« Du Croisement des races humaines » : différence entre les versions
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:I. ''Essai sur l’Inégalité des races humaines'', par M. de Gobineau. — II. ''The Race, of men'', by Dr Knox. — III. ''La Terre et l’Homme'', par M. A. Maury.
Existe-t-il plusieurs espèces d’hommes, ou bien les différences présentées par les diverses populations du globe ne sont-elles que des caractères de race
Que le lecteur se reporte par la pensée à ces expositions si riches en enseignemens de toute nature, qu’il se rappelle ce que sont nos chiens de rue et nos chiens de chasse, qu’il songe à la valeur relative de la rosse qui traîne nos chariots et du noble cheval arabe ou turcoman : il conclura de lui-même qu’entre les races animales dérivées d’une même espèce-il peut sans doute exister une égalité réelle, bien que les caractères physiques soient différons, mais que presque toujours il en est qui possèdent un cachet décidé de supériorité ou d’infériorité. Les fils issus de mêmes parens, et à plus forte raison les cousins au premier, au second, au dixième degré, nous présenteraient des faits tout pareils. Ce n’est donc pas être infidèle aux croyances énoncées plus haut que d’admettre l’inégalité des races humaines, que de regarder quelques-unes d’entre elles comme supérieures, d’autres comme inférieures, et de les échelonner en conséquence
Les races inférieures et supérieures dérivées d’une même espèce peuvent-elles s’unir de manière à donner naissance à des faces nouvelles, à des races métisses? En présence des faits universellement connus, il peut paraître étrange qu’une telle question soit posée. Pourtant elle l’a été, et, qui plus est, elle a été résolue négativement pour les animaux par quelques hommes d’un vrai mérite d’ailleurs, et pour l’homme par quelques ethnologistes, parmi lesquels nous citerons surtout le docteur Knox, qui joint à ses autres titres celui de correspondant de l’Académie de médecine de Paris. L’école américaine, qui admet l’existence d’espèces humaines distinctes, penche nécessairement vers cette doctrine, bien que l’évidence des faits lui arrache parfois les aveux les plus explicites et les plus en opposition avec cette manière de voir
Ici on n’a vraiment que l’embarras du choix. Presque toutes les contrées de l’Europe possèdent un certain nombre de races domestiques dans la formation desquelles le croisement a joué au moins le principal rôle. Sans sortir de France, et pour m’en tenir à deux faits bien récens, je citerai la race des moutons charmoises et celle des porcs de Boulogne, dans l’arrondissement de Valenciennes. On sait comment M. Malingié a obtenu la première par une suite d’alliances ménagées avec discernement, d’abord entre les races berrichonne et tourangelle, puis entre les métis de ces dernières et des béliers mérinos et new-kents. En quelques années, cette race a été suffisamment assise pour exercer à son tour une influence modificatrice des plus heureuses. Ses béliers, unis aux chétives brebis du Haut-Limousin, ont donné des produits d’une valeur double de celle des mères
L’existence de populations entières résultant du croisement des races humaines est un fait non-seulement de toute évidence pour le présent, mais que les études de la nature la plus variée retrouvent à chaque instant et de plus en plus dans le passé de l’humanité. Quelques influences locales peuvent, il est vrai, retarder le développement de ces races. Deux auteurs anglais, Etwick et Long, qui tous deux ont écrit une histoire de la Jamaïque, s’accordent à déclarer que dans cette île les mariages entre les mulâtres sont moins féconds que les alliances contractées par un de ces métis, soit avec un blanc, soit avec un nègre. M. le docteur Yvan m’a même assuré qu’à Java les métis de Malais et de Hollandais ne se reproduisaient pas au-delà de la troisième génération
Il faut bien remarquer que M. d’Omalius n’a fait entrer dans ses calculs aucune de ces races qui portent au plus haut degré le cachet d’une origine mixte, comme les Cafres ou les Malais, mais dont on ignore le point de départ. Il a tenu compte uniquement des métis, dont l’origine, remontant à l’époque moderne, est connue historiquement. Or ces derniers n’ont commencé à paraître qu’à la suite du grand mouvement qui vers la fin du XVe siècle entraîna les populations européennes dans les régions lointaines. L’Amérique a été découverte en 1492, le cap de Bonne-Espérance doublé en 1497. Ainsi c’est en trois siècles et demi seulement que s’est formée cette multitude de mulâtres, de zambos, de chulos, de griquas, de métis de toutes races, qui entre dès à présent pour 1/75 dans la population totale du globe. Et encore ne mentionnons-nous ici que le résultat du croisement entre les races extrêmes. Que serait-ce si nous tenions compte des mélanges effectués chaque jour entre les races voisines et les rameaux d’une même race? Ce mouvement de fusion, déjà si rapide, ne peut que s’accélérer dans des proportions impossibles à prévoir sous l’influence de la facilité et de la fréquence croissante des communications. Il y a donc un intérêt bien réel à chercher quel en sera le résultat probable.
