se seraient reproduites cette fois d’une façon plus impérieuse encore, car la révolution de février venait de briser le lien de famille qui unissait la France à l’Espagne; la politique anglaise eût désormais régné à Madrid sans contre-poids. A part quelques petites bandes recrutés çà et là sur les côtes par les agens de M. Bulwer, les contrebandiers se sont donc abstenus. On comprend quel vide a dû jeter dans la faction exaltée la neutralité subite de ''soixante mille'' hommes (3)<ref> A la fin du dernier siècle, Florida Blanca évaluait à ''cent mille'' le chiffre des contrebandiers. L’émancipation de l’Amérique espagnole, qui recevait toutes ses importations de la métropole et qui fournissait ainsi à l’industrie contrebandière la moitié de ses consommateurs, explique cette réduction. Depuis Florida Blanca, la population de la métropole s’est accrue d’environ un tiers en sus. </ref>, tous aguerris, tous armés, unis d’un bout à l’autre de la Péninsule par une sorte de franc-maçonnerie, appuyés par des capitaux énormes, secondés par la bourgeoisie marchande des villes, que la rigueur des anciens tarifs associait forcément à l’intérêt contrebandier.: Voilà comment cette faction, trois fois si formidable, deux fois maîtresse du pouvoir, s’est vue tout à coup réduite à errer humblement et en sous-ordre du drapeau montemoliniste au drapeau républicain.
 
L’insuccès du montemolinisme tient à des causes analogues. Comme l’ancien parti exalté, l’ancien parti carliste n’était qu’une coalition, un ‘assemblage d’exigences hétérogènes qui, aujourd’hui, sont ou divisées ou désintéressées.
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On peut mieux s’expliquer maintenant l’impuissance des tentatives républicaines, exaltées et montemolinistes. Les divers intérêts qu’elles avaient convoqués autour de leur drapeau n’ont pas répondu à ce triple appel. Les uns n’existaient pas, les autres étaient ou neutralisés ou satisfaits. A d’autres époques, l’insurrection eût pu trouver un dernier point d’appui dans ces myriades d’employés et d’officiers que chaque flot politique apportait et que le flot suivant remportait dans l’opposition mais le temps a peu à peu réduit ce personnel parasite, et six ans de calme, répit depuis long-temps inconnu chez nos voisins, ne lui ont pas permis de combler les vides que la mort, la vieillesse, la reprise même des affaires, qui a ouvert aux ambitions individuelles de meilleures issues, avaient opérés dans ses rangs. La sagesse du gouvernement a fait le reste. Au risque d’un élargissement passager des cadres de l’armée et de l’administration, il a reconnu une bonne partie des droits qu’avaient créés les précédentes fluctuations politiques. C’est après tout de la bonne économie financière. Il n’y a pas de gouvernement si cher qui ne coûte encore moins cher qu’une insurrection.
 
