« Nouvelles Histoires extraordinaires/La Barrique d’amontillado » : différence entre les versions

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Il faut qu’on sache que je n’avais donné à Fortunato aucune raison de douter de ma bienveillance, ni par mes paroles, ni par mes actions. Je continuai, selon mon habitude, à lui sourire en face, et il ne devinait pas que mon sourire désormais ne traduisait que la pensée de son immolation.
 
Il avait un côté faible — ce Fortunato —, bien qu’il fût à tous égards un homme à respecter, et même à craindre. Il se faisait gloire d’être connaisseur en vins. Peu d’Italiens ont le véritable esprit de connaisseur ; leur enthousiasme est la plupart du temps emprunté, accommodé au temps et à l’occasion ;
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c’est un charlatanisme pour agir sur les millionnaires anglais et autrichiens. En fait de peintures et de pierres précieuses, Fortunato, comme ses compatriotes, était un charlatan ; mais, en matière de vieux vins, il était sincère. À cet égard, je ne différais pas essentiellement de lui ; j’étais moi-même très entendu dans les crus italiens, et j’en achetais considérablement toutes les fois que je le pouvais.
 
Un soir, à la brune, au fort de la folie du carnaval, je rencontrai mon ami. Il m’accosta avec une très chaude cordialité, car il avait beaucoup bu. Mon homme était déguisé. Il portait un vêtement collant et mi-parti, et sa tête était surmontée d’un bonnet conique avec des sonnettes. J’étais si heureux de le voir, que je crus que je ne finirais jamais de lui pétrir la main. Je lui dis :
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— Luchesi est incapable de distinguer l’amontillado du xérès.
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— Et cependant, il y a des imbéciles qui tiennent que son goût est égal au vôtre.
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Je pris deux flambeaux à la glace, j’en donnai un à Fortunato, et je le dirigeai complaisamment, à travers une enfilade de pièces, jusqu’au vestibule qui conduisait aux caves. Je descendis devant lui un long et tortueux escalier, me retournant et lui recommandant de prendre bien garde. Nous atteignîmes enfin les derniers degrés, et nous nous trouvâmes ensemble sur le sol humide des catacombes des Montrésors.
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La démarche de mon ami était chancelante, et les clochettes de son bonnet cliquetaient à chacune de ses enjambées.
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— Buvez, — dis-je, en lui présentant le vin.
 
Il porta la bouteille à ses lèvres, en me regardant du coin de l’oeil.
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Il fit une pause, me salua familièrement (les grelots sonnèrent), et dit :
 
— Je bois aux défunts qui reposent autour de nous !
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Je le regardai avec surprise. Il répéta le mouvement, un mouvement grotesque.
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— Vous ne comprenez pas ? — dit-il.
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Il s’appuya lourdement dessus. Nous continuâmes notre route à la recherche de l’amontillado. Nous passâmes sous une rangée d’arceaux fort bas ; nous descendîmes, nous fîmes quelques pas, et, descendant encore, nous arrivâmes à une crypte profonde, où l’impureté de l’air faisait rougir plutôt que briller nos flambeaux.
 
Tout au fond de cette crypte, on en découvrait une autre moins spacieuse. Ses murs avaient été revêtus avec les débris humains empilés dans les caves au-dessus de nous, à la manière des grandes catacombes de Paris. Trois côtés de cette seconde crypte étaient encore décorés de cette façon. Du quatrième, les os avaient été arrachés et gisaient confusément sur le sol, formant en un point un rempart d’une certaine hauteur. Dans le mur, ainsi mis à nu par le déplacement des os, nous apercevions encore une autre niche, profonde de quatre pieds environ, large de trois, haute de six ou sept. Elle ne semblait pas avoir été construite pour un usage spécial, mais formait simplement l’intervalle entre deux des piliers énormes qui supportaient la voûte
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des catacombes, et s’appuyait à l’un des murs de granit massif qui délimitaient l’ensemble.
 
Ce fut en vain que Fortunato, élevant sa torche malade, s’efforça de scruter la profondeur de la niche. La lumière affaiblie ne nous permettait pas d’en apercevoir l’extrémité.
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Tout en prononçant ces mots, j’attaquais la pile d’ossements dont j’ai déjà parlé. Je les jetai de côté, et je découvris bientôt une bonne quantité de moellons et de mortier. Avec ces matériaux, et à l’aide de ma truelle, je commençai activement à murer l’entrée de la niche.
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J’avais à peine établi la première assise de ma maçonnerie, que je découvris que l’ivresse de Fortunato était en grande partie dissipée. Le premier indice que j’en eus fut un cri sourd, un gémissement, qui sortit du fond de la niche. ''Ce n’était pas le cri d’un homme ivre !'' Puis il y eut un long et obstiné silence. Je posai la seconde rangée, puis la troisième, puis la quatrième ; et alors j’entendis les furieuses vibrations de la chaîne. Le bruit dura quelques minutes, pendant lesquelles, pour m’en délecter plus à l’aise, j’interrompis ma besogne et m’accroupis sur les ossements. À la fin, quand le tapage s’apaisa, je repris ma truelle et j’achevai sans interruption la cinquième, la sixième et la septième rangée. Le mur était alors presque à la hauteur de ma poitrine. Je fis une nouvelle pause, et, élevant les flambeaux au-dessus de la maçonnerie, je jetai quelques faibles rayons sur le personnage inclus.
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Une suite de grands cris, de cris aigus, fit soudainement explosion du gosier de la figure enchaînée, et me rejeta pour ainsi dire violemment en arrière. Pendant un instant, j’hésitai, — je tremblai. Je tirai mon épée, et je commençai à fourrager à travers la niche ; mais un instant de réflexion suffit à me tranquilliser. Je posai la main sur la maçonnerie massive du caveau, et je fus tout à fait rassuré. Je me rapprochai du mur. Je répondis aux hurlements de mon homme. Je leur fis écho et accompagnement, — je les surpassai en volume et en force. Voilà comme je fis, et le braillard se tint tranquille.
 
Il était alors minuit, et ma tâche tirait à sa fin. J’avais complété ma huitième, ma neuvième et ma dixième rangée. J’avais achevé une partie de la onzième et dernière ; il ne restait plus qu’une seule pierre à ajuster et à plâtrer. Je la remuai avec effort ; je la plaçai à peu près dans la position voulue. Mais alors s’échappa de la niche un rire étouffé qui me fit dresser les cheveux sur la tête. À ce rire succéda une voix triste que je
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reconnus difficilement pour celle du nobre Fortunato. La voix disait :
 
— Ha ! ha ! ha ! — Hé ! hé ! — Une très bonne plaisanterie, en vérité ! — une excellente farce ! Nous en rirons de bon cœur au palais, — hé ! hé ! — de notre bon vin ! — hé ! hé ! hé !