C’est ce qu’a voulu faire un écrivain qui possède évidemment beaucoup de savoir et de hardiesse d’esprit, mais qui, faute d’être naturaliste, devait presque nécessairement s’égarer. M. de Gobineau a ramené à l’étude des races humaines, aux résultats de leurs croisemens, l’histoire de toutes les grandes civilisations et des groupes politiques formés sous l’influence de ces dernières. Rattachant à une cause unique tous les ordres de faits moraux, intellectuels ou physiques, que peuvent présenter les peuples, il est remonté aux premiers temps de l‘humanité, l’a suivie dans ses développemens et croit pouvoir prédire quand et comment elle finira. Chemin faisant, il a indiqué l’origine de toutes les sociétés, les a suivies dans leurs évolutions, précisé les causes de leur décadence et de leur dissolution. L’''Essai sur l’inégalité des races humaines'' est ainsi devenu une esquisse d’histoire universelle prise au point de vue ethnologique. Or, lorsqu’une science est en voie de se former, — et l’ethnologie en est encore à peine là, — ces essais de synthèse, fussent-ils prématurés, ont toujours une valeur réelle. Ils font naître des rapprochemens, ouvrent des vues d’ensemble, conduisent à des idées générales, et par leurs défauts mêmes préparent l’avenir. À ces divers titres, l’ouvrage de M. de Gobineau mérite un sérieux examen, malgré l’inexactitude de la donnée fondamentale du livre et ce qu’il y a de paradoxal dans bien des assertions de l’auteur.
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Au reste, cet écrivain semble l’avoir senti lui-même, et, pressé par les faits, il rend hommage à la doctrine tant de fois combattue par lui dans un passage trop significatif pour que je ne le reproduise pas textuellement. « On ne saurait méconnaître que les circonstances locales peuvent au moins favoriser l’intensité plus ou moins grande de certaines nuances de carnation, la tendance à l’obésité, le développement relatif des muscles de la poitrine, l’allongement des membres inférieurs ou des bras, la mesure de la force physique. » Ici M. de Gobineau ne parle pas autrement que nous-même. Si des influences locales, c’est-à-dire des ''influences de milieu'', peuvent rendre des populations entières grasses ou maigres, si elles donnent aux unes des membres longs et grêles, à d’autres des membres courts et gros, si elles élargissent ou rétrécissent la poitrine, si elles rendent héréditaires ces particularités d’organisation, ne créent-elles pas de véritables races? « Mais il n’y a là rien d’essentiel. » J’ai vainement cherché l’indication précise de ces traits essentiels qui seuls semblent pouvoir, d’après M. de Gobineau, caractériser une race; je ne l’ai trouvée nulle part. On voit à quelle contradiction s’est laissé entraîner, à quel vague s’est laissé aller l’auteur d’un livre dont on ne peut d’ailleurs contester l’intérêt, pour ne pas avoir attaché un sens précis aux mots ''race'' et ''espèce''; si j’insiste sur ce point, c’est qu’on pourrait adresser le même reproche peut-être à la majorité de ceux qui ont traité la question des races humaines.
