« La Chute du grand empire » : différence entre les versions

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Ce livre est devenu le livre de tous. Pendant qu’à cette lecture le vieux médaillé de Sainte-Hélène essuie sur son front dénudé les ardentes sueurs du champ de bataille, le diplomate suit avec une sorte d’effroi silencieux les combinaisons du potentat qui mit dans sa main le globe de Charlemagne, et, sans altérer l’harmonie du tableau, l’administration porte son contingent de chiffres à côté des récits les plus animés ou des scènes les plus grandioses. M. Thiers a résolu en matière d’histoire le même problème que Shakspeare en matière de poésie : il a confondu les genres dans l’unité supérieure qui les embrasse, et il a triomphé de la théorie par la pratique. Que vaudraient des éloges auprès d’une telle popularité, et de quel poids pèseraient en face d’un succès sans exemple des critiques d’art empruntées aux rhéteurs sur la meilleure méthode historique? Un tel ouvrage convie les publicistes à des devoirs plus sérieux, car il livre Napoléon au jugement de la postérité dans un récit authentique et complet, qui finit, sous l’entraînement de la vérité, et lors même que l’historien y semble le moins songer, par devenir un réquisitoire accablant.
 
J’ai déjà consigné ici les appréciations politiques qui m’ont été inspirées par l’histoire de M. Thiers (1)<ref> ''Le Consulat et l’Empire'', livraisons dos 1er janvier 1851, 15 février, 1er et 15 mars, 1er octobre 1854./small><br />. En étudiant, il y a quelques années, la partie de ce grand ouvrage consacrée aux prospérités du règne, j’ai eu l’heureuse fortune de pressentir et de devancer les jugemens plus sévères qui s’imposent aujourd’hui à la conscience publique avec une irrésistible autorité. Pour recommencer un pareil exposé, il faudrait donc me répéter, et si les lecteurs de ce recueil ont, chose fort naturelle, oublié ces études d’une date déjà lointaine, je m’en souviens trop bien moi-même pour me croire le droit de les reproduire. Une autre perspective me reste ouverte : j’aimerais à mettre le volume qui, dans sa saisissante unité, nous fait embrasser la catastrophe en regard du grand monument où l’empire élève successivement ses hautes assises sur une base inconsistante; après avoir pénétré jusqu’à cette base même, je voudrais montrer, le livre de M. Thiers à la main, ce qu’il y eut, non pas d’excessif, comme on l’admet généralement, dans les ambitions impériales, mais de radicalement faux dans la pensée sur laquelle s’éleva le premier empire, pensée prédestinée à une issue funeste, parce qu’elle engageait avec le siècle l’une de ces luttes à mort où l’esprit des temps finit toujours par triompher du génie des princes.
 
 
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<small> <(1) ''Le Consulat et l’Empire'', livraisons dos 1er janvier 1851, 15 février, 1er et 15 mars, 1er octobre 1854./small><br />
 
 
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Il était naturel que Napoléon, aussi séparé déjà des autres hommes par la gloire que les princes le sont par la naissance, et répondant en ceci aux plus profondes aspirations de la France, donnât à la nation un gage qui, à tous les services qu’il lui avait rendus, ajoutât l’illusion toujours déçue, mais toujours si chère, de la perpétuité. La reconstitution d’une royauté héréditaire était le dernier terme de la réaction commencée au 9 thermidor. Aller jusque-là, c’était donc faire un calcul bon pour le pays comme pour soi-même, à la condition toutefois de ne point se tromper sur l’esprit de cette réaction, et de ne point violenter l’idée pacifique et libérale qui survivait à toutes les vicissitudes. Assise sur des principes dont le pays aurait tiré des conséquences fécondes, s’il n’en avait été détourné par la poursuite d’intérêts étrangers et de projets désastreux, prépondérante en Europe sans aspirer à y devenir dominatrice, la monarchie napoléonienne de Lunéville et d’Amiens, continuant la tradition consulaire sans s’ouvrir d’horizons nouveaux, militaire par son origine, conservatrice et pacifique par ses tendances, aurait présenté la combinaison la plus naturelle, probablement même la plus heureuse pour la France comme pour le monde. Cette combinaison eût été en tout cas la plus propre à fermer l’abîme de la révolution dans un pays qui en avait conservé l’esprit en en répudiant les crimes; mais Napoléon ne comprit pas ainsi le rôle que lui envoyait la fortune. A peine acclamé, l’empereur rompit avec le premier consul : ce ne fut pas la couronne de saint Louis que Napoléon plaça sur sa tête dans la solennité de son sacre, ce fut celle de Charlemagne. Le bandeau impérial lui fit monter au cerveau des vapeurs ardentes qui, sans rien ôter à la hauteur de son génie, semblèrent oblitérer tout à coup, l’humble sens des réalités.
 
