« Monographie de la pomme de terre » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Annulation des modifications 1577606 de ThomasBot (discussion)
ThomasBot (discussion | contributions)
m Spedona: match
Ligne 4 :
 
 
 
==__MATCH__:[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/3]]==
<center><big>MONOGRAPHIE</big><br /> <small>DE</small><br />
'''<big><big><big>LA POMME DE TERRE</big></big></big>'''
Ligne 38 ⟶ 39 :
 
 
Jamais aucune question n'a plus sérieusement occupé l'attention générale, que la maladie dont les pommes de terre ont été frappées en 1845 ; jamais aucun des fléaux, qui de temps à autre déciment la pauvre humanité, n'a plus vivement exercé l'esprit et la verve des savants de tous pays ; jamais enfin aucun sujet n'a inspiré plus d'intérêtintérê
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/4]]==

==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/5]]==
t et de sollicitude aux chimistes, aux médecins, aux agriculteurs, aux botanistes, aux cultivateurs, aux micrographes, aux Académies, aux Sociétés savantes et aux Gouvernements eux-mêmes. Beaucoup de personnes ont parlé à ce sujet, mais la lumière est venue d'un
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/6]]==
petit nombre d'entre elles. Il est résulté de ce conflit une grande exagération du mal, dont l'apparition subite a effrayé d'abord, et la propagation d'idées mal fondées, qui n'ont pas peu contribué à augmenter les pertes.
 
De tous les présents faits à l'Europe par l'Amérique, aucun n'a eu une action plus puissante sur la civilisation que la pomme de terre, car l'espèce humaine s'est le plus rapidement multipliée dans les pays où ce précieux tubercule a presque entièrement remplacé les céréales dans la consommation des classes ouvrières. L'Irlande et la Grande-Bretagne sont des exemples frappants de cette imposante réalité. C'est donc avec raison que la maladie de 1845 a excité tant de sympathie de la part des divers Corps savants, et en particulier de la part de la Chambre Royale d'Agriculture et de Commerce de Savoie, qui a bien voulu me charger d'étudier cette grave question. J'ose croire que mon zèle et les résultats auxquels je suis parvenu, répondent à une mission aussi honorable, et je remercie la Chambre d'avoir jugé ce Mémoire digne de figurer dans ses Annales.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/7]]==
 
La maladie des pommes de terre envisagée sous le seul point de vue de la science, aurait offert un travail qui n'aurait pu être lu ou compris que par quelques spécialités. En la considérant, comme je l'ai fait, dans ses rapports statistiques et géographiques, dans sa nature, ses causes, son influence sur l'alimentation et les moyens d'y remédier ou de la prévenir ; en étudiant comparativement, et d'une manière pratique, les questions d'économie qui s'y rattachent, au nombre desquelles figurent les divers procédés de conservation, l'action, sur la germination, des agents employés à cet effet, la transmissibilité de la maladie des tubercules de semences aux tubercules de reproduction, e te. ; en faisant enfin connaître, sous forme d'extrait, les opinions et les travaux des principaux observateurs qui ont étudié le mal partout où il a sévi, j'ai formé ainsi une histoire générale qui pourra toujours être consultée avec fruit dans des circonstances analogues, et qui offrira aux générations futures le tableau fidèle de l'examen approfondi
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/8]]==
de toutes les phases qui ont précédé, accompagné et suivi cette singulière maladie.
 
Pour donner plus d'intérêt à cette histoire, je l'ai rattachée à l'étude complète de la pomme de terre que je publie aujourd'hui sous le titre de Monographie, formant elle-même trois Parties distinctes. La première est consacrée aux diverses questions relatives à la partie agricole de cette solanée ; on y trouve en outre des documents nouveaux sur sa culture hivernale, et des renseignements utiles pour les plantations de cette année ; la seconde Partie résume la maladie de 184S sous toutes ses faces ; la troisième enfin, tout industrielle, renferme la description des procédés à l'aide desquels on peut se procurer tous les produits que l'on peut obtenir de la pomme de terre saine et malade, tels que fécule, gomme, sirop, sucre, pain, aliments divers, etc.
 
Comme on le voit, cet ouvrage n'est pas seulement fait pour les savants ; il intéresse toutes les classes, et en particulier les agriculteurs et les propriétaires. Il renferme tous les éléments nécessaires, soit pour amélioreramé
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/9]]==
liorer et perfectionner la culture de cette plante précieuse, et en obtenir le meilleur résultat possible, soit pour tirer un parti très avantageux des tubercules, par leur conversion en produits industriels, les années où une abondante récolte en abaisse trop la valeur commerciale, ainsi que dans le cas où une maladie analogue à celle qui les a frappés naguères, viendrait à se montrer de nouveau.
 
Dans toute circonstance semblable, il faut prêcher par l'exemple ; la pratique seule porte la conviction dans les esprits. Pendant que des savants recommandables se contentaient d'annoncer, d'après leur simple manière de voir, que les pommes de terre malades pouvaient être mangées sans danger, le public n'était point satisfait, et l'on continuait chaque jour à abandonner sur le sol, ou à faire jeter à l'eau des quantités immenses de ce précieux tubercule qui auraient pu, tout au moins, fournir des masses de fécule ou d'eau-de-vie de qualité plus que médiocre ! Peu de jours après, je publie le même avis. Mon opinion, immédiatement transmise dans
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/10]]==
toute l'Europe par la voie de la presse, et confirmée successivement de tous côtés, rassure les masses en leur faisant connaître le véritable état des choses. Les tubercules altérés cessent aussitôt de devenir la proie des poissons, et servent dès lors, sans danger, à l'alimentation des hommes aussi bien qu'à celle des animaux, avec la seule précaution de les monder des parties gâtées !.. C'est que mon opinion,à moi, n'était pas seulement hypothétique ; basée sur des expériences ''entreprises sur moi-même ''(9 5), elle était la juste conséquence de résultats irrécusables. ''J'ai payé de ma personne,'' mais j'ai atteint mon but!.. Je crois donc n'avoir pas été seulement utile à mon pays, mais encore aux populations entières chez qui le même mal a sévi ; à ce titre seul, ne puis-je pas espérer de mes lecteurs indulgence et sympathie ?...
 
MONOGRAPHIE
 
DE
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/11]]==
 
LA POMME DE TERRE
Ligne 68 ⟶ 83 :
1<sup>re</sup> ÉPOQUE. — Importation de la Pomme de terre en Europe. - <br/> Préjugés qui en ont restreint si longtemps la culture.
 
Bien que l'emploi de la pomme de terre soit généralement répandu depuis un assez grand nombre d'années, on ignorait encore, il y a peu de temps, de quelle région précise
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/12]]==
d'Amérique elle fut originairement apportée, quelles contrées d'Europe l'accueillirent d'abord, et à quelle époque déterminée elle se répandit sur l'ancien continent. Si on eût négligé cette recherche pendant encore un siècle ou deux, on aurait certainement vu disparaître peu à peu les documents historiques de l'introduction d'un si précieux tubercule, et on se fût trouvé un jour dans l'impossibilité d'assigner ces époques à qui l'espèce humaine doit à juste titre le commencement d'une ère nouvelle.
 
Cette lacune, sur l'origine et l'époque de l'introduction des pommes de terre en Europe, n'existe plus aujourd'hui ; un savant naturaliste de Paris, M. Virey, peut revendiquer une bonne part de l'histoire d'une plante à l'étude et à l'examen de laquelle je consacre aujourd'hui ce modeste ouvrage.
 
La pomme de terre, originaire des contrées intertropicales du continent américain, doit son nom aux gros tubercules, plus ou moins arrondis ou allongés, que produisent ses racines. Elle croît spontanément depuis la Caroline jusqu'aux environs de Valpareiso, dans le Chili, où elle est généralement connue sous le nom de ''papas. ''Elle croît abondamment sur les Andes, à une hauteur de plus de trois mille cent vingt mètres au-dessus du niveau de la mer, et aux environs de Lima, au Pérou, à quatorze lieues de distance de la côte, où le célèbre Joseph Pavon, l'un des auteurs de la Flore Péruvienne, l'a retrouvée
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/13]]==
sauvage ou spontanée. Les Indiens la cultivent abondamment au Chili et au Pérou, pour leur subsistance ; elle se rencontre pareillement dans les forêts de Santa-Fè-de-Bogota, d'où nous viennent les bonnes espèces de quinquina.
 
Elle a été apportée, du Pérou, dans la province de ''Betanzos ''en Galice (péninsule espagnole), vers l'an 1530, où elle est devenue tellement indigène, qu'elle y peuple les vignes et les champs ; elle y est connue sous le nom de ''castana marina ''(châtaigne des bords de la mer), et y donne des tubercules fort petits, les uns doux, les autres très-amers, ceux-ci ronds, ou longs et blancs : ceux-là longs et rouges. Des échantillons envoyés et cultivés en France en 1826, ont fait connaître que ces tubercules poussent très-lentement ; les longs ont l'œil très-apparent, avec une raie égale à celle que peut former l'ongle sur la cire ; les ronds ont l'œil également apparent, mais dépourvu de raie. A la troisième culture, ils ne présentent plus aucune différence avec la parmentière, que celle du volume.
 
3. L'un des premiers auteurs connus qui ait parlé de la pomme de terre, est un Espagnol qui avait fait la guerre en Amérique à la suite des vainqueurs du Pérou. Pierre Cieca<ref>Chronique, Part. 1, Chap XL.</ref> décrit ainsi ce végétal : « Dans le voisinage de Quito. les habitants cultivent, outre
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/14]]==
le maïs, une espèce de plante de laquelle ils se nourrissent principalement ; ils la nomment ''papas: ''ce sont des racines à peu près semblables à des truffes, mais sans écorce ou enveloppe particulière, qui se mangent cuites comme les châtaignes. On les sèche au soleil pour les conserver, sous le nom de ''chumo. ''Plus tard Zarate, et ensuite Lopez de Gomara, prêtre espagnol, dans son ''Histoire générale des Indes, ''publiée en 1553, font également mention des ''papas'', nom généralement usité alors pour désigner la pomme de terre.
 
Cardan, qui recueillait toutes les notions répandues de son temps sur le Nouveau-Monde<ref>De rerum varietate, Lib. 1, Cap.3, p. 16, lre Edit. ; Basile, 1557, in-folio.</ref>, avait, dès 1557, connaissance des ''papas, ''qui donnent, disait-il, une nourriture substantielle nommée ''éïuno ; ''c'est, selon cet auteur, une sorte de truffe qui croît dans une région du Pérou nommée ''Collao ; ''des personnes qui en ont trafiqué dans le Potose, se sont fort enrichies avec cette seule racine. « La plante, dit Cardan, a paru semblable à l'argémone, espèce de pavot auquel Cieca, militaire peu instruit, l'avait assez mal à propos comparée. »
 
4.'' ''Joseph Acosta<ref>Histoire des Indes, Liv. 3, Chap. 20, et la traduct.n française.</ref> dit aussi que les Péruviens emploient, au lieu de pain, des racines séchées au soleil, nommées ''chunno ;'' on les mange fraîches, cuites,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/15]]==
ou grillées. « II y a, dit-il, un autre genre de ''papas ''qui, planté dans des terrains plus chauds, fournit une sorte de mets nommé ''locro''<ref>Histoire des Indes, Liv. 4, Chap. 17.</ref>. »
 
5. Le fait suivant a singulièrement contribué à faire croire pendant longtemps que la pomme de terre est due aux Anglais, et vient de leurs plus anciennes possessions d'Amérique. On lit en effet, dans presque tous les ouvrages sur l'économie rurale et la botanique, publiés au commencement de ce siècle, que la pomme de terre fut apportée vers la fin du seizième siècle, de la Virginie en Angleterre, par l'amiral sir Walther Raleigh, qui la présenta à la reine Elisabeth, et que de l'Irlande, où l'on essaya d'abord sa culture, elle passa dans le Lancashire, pour s'étendre ensuite dans le reste de l'Europe.
 
Il est vrai que sir Walther Raleigh avait voyagé en Virginie dès l'an 1584, mais, suivant tous les historiens cités par Miller dans son ''Dictionnaire des jardiniers,'' il n'en rapporta des pommes de terre que l'année 1628, et en 1629 selon Parkinson. Tout semble donc prouver que le nord de l'Amérique a fourni d'abord ce précieux tubercule ; et si les Anglais ont pu en rapporter chez eux, il est démontré qu'avant cette époque, la pomme de terre était déjà très-répandue dans le midi de l'Europe, et qu'elle est un des plus riches présents de l'Amérique méridionale,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/16]]==
où les premiers conquérants espagnols la trouvèrent. Il parait d'ailleurs certain, si l'on en croit le récit des auteurs espagnols, que l'immense population de l'empire d'Atabalipa et d'Huescar son frère, qui comprenait tout le Pérou, la Nouvelle-Grenade, le royaume de Quito, et s'étendait jusqu'au Chili, au Tucuman, se nourrissait uniquement de maïs et de pommes de terre ou ''papas. ''
 
6. Introduite en Espagne après la conquête du Pérou, la pomme de terre fut transportée presque aussitôt en Italie. Il est en effet tout naturel d'admettre que des guerriers qui revenaient d'Amérique fussent employés aux armées d'Italie à cette époque, et qu'ils y portassent la pomme de terre. Le botaniste Charles l'Ecluses (''Clusius}, ''d'Arras, qui publia, en 1631, une description très-exacte de cette racine, et appela sur elle l'attention des cultivateurs, comme devant offrir, un jour, une grande ressource à l'humanité, disait que ce tubercule était devenu si commun en quelques contrées d'Italie, qu'on en mangeait déjà habituellement avec de la chair de mouton, et qu'on en engraissait les porcs<ref>Rarior. Plant. Antw.</ref>. La plupart des Italiens ne savaient pas d'où venait cette plante, mais, ajoute l'Ecluses, il est certain qu'ils la tiennent des Espagnols et de l'Amérique. Toutefois le même botaniste est en doute si les anciens l'ont connue, et il pense
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/17]]==
qu'elle pourrait bien être l'''arachidna ''de Théophraste. Cortusus, autre botaniste, supposait aussi que c'était le ''pycnocomon ''de Dioscoride. Enfin ce ne fut qu'en 1590 que Gaspard Bauhin reçut de Scholtz un dessin colorié de la plante, qu'il reconnut être un ''solanum ; ''il décida de son introduction dans quelques cultures de l'Allemagne, de la Suisse, de la Souabe, des environs de Lyon, dans les montagnes des Vosges, etc., et Mathioli la décrivit ensuite dans ses ''Commentaires sur Dioscoride. ''
 
Ce fut donc surtout par l'Italie que les pommes de terre commencèrent à se répandre en Europe, vers le milieu du seizième siècle. Les Italiens les nommèrent ''tartuffoli, ''ou truffes de terre, d'où sont tirés les noms ''tartufflen ''des Allemands, preuve que ces derniers les ont reçues de l'Italie.
Ligne 92 ⟶ 119 :
7. Vers la fin du seizième siècle, la pomme de terre commença à être cultivée dans les Pays-Bas, la Franche-Comté et la Bourgogne, tandis qu'elle l'a été plus tard partout ailleurs. excepté en Irlande, où elle avait été portée directement des côtes de la Galice, suivant quelques historiens espagnols.
 
Si l'on en croit un auteur anglais, Holt's, le capitaine Hawekins, qui venait de Santa-Fè, en 1565, rapporta en Irlande des ''potatoe ''qu'il aurait prises, suivant d'autres écrivains, en Virginie, où la pomme de terre croissait dans Un sol bas et humide, et où les naturels la nommaient ''openauk, ''au rapport de
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/18]]==
Thomas Henriot et d'autres Anglais. Cependant tous croient que ce marin n'apporta point sous ce nom la véritable pomme de terre, mais bien la ''patate ''des Espagnols, ou le ''convolvulus batatas ''dont il est question à cette époque dans la ''Collection des voyages ''d'Haklugt. S'il s'agissait réellement ici de la pomme de terre, Hawekins serait sans doute l'un des premiers auteurs de son introduction en Europe ; mais ce fait est au moins problématique.
 