Poursuivons notre examen. L’homme primitif, la race humaine primaire, laissa donc en disparaissant trois races secondaires, la noire, la jaune et la blanche. Par le croisement de ces races et de leurs métis se sont formées des races tertiaires, quaternaires, etc. Chacune d’elles apportait d’ailleurs dans ces alliances des élémens physiques, moraux et intellectuels fatalement différens. La race noire présente à un haut degré le cachet de l’animalité : ses facultés pensantes sont médiocres, ou même nulles; mais ses sens, développés outre mesure, donnent à la sensivité, et par suite au désir, une énergie, une intensité inconnues aux autres races. Par ces motifs, l’auteur voit en elle une race femelle
Dans la pensée systématique que nous voulons combattre, ces caractères sont absolus. En dehors du croisement, rien ne peut les modifier. De là résultent deux conséquences : la première, c’est que jamais une race ne saurait s’améliorer par elle-même, et que par conséquent il appartient à la race blanche seule de relever ses sœurs en leur infusant son sang privilégié; la seconde, que cette transfusion, en relevant l’élément inférieur, dégrade dans là même proportion l’élément supérieur. D’une race à l’autre, tout se passe comme si l’on mélangeait le dernier des breuvages au vin le plus exquis, et cela avec la même ''rigueur matérielle'', si l’on peut s’exprimer ainsi. Par conséquent, le sang blanc se dilue par des croisemens successifs. A mesure qu’il diminue en quantité, son influence s’affaiblit d’autant, et la race va s’abaissant de même. Jusqu’à présent, quelque discutable que soit la théorie, comme on va le voir, elle est du moins très claire. On comprend moins aisément pourquoi la dégradation fait des progrès lorsque deux races dotées d’une même proportion de sang blanc viennent à s’allier ensemble. C’est là pourtant ce qu’affirme l’auteur. A l’en croire, tout croisement de races, quelque égales qu’elles soient entre elles, abâtardirait encore forcément le produit, et le ferait descendre d’un degré de plus dans l’échelle ethnologique. Avant d’aller plus loin, il faut examiner ces idées générales.
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Est-il vrai que le croisement soit par lui-même et nécessairement une cause de dégradation? Ici, à vrai dire, l’expérience sur les animaux nous manque. Chaque jour, il est vrai, l’homme allie entre-elles des races différentes, mais c’est toujours en vue d’un but déterminé, et en général pour relever l’une des deux. Les mêmes reproducteurs sont, à chaque génération, croisés de nouveau avec les métis déjà obtenus. Par conséquent, la race nouvelle se confond de plus en plus avec le type supérieur, et pour peu que le milieu s’y prête, elle finit par le reproduire. C’est juste ce qui se passe dans les colonies, où les mulâtres, devenus tiercerons, quarterons, etc., finissent par ne pouvoir plus être distingués des blancs.
