« L’Espagne et la révolution de 1854 » : différence entre les versions

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Qu'on se représente une assemblée sortie d'un pays bouleversé. Les anciens modérés d'abord avaient disparu selon l’habitude; il restait à peine quelques hommes jeunes et d'un talent remarquable, MM. Candido Nocedal, Alejandro Castro. La portion la plus considérable du congrès appartenait à l’Union libérale, dont l’image vivante était la présence simultanée au pouvoir d'Espartero et d'O'Donnell : ils figuraient les généraux Concha, Serrano, San-Miguel, Ros de Olano, Dulce, MM. Cortina, Madoz, Rios Rosas, Gomez de la Serna, Pacheco. A côté, il y avait environ cinquante progressistes ''purs'', parmi lesquels allait se placer M. Olozaga, et dont la politique eût été de séparer le duc de la Victoire des modérés pour créer ce qu'ils appelaient une situation complètement ''esparteriste''. Puis venait un petit groupe démocratique remuant et turbulent, qui se rapprochait des progressistes ''purs'', et n'avait d'autre pensée que de transformer le congrès en convention, sous la présidence d'Espartero. Comment allaient se combiner ces élémens? dans quelles conditions le gouvernement allait-il pouvoir se reconstituer? A son premier pas, l’assemblée faillit allumer le conflit de tous les antagonismes et de toutes les prétentions. Elle choisit pour président provisoire le général San-Miguel, malgré l’opposition décidée du duc de la Victoire, qui favorisait la candidature d'un de ses amis, M. Martin de los Héros, et voyait dans San-Miguel presque un ennemi personnel. Espartero en conçut contre l’Union libérale une irritation profonde qui le rejeta un moment vers les progressistes ''purs'' et le parti démocratique : il voulut quitter immédiatement le pouvoir.
 
Cependant on parvint à s'entendre. Il fut résolu par le ministère qu'il attendrait pour se retirer la constitution définitive des cortès. Mû par un sentiment patriotique, le général San-Miguel se désistait de toute prétention à la présidence permanente du congrès, et le cabinet tout entier s'engageait à appuyer un candidat moins antipathique à Espartero, le général Infante. Il en était ainsi le 20 novembre, lorsque le 21 le duc de la Victoire rassemblait le conseil en déclarant que décidément il ne voulait pas dicter un choix à l’assemblée, et qu'il était résolu à se retirer immédiatement du pouvoir. Le calcul du duc de la Victoire était tout simple : il voulait tenter un grand coup, mettre le congrès à l’épreuve en se présentant lui-même comme candidat à la présidence, doubler son pouvoir par une sorte de délégation populaire et rester maître des événemens. Ce calcul fut en partie déjoué par la prudence de la reine, qui refusa d'accepter la démission du cabinet et de nommer de nouveaux ministres avant que le congrès eût manifesté ses tendances politiques. M. Olozaga eut, dit-on, un rôle assez actif dans cet imbroglio, et s'il n'influa pas d'une manière décisive sur la retraite du duc de la Victoire, il se trouva du moins d'accord avec la pensée secrète du chef du cabinet. Homme plus habile que sûr, doué de plus de dextérité et de souplesse que d'élévation et de fixité, M. Olozaga arrivait de Paris, où il était ministre plénipotentiaire, avec l’ambition d'être à Madrid président du conseil ou président des cortès. Le moyen d'atteindre son but était à ses yeux de lier sa fortune à celle du duc de la Victoire et de travailler à la formation d'un pouvoir exclusivement progressiste. Dans ces conditions, si Espartero passait à la présidence des cortès, M. Olozaga était président du conseil; si le duc de la Victoire reprenait le gouvernement, le ministre d'Espagne à Paris devenait président du congrès. Ce n'était point une partie mal engagée, seulement elle fut perdue malgré l’appui que M. Olozaga trouva, assure-t-on, chez le ministre d'Angleterre, lord Howden. Le duc de la Victoire se présenta en effet comme candidat à la présidence de l’assemblée, et il se trouva que devant son nom tous les noms s'effacèrent; il fut élu par toutes les nuances d'opinion. Ce succès guérit un peu la blessure de son amour-propre, et il retomba dans son inertie. Espartero finit par proposer à O'Donnell de rester avec lui au ministère comme ils étaient avant, en appuyant désormais la candidature du général Infante à la présidence des cortès (1)<ref> A ce moment, il y eut cependant une modification ministérielle; M. Pacheco quitta le ministère des affaires étrangères pour aller comme ambassadeur à Rome. C'était un affaiblissement de la partie modérée du cabinet, comme le fut quelques jours plus tard la retraite de M. Collado, ministre des nuances, et son remplacement par M. Pascual Madoz.</ref>. Or, cette mêlée de prétentions personnelles une fois éclaircie, le congrès une fois constitué et le gouvernement recomposé, quel était le dernier mot de cette révolution? quel sens avait-elle dans la situation de l’Espagne? Et mieux encore, qu'est-ce qu'une révolution au-delà des Pyrénées?
 
