« Mes heures de loisir, souvenirs familiers d’un médecin écossais » : différence entre les versions

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{{journal|Mes heures de loisir, souvenirs familiers d’un médecin écossais <smallref>(1) ''Horœ Subsecivœ'', by John Brown. M. D.; — two vols. Edinburgh, Edmonston and Douglas, 1861. — Le recueil d’''essais'' publié sous ce titre, et dont il suffisait de choisir les parties les plus saillantes pour former un intéressant tableau domestique, a valu récemment au docteur Brown une place parmi les compatriotes les plus populaires de sir Walter Scott. Ces courts récits, où la plume du narrateur rapproche habilement les souvenirs de plusieurs générations, nous font comprendre les instincts religieux, les goûts littéraires des Écossais de nos jours, et ce curieux mélange de dons opposés qui sont en équilibre chez eux, — la gravité des mœurs et la vivacité de l’esprit. </smallref><br|[[E.-D. />Forgues]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.42, 1862}}
{{journal|Mes heures de loisir, souvenirs familiers d’un médecin écossais|[[E.-D. Forgues]]|[[Revue des Deux Mondes]] T.42, 1862}}
 
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Mon grand-père fut homme de sens et d’une érudition très suffisante, non pas précisément paresseux, mais ne s’imposant aucun effort excessif, du reste plus affectueux que pas un autre homme connu de moi, et cela pour, toute créature animée. J’avais à dix ans deux lapins, Oscar et Livia. Le premier, mari un peu brusque, au nez large, aux allures viriles, mordait sans trop se gêner; Livia, qui, je le crains, n’était pas, malgré ses douces allures, le modèle des épouses, mêlait fort bien aussi les sourires et les coups de dents. Un soir que, tenant à la main ce digne couple — par les oreilles, bien entendu, — je les portais de leur luzerne à leurs lits, mon grand-père, qui était devant la maison à humer la fraîcheur du soir, se trouva sur mon chemin. Je venais de baiser mes deux captifs, en partie par amitié, en partie pour les remercier de s’être laissé prendre sans trop de résistance. Mon grand-père me passa la main sous le menton et m’embrassa d’abord ; puis, à ma grande surprise, il posa ses lèvres d’abord sur la tête de Livia, puis sur celle d’Oscar. Nul doute pour moi maintenant qu’il n’eût le secret du bon mouvement auquel je venais d’obéir, et qu’il ne lui parût à propos de s’y associer.
 
Son frère, l’oncle Ebenezer, différait de lui ''toto cœlo''. Silencieux, enfermé en lui-même pendant les six premiers jours de la semaine, il faisait ensuite explosion, et tout d’un coup, par accès, se révélait grand. Tel il apparut à deux célébrités du barreaa anglais; MM. Brougham et Denman, qui, vers l’époque du procès de la reine <ref>(2) La reine Caroline. </ref>, en visite chez James Stuart de Dunearn, furent conduits par leur hôte à la chapelle où prêchait « le ministre dissident d’Inverkeything.» Vainement, envoyant leurs cartes, avaient-ils demandé à lui être présentés avant le service divin : la réponse fut « qu’à ce moment-là M. Brown s’imposait pour règle de ne recevoir personne.» Les deux célèbres avocats allèrent donc s’installer dans la galerie en face de la chaire, et ils sortirent de l’église tellement émus que, séance tenante, ils écrivirent à leur ami Jeffrey <ref> (3) Le célèbre critique de l’''Edinburgh Review''.</ref> pour « le convier à venir entendre le prédicateur» le mieux doué qu’ils eussent jamais rencontré de leur vie.» Le zèle de l’oncle Ebenezer l’entrainait parfois à de singulières naïvetés. Pendant une mission qu’il accomplissait dans les comtés du nord, il lui arriva de rencontrer une bande de ces ''highlanders'' nomades qui vont çà et là se louer pour la tonte des troupeaux! Sollicités par lui de s’arrêter pour entendre la parole de Dieu, ils répondirent que cela ne se pouvait pas, qu’ils avaient leur journée à gagner. « Qu’à cela ne tienne, répondit mon grand-oncle, ce que vous auriez ainsi perdu vous sera d’avance remboursé.» L’accord se fit sur cette base; mon oncle paya religieusement ce qu’il avait promis, et ensuite, fermant les yeux, se mit à préparer mentalement son homélie. Ses réflexions faites, sa prière achevée, quand il regarda autour de lui,... son auditoire avait disparu. Jamais depuis lors il ne parla sans quelque amertume de cette trahison qui nous faisait rire aux larmes.
 