8. En résumant les données qui précèdent, on voit que la pomme de terre a d'abord été apportée des régions équatoriales, et de la chaîne des Andes de l'Amérique méridionale, peu après la conquête du Pérou par les Espagnols ; que ces derniers l'ont propagée en Italie et dans leurs possessions d'Europe, avant les Anglais et vers le milieu du seizième siècle ; que cette plante s'est aussi répandue dans l'Allemagne dès le temps de la domination de Charles-Quint ; qu'elle paraît même avoir été introduite en Irlande par l'Espagne, et qu'enfin, si elle a aussi été transportée de la Virginie en Angleterre, puis, de là, dans le nord de la France et de l'Europe, elle n'a dû être cultivée que plus tard dans ces dernières contrées.
 
2<sup>e</sup> É
2<sup>e</sup> ÉPOQUE. — Parmentier fait adopter en France la culture de la pomme de terre, et ouvre ainsi une ère nouvelle à l'agriculture.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/19]]==
2<sup>e</sup> ÉPOQUEPOQUE. — Parmentier fait adopter en France la culture de la pomme de terre, et ouvre ainsi une ère nouvelle à l'agriculture.
 
9. Pendant un siècle entier on dédaigna la pomme de terre, on la repoussa par tous les moyens imaginables, et sa culture était rejetée dans la plus grande partie de la France. Des préjugés qu'on ne saurait qualifier, empêchèrent longtemps de l'apprécier à sa juste valeur ; c'était pour beaucoup un aliment dangereux, ou au moins grossier, à peine bon pour les bestiaux, et qui finit par être accusé de contenir le plus actif de tous les poisons fournis par la famille des solanées. Cependant quelques propriétaires ruraux tentèrent de la cultiver en grand dès l'année 1718, mais ils ne poursuivirent point une entreprise aussi utile. Cinquante ans plus tard, on la vit paraître sur certaines tables où on la confondait avec la patate des Antilles et le topinambour du Brésil. Les paysans de l'Apennin se nourrissaient déjà bien antérieurement de ses tubercules cuits avec la viande de porc ou de mouton, que le reste de l'Europe les réservait encore à l'engraissement des bestiaux.
 
10. Les choses en étaient là vers la fin du siècle dernier, lorsque Parmentier commença une suite de
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/20]]==
travaux théoriques et pratiques pour ramener à la culture de la pomme de terre. Par l'examen chimique qu'il fit de cette plante, il démontra que l'homme peut trouver un aliment délicat dans la fécule qu'elle fournit ; il établit, par des expériences, qu'elle n'appauvrit point la terre, comme on le supposait ; d'où il reste prouvé que la pomme de terre est la première ressource de nos richesses agricoles, et qu'elle est un préservatif assuré contre ces disettes affreuses qui, de loin en loin, ont ravagé tant de pays, la France en particulier.
 
« En 1788, la pomme de terre se fit jour dans les cultures du nord de la France, et dans quelques uns des départements voisins des rives du Rhin et situés à l'est. Parmentier se met à la tête de ce «mouvement, qu'il sollicite depuis 1778 ; il brave les préjugés, il combat pied à pied les sophismes de l'obstination, il méprise les obstacles de tout genre que la sottise et la calomnie lui opposent de toute part ; il met en jeu les ruses les plus enfantines pour exciter la curiosité ; il fait des plantations en grand dans les plaines des Sablons et de Grenelle ; il obtient que le jour elles soient gardées par de nombreux soldats, et comme ceux-ci s'abstiennent du service pendant la nuit, on vole les tubercules, chacun est fier d'en posséder, chacun s'empresse de les cultiver secrètement, et cependant les 28 hectares, pris au hasard dans ces vastes
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/21]]==
plaines, alors incultes, qu'aucun engrais n'est venu animer, donnent encore à l'automne suivant des milliers de sacs de tubercules précieux, presque aussi substantiels que le pain du plus pur froment. On commence à se persuader de l'importance des généreux efforts de Parmentier ; les calamités de l'année 1786, en entraînant la perte des fourrages, et par suite la mortalité des bestiaux, en déterminant la moucheture des blés, ''et ''en réduisant le produit des récoltes au tiers dans un grand nombre de cantons, achèvent l'œuvre, et complètent le triomphe de cette solanée. (Dict. d'hist. nat., 1889, t. 8, p. 303.)
 
11. Grâce à ces efforts noblement encouragés par Louis XVI, qui daigna accepter de Parmentier un bouquet composé des fleurs de la pomme de terre, tout le monde fut bientôt convaincu des avantages de cette culture. Les résultats obtenus par ce savant agronome furent si universellement accueillis, que François de Neufchâteau, ministre de l'intérieur en 1797, proposa de substituer au nom de cette solanée, celui de ''parmentière. ''Qu'il est digne du souvenir de ses semblables, celui qui donna la santé et l'aisance à des milliers de malheureux destinés à mourir de faim ou de misère ! Ce qui distingua surtout ce savant désintéressé, c'est son infatigable persévérance à poursuivre ses recherches au milieu des obstacles suscités par les préjugés. Que n'a-t-il pas fait pour
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/22]]==
détruire cette fausse idée, que l'usage de la pomme de terre était pernicieux et causait des maladies graves, et que sa culture avait pour résultat d'appauvrir le terrain fatigué par la production de ce tubercule? « L'influence, dit-il, des préjugés et de la routine sur l'opinion des habitants de la campagne, ne doit pas faire abandonner le projet de les instruire, quand on s'intéresse à leur bonheur. Dans la multitude innombrable des plantes qui couvrent la surface sèche et la surface humide du globe, il n'en est point, en effet, après le froment, l'orge et le riz, de plus digne de nos soins et de nos hommages que celle de la pomme de terre, sous quelque point de vue qu'on l'envisage. Elle prospère dans les deux continents ; sa récolte ne manque presque jamais ; elle ne craint aucun des accidents qui anéantissent en un clin d'œil le produit de nos moissons : c'est bien, de toutes les productions des deux Indes, celle dont l'Europe doit bénir le plus l'acquisition. Quand on réfléchit que la plus grande fertilité du sol et l'industrie du cultivateur ne sauraient mettre le meilleur pays à l'abri de la famine, et que les pommes de terre, qui se développent avec sûreté dans l'intérieur du sol, peuvent devenir un remède contre la disette accidentelle des grains que la gelée, les orages, la grêle et les vents ravagent à la surface, et donner, sans aucun apprêt, une nourriture aussi simple que commode,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/23]]==
on a droit d'être étonné, formalisé même, de l'indifférence qui règne encore... Un jour viendra, et il n'est pas éloigné, qu'après avoir été avilie, calomniée, la plante acquerra l'estime générale, et occupera la place de productions incertaines, dont le résultat, estimé au plus haut degré, n'a jamais compensé les frais et les soins qu'elles ont coûtés. »
 
12. Les prévisions de l'habile agronome de Montdidier se sont réalisées. La pomme de terre a pris rang aujourd'hui, non-seulement parmi les aliments les plus nourrissants, les plus précieux pour la classe pauvre, mais encore parmi les plantes les plus utiles en tout point. « Nul doute, dit M. Virey<ref>Journal de Pharmacie, Tome 1, p. 157.</ref>, que si les guerres sanglantes de la révolution française, les intempéries des saisons récemment éprouvées, se fussent présentées quelques siècles plus tôt, l'Europe eût vu ses nations décimées par d'horribles disettes. Qui a donc écarté une grande partie de ces fléaux ? uniquement la pomme de terre, qui est, comme une moisson souterraine, préservée par la nature contre les tempêtes et les calamités du ciel. — Ainsi, multiplier les subsistances, c'est multiplier la matière vivante, les hommes, les bestiaux ; c'est doubler en force chaque état, en rendant son sol plus productif ; et il est évident qu'en peu de
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/24]]==
siècles, l'Europe accrue par ces moyens, deviendra beaucoup plus populeuse qu'elle ne l'a jamais pu être, et que, seule alors, elle sera bientôt en mesure, soit de résister au reste de l'univers, soit de le conquérir. Il faudra donc nécessairement que l'industrie et la civilisation s'accroissent à un état inconnu jusqu'à présent dans les annales du monde, et débordent sur tout le globe, par la propagation seule de ce tubercule nourrissant. »
 
'''Chapitre deuxième'''
Ligne 114 ⟶ 155 :
Article 1<sup>er</sup> — '''Partie Botanique.'''
 
13. La pomme de terre ''(Solanum tuberosum. ''L., Spec. plantar., 284 ; ''S. esculentum, Neck. ;S.parmentieri'', Moll. ; ''Lycopersicum tuberosum, ''Mill.) fait partie de la famille des Solanaceae ''Bartl.'', ou Solanées, dont l'aspect généralement triste et sombre, semble avertir du danger qu'il y a à faire usage, surtout intérieurement, de la plupart d'entre elles, telles que la ''Jusquiame, ''la'' Belladone, ''la ''Mandragore, ''le ''Datura, ''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/25]]==
le ''Tabac'', etc. Désignée encore sous les noms de ''Parmentière, Morelle parmentière, Patate des jardins, Solanée parmentière, ''etc. ; elle a été appelée ''Openawk ''par les naturels de la Virginie, ''Apichu ''par les Péruviens, ''Papas ''au Chili, ''Batatas ''aux Tropiques, ''Patata ''par les Espagnols, les Portugais et les Anglais, ''Aardappel ''par les Hollandais, ''Jordœble ''par les Danois, ''Jordpaeron ''par les Suédois, ''Ziemme ''et ''Jabko ''par les Polonais, ''Semlenaia ''et ''Jagod ''par les Russes, ''Kartoffel ''et ''Erdappel ''par les Suisses, ''Pomo di terra, Tartufole ''et ''Patata ''par les Italiens, etc., etc.
 
Elle présente une tige herbacée, anguleuse, creuse, haute de 35 à 90 centimètres (1 à 3 pieds) ; ses feuilles sont pinnées et décurrentes, à folioles ovales, entières et velues en dessous. Sur des pédoncles droits et velus, elle porte des fleurs en corymbe, à corolle en roue, anthères presque réunies, et présentant au sommet deux ouvertures ; ces fleurs sont ou blanches, ou d'un blanc gris entremêlé de rouge, ou violettes selon les variétés. Ses racines sont longues, fibreuses, garnies ça et là de gros tubercules charnus, allongés ou arrondis. Le fruit est une baie biloculaire, de forme ronde, gros à peu près comme une prune, de couleur violette, foncée, et divisée intérieurement en deux ou plusieurs loges qui contiennent plusieurs graines enveloppées dans une pulpe.
 
Article 2°. — '''Variétés.'''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/26]]==
Variétés.'''
 
14. Les caractères qui distinguent chaque variété de pommes de terre sont tellement fugaces et insaisissables, que le botaniste et le phytographe ne sauraient donner pour chacune un signalement reposant sur des bases que la culture ou le climat ne puissent modifier. Aussi, depuis qu'on a eu recours à la voie des semis pour renouveler et multiplier les pommes de terre, le nombre des variétés s'est accru à un tel point, qu'une classification complète est désormais illusoire. Quoi qu'il en soit, les unes sont blanches ou jaunes, les autres, rouges ou violettes, mais toutes bien distinctes, puisque, rondes, longues ou plates, elles se reproduisent chacune avec ses caractères propres.
Ligne 126 ⟶ 171 :
Les principales variétés ou races cultivées aujourd'hui en France sont les suivantes :
 
''A. ''La ''truffe d'août, ''rouge pâle. — C'est une des plus recommandables sous le rapport de la précocité et de ses qualités comestibles. Les tubercules sont
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/27]]==
ronds, et les yeux logés dans des cavités profondes, sans qu'il y ait cependant de protubérances à la surface. Cultivée dans des lieux abrités, elle peut, sous le climat de Paris, fournir déjà à la fin de mai, des tubercules mangeables, quoique non complètement mûrs. — II y a aussi une ''truffe d'août ''qui est jaune, et que l'on cultive surtout en Savoie (16).
 
''B. ''La ''schaw ''ou ''chave, ''jaune ronde. Excellente, plus productive que la précédente, et plus hâtive d'environ quinze jours.
Ligne 138 ⟶ 185 :
''F. ''La ''patraque jaune. ''— Très amilacée et très productive ; employée pour les fabriques de fécule. Tubercules gros, irréguliers, yeux enfoncés dans des cavités profondes.
 
''
''G. ''La ''patraque rouge. ''Tubercules très gros. Très propre aux terres humides.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/28]]==
''G. ''La ''patraque rouge. ''Tubercules très gros. Très propre aux terres humides.
 
''H. ''La ''hollande jaune ''ou ''cornichon jaune. ''— Peau fine. Tubercules allongés, aplatis, très lisses ; yeux rares à la superficie.
Ligne 153 ⟶ 202 :
 
15. En Piémont, où la pomme de terre est peu cultivée, on s'attache surtout aux variétés qui suivent<ref>Mém. du professeur Dominique Melano, Annali della Reale Società agraria, vol. 1 ; 1840.</ref>.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/29]]==
 
1° La pomme de terre ''précoce de Savoie. ''— Tubercules presque ronds, de grosseur moyenne ; couleur violette à l'extérieur, jaunâtre à l'intérieur.
Ligne 168 ⟶ 218 :
'''3° Pommes de terre cultivées en Savoie.'''
 
16. Suivant M. Dupont, l'un des plus habiles agronomes de ce duché, et à l'obligeance de qui je dois plusieurs renseignements utiles, la culture de la pomme de terre en Savoie varie dans ses procédés,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/30]]==
comme dans la qualité des semences, selon que les idées sont plus avancées et que la coutume a cédé aux leçons de l'expérience. — Dans les montagnes, on trouve encore la ''grosse blanche ''commune que, dans les collines et les plaines, on ne cultive plus que pour le bétail ; cette pomme de terre est d'une grande vigueur et d'un produit considérable. Elle a été remplacée par la ''jaune ''pour la nourriture de l'homme, et si cette dernière est moins productive, elle est plus farineuse et de meilleure qualité. On en connaît plusieurs races différentes, mais qui ne possèdent aucun nom qui puisse les faire distinguer entre elles. Depuis bien longtemps, la ''schawienne ''à chair jaune, compacte et à peau écailleuse, est la plus répandue (14. ''B.)''. Une nouvelle variété de ce genre, introduite en Savoie depuis cinq ou six ans à peine, est connue sous le nom de patraque jaune (14. ''F.)'' ; c'est certainement la meilleure, la plus productive et la plus hâtive de toutes. Ses produits naissent ramassés en groupes, au lieu de s'étaler, et sont d'une extrême délicatesse ; malheureusement elle est peu répandue. Quant aux cultures de détail, qu'on peut appeler de ''luxe ''ou de ''primeur, ''on sème la ''naine hâtive rouge ''ou ''quarantaine ;'' la ''violette ''qui lui succède ; la ''petite jaune ''ou ''truffe d'août, ''et enfin la ''grosse rouge ''employée pour les fritures seulement (14''. G''.). Cette dernière est très aqueuse et d'un grand produit. Pour la table, on
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/31]]==
cultive encore la jaune ''longue de Hollande ''(14.'' H.'') et la ''châtaigne Saint-Ville ''qui, comme celle-ci, est longue, jaune et aplatie, mais bien supérieure en finesse et en produits ; enfin ''la petite rouge, ''également longue, à chair sèche, et appelée ''vitelotte, ''et la ''Marjolain (''14.'' J.)''.
 