L’huile sainte n’avait pas encore coulé sur son front, que déjà il imprimait à l’établissement impérial un caractère moins national qu’européen. Toutes ses inclinations le portaient vers les traditions du saint-empire romain, dont on ne tarda point à rechercher avec complaisance tous les précédens, afin de les appliquer à l’étiquette et aux dignités de la cour nouvelle. Pour donner la mesure des extrémités auxquelles peut descendre la flatterie et des profonds calculs de la bassesse humaine, l’on vit des révolutionnaires émérites travailler de tout cœur à greffer sur la bulle d’or la constitution de l’an VIII, en appliquant à une société ardemment démocratique le plus mystique symbolisme du droit féodal (1)<ref> « M. de Talleyrand, le plus ingénieux des inventeurs quand il s’agissait de satisfaire les ambitions, avait imaginé d’emprunter à l’empire germanique quelques-unes de ses grandes dignités. Chacun des sept électeurs était, dans ce vieil empire, l’un ministre, l’autre échanson, celui-ci trésorier, celui-là chancelier des Gaules ou d’Italie, etc. Dans la pensée vague encore de rétablir peut-être un jour l’empire d’Occident au profit de la France, c’était en préparer les élémens que d’entourer l’empereur de grands dignitaires choisis dans le moment parmi les princes français ou les grands personnages de la république, mais destinés plus tard à devenir rois eux-mêmes et à former un cortège de monarques vassaux autour du trône du moderne Charlemagne. » ''Histoire du Consulat et de l’Empire'', tome V, page 102.</ref>. Malheureusement ces fantaisies rétrospectives n’avaient pas trait seulement à la constitution intérieure de l’empire : dès le commencement de 1804, elles étaient le reflet de la pensée qui allait bientôt changer le cours des destinées naturelles de la France pour embrasser l’Europe dans l’universalité de ses desseins. Son génie se dilatant avec sa fortune, Napoléon se faisait acclamer en Suisse à titre de médiateur, et six mois après le sacre de Notre-Dame, il allait prendre à Milan la couronne des rois lombards. Sans traité et sans combat, et comme s’il était désormais dispensé même du soin d’imposer, par des victoires ses volontés nouvelles, il réunissait le Piémont et l’état de Gênes à la France, constituait en Italie un royaume dont il commettait l’administration à son fils adoptif, et jetait sur Naples l’un de ces regards qui séchaient déjà les dynasties dans leurs racines. Moins d’une année après la proclamation de l’empire, il découpait des fiefs pour les princesses de sa famille dans ces provinces d’Italie sur lesquelles les empereurs d’Allemagne avaient réclamé des droits séculaires toujours héroïquement contestés. Pour répondre à ces actes dont la hauteur dédaigneuse avec laquelle ils étaient accomplis aggravait encore la portée, l’Angleterre avait refusé l’évacuation de Malte, et la guerre maritime était sortie de la politique qui prétendait pour elle au droit de bouleverser le monde en réclamant des autres l’exécution ponctuelle des traités. La guerre territoriale allait suivre, car dès 1805 le continent commençait à entrevoir le plan de Napoléon, et il était encore bien loin de lui soupçonner la force nécessaire pour l’accomplir.
 
Le coup de tonnerre d’Austerlitz déchira tous les voiles, et, le front couronné de foudres, le dominateur du continent apparut alors dans son omnipotence. Le traité de Presbourg, fruit de cette grande victoire, constitua le nouvel empire dans les conditions où l’avait compris son fondateur, car ce traité imprima à l’établissement impérial une couleur militaire et féodale qui n’avait rien de l’antique monarchie; il le revêtit d’une sorte de caractère européen aussi étranger au génie de la France historique qu’à l’esprit de sa révolution récente. « L’empereur et M. de Talleyrand, prôneur assidu des créations de ce genre, avaient à eux deux conçu un vaste système de vassalité, comprenant des ducs, des grands-ducs, des rois sous la suzeraineté de l’empereur, et ayant non pas de vains titres, mais de véritables principautés, et conservant tous sur les trônes qu’ils allaient occuper leur qualité de grands dignitaires de l’empire français... Ces rois dignitaires de l’empire devaient avoir un établissement royal au Louvre approprié à leur usage; ils devaient former le conseil de la famille impériale, et même élire l’empereur dans le cas où la ligue masculine viendrait à s’éteindre (2)<ref> M. Thiers, tome VI, p. 464.</ref>. »
 