D’autres causes sont venues favoriser le triomphe du gouvernement. Les capitaux, puissance énorme, quoi qu’on dise, et que leur abstention forcée rendait indifférens à la politique, ont subitement afflué en Espagne. Il y a deux ou trois ans, des centaines de sociétés anonymes, dont la brusque irruption rappelait presque la fièvre industrielle qui s’empara de nous en d’autres temps, naissaient sur tous les points du territoire à l’ombre du régime réparateur qu’apportait le parti modéré. Beaucoup ont disparu, mais après avoir imprimé à l’activité nationale une impulsion très rassurante pour l’ordre; d’autres ont réussi et créé des intérêts nombreux qui sont pour l’ordre autant d’auxiliaires directs (4)<ref> Comme symptôme de la reprise des affaires ou de l’accroissement de bien-être qui en est le signe, nous prendrons le revenu des tabacs. Le chiffre de ce revenu, qui est en Espagne un thermomètre aussi infaillible que celui de l’octroi chez nous, s’est graduellement accru, depuis 1843, époque où le parti modéré a repris le pouvoir, de 57 pour 100. </ref>. Les mesures prises par le gouvernement pour faciliter la réconciliation de l’Espagne et du saint-siège avaient puissamment contribué à cette subite confiance des capitaux, en rassurant les détenteurs des biens ecclésiastiques déjà aliénés. Tandis que la sécurité renaissait en haut, d’innombrables causes de froissement disparaissaient en bas. M. Mon supprimait une foule de petites taxes, dont la perception était aussi gênante pour le contribuable que difficile pour le trésor, et les remplaçait par une taxe unique, basée sur la propriété immobilière et celle des troupeaux. Cette taxe ne flotte qu’entre 10 et 12 pour 100 des revenus. L’extrême modération du nouveau régime fisc ne devait pas faire regretter aux populations rurales le temps où deux partis, deux gouvernemens à la fois, sous forme d’impôts ordinaires très vexatoires, d’impôts de guerre et de réquisitions militaires, venaient leur enlever et le fruit et l’instrument de leur travail. Le souvenir de ces épreuves la crainte de les recommencer, l’expérience des bienfaits de l’ordre, leur ont subitement donné ce qui jusqu’ici leur manquait: un esprit public. Sur beaucoup de points, les paysans, naguère spectateurs indifférens ou haineux de luttes ou ils croyaient n’avoir rien à perdre, quelque fût le vainqueur, les paysans, cette fois, se sont mis spontanément à la poursuite des bandes factieuses, et ce concours inattendu n’a pas peu facilité les mesures stratégiques qui ont prévenu l’agglomération des insurgés. Je m’arrête. - Ces progrès, ces transformations morales, ces déplacemens d’intérêts et de tendances qui changeaient autour du gouvernement les haines en neutralité, la neutralité en concours, toutes les résistances en forces, tous les anciens dangers en garanties, tout cela n’eût servi à rien sans la vigoureuse attitude du cabinet Narvaez.
 
Au moment de la secousse de février, le gouvernement espagnol a pu s’appuyer sur une majorité compacte, je le veux bien: Louis-Philippe n’en avait-il pas une aussi? Cinq ans de calme et de prospérité renaissante avaient intéressé l’Espagne à la politique d’ordre. L’enjeu de la France était-il moins fort? Privées de leurs anciens auxiliaires, les diverses factions qui ont essayé de mettre à feu l’Espagne n’étaient en somme, même en réunissant leurs efforts, qu’une misérable minorité. N’est-ce pas aussi une misérable minorité qui a révolutionne la France, et l’Autriche, et la Prusse, et Naples, et la Toscane, et les Etats-Romains Mais là s’arrête l’analogie. Seul le gouvernement espagnol n’a pas faibli; seule l’Espagne a été sauvée. Le cabinet Narvaez a compris et il a compris à temps, c’est l’essentiel, que l’heure du combat n’était pas l’heure des transactions, que toute concession faite à l’émeute était un encouragement pour l’émeute, un conseil d’hostilité pour les douteux, un ordre d’abstention pour les amis, une révolution enfin. Qui avait tort? Pendant que de la Méditerranée à la Baltique, du Danube aux Pyrénées, le continent est en feu, le seul coin de terre où la révolution trouvât naguère asile est le seul pacifié. L’Europe ensanglante vingt champs de bataille, l’Espagne passe la charrue sur les siens. Paris, Vienne, Berlin, Rome, Naples, sont condamnés à chercher un moment de répit dans l’état de siége; l’Espagne trouve un repos durable dans la réconciliation de ses partis. Nos prisons regorgent, les siennes s’ouvrent à deux battans. Nous ne savons plus où mettre nos déportés, elle rappelle tous ses émigrés.
 
