« L’Église et les évêques de Paris » : différence entre les versions
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{{journal|L’Église et les évêques de Paris|[[Auteur:Charles Louandre|Charles Louandre]]|[[Revue des Deux Mondes]]T.11, 1851}}
C'était l'orgueil des rois de la vieille monarchie française d'être les fils aînés de l'église, et c'était aussi l'orgueil des cathédrales de Reims, de Notre-Dame et de l'abbaye de Saint-Denis d'être les églises et l'abbaye des rois. Dans les jours croyans et forts où la France se regardait comme le royaume aimé de Dieu, où l'idée abstraite de la patrie s'incarnait dans la royauté, où le sacre était la formule d'une adoption divine, Reims gardait le sceptre, emblème de la force, la main de justice, emblème du droit, et l'huile qui donnait au monarque, avec son caractère sacré, l'esprit d'équité et le don des miracles. Saint-Denis gardait l'oriflamme, cette bannière à la fois religieuse et chevaleresque qu'un ange, suivant une légende populaire, avait apportée du ciel comme un gage offert par le dieu des armées au chef des armées de la France. Notre-Dame, dans les solennités nationales, réunissait, pour les actions de grace de la victoire ou les prières des grandes calamités, le roi de France et le peuple de Paris. C'était là que Philippe-Auguste faisait bénir ses armes; c'était là qu'au retour de la victoire de Mons, Philippe-le-Bel venait, tout armé et monté sur son cheval de bataille, remercier Dieu de son triomphe; c'était là que Louis XIV suspendait les trophées de Steinkerque et de Fleurus. Illustres parmi toutes nos églises, Reims, Saint-Denis et Notre-Dame appartiennent à notre histoire, - qu'on nous pardonne cette comparaison toute païenne, - comme le temple du Capitole à l'histoire de Rome. Ces basiliques ont eu pour ainsi dire une destinée exceptionnelle. Le respect qu'on leur a porté dans tous les âges semble même survivre à la foi qui les a bâties, et ce respect est attesté par la sollicitude constante des générations qui se sont succédé depuis tant de siècles pour les embellir ou les défendre contre les ravages des temps ou les insultes des hommes. Le marteau révolutionnaire, qui ne pardonnait pas aux reliques du passé, s'est arrêté de lui-même devant la grandeur et la sainteté de leurs souvenirs. Il a brisé la sainte ampoule sur le parvis de Reims; il a dispersé dans les caveaux de Saint-Denis la dépouille des rois; il a mutilé des statues sur le portail de Notre-Dame; mais Saint-Denis, Reims et Notre-Dame, protégées par la poésie de leur histoire, sont restées debout au milieu de tant d'autres ruines.
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Une importante publication relative à l'église métropolitaine de Paris a récemment trouvé place dans la ''Collection des documens inédits surl'histoire de France''; elle contient, sous le titre général de ''Cartulaire de Notre-Dame'', tous les actes concernant cette église, émanés des papes, des rois, des comtes, des évêques, des abbés et des officiaux, les privilèges, les indulgences de la cour de Rome, les ordonnances pastorales, les acquisitions des propriétés, le dénombrement des fiefs, l'état des personnes dépendantes de l'église, les fondations pieuses, etc. L'ensemble de ces actes jette le plus grand jour sur le régime intérieur de cette métropole et ses rapports avec la société civile. C'est tout à la fois de l'histoire, de l'inventaire, du procès-verbal et de la biographie. M. Guérard, l'éditeur du ''Cartulaire'', dans une préface fort étendue, s'est attaché à mettre en lumière, en les coordonnant et en les expliquant, tous les faits notables dispersés dans le ''Grand et le Petit Pastoral'', le ''Grand et le Petit Cartulaire'', le ''Livre noir'', le ''Cartulaire du mandé'', le ''Livre des sermens, l'Obituaire'' et le ''Pouillé'', précieux manuscrits qui donnent comme l'essence même des archives de l'église métropolitaine de Paris, et qui dormaient oubliés dans les dépôts scientifiques de cette capitale. Après avoir montré quel était; le rôle particulier d'une grande église dans une grande ville, il restait à chercher quel avait été dans la société civile et politique le rôle de la société religieuse tout entière. M. Guérard n'a point négligé cette partie de sa tâche : il a de la sorte éclairé la monographie par la synthèse, et, contrairement à la méthode employée par un trop grand nombre de ses confrères, il s'est élevé du point de vue particulier au point de vue général. Les prolégomènes du ''Cartulaire'' se divisent ainsi en deux parties distinctes : l'une relative à l'église Notre-Dame, l'autre relative à l'église universelle, - et, cette division est indiquée d'avance à tous ceux qui, comme nous, voudraient interroger de nouveau l'histoire trop peu connue de la vieille basilique.