Porté, d’un seul bond par la victoire dans le palais qu’avaient habité Marie-Thérèse et la longue suite de ses aïeux, Napoléon avait dès 1806 conçu la pensée, M. Thiers le reconnaît lui-même, de remplacer sur tous les trônes de l’Europe les princes de la maison de Bourbon par des princes de la famille Bonaparte. Joseph partit pour aller exécuter à Naples l’arrêt du destin, en attendant sa promotion par avancement à une plus haute couronne; Murat débuta dans la carrière royale par le surnumérariat du grand-duché de Berg; Louis, au grand profit d’ailleurs de ses nouveaux sujets, devint roi de Hollande ; des principautés pour les ministres qui conseillaient de telles choses et pour les généraux qui aidaient à les exécuter furent disséminées comme des diamans lancés par la main de la fortune depuis la Souabe jusqu’au fond de l’Illyrie; trois couronnes royales vinrent récompenser en Allemagne les défections princières, résolues d’avance à se racheter au besoin par l’ingratitude; enfin, en organisant sous son patronage direct la confédération rhénane, Napoléon vint notifier à la nationalité la plus indélébile de l’Europe le firman de sa déchéance. La patrie des Arminius, des Frédéric et des Othon n’eut plus pour mission politique que d’orner le cortège d’un triomphateur étranger par les lambeaux déchirés d’une histoire dont la main d’un homme croyait avoir pour jamais terminé le cours. Un pareil acte était pour l’Allemagne plus qu’une révolution : ce n’étaient pas seulement les ruines du saint-empire romain dont il faisait tomber la dernière pierre ; c’était le génie de quarante millions d’hommes qu’il frappait sans pitié, lorsque Klopstock, Schiller, Kant, Goethe, Lessing, Wieland vivaient encore ou venaient à peine de fermer les yeux, et quand Arndt et Kœrner chantaient les gloires de la patrie en présence des baïonnettes françaises.
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Qu’était-ce en effet que cette gigantesque agression contre l’histoire, contre le droit et contre la vie intime des peuples? Prétendre réduire les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Hollandais et les Allemands à la condition de vassaux régis par des princes d’origine française et hôtes obligés du Louvre, c’était reprendre, en pleine civilisation chrétienne, le régime de la Rome païenne sur les municipes et les rois alliés, c’était reproduire la théorie grecque sur la subordination naturelle des races conquises à une race conquérante. Pour prix d’une abdication qui placerait à la disposition de l’empire leurs armées et leurs trésors, Napoléon entendait, il est vrai, de partir aux peuples vassaux, avec un grand bien-être matériel, certains résultats civils de la révolution française. S’il dotait largement les généraux établis par lui dans leurs domaines, il voulait bien frapper au cœur les aristocraties indigènes importunées d’un tel voisinage. Les tributaires pouvaient espérer encore un autre service où la France trouvait d’ailleurs son compte, celui de recevoir de Paris des administrateurs intelligens et d’habiles financiers; ils avaient aussi chance d’obtenir des ports maritimes afin de menacer l’Angleterre, et une viabilité perfectionnée au point de vue stratégique, bienfaits immenses pour lesquels on ne leur demandait qu’une bagatelle : abdiquer la patrie !
 
Je ne saurais concéder à M. Thiers qu’avec moins d’impatience et plus de temps, l’œuvre d’assimilation au grand empire, qu’il déclare insensée pour les peuples de souche germanique, eût été possible si elle avait été restreinte aux nations d’origine latine (3)<ref> Tome V, page 465.</ref>, car je ne vois pas que la création des royaumes de Hollande et de Westphalie ait été pour Napoléon un plus grand malheur ou une plus grande faute que la guerre d’Espagne et l’invasion du Portugal. C’est dans la Péninsule que le doigt de Dieu a touché le conquérant: les Espagnols et les Portugais étaient en armes bien avant que les Allemands et les Hollandais tentassent de briser le joug, et si l’ange exterminateur n’avait pas frappé nos légions sur le sol glacé où la neige les enveloppa d’un immense linceul, les populations riveraines du Rhin et du Weser auraient hésité longtemps encore, malgré leurs humiliations et leurs souffrances, à suivre l’exemple que leur avaient déjà donné les montagnards des ''sierras'' espagnoles et du Tyrol italien.
 