Chez l’homme toutefois, cette marche constamment progressive vers la race supérieure n’est en définitive que l’exception. Les populations métisses, auxquelles a- donné naissance le contact de la race blanche avec tous les peuples du monde, sont généralement refoulées sur elles-mêmes par le mépris qu’elles éprouvent pour leurs parens jaunes ou noirs, par celui que leur rendent leurs parens blancs. Partout les mulâtres, les zambos, etc., s’allient entre eux et au hasard pour ainsi dire. Il y a donc là des expériences toutes faites sur l’espèce humaine, expériences dont le résultat répond à la question que je posais tout à l’heure. Partout où des observations précises ont été faites, les métis se montrent supérieurs à la race colorée, presque égaux et parfois supérieurs, à certains égards, à la race blanche elle-même. Etwick, dans son ''Histoire de la Jamaïque'', avait remarqué depuis longtemps que le sang le plus noble exerçait sur le produit une influence prépondérante, et les faits lui donnent pleinement raison. Aux Philippines, les métis sont très nombreux; ils dominent à Manille et forment une classe active, industrieuse, brave, qui a déjà arraché à la métropole de sérieuses et justes concessions. À peine est-il besoin de rappeler ce qu’étaient à Saint-Domingue ces hommes de couleur qui ont expié si cruellement leurs alliances avec les noirs. Les travaux publiés dans la ''Revue'' sur Haïti ne peuvent laisser en doute qu’ils ne fussent, à bien peu de chose près, les égaux des créoles blancs
On le voit, les faits contemporains se prêtent peu à la théorie nouvelle. Il y a plus : en partant des données mêmes qui lui servent de fondement, on devrait, ce me semble, arriver à des conclusions diamétralement opposées. En effet, l’écrivain que je combats n’accorde à l’homme noir que l’imagination et le sentiment des arts; il réserve à l’homme jaune les instincts positifs et une aptitude régulière, constante pour les choses utiles. Que reste-t-il au blanc primitif? A en croire l’''Essai sur l’inégalité des races'', le blanc manifesterait à peu près uniquement une énergie conquérante invincible reposant sur une très grande force physique et un amour effréné de la guerre. Joignons à ces qualités peu sociables un sentiment religieux assez borné, puisque le blanc croit pouvoir détrôner ses dieux et se mettre à leur place; ajoutons encore la beauté corporelle, et nous aurons recueilli tous les traits de cette grandeur physique et morale dont il est question à chaque page, et que le mélange doit abaisser. Y a-t-il là cependant de quoi expliquer le rôle attribué à la race blanche? Les faits invoqués à l’appui de cette opinion nous semblent conclure contre elle. Les ''Aryans'' primitifs, à en juger par ce qu’en dit l’auteur lui-même, vivaient dans une anarchie irrémédiable. Il nous sera toujours difficile de voir des missionnaires de la civilisation dans les Normands qui ravagèrent nos côtes, ou dans le ''squatter'' que la haine de tout frein exile au fond des forêts. Et pourtant les premiers seraient des espèces de demi-dieux réunissant tout ce que l’homme peut concevoir de grand, de noble, de beau; les seconds, des héros, dominateurs à juste titre de toutes les populations contemporaines; le troisième serait le digne héritier des uns et des autres, et, quoique bien dégénéré, il représenterait le dernier élément civilisateur que possède notre pauvre humanité décrépite.
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Ainsi M. de Gobineau reconnaît formellement que le croisement peut avoir parfois une influence heureuse; mais là pour lui est l’exception, et il ne s’y arrête pas : là au contraire est pour nous la règle. Le croisement entre populations diverses, dans de justes proportions et sous l’empire de conditions convenables, est bien certainement un des moyens les plus efficaces pour relever une race humaine, souvent deux races à la fois, et pour cela il n’est pas nécessaire que le sang régénérateur arrive jusque dans les veines de tout un peuple. L’amélioration s’opère ici par les deux procédés dont nous avons parlé plus haut. Le croisement agit directement sur une partie de la nation inférieure; la masse, entraînée en avant par l’impulsion qu’elle reçoit, grandit aussi et s’améliore tout en restant ethniquement la même. Telles sont les conséquences qui ressortent et des faits précis que j’ai déjà exposés et de l’histoire générale, qu’il nous reste à parcourir rapidement.
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Avant d’aborder ce terrain, je dois faire une observation importante. Le livre que je cherche à faire connaître renferme non-seulement des faits universellement admis, mais encore un grand nombre d’autres, qui sont très discutables. On y trouve surtout, et parfois quand il s’agit des questions les plus fondamentales, des assertions très inattendues, très contraires à toutes les notions généralement acceptées. Assez souvent l’auteur ne prend pas la peine de les étayer, même des plus légères preuves. Cette façon dogmatique de procéder a bien ses avantages; elle permet plus de rapidité et de concision, mais elle rend l’examen du livre bien plus difficile. Si j’avais à me préoccuper par trop de la vérité historique, j’aurais à rompre presque à chaque page l’enchaînement des faits et des idées; mais mon but est tout autre. Je désire surtout démontrer combien la doctrine de l’auteur est inexacte, combien peu est fondée la conclusion qu’il tire de l’histoire ethnologique des peuples. En acceptant ses propres données, je lui fais la partie belle, et mes conclusions n’en auront que plus de force. Je ne discuterai donc que rarement les faits, et seulement pour montrer qu’il n’y a rien d’exagéré dans mes observations.