 
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<small> (1) « Vive la reine, qu’elle le mérite ou non! » </small><br />
<small> (2) Ajoutons que le parti modéré, à peine rentré aux affaires, a pu reprendre, sans soulever les moindres protestations, cette fameuse réforme des municipalités dont la simple annonce avait servi de signal officiel à l’insurrection de 1840 : nouvelle preuve que la question politique n’avait été ici qu’un prétexte, un mot d’ordre de convention.</small><br />
<small>(3) A la fin du dernier siècle, Florida Blanca évaluait à ''cent mille'' le chiffre des contrebandiers. L’émancipation de l’Amérique espagnole, qui recevait toutes ses importations de la métropole et qui fournissait ainsi à l’industrie contrebandière la moitié de ses consommateurs, explique cette réduction. Depuis Florida Blanca, la population de la métropole s’est accrue d’environ un tiers en sus. </small><br />
<small> (4) Comme symptôme de la reprise des affaires ou de l’accroissement de bien-être qui en est le signe, nous prendrons le revenu des tabacs. Le chiffre de ce revenu, qui est en Espagne un thermomètre aussi infaillible que celui de l’octroi chez nous, s’est graduellement accru, depuis 1843, époque où le parti modéré a repris le pouvoir, de 57 pour 100. </small><br />
 
 
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Le cabinet de Madrid a su utiliser sa victoire. A peine maître de la situation, il a proposé une mesure devant laquelle étaient successivement tombés deux gouvernemens, mais dont l’ajournement paralysait tout progrès matériel et moral en Espagne: la réforme générale des tarifs douaniers.
 
Les momens étaient précieux. Pour la première fois, les préoccupations de nationalité, les scrupules plus ou moins intelligens de libéralisme dont s’était jusque-là compliquée cette question, n’étaient pas en éveil. Les progressistes avaient autrefois accusé la France de provoquer la réforme douanière dans l’intention de fortifier au-delà des Pyrénées, à la faveur de l’extension des rapports commerciaux des deux pays, l’ascendant de sa politique modératrice et de ses intérêts de famille: par la nature même de nos institutions républicaines, par l’inaction de notre diplomatie depuis février, nous échappions désormais à ce double soupçon. Qui l’avait d’ailleurs formulé jusqu’ici? La Grande-Bretagne, dont les calculs de monopole commercial ne pouvaient pas s’accommoder, nous l’avons dit, d’un abaissement général des tarifs. Or, l’impression de l’incident Bulwer était encore récente. Le ''Foreign-Office'', par l’audace de ses prétentions de protectorat et de ses menées montemolinistes, s’était enlevé le droit d’exploiter des sentimens, des principes, qu’il avait brutalement outragés ou reniés. Il n’en avait plus surtout le moyen : l’ambassade anglaise de Madrid, ce quartier-général de guerre civile, où l’insurrection était sûre de trouver à point nommé l’encouragement pécuniaire de ses projets, la sanction de sa victoire, l’inviolabilité de sa défaite, l’ambassade anglaise était fermée cette fois. Quant à l’élément contrebandier, l’intérêt qui l’avait détaché des dernières tentatives factieuses subsistait toujours. S’il ne voulait pas d’un abaissement général des droits de douanes, il ne voulait pas non plus d’un traité avec l’Angleterre, conséquence à peu près inévitable du renversement des modérés. L’enjeu était au moins douteux, la partie dangereuse à coup sûr, témoin la rude leçon que le cabinet de Madrid venait de donner à d’autres insurgés. Restait l’élément manufacturier. Il est numériquement très faible. Cette industrie catalane des cotons, qui a servi de prête-nom à tant de complications politiques et commerciales, n’emploie que trente et un mille ouvriers, et élabore moins d’''un million'' de kilogrammes de matière première ce qui correspond à peine au cinquième des besoins de la consommation intérieure; mais elle avait eu jusqu’ici deux auxiliaires formidables: les susceptibilités nationales et l’intérêt contrebandier (1)<ref> La communauté d’intérêts prohibitionistes n’était pas le seul mobile de l’alliance des manufacturiers et des contrebandiers. Plusieurs manufacturiers spéculaient eux-mêmes sur la contrebande. Des tissus qui portaient l’estampille de certaines fabriques de Catalogne étaient d’origine étrangère. </ref>. On vient de voir que ce double appui lui faisait défaut. Réduite à ses propres forces, intimidée par l’attitude du gouvernement, qui avait eu la prévoyance de maintenir en Catalogne le déploiement de forces nécessité par les dernières tentatives insurrectionnelles, désarmée enfin de tout grief raisonnable par la protection exceptionnelle dont la favorisait encore la réforme proposée, l’industrie catalane s’est bornée, cette fois, à quelques protestations sans écho. Aucun danger n’est venu peser sur les délibérations des chambres, et, après six semaines d’une discussion approfondie, où se révèlent d’immenses progrès dans la science économique, le nouveau tarif a été adopté. C’est toute une révolution.
 