Le premier souvenir distinct que j’aie gardé de mon père date de ma cinquième année. Sans nul doute, je l’avais attentivement examiné avant cette époque, et il avait eu sa place dans mes réflexions enfantines; mais ce fut alors, alors seulement, que je conçus de lui une première idée nette et durable, ce fut alors, que son image, soudainement, éclairée, m’apparut complète, ineffaçable. La vue des enfans n’embrasse les objets que par fragmens; ce qu’ils apprennent est morcelé : un jour ceci, demain cela, le reste plus tard. L’ensemble est long à se faire, et pour beaucoup de choses l’homme fait continue en ceci l’enfant. Il s’écoule bien du temps avant que ce dernier voie, c’est-à-dire; regarde et, contemple, ce qui est à un niveau plus élevé que celui de ses yeux. Ce qu’il observe naturellement, c’est le sol, ce sont les cailloux et les fleurs. Son univers n’a guère que trois pieds de haut, et ce cher petit être se penche plus volontiers qu’il ne regarde en l’air. Pour moi, je sais bien que j’avais dix ans passés lorsque je vis pour la première fois, en y prenant garde, les plafonds de nos chambres dans la ''manse'' de Biggar.
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Mon père demanda à l’aïeul de prononcer les prières, ce que fit le vieillard avec une douceur résignée. Je ne me rappelle point ses paroles; une image seulement m’est restée de tout ce discours funèbre, celle d’une fleur qui tombe parmi les gazons flétris, mais pour renaître plus tard, et renaître immortelle. Puis, à ma grande surprise, à mon grand effroi, le cercueil, reposant encore sur ses supports, fut placé au-dessus du grand trou ténébreux, et je vis, non sans une certaine curiosité, se dérouler ces paquets de cordes noires avec lesquelles, depuis, je n’ai fait, hélas! que trop ample connaissance. Mon père prit celle qui soutenait la tête du cercueil; tout à côté de celle-là, une autre, plus petite, avait été fixée par son ordre. Il me la mit dans la main ; je l’enroulai solidement autour de mes doigts, et j’attendis ce qui allait suivre. Les fossoyeurs, avec leurs ''vraies'' cordes, lâchèrent peu à peu le cercueil, et quand il fut tout au fond, mes yeux ne l’y pouvaient discerner, car on avait creusé beaucoup, afin, nous dit plus tard mon père, « qu’il y eût là place pour tous.» A ce moment, par un mouvement prompt et brusque, il laissa glisser la corde qu’il tenait encore. Les autres, à leur tour, l’imitèrent. C’en était assez, c’en était trop : — je comprenais maintenant, et, assurant mon pied sur la terre molle, je tirai à moi de toute ma force. Mon père eut quelque peine à ouvrir mes petits doigts; il lâcha la cordelette noirâtre qu’ils avaient retenue jusqu’au bout, et je n’ai pas oublié l’angoisse avec laquelle je la vis retomber dans l’abîme obscur.
 
 
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<small>(1) ''Horœ Subsecivœ'', by John Brown. M. D.; — two vols. Edinburgh, Edmonston and Douglas, 1861. — Le recueil d’''essais'' publié sous ce titre, et dont il suffisait de choisir les parties les plus saillantes pour former un intéressant tableau domestique, a valu récemment au docteur Brown une place parmi les compatriotes les plus populaires de sir Walter Scott. Ces courts récits, où la plume du narrateur rapproche habilement les souvenirs de plusieurs générations, nous font comprendre les instincts religieux, les goûts littéraires des Écossais de nos jours, et ce curieux mélange de dons opposés qui sont en équilibre chez eux, — la gravité des mœurs et la vivacité de l’esprit. </small><br />
<small>(2) La reine Caroline. </small><br />
<small> (3) Le célèbre critique de l’''Edinburgh Review''.</small><br />
 
 
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De tous les ''sports'' connus, mon père n’aimait que l’équitation; mais il l’aimait passionnément, et tout me fait croire que cet excellent prédicateur se fût tout aussi bien fait remarquer comme officier de dragons. Je lui ai toujours connu d’excellens ''ponies'', de bonne race et dressés à merveille. Il les montait avec un aplomb, une aisance remarquables, et sa réputation était faite dans l’Upper-Ward et le Tweeddale, où les paysans disaient en le voyant passer au grand trot : — C’est ''le ministre''! — Que de fantaisies il se permettait une fois sur sa jument grise ou son petit ''pur-sang'' de couleur baie! Et c’était son plaisir, pendant les caracoles et les virevoltes les plus vives, d’ôter gracieusement son chapeau ou d’envoyer un baiser, du bout des doigts, à quelque dame de sa connaissance. Il se rappelait en riant qu’ayant fait une collecte, après le sermon du samedi soir, il avait logé au fond de son chapeau la majeure partie de la petite monnaie dont la charité publique le faisait dépositaire, et s’en revenait au galop par manière de délassement, lorsque sur la bruyère trois belles personnes, — c’étaient, si je ne me trompe, les ''misses'' Bertram de Kersewell, — lui apparurent tout à coup. Du premier mouvement, le chapeau fut soulevé, la tête s’inclina, et une avalanche de ''half-pence'', mêlés de quelques pièces blanches, roula immédiatement des épaules du cavalier sur l’arrière-train du cheval, et de là dans l’herbe épaisse, où les trois jeunes filles, riant à qui mieux mieux, eurent à réunir le trésor ainsi dispersé pour le rendre pièce à pièce au ministre, un peu honteux de sa politesse à contre-temps.
 