Je ne puis, je l’avoue, reconnaître non plus dans le système impérial, même restreint dans son application aux races purement latines, une imitation de la politique suivie par la maison de Bourbon dans les deux péninsules. En acceptant pour son petit-fils le trône que lui déférait un acte tout spontané de la volonté de Charles II, Louis XIV avait commencé ses instructions au duc d’Anjou par ces paroles : « Soyez bon Espagnol, car vos premiers devoirs sont pour vos peuples. » — ''Vous êtes Français, et n’avez de devoirs qu’envers moi seul'', écrivait chaque jour Napoléon à ses frères, condamnés au supplice de répondre à ses exigences, en étalant dans des capitales transformées en chefs-lieux de préfecture un simulacre de royauté. Lorsque ces princes, supérieurs au rôle qui leur était imposé, hasardaient quelques respectueuses allusions au pacte qui, durant la seconde moitié du siècle précédent, avait uni la maison de Bourbon dans une alliance où l’intimité n’enlevait rien ni à l’indépendance ni à l’honneur, des traits sanglans d’ironie ou les éclats d’une colère terrible les remettaient bientôt à leur place, et venaient déchirer des voiles dont l’empereur n’éprouvait d’ailleurs pour son compte aucun désir de s’envelopper. N’amnistions pas le principe en condamnant les conséquences, et n’hésitons jamais à remonter à l’idée mère d’où ont surgi toutes les fautes du premier empire pour y attacher une réprobation plus éclatante encore que ne l’a été sa gloire. Cette idée, n’était-ce pas l’asservissement de l’Europe à la France, et l’abdication de la France elle-même aux mains d’un seul homme?
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Par des mesures dont M. Thiers a exposé l’ingénieux mécanisme, l’empereur Napoléon atténuait singulièrement pour lui-même les prescriptions qu’il entendait imposer aux peuples vassaux dans leur impitoyable rigueur. La Russie, qui avait accepté le principe des prohibitions françaises, s’efforçait, en s’y conformant, de ménager du moins les intérêts vitaux d’un grand empire agricole. Trompée par les déférences qui, à Erfurt, lui avaient voilé sa situation véritable, elle prétendait demeurer dans l’alliance sur un pied d’égalité dont l’empereur Napoléon ne supportait pas la pensée. Le spectacle d’une politique indépendante lui apparaissait à la fois comme un péril pour son empire et comme une sorte d’attentat contre le droit divin de son génie. La guerre de 1812 ne sortit point du débat commercial qui lui servit de prétexte ; Napoléon estima cette lutte nécessaire pour raffermir l’opinion ébranlée de l’Europe, en prenant contre la Russie une éclatante revanche de l’insurrection espagnole. Fasciner les uns par la terreur, les autres par l’admiration : tel fut le double mobile d’une politique qui ne s’inquiétait plus de frapper juste, pourvu qu’elle frappât fort. Il fallait que la course fatale se continuât jusqu’aux frontières de l’Asie; il fallait que le conquérant pénétrât dans Moscou, après quoi, si Dieu ne l’y avait arrêté court, il serait allé jusqu’à Calcutta, faute de pouvoir arriver à Londres. Il partit donc, traînant à sa suite un million d’hommes, parmi lesquels figuraient les contingens de tous les peuples vaincus, étranges alliés qui n’avaient entre eux d’autre lien qu’une haine commune contre leur vainqueur. Déjà cependant le grand drame touchait à sa fin, et les pieds d’argile de la statue allaient heurter contre un caillou. Quelques moujiks armés d’allumettes abattirent dans une nuit la puissance devant laquelle se taisait le monde; le rêve se dissipa à la fumée d’un incendie, et l’Europe s’arma pour sa délivrance, pendant que son maître foudroyé s’agitait, comme l’archange de Milton, entre une mer de glace et un enfer de feu.
 
 
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<small> (1) « M. de Talleyrand, le plus ingénieux des inventeurs quand il s’agissait de satisfaire les ambitions, avait imaginé d’emprunter à l’empire germanique quelques-unes de ses grandes dignités. Chacun des sept électeurs était, dans ce vieil empire, l’un ministre, l’autre échanson, celui-ci trésorier, celui-là chancelier des Gaules ou d’Italie, etc. Dans la pensée vague encore de rétablir peut-être un jour l’empire d’Occident au profit de la France, c’était en préparer les élémens que d’entourer l’empereur de grands dignitaires choisis dans le moment parmi les princes français ou les grands personnages de la république, mais destinés plus tard à devenir rois eux-mêmes et à former un cortège de monarques vassaux autour du trône du moderne Charlemagne. » (''Histoire du Consulat et de l’Empire'', tome V, page 102.)</small><br />
<small> (2) M. Thiers, tome VI, p. 464.</small><br />
<small> (3) Tome V, page 465.</small><br />
 
 
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La coalition avait promptement passé de l’œuvre de la délivrance commune à celle de ses vengeances. L’instant où Napoléon aurait pu négocier à Francfort sur la base des frontières naturelles avait été court, pour ne pas dire fugitif. La modération calculée de l’Autriche, la lassitude de la Russie après une poursuite qui avait conduit tout d’un trait ses armées de Smolensk à Mayence, avaient bientôt cédé aux fureurs patriotiques de la Prusse et de l’Allemagne, et toutes les chances de paix s’étaient évanouies devant l’espérance que commençait à entretenir l’Angleterre d’arracher Anvers et les provinces belgiques à la France. Arrivé en vue du Rhin, l’on avait un moment hésité à franchir le fleuve, barrière alors universellement reconnue de l’empire; une sorte de vague terreur avait saisi ces rois si souvent vaincus à la pensée des chances nouvelles qu’une telle guerre allait présenter. « L’idée d’affronter chez elle, observe M. Thiers, cette nation qui avait inondé l’Europe de ses armées victorieuses, chez laquelle il n’y avait presque pas un homme qui n’eût porté les armes, cette idée-là troublait, intimidait les plus sages des généraux et des ministres de la coalition. »
 