Je ne chercherai pas à multiplier davantage ce tableau, ce qui n'aurait d'ailleurs qu'un intérêt secondaire pour le cultivateur ; mais je crois à propos de mentionner ici quelques races étrangères, comme possédant des qualités particulières, et indiquées par les peuples qui se sont acquis une juste célébrité dans la culture de la pomme de terre.
Ligne 182 ⟶ 236 :
3° La ''corne bleue. ''— Fécule bleue, passant au violet par la cuisson.
 
'''
'''5° Pommes de terre néerlandaises.'''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/32]]==
'''5° Pommes de terre néerlandaises.'''
 
1° ''La jaune d'août'' (jemmapes). — Tubercules oblongs. — Très hâtive ; se cultive bien en seconde récolte.
Ligne 202 ⟶ 258 :
On cultive en Suisse une pomme de terre dite ''de Bohan,'' découverte par le prince de ce nom, près Genève. Les qualités de cette variété ne paraissent pas très bonnes, mais elle produit immensément. Ses tiges atteignent jusqu'à plus de deux mètres d'élévation, et ont besoin d'être soutenues.
 
18. Le choix et la convenance des variétés sont encore subordonnés aux circonstances dans lesquelles on se trouve. En général, les bons agriculteurs
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/33]]==
suivent les principes suivants : 1° dans les terrains argileux, préférer les variétés hâtives et dont les racines s'étendent peu ; 2° dans les terres sablonneuses et chaudes, cultiver les variétés tardives et dont les tubercules descendent à une grande profondeur ; 3° dans les marais froids, on cultivera les variétés hâtives et dont les tubercules iront chercher leur nourriture à une grande distance ; ''4° ''pour la consommation des villes, on peut cultiver des variétés peu productives à la vérité, mais qui, en raison de leurs qualités pour les apprêts culinaires, atteignent un prix élevé. Elles seront hâtives, leur périphérie sera lisse, sans anfractuosités, afin qu'on puisse les peler sans déchet considérable et sans perdre beaucoup de temps.
 
Une raison économique qui domine toutes les autres dans le choix des variétés de pommes de terre destinées à la grande culture, c'est l'abondance du produit et la rusticité. Les innombrables variétés cultivées dans les jardins ne peuvent lutter, à cet égard, contre les variétés assez peu nombreuses cultivées dans les champs pour le bétail ou l'industrie ; et, dût-on, dans une année malheureuse comme 1845, voir la récolte d'une variété très abondante plus fortement attaquée que celle d'une variété moins productive habituellement, il faudrait encore donner la préférence à la première.
 
Toutefois, comme il existe heureusement des variétés suffisamment
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/34]]==
productives, telles que la ''shaw'', ''la. patraque jaune ''et la ''tardive d'Irlande, ''etc., dont la maturité s'accomplit en trois saisons très différentes, les cultivateurs feraient bien de choisir ainsi trois variétés de première, seconde et troisième saison, au lieu de se borner à la culture d'une seule variété. De cette manière, chacune des variétés présentant un degré différent de maturation quand viendraient à éclater des influences atmosphériques nuisibles, on aurait plus de chances de voir une partie notable de la récolte échapper à ces influences.
 
<center>'''Chapitre troisième'''
Ligne 214 ⟶ 274 :
Article 1<sup>er</sup>'''.— Nature du sol'''.</center>
 
18. La pomme de terre se propage avec la plus grande facilité, dans tous les pays, à toutes les expositions. Il s'en faut cependant de beaucoup que tous
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/35]]==
les terrains permettent de la cultiver avec le même avantage. Cette plante produit d'abord des tubercules qui n'ont qu'une très petite dimension, et sont très mous. Si, dès leur formation, ils rencontrent une terre dure, sèche, imperméable aux influences atmosphériques, leur accroissement est contrarié, ils se difforment. Il faut donc placer les pommes de terre dans un champ qui soit assez poreux pour permettre aux produits de se multiplier et de se développer. Une humidité surabondante est encore plus nuisible aux pommes de terre que la sécheresse. Dans ce dernier cas, la récolte peut être quelquefois réduite à fort peu de chose, il est vrai ; mais dans un sol où l'eau demeure stagnante, les pommes de terre qui ne sont point pourries se conservent avec beaucoup de peine. La surabondance d'humidité dépend souvent du sous-sol plutôt que du sol lui-même ; on devra donc avoir égard, non-seulement à la superficie, mais encore aux couches adjacentes.
 
En général, les terres compactes et argileuses conviennent peu aux pommes de terre, qui se plaisent surtout dans les sols siliceux ou sablonneux, profonds, parfaitement perméables et frais sans être humides. Elles veulent, avant tout, un milieu meuble, où leurs tubercules se développent à l'aise. Les terrains pierreux, et surtout ceux qui contiennent beaucoup de fragments schisteux, leur sont peu propres d'ordinaire ; ceux qui renferment des cailloux roulés en produisent qui sont fort estimées par leur saveur.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/36]]==
roulés en produisent qui sont fort estimées par leur saveur.
 
Les imperfections du mode de culture employé dans diverses localités, en augmentant l'effet désastreux de la température excessivement humide de 1845 paraissent avoir exercé une influence incontestable sur la gravité du mal dont on s'est plaint. L'observation a démontré cette année que les cultures qui se trouvaient dans des conditions les plus favorables de sol et de préparation, avaient notablement moins souffert que celles qui étaient dans des circonstances contraires ; mais comme il n'est pas possible de consacrer partout à la pomme de terre le sol léger qu'elle préfère, on devra au moins s'attacher, avec plus de soin que par le passé, à donner aux autres natures de terre auxquelles on sera forcé de la confier, une préparation assez parfaite pour leur communiquer cet assainissement et cet ameublement, qui favoriseraient l'absorption ou l'évaporation de l'excès d'humidité qui a détruit cette année une partie de la récolte. Il faut surtout labourer profondément, afin de permettre aux racines de se développer aisément ; on facilite ainsi l'infiltration des eaux, et les tubercules ne sont pas altérés par un excès d'humidité. Ces façons préparatoires devront être d'autant plus minutieuses et soignées, que l'on aura à faire à des terres plus fortes et plus compactes, argileuses ou calcaires. Si quelques-unes de ces terres ne pouvaient êtreê
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/37]]==
tre amenées, à cet égard, à la perfection de préparation et d'accroissement désirables, il serait préférable, du moins pour les grandes exploitations, d'y substituer la culture de la betterave, du rutabaga (chou de Laponie, chou-navet jaune), des choux, des féveroles, etc., à celle de la pomme de terre. L'expérience de 1845 démontre, d'une manière bien fâcheuse, qu'il est une limite au-delà de laquelle on ne peut pas compter sur la rusticité des pommes de terre, sans s'exposer aux plus graves mécomptes.
 
Parmi les divers procédés proposés pour la culture des pommes de terre, M. le comte Marin, habile agronome, propose le suivant comme offrant à la fois le plus d'économie et les plus belles récoltes. « En automne, on laboure le plus profondément possible, avec une forte charrue, ou mieux encore avec la pelle, les vieux prés naturels ou artificiels qu'on veut détruire ou renouveler. On sacrifie la seconde coupe ou refoin, que l'on enfouit. En mars ou avril, on plante, au cordeau, les tubercules entiers, en les enfonçant de deux à trois pouces, et à vingt ou vingt-quatre pouces de distance. Des femmes ou des enfants peuvent faire cette plantation, qui n'exige aucun labour nouveau ; afin de ne pas remuer le gazon, qui n'est pas entièrement décomposé, on se borne à de très petits creux faits avec la bêche ou le plantoir. Peu avant que la pomme de terre paraisse, on donne, à plusieurs reprises et à divers
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/38]]==
sens, un sarclage avec la herse fortement chargée. Ce seul travail rapide, exécuté presque sans frais, en quelques heures, sur une grande surface, suffit pour détruire toutes les mauvaises herbes<ref>Voyez les Annales de la Chambre Royale d'Agriculture et de Commerce de Savoie, tome 1, pag. 375,Mémoire sur la culture de la pomme de terre, par M. le comte Marin, secrétaire perpétuel de ladite Chambre.</ref>. »
 
Article 2. — '''Place dans la rotation.'''
Ligne 226 ⟶ 294 :
19. Les agronomes les plus distingués s'accordent tous à dire que si les idées d'assolement et d'alternat économique des récoltes étaient plus répandues qu'elles ne le sont généralement en France, la pomme de terre, beaucoup plus et beaucoup mieux cultivée, y donnerait des produits tellement abondants, partout où sa culture est profitable, que les pertes signalées en 1845 pourraient passer inaperçues. Personne n'ignore, en effet, qu'une surface donnée de terrain rapporte deux fois plus quand le sol a été bien préparé, qu'une égale surface du même terrain auquel on n'aura fait subir qu'une préparation médiocre ou insuffisante.
 
Loin de faire de la pomme de terre une culture préparatoire sur laquelle on concentre les fumures, le défoncement
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/39]]==
et les façons d'ameublissement qui doivent profiter à toute une rotation, on la place au hasard sur des terres à peine labourées, et que souvent l'on ne fume même pas : ici, sur un défrichement tout couvert de mottes et de gazons ; là, sur un trèfle rompu ; quelquefois encore après un blé mal fumé, comme préparation, sans nouvel engrais, à une céréale de printemps ; et plus souvent, enfin, après deux céréales qui ont complètement épuisé et sali le sol, comme récolte jachère faite sur un seul mauvais labour, en planches bombées, qui ne laissent point assez de terre végétale sur leur épaulement, et qu'en tout cas on se garde bien de fumer.
 
Quelques agriculteurs ont attribué aux pommes de terre une très grande propriété épuisante. Schwertz les met dans la catégorie des plantes qui appauvrissent le sol ; Thaer est de cette opinion. Parmentier et Victor Yvart sont d'un sentiment opposé, qu'ils étayent par le raisonnement et les faits.
 
Entre des opinions si diverses, écoutons celles d'un auteur qui était placé à même de distinguer les causes de ces contradictions apparentes : « La meilleure récolte de pommes de terre, dit-il, n'épuise pas plus la matière organique assimilable aux plantes, que la plus riche production de froment, de seigle, d'orge ou d'avoine. Si on donne un libre accès à l'humidité, la récolte la plus abondante de pommes de terre épuise moins le vieil humus que les céréales, et, sur une fumure fraîche,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/40]]==
les éléments de fertilité et l'ancienne force ne sont pas assimilés en aussi grande proportion qu'après une récolte de céréales. La déperdition de matière organique pour le même poids de pommes de terre est d'autant plus grande que les tubercules contiennent plus de matière féculente, et d'autant moindre que les parties constituantes de la récolte sont plus aqueuses ».
 
Voilà pour ''l'action chimique ''que les pommes de terre exercent sur le sol ; l'''action mécanique ''a également les résultats les plus avantageux au succès des récoltes ultérieures. Les tubercules, en grossissant, soulèvent la terre intérieurement, en écartent les molécules ; leur extraction ne peut avoir lieu sans remuer le sol à une grande profondeur ; les façons qu'on leur prodigue ameublissent la surface et détruisent les mauvaises herbes ; le feuillage abondant qu'elles produisent couvre le sol et empêche l'évaporation. La récolte étant une opération assez longue, il arrive que lorsqu'on cultive beaucoup de pommes de terre, on fait bien de ne point leur faire succéder des froments d'hiver ou du seigle, mais des plantes qui se sèment au printemps, comme du froment de mars, de l'orge, de l'avoine. Telle est la pratique des meilleurs cultivateurs en France, en Angleterre et en Allemagne. Dans ce dernier pays, les cultivateurs qui n'ont pu renoncer entièrement au déplorable assolement triennal, l'ont changé de manière à suivre le
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/41]]==
cours suivant, dont on reconnaît chaque jour l'avantage : première année, pommes de terre fumées, en place de jachère ; deuxième année, orge au printemps avec trèfle ; troisième année, trèfle ; quatrième année, trèfle en place de la jachère (une coupe) ; cinquième année, froment d'hiver ; sixième, avoine. — En Savoie, l'on suit généralement l'assolement quinquennal qui suit : 1° pommes de terre ou autre récolte sarclée, telle que maïs, betteraves, colza ; 2° froment et trèfle dedans ; 3° trèfle ; 4° froment d'hiver ; 5° seigle, et la même année blé noir ou sarrasin.
 
M. Ract, l'un des secrétaires du Comice de Chambéry, et qui s'occupe avec succès d'agriculture, conseille de modifier ainsi cet assolement. Lorsque les pommes de terre sont récoltées tard, le trop grand ameublissement dans lequel elles laissent le sol qui n'a pas le temps de se raffermir, nuit à la récolte du froment qui doit suivre. M. Ract pense alors qu'il est préférable de semer de l'orge au printemps, avec trèfles, dont la réussite est certaine ; et, dans le cas où le cultivateur s'opiniâtrerait à vouloir du froment, il croit qu'il vaut mieux le répandre sur le sol après l'arrachement des pommes de terre, et l'enterrer avec l'extirpateur ou la herse, sans le secours de la charrue, pour éviter une plus grande division du sol. M. Ract pense encore que, dans beaucoup de cas, il vaudrait mieux n'avoir, dans notre pays, qu'une rotation de quatre ans. Toutefois, si l'on veut obtenir encore une
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/42]]==
récolte de méteil ou seigle, le même agronome conseille d'opérer de la manière suivante : dans la quatrième année, immédiatement après la moisson, labourer et herser le champ avec beaucoup de soin ; puis, répandre de la graine de colza on toute autre destinée à être enfouie en vert. Ce travail, selon M. Ract, est une très bonne préparation pour la récolte qui doit suivre, et l'enfouissement du colza, un excellent engrais.
 
M. le comte Marin, secrétaire perpétuel de la Chambre de Commerce, a adopté dans ses vastes et belles propriétés de la Motte, l'assolement suivant, qu'il regarde comme supérieur à tout autre : 1° pommes de terre bien fumées ; 2° maïs ; 3° froment ; 4° trèfles dans le froment ; 5° froment ; 6° trèfles. —Disons que la nature du sol et autres circonstances analogues, rendent suffisamment compte de la différence qui existe relativement aux divers modes d'assolements que nous venons de citer.
 