Je n’exagère rien. Le nouveau tarif n’est, si l’on veut, qu’un pas assez timide du système prohibitif au système protecteur; mais il a pour résultat, ce qui est immense ici, d’anéantir la contrebande. Le droit sur les tissus de coton, qui jusqu’ici étaient prohibés, sera de 35 à 40 pour 100, ce qui donne à l’importation légale un avantage énorme sur la fraude, dont le taux d’assurance flottait entre 60 et 90 pour 100. Sur les lainages et les tissus de soie qui paieront, ceux-ci de 30 à 45 pour 100, ceux-là de 25 à 50 pour 100, la différence est beaucoup plus faible: cette différence reste même en faveur de la fraude pour certaines soieries; mais, comme le gouvernement a l’initiative des évaluations qui serviront de base à la perception des droits, il ne dépend que de lui de neutraliser ici l’intérêt contrebandier. La toilerie est dans les mêmes conditions. Quant aux autres articles, qui sont taxés de 10 à 20 pour 100, ils appartiennent forcément désormais au commerce légal. Or, veut-on savoir ce que gagnent le consommateur, la production et le trésor, à cette disparition de la contrebande ? Quelques chiffres déduits des faits actuels en donneront l’idée.
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C’est près d’un quart d’augmentation sur le budget des recettes.
 
Ainsi, dégrèvement pour les contribuables et le trésor d’une part, accroissement constant de revenu pour les contribuables et le trésor d’autre part, tel sera le premier résultat de la réforme des tarifs. L’Espagne se débattait, depuis plus d’un demi-siècle, dans un effrayant dilemme financier: la gêne de l’état, conséquence naturelle de l’appauvrissement du pays, se traduisait par des augmentations d’impôt qui ne faisaient qu’accélérer cet appauvrissement. Au lieu de s’annihiler l’une l’autre, ces deux forces vont désormais se prêter un mutuel appui. Les charges du trésor diminuant et ses recettes s’accroissant, le crédit de l’état s’améliorera dans la même proportion, et la hausse des fonds publics, c’est l’abaissement de l’intérêt de l’argent, la facilité des emprunts agricoles et industriels, l’accroissement de la production et de la consommation qui réagit à son tour sur la situation du trésor, premier mobile de ce progrès. N’est-ce pas ce rigoureux enchaînement d’effets et de causes qui, sous le dernier régime, fit s’accroître la fortune publique et privée de la France d’à peu près 50 pour cent (2)<ref> C’est dans cette proportion que s’était accru le budget des recettes, bien qu’aucune aggravation d’impôt ne fût venue l’influencer. Je demande grace, en passant, pour quelques lieux communs. Nous avons fait tant de chemin depuis dix-huit mois, que les banalités économiques de la veille sont presque les hardiesses du lendemain. </ref>? L’Espagne ne peut pas espérer moins, car elle est bien plus éloignée de son maximum normal de bien-être que la France de la restauration, et il lui reste un bien plus grand nombre de forces productives à utiliser.
 
Au point de vue politique et moral les résultats ne seront pas moins importans.
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<small>(1) La communauté d’intérêts prohibitionistes n’était pas le seul mobile de l’alliance des manufacturiers et des contrebandiers. Plusieurs manufacturiers spéculaient eux-mêmes sur la contrebande. Des tissus qui portaient l’estampille de certaines fabriques de Catalogne étaient d’origine étrangère. </small><br />
<small>(2) C’est dans cette proportion que s’était accru le budget des recettes, bien qu’aucune aggravation d’impôt ne fût venue l’influencer. Je demande grace, en passant, pour quelques lieux communs. Nous avons fait tant de chemin depuis dix-huit mois, que les banalités économiques de la veille sont presque les hardiesses du lendemain. </small><br />
 
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