Il n’existe dans aucune histoire de tableau plus pittoresque, dans aucun traité spécial d’exposé plus admirable que ceux de l’immortelle campagne commencée aux bords du Rhin pour finir après trois mois aux buttes Montmartre. Le lecteur est conduit par la magie du talent à entretenir parfois sur l’issue possible de la lutte des illusions que l’écrivain provoque certainement sans les partager, car, s’il tient pour inépuisables chez Napoléon les ressources de l’inspiration et du calcul, il croit aussi d’une foi ferme au désespoir de la France, et personne n’avait exposé d’une manière aussi saisissante le divorce survenu entre la nation et son chef. « L’état moral du pays était plus désolant encore, s’il est possible, que son état matériel. L’armée, convaincue de la folie de la politique pour laquelle on versait son sang, murmurait hautement, quoiqu’elle fût toujours prête, en présence de l’ennemi, à soutenir l’honneur des armes. La nation, profondément irritée de ce qu’on n’avait pas profité des victoires de Lutzen et de Bautzen pour conclure la paix, se regardant comme sacrifiée à une ambition insensée, connaissait maintenant, par l’horreur des résultats, les inconvéniens d’un gouvernement sans contrôle. Désenchantée du génie de Napoléon, n’ayant jamais cru à sa prudence, mais ayant toujours cru à son invincibilité, elle était à la fois dégoûtée de son gouvernement, peu rassurée par ses talens militaires, épouvantée de l’immensité des masses ennemies qui s’approchaient, moralement brisée, en un mot, au moment même où elle aurait eu besoin, pour se sauver, de tout l’enthousiasme patriotique qui l’avait animée en 1792, ou de toute l’admiration confiante que lui inspirait en 1800 le premier consul! Jamais enfin plus grand abattement ne s’était rencontré en face d’un plus affreux péril (1)<ref> M. Thiers, tome XVII, page 21.</ref>
 
L’irritation contre ce pouvoir sans prévoyance était assurément trop justifiée, lorsqu’on mettait en regard des dangers qui menaçaient le pays au mois de janvier 1814 les ressources avec lesquelles on lui demandait d’y faire face. Voici quel en était le bilan d’après M. Thiers.
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Ce mot résume les annales d’un règne durant lequel le prince, tout entier à son rôle extérieur, n’avait eu d’un roi de France ni les perspectives nettes et sensées ni les paternelles sollicitudes. Devant les périls accumulés par une imprévoyance fabuleuse et les doutes qui paralysaient à sa source l’entraînement national, Napoléon n’avait plus à opposer au sort que le mot de Médée. Il allait seul en effet, et l’on sait avec quel éclat, lutter contre l’univers conjuré, et dans ce duel à mort provoqué par une pensée chimérique, la France, dont il prétendait faire son second, entendait n’être plus que son témoin en quelque sorte, car, autant par instinct de la justice que par défiance de la fortune, elle cherchait à décliner la solidarité qu’il s’efforçait de rendre chaque jour plus étroite entre sa cause personnelle et celle de la nation. Découragée de toute espérance, celle-ci laissait donc s’accomplir la catastrophe au sein de laquelle allait disparaître un pouvoir que Dieu et les hommes semblaient avoir doté à l’envi de toutes les conditions de la durée comme de la gloire. Demeuré fidèle à la pensée toute nationale et fort sensée qui l’avait porté sur le trône, l’empereur Napoléon aurait pu assurer l’avenir de sa dynastie comme celui de la France. Qu’il eût préparé les générations nouvelles pour la paix et pour la liberté au lieu de les façonner pour la dictature et l’asservissement du monde, et l’empire aurait probablement traversé sans péril la plus redoutable des épreuves, celle de perdre l’empereur. Ce pouvoir, sorti de l’élan de la volonté nationale, ne rencontrait alors devant lui ni des partis organisés, ni des besoins auxquels il lui fût interdit de satisfaire : ''il n’avait détrôné que l’anarchie''; sa victoire ne froissait aucune idée puissante, elle n’humiliait personne, et le pays ne lui avait demandé qu’une chose, demeurer fidèle à la tradition française et ne pas chercher pour lui-même une autre grandeur que celle de la nation. La France voulait être l’objet unique de ses sollicitudes souveraines, et Napoléon avait fait de son vaste empire une sorte de cercle immense ''dont le centre était partout et la circonférence nulle part'' !
 
 
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<small> (1) M. Thiers, tome XVII, page 21.</small><br />
 
 
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L’empereur et le pays avaient donc cessé de penser ensemble, et un désaccord de plus en plus profond se manifestait sur la manière de comprendre leurs devoirs vis-à-vis l’un de l’autre. Napoléon avait un coup d’œil trop pénétrant pour ne pas deviner des souffrances devenues intolérables, et pour ignorer les violences quotidiennes d’une administration qui depuis si longtemps n’avait à compter avec personne; mais il ne reconnaissait pas le droit de se plaindre en présence de l’ennemi, et ces plaintes inopportunes, qu’on lui avait épargnées durant le cours de ses prospérités, revêtaient alors à ses yeux le caractère d’une sorte de trahison.
 