Comme l'écobuage rend soluble une grande proportion d'éléments de fécondité, les céréales y poussent en paille, mais donnent peu de grains ; c'est donc la pomme de terre qu'il faut préférer dans cette dernière circonstance. Cette considération s'applique également à la culture des terrains tourbeux qu'on a écobués ou chaulés, car la pomme de terre doit toujours commencer les nouvelles rotations, et cela, parce qu'elle doit être considérée, moins pour son
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/43]]==
propre produit que comme un moyen lucratif et commode de nettoyer, d'ameublir et de bien amender, par le mélange intime et répété d'une masse considérable d'engrais, une couche de terre d'une grande profondeur. C'est dans ce but qu'on doit toujours placer cette plante précieuse en tête de la rotation, comme remplacement de la jachère, mais à la condition de donner une fumure abondante et toutes les façons nécessaires pour assurer le succès d'une céréale de printemps, d'une prairie artificielle semée dans cette céréale, et d'une troisième récolte au moins, soit de colza, soit de céréale d'automne, prise sur la prairie artificielle rompue. Dans tous les cas, si l'écobuage est quelquefois utile, c'est dans les fonds humides, tenaces, argileux, dont les molécules, fortement adhérentes, ne peuvent être divisées et défrichées que par ce moyen violent, ou dans des sols infectés de mauvaises herbes qu'on ne peut détruire. 20. La pomme de terre est-elle antipathique avec elle-même, comme l'ont avancé quelques botanistes cultivateurs? M. Antoine de Roville nous apprend que dans la plaine que baigne la Moselle depuis Epinal jusqu'à Metz, on suit, de temps immémorial, l'assolement biennal : i° pommes de terre ; 2° seigle. On trouve même, dans quelques parties, des terres qui reçoivent tous les ans un ensemencement en pommes de terre, sans que le produit diminue pour cela. Schwertz rapporte à cet égard des faits très concluants:
 
« II
« II résulte, dit-il, des observations qui m'ont été communiquées en Alsace, que la pomme de terre ne se repousse pas, lorsqu'elle est cultivée sur un terrain convenable. On m'a montré un champ qui en avait toujours porté de deux ans l'un. Ailleurs, on en met quatre en six ans consécutifs sur le même sol, sans que l'on aperçoive aucune diminution dans le produit. On cite des champs qui ont donné six récoltes successives de pommes de terre, avec une seule fumure, et cette série de récoltes fut suivie par un ensemencement en orge, dont le produit fut très considérable. Dans un autre endroit, je vis un champ qui, dans l'espace de ''vingt ans'', avait donné une fois de l'orge et dix-neuf fois des pommes de terre. On cite, dans le Wurtemberg, un propriétaire qui, ''trente-deux armées de suite, ''avait cultivé les pommes de terre sur le même champ, en fumant tous les ans. Mais à la fin, les tubercules n'étaient pas plus gros que des noix. »
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/44]]==
« II résulte, dit-il, des observations qui m'ont été communiquées en Alsace, que la pomme de terre ne se repousse pas, lorsqu'elle est cultivée sur un terrain convenable. On m'a montré un champ qui en avait toujours porté de deux ans l'un. Ailleurs, on en met quatre en six ans consécutifs sur le même sol, sans que l'on aperçoive aucune diminution dans le produit. On cite des champs qui ont donné six récoltes successives de pommes de terre, avec une seule fumure, et cette série de récoltes fut suivie par un ensemencement en orge, dont le produit fut très considérable. Dans un autre endroit, je vis un champ qui, dans l'espace de ''vingt ans'', avait donné une fois de l'orge et dix-neuf fois des pommes de terre. On cite, dans le Wurtemberg, un propriétaire qui, ''trente-deux armées de suite, ''avait cultivé les pommes de terre sur le même champ, en fumant tous les ans. Mais à la fin, les tubercules n'étaient pas plus gros que des noix. »
 
Article 3. — '''Préparation du sol.'''
 
21. Pour ce qui concerne cette partie de la culture de la pomme de terre, je ne puis mieux faire que de rapporter textuellement ce que vient de publier à ce
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/45]]==
sujet le Ministère de l'agriculture et du commerce de FranceF<ref>Avis au Cultivateur, brochure in-8° ; Paris, novembre 1845.</ref> : « Aussitôt, est-il dit, après l'enlèvement de la céréale qui devrait précéder une culture de pommes de terre, il convient d'enterrer, par un labour superficiel, le chaume et les mauvaises herbes qui couvrent encore le sol. On accorde généralement une importance trop grande aux chétives ressources que présentent ces chaumes pour le pâturage. En bonne culture, le gros bétail ne doit pas compter sur une nourriture aussi misérable, et la stabulation permanente doit être le but de tout cultivateur progressif. Quant aux moutons, c'est dans des pâtures semées ou dans des prairies artificielles qu'il faut tâcher de leur fournir, à l'automne, le parcours dont ils ont besoin.
 
Dès le commencement de l'hiver, un labour, aussi profond que possible, défoncera le sol uniformément, à 26 centimètres au moins de profondeur, et enfouira déjà tous les fumiers dont on pourra disposer, les mélangeant avec les détritus de chaume et d'herbes enterrés par le précédent labour.
 
Si le terrain n'a rien à craindre de l'humidité, on »pourra faire des planches très larges ; dans le cas contraire, on devra labourer en planches plates, d'autant plus étroites et dérayées plus profondément, que le sol sera plus imperméable. Des rigoles d'
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/46]]==
assainissement ou saignées transversales, profondes et soigneusement curées, seront pratiquées dans le sens des pentes, de manière à offrir un écoulement facile à l'eau de chaque dérayure ; enfin des fossés ouverts ou même couverts devront être pratiqués, soit autour, soit au milieu des champs, partout où leur présence sera reconnue nécessaire. En un mot, le terrain destiné à la plantation des pommes de terre devra être assaini avec autant de soin que s'il portait la plus belle récolte de seigle, de froment ou de colza. Dans les terres très compactes et dans un climat humide, on se trouvera parfaitement de faire creuser les dérayures et les raies d'écoulement à la bêche, en rejetant la terre qui provient de cette opération sur le milieu des planches.
 
Dans ces mêmes terres fortes, on devra donner un troisième labour très énergique, avant la fin de l'hiver ou au commencement du printemps, en ayant soin d'employer encore, avant de le pratiquer sur les terres non fumées au labour précédent, tout le fumier dont on pourra disposer. La forme à donner aux planches, la profondeur et le défoncement des dérayures, les saignées d'écoulement, etc., devront être pratiqués avec plus de soin encore pour 'ce labour que pour le précédent. Dans les terres très perméables et légères, ce troisième labour sera rarement indispensable ; mais jamais il ne saurait être
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/47]]==
nuisible, et presque toujours il y aura profit à le donner en temps utile.
 
Avant la plantation, on achèvera de conduire sur les terres non encore fumées, qui devront être les plus perméables et les plus saines, autant que possible, soit par leur nature, soit par leur inclinaison, tous les fumiers suffisamment consumés qui auront été faits depuis le précédent labour, et on les enterrera, en même temps que les tubercules plantés, par un quatrième labour.
Ligne 258 ⟶ 344 :
Article 4. — '''Fumure.'''
 
22. Personne n'ignore que la qualité, l'application et la quantité d'engrais à apporter à la culture des
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/48]]==
pommes de terre, varient avec la nature du sol, l'espèce même de cette racine, l'époque de plantation et autres circonstances analogues. Bien que la pomme de terre semble demander un sol ameubli, tels que se trouvent ceux améliorés de longue main, il est cependant à remarquer que, de toutes les plantes utiles, c'est elle qui, sans engrais, donne les produits les plus avantageux dans une terre neuve convenablement préparée.
 
Dans les terrains un peu compacts, on se trouve bien de l'usage du ''fumier pailleux ; ''quelquefois même, dans les sols de cette nature, de la paille seule et des ''chaumes enfouis ''au dernier labour, ont donné des récoltes extraordinaires. Mais, en général, on doit être circonspect dans l'emploi de ces fumures exceptionnelles qui conviennent peu à d'autres récoltes. Somme toute, le ''fumier décomposé ''sera appliqué aux terres chaudes et légères ; le ''fumier long ''sera réservé pour les sols argileux et froids.
Ligne 264 ⟶ 352 :
Les résultats suivants, disposés par tableaux, provenant d'essais entrepris sur cette matière et publiés par les meilleurs agronomes du continent et de l'Angleterre, donnent une idée de l'influence que la nature et la qualité de la fumure exercent sur le produit de la pomme de terre.
 
'''''Tableau'''
'''''Tableau''' des quantités, en prix comparés, de divers engrais employés pour la fumure des pommes de terre, pour un égal produit, environ ''300'' hectolitres de tubercules.''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/49]]==
'''''Tableau''' des quantités, en prix comparés, de divers engrais employés pour la fumure des pommes de terre, pour un égal produit, environ ''300'' hectolitres de tubercules.''
 
{|
Ligne 287 ⟶ 377 :
|}
 
23. D'un autre côté, MM. Payen et Chevallier<ref>Mémoire de la Société d’Agriculture du département de la Seine ; Paris, 1838.</ref> dans le but de trouver quelques indices sur la force négative, propriété qui distingue les plantes robustes en général, et les sujets les plus robustes entre les diverses variétés, ont planté six variétés de pomme de terre, comparativement à la pomme de terre blanche commune tachée de rouge, dite ''patraque blanche'', soit dans un terrain cultivé avec les soins habituels et les façons ordinaires, soit dans une terre inculte, c'est-à-dire qui n'avait reçu d'autre préparation qu'un labourage simple. Ces habiles chimistes ont choisi pour cela un terrain mauvais, compact, divisé en trois parties qui ont été traitées comparativement de la manière suivante, et dans chacune desquelles
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/50]]==
on avait planté soixante-et-dix pieds de pommes de terre de chaque variété. Dans la première partie, on a mis un engrais de charbon animal qui avait été employé au raffinage du sucre<ref>Le charbon ou noir animal, employé en très petite quantité et renouvelé tous les ans, est un très bon engrais pour les terrains humides, et produit aussi un très bon effet lorsqu’on le sème sur les prairies artificielles.</ref> ; la deuxième partie a été cultivée avec les précautions ordinaires, mais sans engrais ; la troisième enfin sans culture pendant tout le temps de sa végétation. Les résultats obtenus sont les suivants :
 
{|
Ligne 314 ⟶ 406 :
|-
|}
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/51]]==
 
Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces calculs, c'est l'effet prodigieux du purin, dont l'action fertilisante est telle, que le produit de la récolte en est presque doublé. Le pain de colza est aussi un excellent engrais pour la pomme de terre<ref>A. Chanaz, province de Savoie-Propre, un champ planté en pommes de terre de la même espèce, a été fumé moitié avec de l'engrais de bétail peu consumé, et moitié avec des tourteaux de colza. Dans le premier cas, les pommes de terre ont été toutes plus ou moins altérées, et parfaitement saines dans le second.</ref>.
 
25. On a cru remarquer cette année que les champs de pommes de terre abondamment fumés, avaient fourni des tiges gorgées de sucs, qui avaient été plus promptement détruites à l'automne, ou plus fortement attaquées par les influences atmosphériques du mois d'août, que celles des champs voisins qui avaient reçu des fumures moins abondantes. M. Munter dit qu'à Berlin, les emplacements bas, plats, humides et ''riches en engrais'', sont en général ceux qui ont le plus souffert. Ces cas sont exceptionnels, et les résultats qu'on a observés dans ces sortes de circonstances sont sans doute dus à d'autres causes que celle qui leur a été attribuée. Une remarque que j'ai faite et publiée un des premiers, et qui a été confirmée depuis par d'autres observateurs, a démontré que l'altération des tubercules était loin de correspondre exactement à celle des feuilles et des tiges, et l'on a même constaté que certains pieds de pommes de terre
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/52]]==
présentaient des feuilles et des tiges parfaitement vertes et vigoureuses, tandis que les tubercules étaient fortement altérés, alors que d'autres touffes, dont les tiges étaient complètement détruites ou noires, n'avaient pas un seul tubercule attaqué. On ne peut donc raisonnablement attribuer à un excès de fumure, une partie égale à celle des mauvaises cultures, dans l'altération des pommes de terre en 1845 ; et comme d'ailleurs, dans les années ordinaires, les produits sont généralement proportionnels à la quantité d'engrais employée, on ne saurait trop engager les cultivateurs à fumer abondamment, en employant, autant que possible, de cinquante à soixante mille kilogrammes au moins de bon fumier par hectare. En Savoie, où la terre est généralement plus compacte qu'en France, dix à douze mille kilogrammes de fumier suffisent au-delà pour un journal de terre.
 
Nous avons vu précédemment l'influence exercée sur le produit de la pomme terre par la nature, la quantité et l'état de décomposition du fumier employé, j'ajouterai, comme complément de ce qui me reste à dire pour les plantations de cette année, que les fumiers d'étable, frais et peu décomposés, appliqués en grande quantité au moment de la plantation, ont nécessairement pour effet de concentrer une plus grande quantité d'humidité au pied des plantes, et peut-être même d'y favoriser une fermentation putride,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/53]]==
que la nature viciée des semences, comme celles de 1845, devrait surtout faire craindre.
 
Pour prévenir un effet aussi funeste, on devra fumer le plus tôt possible, afin d'amalgamer le fumier avec le sol par des labours successifs. Enfin, il sera prudent de choisir, pour les cultures de cette année, les terres les moins humides par leur nature et leur grande inclinaison.
Ligne 327 ⟶ 424 :
''Culture hivernale des Pommes de ''''terre.''
 
26. On plante ordinairement les pommes de terre depuis le mois de mars jusqu'au mois de juillet ; celles plantées en mars et avril sont dites ''précoces'', ''hâtives ''ou ''printannières'', et sont récoltées en juin ou juillet ; celles qu'on plante depuis la fin de mai jusqu'en juillet sont dites ''tardives ; ''leur maturité ne s'effectue qu'en septembre ou octobre. Cette dernière catégorie forme la presque totalité des plantations ; il ne
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/54]]==
se fait qu'une très petite quantité de la première. — II est des pays où l'hiver arrive assez tard pour permettre un ensemencement de pommes de terre après une récolte parvenue à maturité. Cela a lieu surtout après le colza, le lin, la navette. Cette facilité est loin d'être un privilége exclusif des climats méridionaux ; ce procédé est usité, non-seulement dans quelques parties du territoire français, mais encore en Hollande et en Belgique, ainsi que nous le verrons bientôt. Comme jusqu'à ce jour les pommes de terre précoces ont été généralement préservées de la maladie qui a attaqué cette année les tardives, sur une si grande surface, il importe de multiplier, autant que possible, la culture d'hiver, qui paraît offrir divers avantages lorsqu'elle est pratiquée dans des conditions convenables. Les Annales de la Société Royale d'Agriculture et de Botanique de Gand (juin 1845), et le Mémoire de M. Ch. Morren, célèbre agronome belge, contiennent à ce sujet des documents que je m'empresse de reproduire ici, dans l'espoir qu'ils engageront sans doute quelques agriculteurs à entreprendre ce mode de culture, dont les avantages seraient, dans une circonstance comme celle où nous nous sommes trouvés naguères, d'apporter une heureuse modification dans les assolements, d'utiliser le terrain pendant l'hiver, et d'obtenir une récolte de pommes de terre plus abondante et plus précoce qu'avec les plantations du printemps.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/55]]==
abondante et plus précoce qu'avec les plantations du printemps.
 