Il garda longtemps la jument grise; je me la rappelle bien, avec sa petite tête et ses grands yeux, ses formes compactes et arrondies comme un baril, sa robe élégamment mouchetée, ses jambes fines et aristocratiques. Jamais je n’ai douté qu’elle n’eût du sang arabe dans les veines. L’orgueil qu’en tirait mon père était pour moi une véritable curiosité. Au surplus, les exploits de cette excellente petite bête l’avaient fait connaître au loin, et le public appréciait sa rapidité d’allures, sa douceur de caractère, — bref, ses qualités physiques et morales, — de telle façon que mon père eut fréquemment sujet d’en être à la fois très diverti... et très contrarié. Quelques-uns de nos lecteurs écossais savent peut-être ce qu’on appelle « courir la ''bruse'' <ref>(14) Forme écossaise sans doute du mot ''bruise, contusion, meurtrissure. </ref>.» C’est dans nos noces de campagne une course au clocher vers la demeure du marié. Tous les assistans ''montés'' y prennent part. Le vainqueur reçoit, par manière de prix, une bouteille et un verre pour boire! à la santé de la nouvelle épousée. Quel sujet pour un poète du tempérament de Burns qu’une de ces cavalcades effrénées où des poulains et des bergers mal étrillés, d’anciens chevaux de chasse éreintés disputent le prix à de capricieux petits ''ponies'' et à d’énormes bêtes de trait dont les sabots chevelus battent lourdement la route sonore! Imaginez le tumulte, le désordre, les cris, les accidens comiques, les chutes pêle-mêle qui signalent ces assauts équestres livrés sur d’affreux chemins, et parfois à des hauteurs vertigineuses. Eh bien! — pour en revenir à mon conte, — il n’y avait guère de mariage dans le pays sans que mon père ne vît débarquer chez lui quelque jeune paroissien qui avait, disait-il, un parent malade à visiter, une affaire pressée à traiter au loin, etc., « et qui serait bien heureux si le digne ministre voulait bien lui prêter sa merveilleuse jument, cette jument dont tout le monde parlait, cette jument sans pareille dans tout le pays.» L’amour-propre doucement chatouillé de mon père et la répugnance instinctive qu’il éprouvait à refuser à qui que ce fût un service quelconque finissaient toujours par l’emporter sur les conseils de la prudence. — Allons, Robert, prenez-la,... mais ne la surmenez point... Ayez bien soin d’elle, je vous la recommande... — Et nous apprenions plus tard, — mais il était toujours le dernier à le savoir, — que Robert avait « couru la ''bruse'',» et nécessairement, grâce à la ''Grise'', vidé le flacon d’honneur. Un jour même l’oncle Johnstone nous vint apprendre que la vaillante petite bête avait ainsi gagné un fouet d’argent aux courses de Lanark. — Mais, ajouta-t-il malicieusement, il n’en faut point parler à votre père. Ce serait le chagriner en pure perte.
 
Les années survenant, il fallut bien renoncer à ces habitudes de jeunesse, et il y avait bien vingt ans que mon père n’était monté à cheval lorsqu’en 1840, — je venais de commencer ma carrière médicale, — on vint me chercher pour une de mes clientes, mistress James Robinson, une des plus anciennes et des meilleures amies de mon père, une « mère dans Israël,» hospitalière et secourable pour tous, mais particulièrement pour les « prophètes.» Elle était gravement malade, et sans espoir, disait-on, à Juniper-Green, près d’Edimbourg. Un ami commun, M. George Stone, qui appartenait à la congrégation de mon père, sachant combien j’aimais à monter à cheval, me proposa pour cette visite lointaine un magnifique bai-brun qu’il ménageait comme la prunelle de ses yeux : «John, me dit mon père, qui assistait à notre conversation, si j’avais une monture, j’irais bien avec vous.» Il désirait assister sa vieille amie dans cette lutte suprême. « ''Vous'' à cheval! s’écria M. Stone, étonné au dernier point. — Pourquoi donc pas?» Bref, le résultat de cette discussion fut que notre ami fit venir de ses écuries un pacifique poney pour mon pauvre père, le bai-brun me demeurant adjugé, avec force recommandations de laisser ''Goliath'' aux mains paternelles, — ''Goliath'' était le nom du poney, — et de ne céder à personne le précieux cheval qui m’était exclusivement confié.
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::... Ere one flowery season fades and dies
::Designs the blooming wonders of the next.
 