Depuis le passage du Rhin, les soulèvemens de la Hollande et les agitations chaque jour croissantes de l’Italie, le fantôme du grand empire s’était évanoui, et Napoléon respirait enfin, délivré de ce cauchemar mortel. Il souhaitait donc la paix avec une résignation douloureuse, mais en ce moment très sincère, et c’était parfois en termes magnifiques qu’il faisait la confession de ses illusions et de ses fautes (1)<ref> « J’avais formé d’immenses projets; je voulais assurer à la France l’empire du monde! Je me trompais : ces projets n’étaient pas proportionnés à la force numérique de notre population. Il aurait fallu l’appeler tout entière aux armes, et, je le reconnais, les progrès de l’état social, l’adoucissement même des mœurs, ne permettent pas de convertir toute une nation en un peuple de soldats. Je dois expier le tort d’avoir trop compté sur ma fortune, et je l’expierai. Je ferai la paix, je la ferai telle que la commandent les circonstances, et cette paix ne sera mortifiante que pour moi. C’est à moi qui me suis trompé, c’est à moi à souffrir, ce n’est point à la France... Qu’elle ait donc la gloire de mon entreprise, qu’elle l’ait tout entière, je la lui laisse. Quant à moi, je ne me réserve que l’honneur de montrer un courage bien difficile, celui de renoncer à la plus grande ambition qui fut jamais, et de sacrifier au bonheur de mon peuple des vues de grandeur qui ne pourraient s’accomplir que par des efforts que je ne veux plus demander... Je demande uniquement le moyen de rejeter l’ennemi hors du territoire. Je veux traiter, mais sur la frontière et non au sein de nos provinces désolées par un essaim de barbares. » Discours de l’empereur aux sénateurs envoyés en mission dans les départemens, janvier 1814. M. Thiers, t. XVII, p. 183.</ref>; mais il en était en 1814 de l’empereur vaincu comme des hommes corrigés dans leur vieillesse, dont on admet moins le repentir que l’impuissance. On doutait d’ailleurs, malgré des protestations réitérées, de ses volontés pacifiques, et les hommes les mieux renseignés pensaient, ce qui était vrai aussi, qu’il était résolu à ne négocier sérieusement qu’autant qu’il obtiendrait de ses ennemis des conditions devenues alors impossibles. L’empereur demandait au pays de s’identifier avec lui et de n’articuler aucun grief avant d’avoir refoulé l’étranger au-delà du Rhin; le pays avait-il tort de croire de son côté que l’unique chance qu’il eût de faire accueillir ses plaintes était de profiter de la faiblesse du pouvoir, afin de lui faire entendre des paroles de vérité? Enfin l’empereur prétendait faire sortir de l’extrémité même du péril une dictature encore plus absolue, tandis que la France entrevoyait à travers ces chances redoutables une première lueur de liberté. Deux points de départ aussi opposés ne pouvaient manquer de rendre d’heure en heure le désaccord plus profond et la séparation plus imminente.
 
Ce n’est pas tout : en 1814, l’empereur voulait certainement la paix, mais il ne la voulait qu’aux seules conditions où elle fût vraiment acceptable pour lui-même. Lorsque dans la solennité de son sacre il avait juré sur l’épée de Marengo de ne pas laisser amoindrir entre ses mains la France arrachée par lui-même aux mains du directoire, lorsqu’afin de l’agrandir encore il avait depuis dix ans versé à flot le sang français depuis Moscou jusqu’à Cadix, la laisser moins grande qu’il ne l’avait prise en 1800 était à la fois pour un soldat couronné une impossibilité d’honneur, pour le chef d’un gouvernement absolu une impossibilité politique. M. Thiers l’a démontré de manière à forcer sur ce point les convictions les plus rebelles: Napoléon ne pouvait régner sur la France ramenée par l’Europe victorieuse à ses limites antérieures à la révolution, car un tel changement n’était honorablement acceptable pour le pays qu’au prix d’une transformation complète de ses institutions et du principe même de son gouvernement. Aux yeux de l’Europe, une pareille paix n’aurait jamais revêtu d’ailleurs du vivant de Napoléon que le caractère d’une pure suspension d’armes. Mais ce qui était inadmissible pour l’empereur ne l’était plus pour la nation. Tout en tenant très justement à cette limite du Rhin, que protégeait alors l’équilibre même de l’Europe, puisque tous les états de premier ordre allaient s’agrandir démesurément à la paix, la France ne voyait ni son honneur ni son avenir compromis dans les combinaisons diplomatiques dont l’empereur, sous la pressante influence de sa situation personnelle, refusait obstinément d’admettre le principe au congrès de Châtillon.
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Le point de vue de la France était à coup sûr beaucoup plus juste que celui de Napoléon, et en appréciant les éventualités probables et prochaines, la nation avait malheureusement raison contre lui. La paix glorieuse qu’il poursuivait avec la limite du Rhin était alors une pure illusion. Lorsque l’ennemi marchait vers Paris entre la Marne et la Seine, ni les combinaisons les plus merveilleuses de la stratégie, ni les retours les plus imprévus de la fortune, ne pouvaient compenser désormais pour Napoléon l’accablante infériorité des forces; c’était donc très vainement qu’il paraissait se flatter de voir encore la question des frontières naturelles devenir la base des négociations ouvertes entre M. de Caulaincourt et les ministres de la coalition triomphante. Quand il luttait avec cinquante mille hommes contre une armée de trois cent mille ennemis, armée dont le chiffre aurait été doublé en peu de mois, Napoléon touchait manifestement au terme de sa destinée. Pour soutenir au-delà de quelques semaines un pareil effort, pour le faire aboutir à la libération d’un territoire envahi sur la ligne des Pyrénées comme sur celle du Rhin, il, aurait fallu que la nation se levât en masse dans un de ces accès de délire populaire dont l’empire avait tari les sources : du moment que la lutte conservait un caractère purement militaire, l’issue pouvait en être pressentie par tout le monde, et l’empereur était perdu dès qu’il n’avait que des soldats à opposer à des soldats. Cette conclusion inévitable et trop prévue d’une campagne aussi héroïque que vaine enlève une grande partie de son intérêt au dramatique récit des prodiges accumulés dans l’espace de quelques semaines.
 