Deux siècles et demi de culture de la pomme de terre en Europe, dit M. Morren<ref>Voyez Instructions populaires sur les moyens de combattre et de détruire la maladie des pommes de terre, par M. Ch. Morren, professeur et directeur du Jardin botanique de Liège. — Bruxelles, 2l septembre 1845.</ref>, ont prouvé que cette plante américaine préfère les climats humides aux climats secs, la température très modérée et basse à la température chaude. On oublie généralement que le Pérou ne donne pas de pommes de terre mangeables et productives, et que c'est au nord de l'Amérique qu'elles commencent à grossir et à se multiplier. L'Irlande, pays humide et tempéré, et le Lancashire, sont les deux régions du monde entier où les pommes de terre ont atteint leur perfection sous tous les rapports : productivité, constance de récolte, grosseur, excellence de goût, effet utile pour la nutrition de l'homme et des animaux. Les pommes de terre d'Italie, d'Espagne, d'une partie de l'Allemagne et de la France méridionale, sont les plus mauvaises. Ces faits sont reconnus par tous les agronomes instruits. Or, voyons comment on cultive la pomme de terre en Irlande, dans le Lancashire et dans les comtés d'Angleterre, où l'agriculture est très avancée ; ces exemples sont les meilleurs à suivre dans les plantations de ce genre, que je désire voir entreprendre chez nous.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/56]]==
 
James Goodiffe, agriculteur à Granard (Irlande), cultive la pomme de terre depuis ''vingt ans'', en hiver et en été, toujours avec succès. Il plante en septembre et même à Noël ; il récolte depuis février jusqu'en mai, et il plante aussi en avril, pour récolter en été des variétés successivement plus précoces et plus tardives. En un mot, ajoute M. Morren, c'est une récolte continue. Dans les comtés de Sussex, Worcestershire, Somersetshire, il est d'usage de planter en automne, et l'on se loue partout de cette culture.
Ligne 335 ⟶ 437 :
M. Trotter, des environs de Stockton, conseille de planter les tubercules en octobre ou novembre, et d'employer de préférence les variétés printannières qui sont bien saines. On fait choix pour cela d'un terrain convenablement préparé ; des sillons ou des trous de 35 centimètres de profondeur sont creusés<ref>La profondeur de 3S centimètres conseillée par M. Trotter, paraît exagérée, an moins relativement à ce qui se pratique en Savoie et ailleurs.</ref>. On y place les tubercules à la distance ordinaire ; ils sont recouverts de la terre déplacée, et ensuite de fumier en couverture. Les tubercules ne sont point atteints par la gelée ; ils poussent de très bonne heure, et les pommes de terre sont beaucoup plus précoces que par la plantation du printemps. Si ce mode de culture réussit, comme tout porte à le croire, dit un savant
 
botaniste, M. Seringe<ref>Rapport de la Commission nommée par la Société d'Horticulture-pratique du Rhône, au sujet de la maladie des pommes de terre, par N.-C.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/57]]==
Seringe, professeur de Botanique et directeur du jardin des plantes de Lyon. — Octobre 1845.</ref>, M. Trotter aura rendu un immense service aux peuples du nord, en hâtant une reproduction qui réparera, au moins en partie, la perte inévitable d'une grande masse alimentaire.
 
M. Trotter s'est rendu célèbre en Angleterre par ses recherches sur les cultures de la ''solanée tubéreuse ''(pomme de terre), en la plantant avant et après l'hiver. Il fit labourer en novembre un champ d'un terrain argileux, peu propre à la culture de cette plante ; ce champ fut arrosé de ''purin ''(eau de fumier), et planté en pommes de terre du ''Yorkshire, ''de la précédente récolte. A côté de ce champ, M. Trotter en fit préparer un autre semblable, avec les mêmes labours et les mêmes engrais ; mais la plantation eut lieu au printemps. Lors des deux récoltes, on trouva que le quart d'un acre anglais, planté en automne, produisit 80 mesures de tubercules, tandis que celui de la culture du printemps n'avaient rendu à peu près que la quantité de tubercules mis en terre. Cet habile agronome en conclut donc que, pour les sols argileux, la culture hivernale l'emporte de beaucoup sur celle du printemps, et, d'après les calculs qu'ont faits les Anglais, la récolte d'hiver sera quatre fois plus
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/58]]==
grande que celle du printemps. En supposant même que le rapport ne fût pas aussi avantageux, la différence serait déjà assez grande en elle-même pour s'occuper activement de ce mode de culture.
 
Dans des essais faits en 1848, à cent lieues du nord de Londres, le thermomètre centigrade est descendu entre 8 et 10 degrés sous glace. Les pommes de terre ne furent couvertes que d'une épaisseur de terre ordinaire pour cette espèce de culture, et on ne mit rien sur le sol. Pendant la même année, le même thermomètre descendit à 5 ou 6 degrés. Ainsi, dans le cas où cette culture eût été pratiquée à Bruxelles cette année-là, on aurait obtenu, au premier printemps de 1843, une excellente récolte.
 
Depuis 1843, le procédé de culture employé par M. Trotter s'est beaucoup répandu. M. Low, dans la nouvelle Edition de son ''Agriculture-pratique, ''l'indique comme un moyen familièrement employé en Ecosse. Cet auteur dit que « pour récolter des pommes de terre en mai, il faut les planter en octobre ou novembre, les couvrir de terre et déposer sur celle-ci de la litière ou du fumier. Les plantes se font jour en mars, et les tubercules sont féculents et propres à la nourriture de l'homme et des animaux domestiques en mai. Dans quelque position que l'on mette en terre les tubercules en octobre, la tige sort du sol avant les grands froids, et la récolte s'en fait tout l'hiver. M. Low insiste beaucoup sur ce qu'on doit
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/59]]==
prendre des tubercules de l'année précédente, et, à défaut, M. Seringe conseille de planter la variété précoce, arrachée déjà depuis quelque temps.
 
Suivant M. le docteur Bonnet, professeur d'agriculture à Besançon, les précautions à prendre pour les plantations d'automne sont les suivantes : « II faut choisir un terrain léger, calcaire, en pente et au midi autant que possible ; il faut planter dans la première quinzaine de novembre, si on le peut, par un temps un peu sec. Si la plantation se fait à la charrue, le sillon doit avoir 6 à 8 pouces de profondeur, et la raie doit être bien recouverte. Si l'on plante à la pioche ou à la bêche, le tubercule doit être placé à la même profondeur. Dans l'un et l'autre cas, il ne faut point de fumier à côté de la semence, mais on peut en mettre sur le sol à l'arrivée des froids. La plantation à la charrue doit être hersée, celle par l'autre mode devra recevoir un fort labour au printemps.
Ligne 347 ⟶ 455 :
Pour tout le surplus de la culture, elle doit se pratiquer comme pour les plantations du mois de mars.
 
Les plantations de pommes de terre d'automne végètent et donnent des fruits mûrs un mois plus tôt que celles du printemps. On ne doit craindre ni la pourriture, ni la gelée, en choisissant bien le terrain et en procédant comme nous l'indiquons. II ne faut d'ailleurs planter que des tubercules sains,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/60]]==
ni gros ni petits, et sans être divisés ; ils doivent être chaulés comme on chaule les blés mouchetés avant de les mettre en terre. »
 
A l'époque de l'introduction, en Belgique, de la culture hivernale des pommes de terre, on a parlé de la profondeur où il fallait déposer les tubercules pour ne pas les faire geler, et on a objecté que, plantés trop profondément, ils ne poussaient pas. M. James Goodiffe a fait à cet égard une série d'expériences confirmées par d'autres agriculteurs ; il a voulu savoir la limite sous terre où la solanée ne pousserait plus. Cette limite est rassurante, elle est à ''trois pieds ''de profondeur. Au-dessus de trois pieds, la pomme de terre pousse des tiges qui s'élèvent hors de terre ; mais dans la culture hivernale, M. Goodiffe se contente d'un enfoncement de quatre à six pouces. Il donne une fumure et il butte comme à l'ordinaire. Il n'a pas souvenance que jamais une culture de ce genre ait manqué, et même tandis que plusieurs maladies attaquaient les cultures d'été, celles d'hiver étaient à l'abri de leurs ravages. Le même agronome a cultivé la pomme de terre en la plantant en juin pour la récolter en novembre, et cela aussi avec un grand succès.
 
A Birmingham, on s'est aussi occupé de la profondeur de la plantation. M. Grey rapporte des faits curieux à ce sujet. On y plante à vingt pouces de profondeur ; les tubercules les plus profonds deviennent
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/61]]==
les plus gros, et atteignent parfois ''quatre livres et quelques onces'' ; ceux du dessus sont ordinairement les plus petits.
 
Les fermiers du Flintshire plantent pendant tout l'automne ; les tubercules ne gèlent pas, viennent abondamment et sont d'un goût excellent. − M. Jackson à Manchester, n'a perdu dans sa culture hivernale de 1844 à 1845, hiver bien rigoureux cependant, qu'une plante sur cent. − M. Girdwood, de Bate, petite île d'Ecosse, où le froid sévit avec intensité, cultive depuis nombre d'année les pommes de terre pendant l'hiver, et avec un succès constant. − M. Burent, à Gadgarth, plante de fin septembre à fin octobre, chaule la couronne et le haut-bout de la pomme de terre, plante à douze pouces de profondeur et réussit à merveille. − M. William Rendle, à Plymouth, récolta, à la fin de l'hiver si rude de 1845, une excellente provision de pommes de terre dites ''cornish kidney'', et les vendit à bo profit , en avril, au marché de Covent-Garden de Londres. − M. J. Williamson, a planté sous le 56<sup>e</sup> degré nord, en Ecosse, le 27 janvier 1844, sur un sol sec et élevé, des pommes de terre,et sa récolte en avril a été abondante et excellente. M. C. J. Perry, de Hansworth,planta, en janvier 1845, des pommes de terre appelées ''soden's Oxford'', précoces, à cinq pouces de profondeur ; les sommités gelèrent et les tubercules furent abondants et d'un goût parfait.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/62]]==
 
A Mayence, M. le banquier Humann, et M. Mardner, directeur du jardin botanique, ont suivi les mêmes méthodes sur les bords du Rhin, et s'en trouvent à merveille.
Ligne 359 ⟶ 472 :
En France, MM. Changarnier et Chambray plantent des pommes de terre le 1<sup>er</sup> août à une profondeur de 28 à 30 centimètres, et à une distance de 50 à 60 centimètres. On sarcle quand les mauvaises herbes ont poussé ; on ameublit la terre, on butte au premier froid, et on coupe les tiges à 16 centimètres du sol. La ligne est alors couverte d'une couche de fumier, et on place dessus de la terre, pour détruire l'effet du vent. La récolte se fait en février. Un tubercule donne en moyenne de dix-huit à vingt pommes de terre.
 
27. La culture hivernale des pommes de terre a déjà été pratiquée en Savoie, avec succès, par quelques agriculteurs, et sans résultats par d'autres. Cette différence provient sans doute de ce que, dans le dernier cas, toutes les précautions n'ont pas été prises pour préserver les tubercules de la gelée pendant l'hiver, lesquelles consistent à les planter un peu plus bas qu'à l'ordinaire, à une profondeur de six à huit pouces, selon l'exposition, et à les couvrir ensuite de feuilles ou de paille pendant le temps des froids. Or, ce sont-là, à mon avis du moins, des conditions essentielles de réussite. Plusieurs propriétaires de ce Duché ont pris le parti de faire, cet automne, des plantations de pommes de terre ; j'en ai planté moi-
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/63]]==
même vingt quintaux, en variant mes expériences relativement aux divers modes de culture, et à la nature des tubercules employés, dont les uns étaient sains et les autres plus ou moins altérés par la maladie.
 
M. Chevalier, curé à St-Jean-d'Arvey (Savoie Propre), s'occupe depuis plusieurs années déjà de la culture hivernale de la pomme de terre, et il la regarde comme avantageuse sous divers rapports. Ce vénérable ecclésiastique plante un peu plus bas que de coutume, et recouvre immédiatement le terrain de fumier, de mousse, de poussière de foin, de feuilles sèches, ou, ce qui vaut mieux encore, de paille de céréales, à moins que l'on ne plante dans un sol toujours couvert de neige pendant les froids rigoureux.
Ligne 365 ⟶ 480 :
Mais comme cette plantation plus profonde passe pour être en quelque sorte contraire à la pomme de terre, qui veut être placée à la superficie du sol pour mieux prospérer, M. Chevalier conseille, comme condition de réussite, de profiter des premiers beaux jours de mars pour tracer, le long des lignes des tubercules, des sillons profonds qui facilitent le desséchement du terrain, et permettent aux pommes de terre de recevoir les influences atmosphériques, celles du soleil surtout ; ces sillons doivent être nettoyés de temps à autre pendant le cours de la végétation de la plante.
 
Une objection que l'on peut faire à la propagation
Une objection que l'on peut faire à la propagation de la culture hivernale de la pomme de terre chez nous, c'est qu'en Savoie il y a peu d'engrais, et que tout celui qui est disponible à la fin de l'été est employé aux céréales d'automne. Cela peut être vrai. Mais si l'on veut bien se persuader, d'une part, que la pomme de terre exige beaucoup moins de fumier qu'on ne pense, qu'elle prospère sans engrais, si elle est haut placée, bien assolée, et environnée, à une certaine époque, de sillons profonds qui la laissent presque au contact de l'air et de la lumière, et que, d'un autre côté, si notre pays est généralement pauvre en engrais, ce n'est pas faute d'éléments et de matériaux propres à en obtenir, mais parce que l'on ne sait pas, ou plutôt que l'on ne veut pas se donner la peine de s'en procurer, en utilisant mille objets dont on tire ailleurs le meilleur parti pour l'agriculture, et que nous négligeons, nous, en pure perte ; en tenant compte de toutes ces circonstances, qui sont exactes, on croira, j'espère, à la possibilité d'introduire en Savoie un mode de culture qu'on eût certainement abandonné déjà dans les pays où il est depuis longtemps en usage, s'il ne présentait aucun profit réel. — D'après M. Chevalier, les avantages des plantations d'automne sont de fournir des tubercules plus abondants et plus gros, ce qui confirme les expériences faites en Angleterre par M. Trotter, et dont j'ai parlé précédemment ; ensuite, les tiges paraissent une quinzaine environ plus tôt à la surface du sol, et, par cette raison, les pommes de terre, plus tôt mûres, peuvent être arrachées de meilleure heure que celles plantées au printemps. Cette dernière circonstance permet de laisser ''reposer ''un peu la terre avant d'y semer des céréales, ce qui ne peut être sans influence sur la récolte future ou la bonne venue de celles-ci.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/64]]==
Une objection que l'on peut faire à la propagation de la culture hivernale de la pomme de terre chez nous, c'est qu'en Savoie il y a peu d'engrais, et que tout celui qui est disponible à la fin de l'été est employé aux céréales d'automne. Cela peut être vrai. Mais si l'on veut bien se persuader, d'une part, que la pomme de terre exige beaucoup moins de fumier qu'on ne pense, qu'elle prospère sans engrais, si elle est haut placée, bien assolée, et environnée, à une certaine époque, de sillons profonds qui la laissent presque au contact de l'air et de la lumière, et que, d'un autre côté, si notre pays est généralement pauvre en engrais, ce n'est pas faute d'éléments et de matériaux propres à en obtenir, mais parce que l'on ne sait pas, ou plutôt que l'on ne veut pas se donner la peine de s'en procurer, en utilisant mille objets dont on tire ailleurs le meilleur parti pour l'agriculture, et que nous négligeons, nous, en pure perte ; en tenant compte de toutes ces circonstances, qui sont exactes, on croira, j'espère, à la possibilité d'introduire en Savoie un mode de culture qu'on eût certainement abandonné déjà dans les pays où il est depuis longtemps en usage, s'il ne présentait aucun profit réel. — D'après M. Chevalier, les avantages des plantations d'automne sont de fournir des tubercules plus abondants et plus gros, ce qui confirme les expériences faites en Angleterre par M. Trotter, et dont j'ai parlé précédemment ; ensuite, les tiges paraissent une quinzaine environ plus tôt à la surface du sol, et, par cette raison, les pommes de terre, plus tôt mûres, peuvent être arrachées de meilleure heure que celles plantées au printemps. Cette dernière circonstance permet de laisser ''reposer ''un peu la terre avant d'y semer des céréales, ce qui ne peut être sans influence sur la récolte future ou la bonne venue de celles-ci.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/65]]==
raison, les pommes de terre, plus tôt mûres, peuvent être arrachées de meilleure heure que celles plantées au printemps. Cette dernière circonstance permet de laisser ''reposer ''un peu la terre avant d'y semer des céréales, ce qui ne peut être sans influence sur la récolte future ou la bonne venue de celles-ci.
 
Pour terminer cet article, je rappellerai ici la méthode employée en Angleterre pour la culture hivernale de la pomme de terre, et qui passe pour la meilleure de toutes. — Une pomme de terre a deux bouts ; par l'un elle tient à la plante-mère, par l'autre elle est libre. Le bout libre s'appelle en Angleterre le ''rose-end, ''et l'on peut en français le nommer la ''couronne'', la ''tête. ''C'est à ce bout que ce multiplient les yeux dormants, et ces yeux sont mûrs de deux à trois semaines plus vite que ceux du bout opposé. Lors donc qu'on plante, mettre en terre cette couronne, c'est faire anticiper la croissance de quinze jours à trois semaines sur celle du bout de la queue. Dans le Lancashire, on ne plante que des couronnes et on mange le bout caudal.
 