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Malgré les désastres de toute espèce, malgré les déchiremens de la guerre civile et de la guerre étrangère, le XIVe et le XVe siècle furent pour l'épiscopat parisien des époques glorieuses et paisibles. Au milieu des troubles qui agitèrent le XVIe siècle, troubles civils ou religieux, les évêques de Paris montrèrent une grande modération, et la violence fut en général concentrée dans les rangs inférieurs du clergé. La Saint-Barthélemy, dont la pensée fut, selon toute probabilité, conçue par le duc d'Albe, n'est point un crime français. L'épiscopat parisien y resta complètement étranger, et Catherine de Médicis, en l'exécutant, ne fit que mettre en pratique les théories que l'auteur du ''Prince'' avait développées pour sa famille. Machiavel ordonnait de tuer un parti, d'un seul coup, comme on tue un homme, ''sans que la persécution traîne''. Catherine obéit à Machiavel; mais l'église ne fut pour rien dans le tocsin du massacre. Au milieu des saturnales de la ligue, Pierre de Gondi resta toujours fidèle aux principes d'une sage modération. Il avait horreur de la guerre civile, et ses efforts les plus constans furent tournés vers le bien public : il voulait, comme le disait Henri IV, ''marier la France avec la paix''; mais le conseil ''de l'union'', qui exerçait sur les affaires la même pression que la société des jacobins exerça, deux siècles plus tard, sur la convention, avait déchaîné les passions populaires et la démagogie cléricale avec tant d'habileté et de violence, qu'il n'était point au pouvoir d'un homme d'en conjurer les égaremens.
Au XVIIe siècle, les évêques ou plutôt les archevêques de Paris
Certes, nous ne prétendons point justifier ici une sévérité qui, de notre temps, ne peut rencontrer que le blâme; nous voulons seulement expliquer un fait qui n'a rien que de très naturel, quand on se reporte au XVIIe siècle. Ce ne furent pas seulement, comme on l'a dit souvent et comme on le répète chaque jour, les faux dévots et les jésuites qui se déchaînèrent contre l'auteur du ''Tartufe''; ce furent aussi les jansénistes et les personnes sincèrement pieuses. ''Don Juan'' et ''le Tartufe'' sont sans aucun doute les oeuvres les plus hardies qu'ait produites en France le XVIIe siècle; elles forment la transition entre Rabelais et Voltaire, et il est impossible d'admettre, sans se montrer naïf à l'excès, que Molière, en écrivant ''le Festin de pierre'', ait voulu faire un drame contre l'impiété et corriger les esprits forts en les menaçant de la vengeance du ciel, comme il est impossible d'admettre qu'en écrivant ''le Tartufe'' il ait voulu défendre la religion contre l'hypocrisie qui ne fait que la compromettre. Au milieu de tant d'opinions contradictoires, s'il nous était permis d'émettre à notre tour une opinion personnelle, nous dirions que Molière, selon nous, en écrivant ces deux chefs-d'oeuvre, n’eut aucune arrière-pensée religieuse, soit dans le sens de l'attaque, soit dans le sens de la défense; qu'en voyant autour de lui des esprits forts et des hypocrites, il les fit vivre sur le théâtre avec cette vérité profondément humaine qui éclate dans toutes ses oeuvres, et que ce fut cette vérité même qui, en effrayant Bossuet, Bourdaloue, le parti janséniste, en un mot toutes les consciences sévères, attira sur l'auteur les rigueurs du clergé; car il était facile de prévoir que ''le Festin de pierre'' deviendrait bientôt un arsenal de sarcasmes, et que le trait lancé dans ''Tartufe'' contre ceux qui se couvraient de la piété comme d'un masque serait ramassé par ceux qui ne croyaient plus, et lancé tôt ou tard contre ceux qui croiraient encore. Le mandement de Harlay de Chanvallon contre ''le Tartufe'' ne fut que le prélude du mandement de Christophe de Beaumont contre Rousseau. Dans l'un et l'autre cas, l'église se sentait menacée, et il est juste de le reconnaître, toutes les fois que, dans de semblables circonstances, elle use des armes spirituelles, les seules qu'il lui soit permis d'employer, elle reste parfaitement fidèle à l'esprit même de ses traditions et de ses lois.
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On le voit, pendant l'espace de seize siècles l'épiscopat parisien a traversé bien des vicissitudes. A part un très petit nombre d'hommes qui oublièrent les devoirs et la dignité de leur mission, on peut dire que la science, les vertus, les lumières politiques, furent héréditaires dans cette longue dynastie sacerdotale, dont le rôle a été, ce nous semble, trop peu apprécié par l'histoire. En touchant à notre temps même, un fait nous a frappé : c'est l'analogie que présente la vie des archevêques contemporains avec celle des prélats de la primitive église. Il y a là comme une renaissance du christianisme des premiers âges, et la chaîne des grandes traditions semble se renouer par MM. de Quelen et Affre. Si M. de Quélen, en se mêlant à la politique active, se laissa quelquefois entraîner par son zèle et méconnut l'esprit de son temps, comme prêtre il donna toujours l'exemple du plus noble dévouement : en 1814, dans les hôpitaux de Paris encombrés de blessés et ravagés par le typhus; en 1831, dans ces mènes hôpitaux désolés par le choléra, il fut alors, comme l'évêque Germain chanté par Chilpéric, ''le pasteur et le médecin'', et l’''OEuvre des Orphelins'', dont il conçut l'idée dans les salles mêmes de l'Hôtel-Dieu, peut se comparer aux plus belles institutions de la charité évangélique, comme la mort de M. Affre peut se comparer aux plus belles morts de l'antiquité chrétienne. Sceptique ou croyant, quand on garde au fond du coeur la sympathie des grandes choses, on s'incline avec respect devant ces nobles exemples, et on sent qu'il reste dans cette société flétrie, malade d'égoïsme, un principe supérieur où quelques ames d'élite peuvent puiser encore l'abnégation et le dévouement.
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CHARLES LOUANDRE.
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