Rien n’est plus admirable dans l’histoire militaire que la courte campagne durant laquelle un général vaincu détruit avec une poignée d’hommes toute une armée, menace d’en écraser une autre, et, comme un sanglier frappé à mort, guette et rencontre avant d’expirer l’occasion de faire de larges entailles aux chasseurs dont il a trompé la vigilance et déjoué les calculs. Champaubert et Montmirail égalent, s’ils ne le surpassent, l’éclat des plus grandes journées de l’empire; mais que pouvait désormais la gloire de Napoléon pour sa fortune, et quel intérêt français servait en définitive cette agonie savamment prolongée par l’égoïsme du génie? Les conditions de la paix future et du nouvel état territorial du continent s’étaient trouvées fixées le jour où l’Angleterre, enfin résolue à nous enlever l’Escaut, avait fait agréer aux souverains la perspective de l’établissement de la maison d’Orange en Belgique. Cette pensée, portée au quartier-général des alliés par lord Castlereagh aux derniers jours de janvier 1814, était devenue, sans être encore formulée, l’idée-mère des conférences de Châtillon ; elle forma le lien du pacte de Chaumont, par lequel la coalition associait l’avenir à ses vengeances, et c’est parce qu’il savait les résolutions des cabinets irrévocables que M. de Caulaincourt, la honte et la douleur dans l’âme, insistait si vivement pour que l’empereur ne repoussât pas, si dure qu’elle fût, la condition des limites de 1790. Comme le dit fort bien M. Thiers, « cette question signifiait au fond qu’on ne voulait plus avoir affaire à Napoléon, et qu’on était résolu à le détrôner pour substituer une autre dynastie à la sienne. » Telle était en effet la conséquence, visible à tous les regards, de propositions qu’en France seul Napoléon se trouvait dans l’impossibilité personnelle d’accepter. Celui-ci le savait encore mieux que l’Europe : il était donc naturel qu’il opposât à de telles perspectives des résistances désespérées ; il était fort simple que l’empereur s’efforçât de compromettre le pays dans une question qui impliquait celle de sa propre déchéance. Je ne sais rien de plus triste à suivre que la lutte sans espérance engagée par un pouvoir solitaire qui met le salut du pays au prix d’un élan national qu’il a tout fait lui-même depuis dix ans pour rendre impossible. D’auxiliaires, l’empereur n’en eut jamais; de point d’appui, il n’en veut pas, lors même qu’il en éprouve le plus pressant besoin, car, en renvoyant les membres du corps législatif, il leur a adressé ces paroles : « Moi seul je représente la nation, qui ne vous connaît pas; la France, c’est un homme, et cet homme, c’est moi, avec ma volonté, mon caractère et ma renommée (2)<ref>M. Thiers, tome XVII, p. 189. </ref>. »
 
Dans l’absence de toutes les forces morales systématiquement anéanties, afin qu’elles ne devinssent pas des obstacles, il faut donc marcher seul; il faut aller à l’abîme entre des créatures telles que Murat, trop accoutumé au trône pour en descendre, et des serviteurs tels que M. de Talleyrand, trop dédaigné pour n’être pas irréconciliable, et demeuré trop puissant pour n’être pas dangereux. Mais quel moyen de marcher lorsque les victoires ne sont guère moins funestes que les revers, et quand vos meilleures intentions, par un trop juste arrêt de l’opinion publique, sont ou réputées suspectes, ou trouvées tardives?
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Rien de tout cela n’était sérieux, car la base de ces divers projets reposait sur une hypothèse inadmissible, celle d’une lutte prolongée dans les rues de Paris, et le sens public pénétrait fort bien l’inanité de combinaisons qui, en échange de désastres trop certains, ne présentaient aucune chance solide de succès. En m’efforçant de comprendre les manœuvres multipliées conçues par Napoléon dans la fièvre féconde de son désespoir, combinaisons savantes que son historien nous déroule jusque dans leurs plus lointaines profondeurs, j’ai souvent été tenté de croire qu’au fond Napoléon pouvait bien avoir pensé sur toutes ces choses-là à peu près comme la France, et qu’au mois de mars il ne croyait guère plus que le pays à la possibilité d’une résistance efficace. La campagne de France fut peut-être le prologue héroïque du drame populaire de Sainte-Hélène, prologue moins préparé pour sauver l’empire que pour déifier l’empereur.
 