M. Robert Arthur, d'Edimbourg, a émis l'idée que l'oeil des pommes de terre est un ''œil dormant ''qui ne peut se développer qu'au printemps qui suit l'époque de sa formation. Ce fait explique ''pourquoi ''il faut employer comme ''tubercules-semences ''des tubercules provenant de la récolte antérieure ; c'est-là, en effet, une condition essentielle de succès pour la culture
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/66]]==
hivernale, et que j'ai déjà mentionnée au commencement de ce Chapitre. Ainsi donc, pour planter en automme de 1846, il faut avoir des tubercules de 1845 qu'on eût plantés au printemps de cette année, et, à défaut de ceux-ci, on plantera les variétés les plus précoces arrachées les premières.
 
Si l'on considère enfin que l'on trouve chaque année dans les champs semés de froment après la pomme de terre, des tubercules sains, conservés tout l'hiver, alors que le chaume a pénétré dans la terre plus avant que le froid lui-même ne le fait dans les années communes, on trouvera que la gelée est moins dangereuse au mode de culture dont je soutiens en ce moment la cause, et on essaiera peut-être de l'introduire en grand chez nous, sauf à l'abandonner ensuite si les résultats ne répondent pas à l'attente.
Ligne 377 ⟶ 498 :
'''Chapitre cinquième'''
 
''De quelques
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/67]]==
moyens regardés comme propres à hâter<br/> la formation des tubercules et à augmenter<br/> leur grosseur.''
 
28. Quelques agriculteurs ont cherché les moyens d'augmenter le nombre ou la récolte des pommes de terre à l'aide de pratiques que l'expérience condamne. Les uns ont coupé les tiges à la moitié de leur longueur, et au moment même de la floraison ; les autres les ont coupées rez-terre, immédiatement au-dessus de la butte ; d'autres prétendent qu'il suffit de pincer le sommet des tiges un peu avant la floraison, pour hâter la formation de tubercules et en augmenter la grosseur, ou bien encore d'opérer la soustraction entière des fleurs. Examinons la valeur réelle de ces divers procédés, et l'influence que chacun d'eux peut exercer sur les produits de la récolte.
 
Si c'est par les racines que les plantes s'assimilent
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/68]]==
les éléments de fertilité que contient le sol, c'est par les feuilles qu'elles exploitent les couches atmosphériques à leur profit.
 
La pomme de terre est une plante aérivore, c'est-à-dire qui se nourrit autant et peut-être plus par l'absorption des substances répandues dans l'air, aspirées par ses feuilles et par ses tiges, que par les matières absorbées de la terre au moyen des racines. Plus une plante tire son aliment de l'air, plus elle a besoin de conserver son appareil aérivore ; c'est pourquoi on ne peut détruire les feuilles et les tiges de cette plante, sans causer un grave dommage à ses fonctions végétatives. C'est là le motif pour lequel la pomme de terre exige la conservation de toutes ses parties vertes pour pouvoir atteindre son entier développement, et la soustraction des feuilles nuit considérablement à la quantité de produit qu'elle fournit. C'est ce qui résulte bien clairement de quelques expériences directes sur cet objet, entreprises par Mollerat, et dont voici les résultats.
 
Les fanes<ref>II ne faut pas confondre la fane avec la tige. On appelle tige dans les herbes, et tronc dans les arbres, cette partie d'une plante qui, sortant immédiatement du collet de la racine, s'élève vers le ciel, et porte les branches, ainsi que les rameaux auxquels sont attachés les feuilles et les fruits. La fane n'est, rigoureusement parlant, que l'assemblage des feuilles inférieures des plantes, qui sont toujours sèches les premières ; mais on a l'habitude d'entendre par ce mot, l'ensemble général des feuilles que renferme la plante.</ref> coupées immédiatement avant la floraison,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/69]]==
on a eu, par hectare, 4,300 lui. de tubercules ; coupées immédiatement après la floraison, le produit a été de 16,300 kil. ; coupées un mois plus tard, le produit est arrivé à 30,700 kil., et à 41,700 kil., coupées un mois plus tard encore. On peut donc conclure des faits précédents, que de semblables essais sont imprudents, et troublent la marche de la végétation, qui a besoin de tous ses organes pour respirer.
 
Il n'en est pas de même si la section se pratique sur les fleurs seulement. L'organographie et la physiologie botanique nous enseignent à ce sujet que, lorsque l'époque de la floraison arrive et que les organes sexuels des plantes commencent à acquérir leur propriété fertilisante, toute la plante entre dans un état d'effervescence ou d'irritation qui pousse vers les fleurs tous les principes fécondants qu'elle contient. Tous ces principes sont nécessaires pour accomplir l'acte de la fécondation ; ils sont recueillis par les organes sexuels que renferme la fleur et transmis aux ovaires, où ils produisent le développement de la semence. Il en résulte que la plante, qui n'accomplit pas l'acte épuisant de la fécondation, doit naturellement conserver la plus grande partie de ses principes fertilisants, dans toutes les parties de son système. Telle est la cause de l'augmentation du produit par suite de l'enlèvement des fleurs de la pomme de terre.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/70]]==
 
En effet, il est aujourd'hui généralement reconnu qu'en enlevant les fleurs de la pomme de terre, à mesure qu'elles paraissent, on produit un excellent résultat sur la pomme de terre elle-même. Les nombreuses expériences faites par plusieurs agronomes distingués, ont démontré la merveilleuse influence de cette opération. On a d'abord découvert qu'elle accélère le développement des tubercules, et il a ensuite été prouvé qu'ils deviennent plus gros, et même plus nombreux, lorsqu'on a enlevé les fleurs de la plante ; il en résulterait ainsi, en moyenne, une augmentation de produit d'un cinquième. Il ne s'agit plus que de savoir maintenant si cette augmentation peut entrer en comparaison avec les frais exigés par un semblable travail ; la réponse à cette question est subordonnée à des circonstances qui peuvent la faire varier pour chaque localité.
 
29. Un moyen que l'on considère partout comme pouvant faire augmenter la récolte d'un tiers environ, est le buttage, opération la plus importante pour la pomme de terre : ne pas l'exécuter, diminuera, en toute circonstance, la quantité du produit ; et si le terrain est élevé ou le sol aride, il faut considérer la récolte comme perdue s'il survient une longue sécheresse avant que les plantes soient buttées. — Lorsque les plantes ont atteint cinq ou six pouces de hauteur, on les sarcle pour les débarrasser des mauvaises herbes ; puis, un peu avant la floraison, on
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/71]]==
butte à la houe ou à la charrue, pour ameublir chaque pied en accumulant la terre autour de lui.
 
On peut réduire à trois principaux, les effets remarquables que produit le buttage sur la culture de la pomme de terre : 1° il facilite la production de nouvelles racines ou filaments qui sortent des premiers nœuds, lorsque ceux-ci sont recouverts de terre ; ces nouvelles racines produiront des tubercules souvent aussi gros que ceux de dessous, parce qu'ils sont bien nourris par les substances fécondantes contenues dans la terre qui les entoure ; 2° la terre relevée autour des plantes soutient les tiges, et, en les maintenant droites, fait que l'air et la lumière peuvent facilement pénétrer dans les lignes, dans toutes les directions, et favorise ainsi la végétation de la plante et la fertilité du sol ; 3° enfin la terre amoncelée maintient une fraîcheur très utile aux racines, qui fait croître les tubercules en nombre et en volume, et les préserve des désastreux effets d'une extrême sécheresse.
 
« Le buttage, dit M. le comte Marin<ref>Annales de la Chambre Royale d'Agriculture et de Commerce de Savoie, tome 1, page 375.</ref>, est l'opération la plus importante, et décide du succès de la récolte ; elle ne doit pas être faite comme la coutume la pratique ordinairement. L'ouvrier passe le pied au milieu des jets de pommes de terre, lorsqu'
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/72]]==
ils ont huit à dix pouces de hauteur ; il les écarte le plus possible ; il les range et dispose avec la main, les couche entièrement sur le sol, et les recouvre d'autant de terre qu'il peut en amasser autour de la plante ; de manière que tous ces monceaux présentent l'aspect de grandes taupinières. Chaque jet, ainsi disposé, pousse des tubercules à tous les nœuds de la tige, et triple le produit. Ce travail, qu'il faut répéter dans les sols très fertiles, a principalement pour but de rompre le canal direct de la sève qui se porte avec trop d'impétuosité à la tige aux dépens du tubercule. Ce sont de véritables branches gourmandes qu'on met à fruit en les courbant, et par une sorte de torsion. »
 
'''Chapitre sixième'''
Ligne 403 ⟶ 535 :
Article 1<sup>er</sup>.. — '''Produit de la ''''''Pomme ''''''de ''''''terre.'''
 
30. En sauvant, en 1798, 1816 et 1817, la France des horreurs de la disette, la pomme de terre a pris le rang qu'elle occupe à jamais parmi les aliments
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/73]]==
les plus sains, les plus savoureux, les plus certains, du pauvre comme du riche. Aussi sa culture a-t-elle pris, depuis cette époque, une extension considérable, dont les chiffres suivants peuvent donner une idée. En 1798, on comptait à peine 35 mille hectares consacrés à la culture de ce tubercule dans toute la France ; en 1815, elle occupait déjà 849,904 hectares ; vingt ans plus tard, on en cultivait 982,8ii hectares, et aujourd'hui cette quantité s'est encore de beaucoup augmentée. En Savoie, la même progression s'est également fait remarquer. Ainsi, dans la seule province de Savoie-Propre, on cultivait, en 1829, six mille journaux en'>pommes de terre ; aujourd'hui cette quantité s'élève très approximativement à vingt mille journaux.
 
La pomme de terre a l'avantage inappréciable de produire, sur une étendue de terrain donnée, plus de matière nutritive que toute autre plante alimentaire. Les résultats suivants feront mieux sentir cette importante vérité. D'après les expériences de M. Cadet de-Vaux<ref>Instruction sur le meilleur emploi de la pomme de terre dans sa co-panification avec les farines des céréales. — Paris, 1817.</ref>, un arpent de i00 perches (la perche de 20 pieds) rend ordinairement six setiers de blé du poids de 240 livres ; ce qui donne 1,440 livres de blé. Les 1,440 livres de blé font le même poids en pain, dont le prix par livre est d'autant de deniers que
 
le setier coû
le setier coûte de francs ; en sorte que le blé, valant 36 francs le setier, la valeur de la livre de pain est de trois sous, plus un centième et demi pour frais de fabrication.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/74]]==
le setier coûtete de francs ; en sorte que le blé, valant 36 francs le setier, la valeur de la livre de pain est de trois sous, plus un centième et demi pour frais de fabrication.
 
Un même arpent, planté en pommes de terre, donne 30 milliers par la petite culture, toujours plus soignée, et 20 milliers en grande culture. En adoptant ce dernier chiffre, il donne juste le quart en farine : or, les cinq milliers de farine représenteront, dans la masse panaire, par leur association avec partie égale de farine céréale, environ 6,300 livres de pain, quand l'arpent de blé n'en rend que 1,440.
Ligne 413 ⟶ 549 :
Proust s'est livré à des essais analogues, et a obtenu des résultats tout aussi satisfaisants. En 1817, où la récolte des pommes de terre fut extrêmement abondante, cet honorable académicien en planta plusieurs journaux dans le pays qu'il habitait aux environs de Craon, et recueillit : dans un journal de 80 chanins, 1,400 doubles décalitres de la patate qu'on appelle ''truffe d'août ;'' dans un autre, 1,600 de l'espèce qui est ordinaire au pays ; et dans un troisième, jusqu'à 1,856 de la ''blanche de Chine. ''En calculant ce que ce dernier produit aurait donné en froment dans le même espace de terrain, on aurait obtenu, dans les meilleurs temps, 100 doubles décalitres de cette céréale, c'est-à-dire une valeur au-dessous de la moitié du produit des pommes de terre.
 
On sait, en effet, qu'un hectare planté en pommes
On sait, en effet, qu'un hectare planté en pommes de terre, produit, terme moyen, 20 à 25 mille kil. de ces tubercules, qui contiennent en substance alimentaire 6 à 8 mille kil. (8 à 10 fois plus que la même surface cultivée en blé), et en fécule sèche, 5 à 6 mille kil., desquels on pourrait tirer 2,500 à 3,000 litres d'alcool à 22°, ou 2,000 à 2,400 en déduisant les pertes ordinaires de fabrication ; cette quantité est égale au maximum du produit en eau-de-vie que l'on pourrait obtenir en distillant tout le cru d'un hectare de terre dans l'un des meilleurs départements de France.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/75]]==
On sait, en effet, qu'un hectare planté en pommes de terre, produit, terme moyen, 20 à 25 mille kil. de ces tubercules, qui contiennent en substance alimentaire 6 à 8 mille kil. (8 à 10 fois plus que la même surface cultivée en blé), et en fécule sèche, 5 à 6 mille kil., desquels on pourrait tirer 2,500 à 3,000 litres d'alcool à 22°, ou 2,000 à 2,400 en déduisant les pertes ordinaires de fabrication ; cette quantité est égale au maximum du produit en eau-de-vie que l'on pourrait obtenir en distillant tout le cru d'un hectare de terre dans l'un des meilleurs départements de France.
 
MM. Chavasse et Vachon, de cette ville, ont converti cette année 7 à 800 quintaux de pommes de terre altérées en eau-de-vie ; ils ont obtenu, en moyenne, deux litres et demi d'alcool à 34° par cent livres de tubercules. Les pommes de terre offrent de plus l'avantage de laisser un marc très utilement employé à la nourriture des bestiaux.
 
Schwerts, qui a recueilli beaucoup de documents sur les produits de la pomme de terre, dit que le plus haut qui soit venu à sa connaissance, s'élevait à 477 hectolitres par hectare, et que le plus petit ne descendait pas au-dessous de 96. Le produit le plus considérable obtenu par Thaer était de 264 hectolitres ; le produit moyen, de 174. On cite des récoltes de 550 et même de plus de 600 hectolitres par hectare, mais ces cas sont tout-à-fait exceptionnels. Quant au poids, on suppose communément qu'un
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/76]]==
hectolitre pèse 80 kil. En admettant, comme probable, un produit moyen de 220 hectolitres, on récolterait en poids 17,600 kil. — En général, les variétés précoces fournissent moins en volume et en poids dans les terres plus compactes et plus humides ; mais en revanche elles procurent une plus grande proportion de substances nutritives, ce qui sera établi dans l'article suivant.
 
Pour ramener enfin à une plus simple expression les données que je viens d'exposer, on peut dire qu'une étendue de pommes de terre nourrira quatre ou cinq fois au moins autant d'individus que pareille surface cultivée en froment.
Ligne 423 ⟶ 563 :
Article 2<sup>e</sup>. — '''Valeur réelle de la ''''''Pomme ''''''de ''''''terre'''.
 