Les races noire et jaune, déclarées d’avance radicalement incapables de s’élever au-dessus de l’état sauvage, devaient peu occuper M. de Gobineau. Aussi se borne-t-il, pour la première, à constater qu’elle était autrefois bien plus répandue que de nos jours. Ici l’on trouve déjà quelques assertions assez hasardées
Quoi qu’il en soit, la race jaune, arrivant par le nord-est, se dirigea d’abord au sud-ouest, et alla, toujours au dire de l’''Essai sur l’inégalité des races humaines'', se heurter contre les hauts plateaux de l’Asie, occupés alors par la race blanche. Celle-ci résista d’abord, et le flot d’envahisseurs se partagea en deux courans. L’un descendit au sud, et, par son mélange avec les noirs, donna naissance aux populations malaises et polynésiennes; l’autre, suivant les côtes de la Mer-Glaciale, atteignit, sans rien perdre de sa pureté, le continent européen et le peupla en entier jusqu’au fond de l’Espagne et de l’Italie. Bientôt cependant le nombre l’emporta sur l’intelligence, le courage et la supériorité physique individuelle. Les blancs, ébranlés, reculèrent et commencèrent ces grandes migrations qui allèrent partout conquérir et régénérer le monde. A ce moment naît l’histoire et apparaissent les empires d’où sortent les civilisations; celles-ci se sont succédé au nombre de dix seulement, savoir : les civilisations assyrienne, indienne, égyptienne, chinoise, grecque, italique, germanique, alléghanienne, mexicaine et péruvienne.
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Et d’abord quels ont été les premiers habitans de l’Europe? On a vu déjà comment M. de Gobineau répond à cette question. Pour lui, ce ne sont plus seulement les Finnois, ce sont les représentans purs ou presque purs de la race jaune qui ont précédé tous les peuples européens dont parle l’histoire. A l’appui de cette opinion, il invoque des considérations tirées de plusieurs ordres de faits et attache surtout une grande importance aux ressemblances, fort curieuses en effet, qu’offrent entre eux certains instrumens, ustensiles ou monumens primitifs, observés en Europe, dans l’Asie septentrionale, et jusqu’en Amérique. De ces rapports entre des industries élémentaires, il conclut à l’unité de la race qui les exerçait, et naturellement il adopte, mais en les poussant jusque dans leurs dernières conséquences, les idées des antiquaires Scandinaves sur les populations de l’âge de pierre. Les objections adressées à ses ingénieux devanciers s’appliquent également à lui, et bien plus encore; mais je crois inutile d’entrer ici dans une discussion où j’ai été précédé par de plus habiles. Je me bornerai donc à dire que l’interprétation donnée des mêmes faits par M. Maury me semble à la fois plus simple et plus naturelle. Des populations également sauvages, disposant de matériaux semblables, ont nécessairement dû se rencontrer dans les moyens de satisfaire à des besoins identiques. Pour expliquer ce résultat, il n’est pas nécessaire de supposer qu’elles appartenaient à la même race.