Comme un fruit mûr, quoique inattendu, la restauration sortit d’elle-même du mouvement de l’esprit public, qui, s’il n’avait pas renversé l’empire, l’avait du moins laissé tomber. Les Bourbons en effet pouvaient accepter avec honneur la seule paix que la nation eût alors à attendre, car la France qu’on nous laissait était celle que leurs ancêtres avaient léguée aux nôtres ; au dehors, ils intervenaient comme des médiateurs naturels entre leur patrie et l’Europe; au dedans, ils pouvaient, sans blesser aucun des principes dont leur maison était l’expression glorieuse, substituer les bienfaits de la liberté au prestige évanoui de nos armes, et renouer la chaîne des temps brisée dans la tempête. Jamais révolution ne fut plus naturelle et plus réfléchie dans ses causes, en même temps qu’accueillie avec une adhésion plus manifeste. « La sage bourgeoisie de Paris, expression toujours juste du sentiment public, longtemps attachée à Napoléon, qui lui avait procuré le repos avec la gloire, et détachée de lui uniquement par ses fautes, avait compris que, Napoléon renversé, les Bourbons devenaient ses successeurs nécessaires et désirables, que le respect qui entourait leur titre au trône, que la paix dont ils apportaient la certitude, que la liberté qui pouvait se concilier si bien avec leur antique autorité étaient pour la France des gages d’un bonheur paisible et durable. Cette bourgeoisie était donc animée des meilleurs sentimens pour les Bourbons, et prête à se jeter dans leurs bras, s’ils lui montraient un peu de bonne volonté et de bon sens (3)<ref>M. Thiers, tome XVII, page 816. </ref>. »
 
Personne n’a mieux défini que M. Thiers le caractère de la restauration. Dans sa bouche, un pareil jugement est un arrêt dont on ne sera plus tenté d’appeler. C’est une noble chose qu’un tel hommage à une cause vaincue rendu par l’auteur de l’''Histoire de la Révolution française'' écrivant sous le second empire. Tout n’a point été perdu dans nos douloureuses vicissitudes politiques, puisque nous y avons contracté du moins l’habitude de la justice. Aussi les anciens partis voient-ils aujourd’hui avec une égale confiance l’illustre historien, poursuivant sa tâche, se préparer à pénétrer sur un terrain plus brûlant, pour nous peindre, avec la vérité sévère de son dessin et l’inépuisable variété de ses couleurs, l’époque sinistre où s’ouvrirent tant de plaies dont les cicatrices n’ont pas encore disparu. J’éprouve d’ailleurs, pour mon compte, la curiosité bien naturelle de savoir quelle impression pourra recevoir M. Thiers en voyant Napoléon demeurer aux cent-jours si fort au-dessous des périls, résultats certains de son audacieuse tentative, et n’ayant pas même à présenter à la France une chance de conjurer tant de malheurs gratuitement provoqués.
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Louis DE CARNE.
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<small> (1) « J’avais formé d’immenses projets; je voulais assurer à la France l’empire du monde! Je me trompais : ces projets n’étaient pas proportionnés à la force numérique de notre population. Il aurait fallu l’appeler tout entière aux armes, et, je le reconnais, les progrès de l’état social, l’adoucissement même des mœurs, ne permettent pas de convertir toute une nation en un peuple de soldats. Je dois expier le tort d’avoir trop compté sur ma fortune, et je l’expierai. Je ferai la paix, je la ferai telle que la commandent les circonstances, et cette paix ne sera mortifiante que pour moi. C’est à moi qui me suis trompé, c’est à moi à souffrir, ce n’est point à la France... Qu’elle ait donc la gloire de mon entreprise, qu’elle l’ait tout entière, je la lui laisse. Quant à moi, je ne me réserve que l’honneur de montrer un courage bien difficile, celui de renoncer à la plus grande ambition qui fut jamais, et de sacrifier au bonheur de mon peuple des vues de grandeur qui ne pourraient s’accomplir que par des efforts que je ne veux plus demander... Je demande uniquement le moyen de rejeter l’ennemi hors du territoire. Je veux traiter, mais sur la frontière et non au sein de nos provinces désolées par un essaim de barbares. » (Discours de l’empereur aux sénateurs envoyés en mission dans les départemens, janvier 1814. M. Thiers, t. XVII, p. 183.)</small><br />
<small>(2) M. Thiers, tome XVII, p. 189. </small><br />
<small>(3) M. Thiers, tome XVII, page 816. </small><br />
 
<references>
 
Louis DE CARNE.