31. Ce n'est pas tant le volume ni le poids absolu qu'il faut rechercher dans le choix des pommes de terre, que la quantité de substance sèche qu'elles renferment ; cette dernière partie seule est alimentaire, le reste n'est que de l'eau. La valeur réelle de
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/77]]==
cette racine doit donc résulter des rapports entre l'eau et la matière sèche, tandis que la quantité en poids de ces tubercules, sans la première relation, peut présenter une valeur illusoire. La quantité de matière sèche peut servir de mesure pour la valeur relative des pommes de terre, puisque 100 parties en poids de ces tubercules ne contiennent que 1,5 au plus de fibre ligneuse qui ne puisse servir à la nutrition des animaux. C'est ainsi que 100 kilogrammes de pommes de terre, représentant 0,32 de matière sèche, contiendront plus de substances nutritives que 150 kil. ne donnant que 0,15 de matière sèche, soit 22,50 pour les 150 kil., quoique, en apparence, le premier résultat paraisse moindre que le second dans la proportion de 100 à 150 ; tandis que réellement, en tenant compte de la matière sèche contenue dans ces deux produits, l'on obtient des résultats contraires.
 
Koerte, qui s'est beaucoup occupé de ce travail, et qui a examiné sous ce rapport 55 espèces de pommes de terre, a trouvé une grande différence dans la proportion de substance sèche contenue dans la même espèce, suivant qu'elle avait été récoltée à des degrés différents de maturité. En résumant toutes les données que lui ont fournies ses recherches, on voit que des tubercules arrivés à une maturité complète, ont réalisé une proportion de substance sèche qui va de 32 à 32 1/2 pour 100, tandis que ceux
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/78]]==
dont la maturation n'avait pas été achevée ne pesaient, après complète dessication, que 14'' ''pour 100 du poids primitif. Cent parties de tubercules ordinaires contiennent, en moyenne, 24,89 pour 100 de matière solide, et dans celle-ci se trouvent comprises 11,25 parties de fécule.
 
Rien n'est plus facile, du reste, que de déterminer exactement la proportion d'eau que contient une espèce de pomme de terre. Après avoir pesé une certaine quantité de tubercules préalablement débarrassés de toute terre adhérente, on les coupe en tranches et on les fait chauffer dans une étuve dont la température soit de 25 à 3o degrés. On les pèse ensuite à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'ils ne perdent plus de leur poids, et la différence obtenue après leur entière dessication, fait connaître la proportion d'eau qu'ils renfermaient primitivement.
 
Proust dit que l'eau de végétation d'une patate crue mouille amplement les mains, mais non quand elle est cuite. Il faut attribuer cette différence à l'état particulier où se trouve l'eau dans l'une et dans l'autre. Dans la patate crue, l'eau n'est qu'interposée, elle est libre. Dans la patate cuite, au contraire, elle se trouve combinée avec l'amidon à l'état d'hydrate<ref>On appelle hydrate une combinaison d'eau et d'oxides, ou d'eau et d'un corps organique quelconque.</ref>. Cette réaction se reproduit dans le blanc
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/79]]==
d'œuf cuit, regardé aussi comme un hydrate qui renferme 0,84 d'eau, tandis que celui de la pomme de terre n'en contient que 0,75, c'est-à-dire près d'un dixième de moins. On peut donc juger, d'après cela, si une personne qui a mangé, avec son pain, trois ou quatre œufs durs, ou un plat de pommes de terre cuites, a réellement pris un aliment solide et bien nourrissant.
 
32. De 47 variétés de pommes de terre analysées par Vauquelin, nous voyons que les variétés les plus riches en parties alimentaires, sont la ''lehugin'', qui, sur 500 grammes donne 165 grammes de pomme de terre desséchée ; la ''calicuger, ''qui en produit 162 ; la ''violette franche ''et ''l'imbriquée, ''qui se réduisent à 160 gr. ; la ''kidney ''et la ''bleue des forêts, ''qui se réduisent à 157, et la ''grosse zélandaise, ''dont le produit desséché pèse 155 gr. La ''beaulieu ''paraît être la plus aqueuse par la dessication : elle pèse 490 gr., et fournit 110 gr. de pomme de terre desséchée.
Ligne 435 ⟶ 581 :
Je ne saurais mieux terminer cet article qu'en exposant, sous forme de tableau, les quantités de substance nutritive et d'eau contenues dans douze variétés de pommes de terre cultivées et analysées par MM. Payen et Chevalier. La plantation a été faite de la même manière dans le même terrain ; l'on a cherché à observer pour toutes, dans le cours de la culture, des circonstances semblables ; les pieds étaient à un mètre les uns des autres, et au nombre de six par chaque.
 
'''
'''TABLEAU '''<br/> ''représentant les quantités de substance nutritive, ou matière<br/> sèche contenue dans douze variétés de pommes de terre.''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/80]]==
'''TABLEAU '''<br/> ''représentant les quantités de substance nutritive, ou matière<br/> sèche contenue dans douze variétés de pommes de terre.''
 
{|
Ligne 477 ⟶ 625 :
{{centré|''Propagation''}}
 
33. La pomme de terre se multiplie par ses tubercules entiers, ou coupés en fragments munis d'un œil, par la voie des germes seuls, par celle des semences et
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/81]]==
de plusieurs autres manières que nous allons successivement examiner.
 
1° ''Par semis. ''Dès que les baies sont mûres, on les écrase entre les mains, on lave bien les petites graines pour les priver du mucilage auquel elles adhèrent, et on les fait sécher lentement. Ces graines sont d'un joli jaune paille et arrondies ; on rejette celles qui sont affaissées et ridées après la dessication. On les sème au printemps'', ''dans un sol léger, bien préparé ; on accélère leur développement par des binages et des arrosements convenables, et aussitôt que les jeunes plants ont atteint la hauteur de 8 à i0 décimètres (3 à 4 pouces), on les transplante. Les petits tubercules qu'on récolte en automne ne pourraient être employés comme aliment cette même année, n'ayant encore pu acquérir une grosseur convenable ; on les met dans un lieu à l'abri de la gelée, et, en les plantant le printemps suivant, ils donnent alors, le même automne, des tubercules propres à l'alimentation.
 
Ce mode de propagation n'est usité que dans la vue de multiplier les variétés et d'en obtenir de nouvelles ; s'il a l'inconvénient de ne pas produire, la première année, de récolte dont on puisse faire usage comme aliment, en revanche, il permet de multiplier au loin cette plante précieuse. Ce moyen a été conseillé encore pour renouveler l'espèce dans une circonstance où, comme en 1845, la pomme de terre s'est trouvée
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/82]]==
altérée sur une si grande surface, qu'elle laisse craindre, selon quelques agriculteurs, pour les récoltes futures. — Cette opinion n'est pas la mienne ; je pense au contraire que toute pomme de terre altérée, ''si ses germes sont sains'', peut produire de très bons tubercules ; les expériences que j'ai faites en grand cet automne, nous donneront, sous peu, la solution de cette importante question d'économie agricole.
 
2° ''Par drageons. ''La Maison Rustique conseille le moyen suivant de propagation, qui ne peut être tenté que sur de petites superficies, et pour des variétés qu'on a intérêt de multiplier promptement. Dans une terre qui aura reçu les préparations convenables et une fumure suffisante, on plante des pommes de terre à la manière ordinaire. Après six ou sept semaines, on arrache de chaque souche, et avec précaution, toutes les pousses qui sortent de terre, excepté une qu'on laisse. On transporte ensuite, dans une terre préparée pour les recevoir, ces drageons ou éclats à la manière des colzas, c'est-à-dire que, dans chaque troisième sillon ouvert par la charrue, on en dépose une rangée que recouvre le sillon suivant.
 
M. Dupont, de Cognin (16), conseille ce moyen aux cultivateurs qui n'auront pu sauver qu'une faible partie de leurs semences ; il l'a lui-même pratiqué plusieurs fois avec succès, en opérant de la manière suivante : « Dans les premiers jours de mars, dit ce savant agronome, plantez entiers les tubercules dans
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/83]]==
des fossés abrités du nord par des paillassons et recouverts de litière pour les préserver des dernières gelées. Lorsque les jets ont atteint une hauteur de 15 à 20 centim. (7 à 8 pouces), on les détache près de la mère, et on les plante immédiatement dans un terrain meuble et préparé d'avance, ayant soin de les coucher dans le sillon, et de ne laisser dépasser, sur terre, que 5 centim. (2 pouces) de fane environ. Cette plantation, conduite comme celle des pommes de terre, donne des résultats presque aussi satisfaisants. »
 
3° ''Par provignage. ''Ce procédé ne convient pas à la culture économique des pommes de terre ; il ne doit être utilisé que pour les variétés nouvelles dont on ne possède qu'une petite quantité. Il ^est du reste fort connu des horticulteurs, pour multiplier promptement des espèces rares ou rebelles à tout autre mode de reproduction.
 
4° ''Par tubercules de rejet. ''M. Jebens a publié en 1828, à Altona (Danemarck), un nouveau procédé de multiplication pour la variété de parmentière, connue sous le nom de ''pomme ''''de ''''terre ''''anglaise ''ou ''de Gibraltar. ''Lorsque, après la récolte, les tubercules ont été amoncelés dans un lieu à l'abri du froid, ils ne tardent pas à produire de petits tubercules dont la formation a valu à cette variété le nom de ''couveuse, ''dénomination qui la caractérise dans certaines contrées. Quoique ces tubercules adventices soient moins
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/84]]==
et aqueux, on a reconnu qu'ils peuvent être employés à la reproduction de l'espèce ; souvent même ils ont donné un produit plus considérable que les tubercules fournis par la récolte précédente.
 
M. Dubois, de Montgex, près Chambéry, et d'autres agronomes de ce Duché, ont eu occasion d'observer ce mode de reproduction des pommes de terre, qui présente cette année une utilité pratique en rapport avec la rareté et le prix élevé que cette substance ne manquera pas d'atteindre au printemps. Il importe donc de tirer parti des germes hors de saison, qui se montrent sur les pommes de terre qui ont été plus ou moins attaquées de la maladie. M. Dupont, que j'ai eu occasion de citer plusieurs fois, s'exprime ainsi à ce sujet : « Ces germes précieux seraient perdus pour la reproduction, s'ils restaient entassés, car ils s'épuiseraient rapidement. Pour utiliser d'une manière profitable cette végétation anormale, que la Providence semble avoir réservée pour la multiplication de l'espèce, il faut se bâter de détacher la partie altérée, du tubercule dont les pousses sont apparentes, et de planter ces germes à une profondeur de 15 à 16 centim. (7 à 8 pouces), les gelées atteignant rarement cette profondeur dans nos vallées. Cette plantation pourra produire au printemps une bonne et hâtive récolte. »
 
5° ''Par le moyen des pelures. ''On dépouille les tubercules d'une épaisseur suffisante de leur enveloppe ; on divise
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/85]]==
ces pelures en plusieurs morceaux ayant chacun un œil, et on plante à la manière ordinaire. Cette méthode peut être utile dans les années de disette ; mais on devra recourir à une autre plus assurée de multiplication, quand on n'y sera pas contraint par la disette.
 
En 1828, M. Polonceau présenta à l'Académie Royale de Médecine de Paris (séance du 31 mai), un Mémoire relatif à la reproduction des pommes de terre par un procédé analogue. L'auteur conseil le d'enlever, par le moyen d'un emporte-pièce cylindrique, le centre des pommes de terre avant de les planter ; par ce moyen, dit-il, on se ménage dans les temps de disette une portion de la substance nutritive de ces tubercules, sans leur ôter les moyens de se propager. MM. Caventon et Lodibert ajoutèrent à ce sujet diverses remarques sur la reproduction des pommes de terre, soit divisées en morceaux, soit même réduites seulement à leurs pelures ; M. Virey, appuyé par MM. Payen et Chevalier, dont nous exposerons bientôt les résultats (8°), fit observer qu'en réduisant les germes des pommes de terre à cette simple pellicule, ou en évidant une grande partie de la fécule nutritive de cette racine tuberculeuse, les produits de la végétation en deviennent bien moins abondants.
 
6° ''Au moyen d'yeux séparés des tubercules. ''Ce moyen, longtemps préconisé comme le plus économique, est encore généralement pratiqué dans les
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/86]]==
environs de Freyberg, en Saxe. Il ne peut guère être employé qu'en petit, car l'extraction des yeux est longue et coûteuse ; ensuite, si on les plante dans un sol et par un temps qui ne soient pas humides, ils se dessèchent et se raccornissent. Il faut les planter deux fois plus épais, ce qui ne permet plus de les espacer suffisamment pour la manœuvre de la houe et du buttoir à cheval. Toutefois, un œil portant une bonne épaisseur de pulpe, placé dans un terrain riche et bien préparé, peut donner des produits satisfaisants.
 
7° ''Au moyen de fragments de tubercules. ''Au moment de la plantation, on coupe les gros et moyens tubercules en fragments de diverses grosseurs, munis chacun de deux yeux au moins. A volume égal, dit M. Antoine de Rouville, on remarque peu de différence entre des tubercules entiers et des fragments de gros tubercules, si on les plante dans un terrain sec. Mais si on les met dans un terrain humide, les morceaux de pommes de terre ont plus de disposition à pourrir. Il paraît au contraire qu'en général les pommes de terre doivent être plantées ''entières, ''quelle que soit la nature du sol auquel on les confie ; nous en verrons bientôt la preuve.
 
8° ''Par la plantation de tubercules entiers. ''Ce moyen, avons-nous dit dans le précédent article, est regardé comme le plus sûr, et même comme le plus économique pour la reproduction des pommes de terre ; quelques agriculteurs, qui n'en ont pas obtenu
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/87]]==
les mêmes résultats, sont d'un avis contraire. M. Trotter, de Stockton, employa dans un même sol et en même quantité, des tubercules coupés, et d'autres qui furent laissés entiers. La portion de champ qui avait reçu les tubercules coupés offrit une récolte beaucoup plus considérable que celle où les tubercules avaient été déposés entiers. — D'un autre côté, MM. Payen et Chevalier, dont les noms font autorité en science, ont voulu savoir à quoi s'en tenir sur les divers modes de propagation dont nous venons de parler, et reconnaître si ces moyens étaient réellement économiques. Voici les expériences que ces savants ont faites à ce sujet<ref>Journal de Pharmacie, tome 9, page 397.</ref>. Ils ont planté dans le même terrain, et sous diverses formes, la même variété de pommes de terre, la blanche commune à vaches, ou ''patraque blanche ''(14 ''D), ''en rendant, autant que possible, toutes les autres conditions égales. Il a été employé pour chaque plantation, et dans six trous espacés de 70 centim. environ :
 
:1° Six pommes de terre d'une grosseur moyenne ;
Ligne 512 ⟶ 674 :
 
:5° Les yeux de six pommes de terre de la même grosseur environ.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/88]]==
 
Dans les trois premiers numéros, les tiges s'élevèrent rapidement et conservèrent pendant toute leur végétation une grande vigueur ; les plus belles cependant se trouvaient parmi celles du n° 1 ; celles du n° 3 étaient généralement moins fortes ; les tiges des deux derniers étaient grêles et se soutenaient à peine, la plupart même, parmi celles du n° 5, furent toutes courbées sous leur poids.
Ligne 528 ⟶ 691 :
 
Les expériences qui précèdent démontrent déjà que les pommes de terre plantées entières sont celles qui donnent le produit le plus considérable, et que l'on ne peut espérer d'économie en cherchant à les remplacer par de petits fragments, des pelures ou des yeux de ces mêmes pommes de terre. Si quelques expérimentateurs ont obtenu des résultats opposés, il faut en attribuer la différence à la manière dont la plantation a été conduite, aux soins apportés à la culture pendant les diverses phases de la végétation, ou à d'autres causes analogues.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/89]]==
 
Le désir d'économiser quelques hectolitres de semence par hectare, a seul pu motiver les pratiques vicieuses dont il vient d'être parlé ; mais des expériences nombreuses, faites sur une grande échelle, dans des localités très différentes, et qui ont donné partout des résultats identiques, ne permettent pas de douter que toute économie de ce genre est une faute d'autant plus grave, que le produit s'est toujours montré proportionnel, dans chaque essai, au volume, et par conséquent à la quantité des pommes de terre employées pour semence. Ces résultats ont tous été favorables à l'emploi du tubercule, sinon les plus gros, du moins entiers et plantés sans être coupés.
 