 
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<small>(1) Forme écossaise sans doute du mot ''bruise, contusion, meurtrissure. </small><br />
 
 
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Six années comptent pour beaucoup dans une jeunesse d’homme et dans une existence de chien. Six ans plus tard, Bob Ainslie était « parti pour la guerre,» et j’étudiais la médecine, en qualité d’interne, à l’hôpital de Minto-House. Rab, que je voyais régulièrement tous les mercredis, était en fort bons termes avec moi. J’avais trouvé le chemin de son cœur en grattant parfois son énorme crâne, parfois en le régalant de quelque os çà et là recueilli. Je voyais aussi son patron de temps à autre, et il m’appelait familièrement « monsieur John,» mais sans se départir pour cela de son laconisme digne de Léonidas.
 
Par une belle soirée d’octobre, je sortais de l’hospice quand je vis s’ouvrir le grand portail et entrer Rab avec ses grands airs de superbe flânerie. Derrière lui venait Jess, blanchie maintenant sous le harnais et traînant sa charrette comme toujours; dans la charrette, une femme soigneusement emmaillottée. Le messager conduisait l’équipage avec un soin tout particulier et à chaque pas regardait par-dessus son épaule. James, quand il m’aperçut, — son nom était James Noble, — m’honora d’une révérence écourtée et bizarre. « ''Master John'', me dit-il, voici notre ménagère; elle a pris mal au sein,... quelque abcès peut-être, à ce que nous pensons.» Pendant qu’il parlait ainsi, je dévisageai la bonne femme, assise sur un sac rembourré de paille, enveloppée dans le ''plaid'' de son mari, et les pieds entortillés dans son grand surtout à boutons de métal blanc. Jamais figure ne m’est apparue qui se gravât mieux dans le souvenir : pâle, sérieuse, ''érémitique'' (si l’on peut exprimer ainsi l’habitude de physionomie que donne une vie presque toujours solitaire) et délicate, et douce à l’œil, sans rien de ce que nous appelons beauté. Elle accusait la soixantaine sous le ''mutch'' <ref>(15) Bonnet écossais à l’usage exclusif des femmes mariées. </ref> d’un blanc de neige qui, décoré de rubans noirs, recouvrait sa chevelure argentée, laquelle mettait singulièrement en relief ses yeux d’un gris foncé, — des yeux comme en voit rarement, dont le regard résumait bien des souffrances vaillamment supportées; sourcils finement arqués et d’un beau noir; bouche ferme, patiente à la fois et souriante, ce qui est l’apanage de bien peu de bouches. « Ailie, reprit James, voici M. John, le jeune médecin,... l’ami de Rab, vous savez?... Nous parlons souvent de vous, docteur.» Elle sourit, fit un mouvement qui pouvait à la rigueur passer pour un léger salut, et, se débarrassant du ''plaid'', se mit en devoir de descendre. Salomon lui-même, offrant la main à la reine de Saba sur le seuil de son palais splendide, n’aurait pas montré un zèle plus attentif, plus minutieux, plus chevaleresque en un mot, que James, le messager de Howgate, quand il reçut dans ses bras sa femme Ailie. Rab les regardait faire, un peu attristé, un peu inquiet, mais prêt à toute besogne requise par les circonstances, fût-ce d’étrangler la garde-malade, le concierge de l’hospice, ou moi-même à la rigueur. Ailie et lui semblaient s’aimer beaucoup.
 
Sur la requête expresse de James, nous passâmes tous les quatre dans le cabinet aux consultations. Rab, toujours à bout de pénétration et dans un embarras comique, ne demandait pas mieux, le cas échéant, de se montrer confiant et satisfait, quoique tout disposé, s’il le fallait, à prendre la mouche. Ailie s’assit, défit sa robe agrafée par devant ainsi que le fichu de mousseline roulé autour de son cou, et, sans prononcer une parole, livra son sein droit à mon examen. Elle et son mari épiaient l’expression de mon regard, et Rab nous contemplait tous trois. Qu’aurais-je pu dire pour leur cacher la vérité? Ce sein jadis si blanc, si bien formé, gracieux d’aspect, nourricier et fécond, durci maintenant et devenu le siège d’horribles souffrances, m’expliquait la pâleur de ce visage, l’expression de ces yeux gris, lumineux et résignés, le pli de ces lèvres doucement courageuses. Pourquoi le ciel envoyait-il un tel fardeau à cette femme patiente et modeste, soigneuse d’elle-même, attrayante au regard?
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puis encore ce bourgeon de queue, long à peine d’un pouce (si le mot long peut ici trouver place), et dont la mobilité, l’instantanéité avaient quelque chose de surprenant et de bouffon, pour qui étudiait les communications quasi électriques de cet œil, de cette oreille et de cette queue.
 