Il y a un fait qui est pour l’Espagne une source de malheurs et pour ceux qui la jugent une source d'erreurs et de déceptions : c'est une disproportion permanente entre les mots et la réalité. Les mots sont révolutionnaires souvent, la réalité ne l’est pas. Les partis élèvent des questions qui n'existent pas pour le pays. Creusez un instant ce sol agité et dévasté à la surface, vous trouverez dans l’organisme moral de ce peuple une force de résistance invincible jusqu'ici à toutes les idées politiques, sociales, religieuses, que représente ce mot de révolution. Est-ce une idée républicaine que contenait ce mouvement de 1854, comme l’ont laissé croire après juillet quelques journaux sortis des pavés de Madrid? La république, on le sait bien, n'est point une chose sérieuse au-delà des Pyrénées. C'est le fétiche de quelques imaginations troublées par les influences européennes. Tous les républicains de la Péninsule sont peut-être dans le congrès aujourd'hui; ils sont moins de vingt, qui ont pris à la dernière révolution française ce qu'elle avait de plus parfait, le suffrage universel, la liberté illimitée des clubs et de la presse, l’abolition du recrutement, — un programme qui n'a d'autre défaut que de rester incompris! Si la république était possible un instant au-delà des Pyrénées, ce serait l’anéantissement de tout progrès, la dissolution même de l’Espagne. Tous les membres de ce corps malade se disjoindraient aussitôt; toutes les passions, toutes les jalousies, tous les antagonismes se réveilleraient et seraient aux prises. C'est la monarchie qui est l’image vivante de l’unité espagnole, qui apaise sous son autorité tutélaire l’esprit d'indépendance individuelle, les rivalités des provinces, les vieilles rébellions locales, et qui reste la seule garantie de progrès au sein d'une nation attardée. La république n'a de valeur que comme un appoint d'agitation, si l’on nous passe ce terme.
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Maintenant sans doute, une réaction se produira en Espagne; elle naîtra dès incohérences et des excès d'une situation impossible, à laquelle ni gouvernement ni cortès n'ont su donner des chances de durée ; mais quel en sera le caractère, et comment s'accomplira-t-elle? Il y a quelques mois, le général O'Donnell pouvait représenter une réaction naissant de l’ordre nouveau créé par la révolution de juillet. On comptait presque sur lui, on y compte peut-être encore. Par malheur, depuis quelque temps il s'est terriblement engagé, et s'est lié au parti révolutionnaire par de périlleuses solidarités. De tout ce mouvement qui se poursuit depuis un an, il n'est point sorti une force modératrice; il ne s'est produit ni une idée nouvelle ni un bomme nouveau. Si la réaction est difficile dans les conditions du régime actuel, viendra-t-elle d'une sorte de renaissance du parti conservateur? Le parti modéré espagnol se trouve aujourd'hui, il faut bien le dire, étrangement décomposé; il compte à peine quelques membres dans le congrès de Madrid, et ces membres se querellent périodiquement. Le reste du parti est dispersé soit en Espagne, soit hors de l’Espagne; les divisions des dernières années vivent peut-être encore entre les hommes; les ressentimens ne se sont point éteints. Il y a un travail nouveau de rapprochement à réaliser sous cette salutaire influence d'une défaite commune. Les passions personnelles ont tué le parti modéré; c'est par ses idées qu'il peut renaître et retrouver son ascendant. Ces idées n'ont point cessé d'être le véritable symbole de l’Espagne constitutionnelle. Elles ont manifesté leur puissance par l’ordre et la sécurité qu'elles ont donnés à la Péninsule pendant dix ans, et aujourd'hui la révolution même qui règne à Madrid est la consécration la plus éclatante de leur efficacité et de leur valeur. Ce serait d'ailleurs une erreur de croire que dans la décomposition même où est tombé le parti modéré, il ne se trouve point un certain nombre d'hommes faits pour rallier les opinions et les esprits incertains. Il reste encore des hommes comme le général Narvaez, comme M. Pidal, qui, en cherchant à défendre le régime constitutionnel, n'ont point voulu tremper dans une révolution où allaient périr leurs doctrines. C'est là le libéralisme conservateur. Si la réaction ne se fait point sous ce drapeau, qu'on ne s'y trompe point, ce n'est pas la révolution qui restera victorieuse en Espagne, c'est le comte de Montemolin. Les bandes carlistes qui se sont levées dans l’Aragon pourront être dispersées, elles renaîtront jusqu'à ce qu'elles aient triomphé, ou que l’Espagne ait à leur opposer la force d'un gouvernement qui rassure tous les intérêts et raffermisse toutes les institutions. Ce gouvernement, il ne peut se trouver que dans la monarchie actuelle rendue à sa véritable nature et à sa liberté. Tout le reste n'est qu'une intrigue de factions révolutionnaires ou un expédient imposé à la lassitude d'un peuple. Pour la France et pour l’Angleterre, c'est une loi de leur politique d'aider l’Espagne constitutionnelle à sortir encore une fois de cette épreuve et à retrouver la liberté de ses forces, pour entrer dans l’œuvre commune de la défense européenne, au lieu de se consumer dans une anarchie vulgaire.
 
 
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<small> (1) À ce moment, il y eut cependant une modification ministérielle; M. Pacheco quitta le ministère des affaires étrangères pour aller comme ambassadeur à Rome. C'était un affaiblissement de la partie modérée du cabinet, comme le fut quelques jours plus tard la retraite de M. Collado, ministre des nuances, et son remplacement par M. Pascual Madoz.</small><br />
 
 
CH. DE MAZADE.
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