A ce fond exclusivement jaune, l’auteur de l’''Essai'' ajoute divers peuples blancs, déjà profondément altérés, et qui, par leur croisement avec les premiers habitans du pays, ne tardèrent pas à s’abaisser. Parmi ces nouveau-venus, il compte entre autres les Slaves, ''les plus abâtardis de tous ces métis'' ; qui envoyèrent pourtant des colonies jusqu’en Italie et en Espagne, où de nouvelles alliances avec les populations locales les dégradèrent encore. Telle est l’origine attribuée aux Rhasènes ou Étrusques primitifs et aux Ibères. — Je ne dirai rien des premiers : nous en savons vraiment trop peu de chose. Quant aux seconds, j’ai pu les observer dans leurs descendans directs, dans ces Basques, que leurs hautes montagnes ont protégé» contre les invasions de toute nature
Aux Ibères et aux Rhasènes vinrent se joindre dans l’ouest de l’Europe les Galls, Gaels, Celtes ou Kymris. Tout en reconnaissant à cette grande race une origine blanche, tout en lui attribuant certaines aptitudes, M. de Gobineau se montre fort sévère à son égard. Entraîné par les faits qu’accumulent la tradition et l’histoire, il retrouve, d’abord en elle les traits physiques et les principaux caractères moraux qu’il a vantés chez les Aryans, les Iraniens, les Hellènes; il prouve combien les populations gauloises étaient éloignées de l’état sauvage et de la barbarie; puis, revenant en quelque sorte sur ses pas, il nous montre dans les Celtes une race surtout agricole, industrielle, commerçante, et dont la renommée militaire se fonde uniquement sur quelques invasions qu’effectuèrent presque par nécessité quelques peuplades exilées. En un mot, il fait des Galls un peuple foncièrement utilitaire, accusant une forte immixtion de sang jaune et frappé par conséquent d’un cachet ineffaçable d’infériorité.
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La force d’expansion régulière et contenue, la puissance d’assimilation ne sont-elles pas les caractères d’une race profondément énergique et d’une civilisation puissante? Et pourtant c’est tout au plus si M. de Gobineau trouve une nation dans Rome, c’est à peine s’il accorde qu’il y ait eu une civilisation romaine! Dans la première, il voit à chaque instant les élémens sabins, sicules, grecs ou gaulois, et leur fusion, si évidente pourtant, lui échappe sans cesse. En parlant de la seconde, il dit volontiers ''la culture romaine''. Il lui reproche tout, hommes et choses, et je ne vois pas qu’il ait rien trouvé à louer. Mais alors, pourrait-on demander, comment se fait-il .que Rome ait pu grandir? comment se fait-il même qu’elle ait pu vivre? Cette question, l’auteur n’a pas songé à la poser, et en vérité, pour qui regarde les mélanges ethniques comme dégradant et abaissant nécessairement l’espèce humaine, la réponse était difficile.
Après avoir subjugué l’Italie, Rome subjugua le monde, et, qui plus est, elle le ''romanisa''. Cependant, et M. de Gobineau insiste lui-même sur ce point, ses élémens premiers avaient disparu : aux métis de blancs et de jaunes s’étaient joints ou substitués les métis de Sémites et de Chamites. Au temps des Caligula et des Néron, le sang national primitif était dilué au point de ne pas laisser de vestiges. Rome avait-elle pour cela perdu son ascendant, et quand elle rencontrait des chefs dignes d’elle, ne reparaissait-elle pas tout entière? Les règnes des Trajan et des Marc-Aurèle sont là pour nous montrer comment elle retrouvait alors ses instincts et ses forces. Pour interpréter ce phénomène social, je me servirai d’une comparaison toute physiologique employée par l’auteur à un point de vue un peu différent. Les nations naissent et croissent à peu près comme le corps humain. Celui-ci, soumis au ''tourbillon vilal''
Cependant, comme tout ce qui a vie sur terre, Rome devait vieillir et mourir. A qui s’enquiert des causes de cette décadence et de cette fin, M. de Gobineau répond uniquement par les mélanges ethniques. C’est un peu comme si l’on expliquait la vieillesse et la mort de l’homme par la variété de ses alimens. Or la physiologie nous enseigne que cette variété est nécessaire, que l’usage d’une nourriture trop simple équivaut à l’inanition. En serait-il de même pour les peuples, et l’action d’une race n’agissant que sur elle-même, ne recevant rien du dehors, conservant par conséquent sa pureté entière, aboutirait-elle à la mort? Non, sans doute; mais un semblable régime social aurait inévitablement pour suite au moins un sommeil semblable à celui qui a frappé les populations chinoises et la société brahmanique elle-même, cette fille aînée des purs Aryans.
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A. DE QUATREFAGES.▼
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▲A. DE QUATREFAGES.
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