Le lendemain, mon patron examiuaexamina Ailie. Son mal devait incessamment, laissé à lui-même, devenir mortel, et dans un bref délai. On pouvait l’opérer, et le résultat pouvait demeurer définitif : au pis aller, elle serait immédiatement soulagée; on l’engageait à tenter l’épreuve... — Ailie remercia, regarda son mari et dit : «Quand ce sera-t-il? — Demain!» répliqua l’excellent médecin, peu prodigue de paroles. Et là-dessus, nous nous retirâmes. Le lendemain, sur une planche noire, bien connue des étudians, on vit, collée avec quatre pains à cacheter, une bande de papier; ces mots y étaient écrits : ''on opérera aujourd’hui''. J.-B. Clerck. Il fallait voir la liesse et l’empressement qui se manifestèrent aussitôt dans les groupes attirés par cette affiche : «Où cela?... dans quelle salle?» répétait-on de tous côtés. Sont-ils donc impitoyables? Pas plus que vous, pas plus que moi; mais chez ces jeunes gens endurcis au spectacle de la souffrance, la pitié en tant qu’''émotion'' a disparu peu à peu, remplacée par la pitié envisagée comme ''motif''. On ne frémit plus devant le mal, mais on se voue tout entier à le combattre. Cette émulation féconde et joyeuse ne vaut-elle pas mieux qu’une sympathie attristée et stérile?
 
On cause, on plaisante donc dans l’amphithéâtre. Le chirurgien en chef s’y est déjà rendu avec son état-major. Arrive Ailie : un seul regard jeté sur elle apaise et contient le tumulte. Les étudians sont domptés par cette belle et imposante vieillesse. Assis et muets, Ils la contemplent. Elle entre d’un pas rapide, mais non hâté. Elle a son ''mutch'' sur la tête, son fichu de mousseline, sa casaque de basin, son jupon de laine noire, qui laisse entrevoir ses bas de tricot et ses pantoufles de tapisserie. Derrière elle, James et ''Rab''. Le premier s’assoit à distance et prend entre ses genoux, comme dans un étau, la tête puissante de son compagnon. ''Rab'' semble perplexe et menaçant; son oreille unique se dresse et se recouche à toute minute.
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''Jess'', la jument grise, avait été envoyée à Howgate avec la vieille charrette, et là, sans nul doute, s’absorbait en de vagues rêveries sur l’absence de son maître et de ''Rab'', se demandant ce qui l’avait tout à coup séparée du véhicule familier, des chemins si longtemps parcourus.
 
Pendant quelques jours, tout alla bien. La plaie se fermait « par première intention,» car, ainsi que le disait James, « notre Ailie a la peau trop saine pour prendre le venin.» Les étudians, inquiets, venaient sur la pointe des pieds entourer le lit de la malade. Elle aimait, disait-elle, à voir leurs jeunes et candides visages. Le chirurgien, dont les yeux exprimaient une pitié sincère, la pansait lui-même régulièrement et lui adressait quelques bonnes paroles, toujours en très petit nombre. En dehors du cercle, James et ''Rab'', — ''Rab'' maintenant réconcilié, cordial même, car il ne voyait nulle part de mauvaises intentions, — mais, n’en doutez pas, ''semper paratus''. Rien de mieux jusque-là. Pourtant, le quatrième jour après l’opération, ma malade fut subitement prise d’un long frisson, — « une fraîcheur,» disait-elle. Je la vis peu après. Les yeux brillaient trop, les joues étaient trop animées. Elle s’agitait, honteuse d’elle-même et de se remuer ainsi. L’équilibre était rompu, la situation commençait à se gâter. En regardant la plaie, une ligne empourprée donnait le mot de l’énigme; le pouls était accéléré, la respiration gênée et rapide. La pauvre femme ne se reconnaissait plus, et se tourmentait de ne plus savoir se tenir tranquille. Tout ce que nous pûmes imaginer fut employé tour à tour. James se prêtait à tout, était partout. ''Rab'', tapi sous la table dans un coin obscur, s’y tenait absolument immobile, à part son œil, qui suivait les allures d’un chacun. Ailie allait de mal en pis; elle commençait à déraisonner paisiblement, se montrant plus expansive avec James. Ses questions nous arrivaient plus rapides; parfois elle s’impatientait. James en était préoccupé : «Jamais elle n’a été comme ça!... Non, jamais!» répétait-il. — De temps à autre, elle s’apercevait de ses divagations, et s’en excusait, l’aimable et douce créature, puis revenait le délire, plus fort, incessant. Le cerveau finit par fléchir, et nous eûmes alors ce terrible spectacle de « l’intelligence dévoyée, se heurtant à toute parole, à toute idée, sur le périlleux chemin qui mène aux abîmes.» Elle chantait des lambeaux de psaumes cousus à des lambeaux de vieilles chansons, et s’arrêtait tout à coup, surprise elle-même de ce mélange profane. Rien de plus touchant, et dans un certain sens de plus étrangement beau que cette voix frémissante et passionnée, cette pensée rapide et comme éblouie, courant çà et là, sans direction et sans but, ces bégaiemens involontaires, ces yeux dont les éclairs présageaient le coup de foudre. Ici des paroles incohérentes, ailleurs des instructions de ménage, — quelque chose pour James, — des noms de morts, — ou bien encore ''Rab'' appelé brusquement et avec un accent effrayé, ce qui le faisait se dresser, surpris, et sortir aplati de sa cachette, comme s’il se sentait coupable de quelque méfait ou incertain de n’avoir pas rêvé qu’on l’appelait. Bien des questions aussi, bien des supplications auxquelles nous ne pouvions rien comprendre, ni James, ni moi, malgré l’ardeur singulière qu’elle mettait à s’expliquer,... et la pauvre femme se rejetait en arrière, épuisée, sans avoir pu obtenir une réponse. C’était triste à coup sûr, et cependant meilleur que bien des choses auxquelles on n’applique point cette épithète. James rôdait sans cesse autour du lit, bien las, bien affligé, mais aussi exact, aussi alerte que jamais. Dès qu’il y avait un instant de calme, il lui lisait, il lui chantait parfois des fragmens de psaumes, persistant et résigné comme il sied à un homme, et toujours affectueux pour « son Ailie» : ''Ailie y ma’ woman, ma’ ain bonnie'' <ref> (26) ''Ailie, my woman, my own pretty''. Nous laissons à dessein subsister ces formules de tendresse dans le patois écossais, qui leur donne leur cachet ''historique''. </ref>!
 
La fin approchait. Le vase d’or allait se briser, la corde d’argent se relâchait d’heure en heure. L’âme subtile, — ''animula, vagula, blandula'', — s’apprêtait à fuir loin de ce corps auquel, pendant soixante ans, elle avait été une compagne fidèle, ''hospes comesque''. Elle allait seule vers cette obscure vallée où nous entrerons quelque jour, tous tant que nous sommes. — Seule? Était-elle vraiment seule?
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D’un geste, il enjoignit à ''Rab'' de descendre, et, prenant sa femme dans ses bras, il l’enveloppa dans les draps d’une main ferme et soigneuse. Le visage fut laissé à découvert. Ceci fait, il l’enleva, m’adressa un nouveau signe de tête plus douloureux que le premier, puis, avec une résolution qui n’excluait pas la tristesse, longea le couloir et descendit l’escalier, ''Rab'' sur les talons. Je les suivais, un flambeau à la main : précaution superflue. Marchant toujours, je me trouvai tenant mon chandelier et sans réfléchir à ce que mon action avait d’absurde en plein jour et en plein air par cette glaciale matinée. Nous arrivâmes bientôt à la porte. Je l’aurais aidé volontiers, mais je vis qu’il se réservait toute cette besogne; il était de force, et il n’avait besoin de personne. Il l’étendit sur la charrette aussi tendrement qu’il l’en avait retirée dix jours plus tôt, — aussi tendrement qu’il l’avait pour la première fois reçue dans ses bras alors qu’elle était encore Alison Grœme. Il l’y arrangea, laissant exposé au grand jour ce beau visage scellé par la mort; puis, la main à la tête de ''Jess'', il s’éloigna sans prendre plus garde à moi que ''Rab'' lui-même, lequel fermait la marche à l’arrière du chariot.
 
Je les suivis de la pensée traversant ce beau pays que je connais si bien, gravissant le ''brae'' de Libberton, longeant ensuite. Roslin-Muir, traversant les bois d’Auchindinny, bref jusqu’à la porte de l’humble maisonnette où le cortège devait s’arrêter.
 
James enterra sa femme, accompagné de ses voisins. ''Rab'' regarda de loin la cérémonie. Sur la terre couverte de neige, ce petit trou noir devait faire un singulier effet. Peu après, James tomba malade à son tour. Une espèce de fièvre lente sévissait dans le village, et ses veillées, ses soucis, ses fatigues le prédisposaient à la prendre. Il se mit au lit. Le médecin l’y trouva déjà sans connaissance. Il fut promptement enlevé. On n’eut pas grand’peine à rouvrir la fosse, mais il fallut la retrouver sous une nouvelle couche de neige. ''Rab'' fut encore témoin des funérailles, et revint au logis se tapir dans l’étable...
 
Je m’informai de ''Rab'' au successeur de James, devenu possesseur de ''Jess'' et de la charrette. Il me répondit d’abord par une rebuffade. « Qu’avez-vous affaire de ce chien ?» Mais j’insistai.» Comment va Rab?» Cet homme se troubla et rougit. Passant la main à plusieurs reprises dans sa rousse chevelure : «Ma foi, monsieur, ''Rab'' est mort, me répondit-il. — Ah!... Et de quoi est-il mort? — Quand je dis qu’il est mort, reprit l’homme, c’est manière de parler... Le fait est qu’on l’a tué... Et, tenez, c’est moi qui ai fait son affaire... avec la fourche... On n’en pouvait rien tirer, voyez-vous !... Il était toujours à l’écurie avec la jument, et n’en voulait plus sortir! J’ai tâché de l’apprivoiser avec du caillé, avec de la viande, mais il ne voulait toucher à rien,... et il m’empêchait de faire manger ma bête,... toujours grognant, toujours me sautant après les jambes... Je ne me souciais pas de lui faire du mal,... il n’avait pas son pareil d’ici à Thornhill;... mais ma foi, monsieur, il a bien fallu en passer par là!...» Je ne doute pas que cet homme n’ait dit vrai. ''Rab'' est donc bien mort ; sa fin a couronné sa vie. N’ayant plus d’amis et plus de dents, fallait-il pas qu’il gardât la paix et observât toutes les règles de la civilité ?
 
 
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<small>(1) Bonnet écossais à l’usage exclusif des femmes mariées. </small><br />
<small> (2) ''Ailie, my woman, my own pretty''. Nous laissons à dessein subsister ces formules de tendresse dans le patois écossais, qui leur donne leur cachet ''historique''. </small><br />
 
 
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Que d’histoires n’aurais-je pas à vous raconter, si je ne craignais de vous retenir trop longtemps dans le chenil de mes réminiscences! Mais ni ''Jock'' l’écervelé, ni ''Duchie'' (la Petite-Duchesse), ni même ''Wasp''... Si fait cependant : ''Wasp'' aura sa place dans cette galerie. Je la lui dédie pour quelques raisons majeures. Et d’abord sa ressemblance avec une des plus belles cantatrices qui aient jamais paru sur la scène. Je ne l’ai jamais vue, dans ses extases d’amour maternel, couver d’un regard tendre et profond ses petits à peine nés et encore aveugles, sans me rappeler ''Lucrezia Borgia'' et Mlle Grisi arrêtée devant Gennaro endormi.
 
Il fallait voir ''Wasp'' lâchée dans Bowden Moor, et tantôt galopant le nez à terre, tantôt ramassée au bord de quelque fossé, les oreilles droites, couvrant l’espace de ses regards, comme une vedette embusquée, en alerte et animée d’intentions perverses. Docile pour ses maîtres, soupçonneuse et brusque envers l’étranger, elle n’avait pas un naturel querelleur, mais Polonius aurait été content d’elle, car, « une fois engagée dans une dispute,» ''Wasp'' se comportait de manière que ses antagonistes « prissent garde à elle <ref>(17) Allusion aux conseils donnés par le vieux Polonius a son fils Laërte. — ''Hamlet, Prince of Denmark'', acte Ier, scène III. </ref>.» Jamais elle ne fut vaincue, et je la vis même tuer sur place quelques-uns des rustres de son espèce qui se jetaient sur elle quand elle accompagnait son maître en tournée. En général elle se contentait d’un bon coup de dents qui les renvoyait gémissans et honteux; mais si cela ne suffisait pas, en deux temps l’affaire était faite.
 
Un jour qu’elle avait mis bas trois petits, l’un d’eux vint à décéder. Pendant quarante-huit heures consécutives, cette mère modèle se consacra tout entière à une résurrection impossible, le léchant, le retournant, le grondant, et, sauf les morsures, employant tous les moyens imaginables pour l’éveiller. Aux deux vivans elle ne prenait point garde, ne leur donnait pas à téter, les écartait d’elle avec ses dents, et, si on les eût laissés avec elle, les aurait à la longue immanquablement tués. Comme possédée, elle ne mangeait, ni ne buvait, ni ne dormait. Son lait la tourmentait, et ses souffrances de tout ordre l’avaient tellement surexcitée que personne n’aurait pu lui enlever le nouveau-mort.
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''Wasp'' nous avait été donnée par Hugh Miller, qui trouva moyen d’être à la fois journaliste, géologue et homme de génie. Il était de nos amis, et nous conta un jour l’histoire suivante. Il était resté dans son bureau de journal, un soir d’hiver, après le départ de ses employés. On frappa plusieurs coups de suite, avec une sorte d’impatience, à la porte du bureau. « Entrez! dit-il, et, regardant pardessus son épaule, il vit une petite fille en haillons, toute trempée de neige fondue. — Vous êtes Hugh Miller? — Oui. — Mary Duff vous demande. — Que veut Mary Duff? — Elle va mourir...» Un vague souvenir lui fit quitter à l’instant son travail, et bien abrité sous son ''plaid'', — ce ''plaid'' connu de tout Edimbourg, — son gourdin sous le bras, il suivit à grands pas l’enfant qui trottinait devant lui, et, longeant High-Street, le conduisit dans la Canongate. Chemin faisant, il avait retrouvé ce que sa mémoire avait à lui dire de Mary Duff, jolie jeune fille élevée chez des voisins de sa famille, à Cromarty. II l’avait rencontrée pour la dernière fois à la noce d’un de ses « frères» en maçonnerie, où il figurait comme garçon d’honneur et où elle était la ''best maid''. Il lui semblait revoir sa physionomie vive et sereine, exprimant l’insouciance et la gaîtèé son jupon court, ses allures coquettes, ses yeux noirs, et entendre sa langue agile qui distribuait la raillerie à tout venant.
 
La petite en haillons descendit au fond de la « cité <ref>(28) Nous employons le seul mot qui puisse donner à nos lecteurs l’idée d’un ''close'' d’Edimbourg, un carré de bâtimens entourant une cour commune. </ref>» et se mit à gravir un escalier extérieur, Hugh ayant quelque peine à marcher de conserve avec elle. Arrivée dans le couloir, elle étendit la main et s’assura qu’il la suivait. Il prit dans sa main robuste cette main frêle et sentit que le pouce manquait. Comme les chats cependant, elle trouvait sa route dans les ténèbres; elle ouvrit une porte, et disant : «La voici!» disparut en un clin d’œil. A la lueur d’un feu mourant, il vit alors, gisante en un coin du vaste galetas vide, une sorte de paquet de vêtemens féminins, et, quand il eut fait quelques pas de plus, démêla sous ce monceau de hardes un visage maigre et pâle et deux yeux noirs, brillans et désespérés, qui étaient levés sur lui. Ces yeux étaient bien ceux de Mary Duff; quant au reste des traits, ils étaient absolument méconnaissables. Elle pleurait en silence, le contemplant toujours. « Êtes-vous donc Mary Duff ? — Oui, Hugh, voilà tout ce qui reste de moi...» Puis elle voulut continuer, comme si elle avait quelque chose de très urgent à lui dire; mais les forces lui manquèrent. Voyant qu’elle était fort mal et qu’elle allait par ses efforts aggraver encore son état, il laissa tomber une demi-couronne dans sa main fiévreuse : «Je reviendrai demain sans faute,» lui dit-il en la quittant. Aucun des voisins ne put ou ne voulut lui donner sur elle le moindre renseignement. Ceux qui ne dormaient pas étaient de mauvaise humeur.
 
Quand il revint le matin suivant, la petite fille l’attendait sur le palier. — Elle est morte! lui dit cette enfant. — Il entra, et s’assura qu’elle disait vrai. Mary Duff gisait près du feu éteint. Sur son visage rasséréné, on retrouvait quelque chose de son ancienne physionomie. Hugh appela un voisin, et, déclarant qu’il se chargeait des funérailles, fit marché avec un ''undertaker''. On paraissait fort peu renseigné sur le compte de la pauvre déshéritée. Tout au plus savait-on que c’était une « perdue,» ou, pour parler comme le roi Salomon, « une étrangère,» — de celles dont il dit qu’elles sont « une fosse profonde, un puits de détresse <ref> (39) ''Proverbes'', XXIII, 27.</ref>.» — S’enivrait-elle? demanda Hugh. — De temps à autre, lui fut-il répondu.
 
Le jour des funérailles, un ou deux des résidens de la « cité» l’accompagnèrent au cimetière de la Canongate. Il remarqua une petite vieille, d’aspect décent, qui, les suivant à distance, semblait s’intéresser à la cérémonie, et cela bien que la matinée fût pluvieuse et froide. La fosse remplie, et pendant que les hommes de peine achevaient de régulariser le petit monticule funèbre, il vit que la vieille femme était restée. Elle vint alors à lui, et, avec une révérence : «Vous connaissiez cette fille, monsieur? — Oui, je l’ai connue autrefois, toute jeune...» Là-dessus la petite vieille fondit en larmes et raconta comme quoi elle tenait à la Closemooth un petit magasin où Mary venait s’approvisionner régulièrement.» Et, continua-t-elle, c’était une bonne paie ; aussi, me trouvant en arrière avec elle depuis tout un mois pour une demi-couronne, je la croyais morte...» Puis elle ajouta d’un air pénétré, d’une voix émue, que, le soir même où Mary avait mandé Hugh, et immédiatement après qu’il l’eut quittée, elle (la marchande) avait été réveillée par un bruit qui se faisait dans sa chambre. Alors, à la clarté du feu, « car nous sommes à notre aise, et rien ne nous manque,» prit-elle bien soin de dire au passage, — elle avait vu la pauvre moribonde s’avancer vers son lit ! — N’est-ce pas une demi-couronne? — Oui. — La voilà!... — Et, après avoir posé la pièce de monnaie sur l’oreiller, l’apparition nocturne s’était évanouie.
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E.-D. FORGUES.
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<small>(1) Allusion aux conseils donnés par le vieux Polonius a son fils Laërte. — ''Hamlet, Prince of Denmark'', acte Ier, scène III. </small><br />
<small>(2) Nous employons le seul mot qui puisse donner à nos lecteurs l’idée d’un ''close'' d’Edimbourg, un carré de bâtimens entourant une cour commune. </small><br />
<small> (3) ''Proverbes'', XXIII, 27.</small><br />
 
<references/>
 
E.-D. FORGUES.