Ecoutons à ce sujet les avis d'un agronome à qui ses travaux en ce genre ont assigné un rang distingué dans l'agriculture pratique. « Pour assurer le succès de toute espèce de culture, on ne saurait donner assez de soin aux semences. Ce soin, si important, et toujours trop négligé, l'est surtout pour la pomme de terre. On commence ordinairement par réserver les plus petites pour semence, comme si cette plante faisait exception à la règle générale, de choisir ce qu'il y a de plus beau pour prévenir la dégénération des espèces. On amoncèle les pommes de terre dans des lieux plus ou moins humides, où elles fermentent bientôt Une végétation prématurée se développe : on enlève les premiers germes, qui sont les
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/90]]==
plus vigoureux, chez une plante qui a une force étonnante de végétation.
 
Quelque temps après, on recommence la même mutilation ; et si la plantation est très tardive, il n'est que trop ordinaire de revenir une troisième fois à la charge. Enfin, on craint qu'il reste trop de vie à ces tubercules épuisés ; on les coupe en morceaux, et l'on confie à la terre ces tristes restes d'une végétation presque éteinte. La première dégermination de la pomme de terre lui fait perdre plus du quart de son produit ; la seconde, à peu près la moitié, et la troisième, les trois quarts, ou la presque totalité<ref>Observations sur la culture de la pomme de terre, par M. le comte Maria — Annales de la Société Royale d'Agriculture de Savoie, tome 1, page 375.</ref>. »
 
35. Enfin, M. L. Mollot, notaire à Chamoux, a proposé un moyen de multiplier les pommes de terre en plantant les tiges, après avoir enlevé les tubercules qui les ont produites. « Ce procédé, dit M. Mollot, que j'ai pratiqué moi-même en 1887 et quelques unes des années suivantes, et qui m'a très bien réussi, consiste à arracher, vers les premiers jours de juillet, les pommes de terres dites ''printannières. ''Après avoir enlevé tous leurs tubercules, l'on met, dans de nouveaux sillons pratiqués au même endroit que les autres, les tiges que l'on place à
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/91]]==
 
quatre ou cinq pouces de distance les unes des autres, sans y mettre de nouvel engrais ; on couvre ces tiges sur-le-champ, on les coupe ensuite à six pouces au-dessus du sol comblé, et l'on arrose, si le besoin l'exige.
Ligne 545 ⟶ 712 :
Ce procédé paraît être connu depuis longtemps ; mais, s'il réussit, il peut être très utile dans une année où, comme celle-ci, la pénurie des semences pourrait se faire vivement sentir.
 
En Allemagne, où des altérations diverses attaquent les récoltes de pommes de terre depuis plusieurs années, presque tous les savants appelés à rechercher les causes du mal, ont placé en première ligne l'usage de planter des morceaux de pommes de terre au lieu de tubercules entiers. Les circonstances actuelles
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/92]]==
commandent donc de s'abstenir de cette pratique qui paraît vicieuse. Toutefois, sans adopter cette manière de voir d'une manière aussi absolue, nous pensons que les tubercules trop petits ne contiennent pas assez de substance propre à la nourriture des jeunes bourgeons ; beaucoup trop gros, ils poussent un grand nombre de tiges qui peuvent bien s'affamer réciproquement, et, dans ce cas, il serait peut-être utile de les diviser au moins en deux ; enfin, il ne faut, autant que possible, planter que des tubercules de moyenne grosseur, entiers, dont un seul suffit pour former un pied.
 
 
Ligne 557 ⟶ 726 :
}}
 
Les pommes de terre, bien que moins sujettes aux altérations morbides que la majeure partie des plantes cultivées, sont quelquefois attaquées par des maladies qu'il importe de rappeler ici, et dont on connaît trois
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/93]]==
catégories principales : ce sont, ''la rouille, la frisolée ''et ''la gangrène sèche. ''La connaissance de ces sortes d'altérations permettra de mieux juger comparativement la maladie qui a sévi cette dernière année avec tant de rigueur sur ce précieux tubercule, et dont nous nous occuperons spécialement dans la deuxième partie de ce travail.
 
Article 1<sup>er</sup> .— '''Rouille'''.
 
36. Dans ''la rouille, ''les feuilles se couvrent de taches roussâtres qui sont d'abord imperceptibles, mais qui finissent par couvrir toutes les parties foliacées. La transpiration qui a lieu par les feuilles est arrêtée, les tiges deviennent maigres et souffrantes, se consument et se dessèchent. Les tubercules présentent à l'intérieur des rognons noirs ressemblant à des ulcères, mais qui sont plus durs et plus fibreux que le reste du parenchyme. Quelquefois cette maladie est de peu de durée, et disparaît après une pluie douce. Mais, si l'affection gagne du terrain, il n'y a pas d'autre moyen d'en arrêter la marche, que de couper toutes les tiges avant l'apparition des organes floraux. Une pousse plus vigoureuse s'ensuit bientôt ; et plusieurs récoltes traitées de cette manière n'ont
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/94]]==
présenté que peu de diminution dans le produit. On ignore encore la cause de cette maladie, qui, du reste, ne se montre pas souvent. (''Allegemanei Encyclopœdia.) ''
 
Article 2''. — '''''Frisolée'''.
 
37. Cette maladie, assez fréquente dans la Grande-Bretagne, où on la connaît sous le nom de ''curl'', a fait parfois invasion dans quelques départements de la France, notamment dans les environs de Metz ; on la rencontre plus souvent encore en Allemagne, mais très rarement chez nous. Les plantes qui en sont attaquées, dit Putsche dans sa ''Monographie ''''des Solanées, ''paraissent souffrantes à l'extérieur. Les tiges sont lisses, d'une couleur brune tirant sur le vert, quelquefois bigarrées, souillées de taches couleur de rouille, qui pénètrent jusqu'à la moelle ; en sorte que celle-ci n'est point blanche, mais roussâtre et visant au noir. Le limbe des feuilles n'est point plan comme chez les individus en santé, mais rude, sec, ridé et crépu ; elles ne s'étalent pas au loin à l'entour des tiges, mais s'en rapprochent plus que de coutume, et leur développement n'est pas en
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/95]]==
rapport avec la longueur de leur pétiole. Il en résulte que la plante pâtit, se ride, jaunit prématurément à l'automne, et meurt au moment même où la végétation devrait être vigoureuse. Le petit nombre de tubercules que produisent ces plantes, mortes avant le temps, ont une saveur désagréable, parce qu'ils ne sont point mûrs, et sont impropres à l'alimentation de l'homme, parce qu'après avoir été mangés, ils laissent dans la gorge une substance acre qui en lèse les parois, propriétés communes à beaucoup de végétaux récoltés avant maturité. Plusieurs faits prouvent que certaines espèces de pommes de terre sont plus exposées que d'autres à la ''frisolée ; ''cette maladie fait moins de ravages dans les montagnes que dans les plaines et dans les bas-fonds. Elle est héréditaire, et ce n'est que par une bonne culture que l'influence en est paralysée à la quatrième ou cinquième génération. Le seul remède connu, c'est de renouveler l'espèce par des semis ou des importations de variétés nouvelles.
 
38. Une autre maladie des pommes de terre, la plus à craindre de toutes, est celle qui attaque directement
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/96]]==
les tubercules, et que l'on désigne sous le nom de ''gangrène sèche. ''Selon M. Louis Rasino, pharmacien à Turin<ref>Thèse Botanico-Chimique sur le Solanum tuberosum, pour obtenir le titre de pharmacien, soutenue au Collége de Pharmacie de Turin, par Louis Rasino, le 4 août 1845.</ref>, cette maladie se montra pour la première fois, en 183o, dans quelques districts voisins du Rhin ; elle se propagea ensuite dans le royaume de Saxe, dans le Mecklembourg, la Bohême, la Suisse et principalement dans une province du Bavarois où elle détruisit, en 1840, presque les deux tiers de la récolte.
 
Les tubercules attaqués de la gangrène sèche deviennent tellement durs, qu'ils semblent pétrifiés ; il est même difficile de les rompre à coups de marteau, et ils résistent à l'action de l'eau bouillante, comme à celle de la vapeur dans les fabriques destinées à la préparation de l'eau-de-vie. Ce qu'il y a de pire, c'est qu'on n'aperçoit, dès le principe de la maladie, aucun signe qui puisse avertir de cette grave altération ; les pommes de terre paraissent saines quand elles sont déjà assez gâtées pour n'être plus propres à la reproduction.
 
M. Martius, célèbre académicien de Munich<ref>Ann. des Sciences nat. Scr., 2 septembre 1842, p. 141.</ref>, qui s'est occupé de ce sujet, attribue la cause de la gangrène sèche de la pomme de terre, à un petit
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/97]]==
champignon parasite, de la famille des mucédinées, auquel il a donné le nom de ''fusisporum solani. ''Les tubercules attaqués par ce champignon offrent, dès le principe, certaines petites taches à peine sensibles, de couleur obscure et d'un aspect réticulaire dû au desséchement de l'épiderme. Ensuite ces tubercules se durcissent de plus en plus, se rident et prennent à l'intérieur une teinte livide et noirâtre. On aperçoit, en outre, dans le milieu de la pulpe, certaines petites lames très subtiles, de couleur blanche, et dont le tissu fibrilleux, ramifié, très délicat, les fait, pour ainsi dire, ressembler à ce que l'on nomme le ''blanc de champignon. ''De ces petites laminettes, soit rudiments dispersés ça et là en quantité variable, se développe bientôt le champignon parasite qui envahit promptement toute la masse du tubercule, et, traversant l'épiderme, se montre au-dehors sous la forme de petites touffes de filaments terminés à leur sommet par de petits globules ou bourses remplies de sporules, c'est-à-dire de corps reproducteurs.
 
39. Désirant connaître le mode de reproduction propre au ''fusisporum solani, ''le savant botaniste dont je viens de citer les travaux, entreprit quelques expériences desquelles il croit pouvoir conclure : que les corps reproducteurs de cette espèce de champignon exercent, sur l'organisation de la pomme de terre, une action tout-à-fait particulière, en viciant le suc de la première cellule qu'ils rencontrent ; que
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/98]]==
ce premier germe se propage alors de cellule en cellule et corrompt toute la plante ; que les sucs contenus dans les cellules d'une plante attaquée, agissent par infection à la manière d'un ''virus sui generis ; ''que la présence du champignon dans la pulpe ne dépend pas du développement d'un certain nombre de sporules qui auraient pénétré à l'intérieur, mais bien d'un changement qui s'est opéré dans tous les sucs de la plante, lesquels, en vertu de ce changement, acquièrent la faculté de produire spontanément ledit champignon. La gangrène sèche de la pomme de terre, dit M. Rasino, est aujourd'hui regardée comme un des plus grands fléaux de l'agriculture allemande ; elle est d'autant plus à craindre, que le champignon qui en est la cause produit un nombre infini de corps reproducteurs, qui se répandent promptement à une grande distance, et conservent pour longtemps leur faculté reproductrice, ou, pour mieux dire, contagieuse. Pour préserver, autant que possible, les campagnes de ce malheur, M. Martius recommande d'éviter toute espèce de contact avec les tubercules infectés, de détruire entièrement ces derniers, de bien nettoyer les magasins où ils ont séjourné, et de soumettre à l'action de la chaux réduite en poudre, les tubercules destinés à la reproduction.
 
Les détails que je viens d'exposer sur la cause présumée de la gangrène sèche des pommes de terre, intéressent
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/99]]==
sous plus d'un rapport. Cette opinion, comme on le verra dans la seconde partie de cet ouvrage, se rapproche singulièrement, sous divers points, des idées émises par quelques micographes sur la maladie de 184& ; à ce titre seul elle devait trouver place ici.
 
 
Ligne 587 ⟶ 770 :
}}
 
40. C'est au docteur Pearson que sont dues les premières recherches chimiques sur la pomme de terre ; les expériences du chimiste anglais sont consignées dans les Mémoires de la Société d'Agriculture de Londres. Vint ensuite Parmentier qui, le premier en France, a fait connaître les avantages que l'économie rurale et domestique pouvait retirer de la culture de ce tubercule et de l'emploi de cette racine
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/100]]==
salutaire. Cependant, malgré les travaux nombreux du chimiste agriculteur, une lacune existait dans l'histoire générale de la pomme de terre ; son analyse chimique, proprement dite, manquait à la science. La Société d'Agriculture de Paris, voulant qu'il ne restât rien à faire sur cette matière, chargea, en 1817, Vauquelin de soumettre à des expériences chimiques les principales variétés de ce tubercule, et appela particulièrement son attention sur les quantités relatives d'amidon, de parenchyme et de matière extractive que chacune d'elles pouvait contenir. Sur 47 variétés analysées par cet habile professeur, 11 variétés n'ont diminué que des deux tiers par la dessication, et ce sont justement celles qui ont donné le plus d'amidon ; 10 ont perdu les trois quarts, et 6 près des 4/5 par la même opération.
 
La quantité des matières solubles s'élève aux deux ou trois centièmes de la masse ; voici leur nature, leur nombre et la proportion de quelques-unes d'entre elles<ref>Vauquelin a opéré sur le suc, ou plutôt sur le lavage des pommes de terre écrasées ; les chiffres qu'il a obtenus ne sont qu'approximatifs ; et non le résultat d'un dosage rigoureux./ref>) :
Ligne 600 ⟶ 785 :
| ||4°||Matière animale particulière. . .|| 0.001 à 0,005||
|-
| ||
| ||Acide citrique, en partie libre, en partie combiné||Quantité<br/> indéterminée||||
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/101]]==
| ||Acide citrique, en partie libre, en partie combiné||Quantité<br/> indéterminée||||
|-
|}
Ligne 606 ⟶ 793 :
41. Deux ans plus tard, Peschier, pharmacien à Genève, dont le nom survit honorablement dans un frère que la doctrine homœopatique compte au nombre de ses plus zélés comme de ses plus doctes partisans, Peschier, dis-je, annonçait à la Société de Pharmacie de Paris qu'il venait d'obtenir deux principes sucrés et gommeux dont la présence avait été jusqu'alors niée dans les pommes de terre. Ayant exposé dans un lieu frais, une livre de farine en macération avec huit ou dix livres d'eau pendant vingt-quatre heures, et fait évaporer cette eau de lavage à peu près à siccité, il obtint une matière sucrée et gommeuse qui, traitée par l'alcool, fournit 65 grains de principe sucré, et 220 grains de principe gommeux, sec et transparent. La farine employée par Peschier était obtenue au moyen du rapage des tubercules, et la pulpe était mise en contact avec de l'eau pendant quelques heures, puis exprimée et séchée.
 
42. Il n'existait autrefois qu'un alcali en chimie ; c'était la soude. Peu à peu, des procédés plus exacts, des analyses plus habiles ont fait découvrir de nouveaux composés qui sont venus élargir le cadre tracé,
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/102]]==
et ont obligé de réduire encore le nombre des caractères appartenant à chaque genre, à chaque espèce. Tel est le motif et l'origine de l'augmentation du nombre des alcalis. Il faut avouer toutefois que les chimistes ont un peu usurpé les limites de cette découverte, en donnant, sans fondement, le nom d'alcali à une foule de substances nouvelles qui sont loin de réunir les conditions nécessaires pour être rangées dans cette classe de corps. Les alcalis organiques étant devenus un objet de mode, chacun a voulu en trouver un ; les plantes, en général, ont dû, bon gré, mal gré, satisfaire à tout prix les exigences de leurs expérimentateurs, et se soumettre aux tortures des réactions chimiques (auxquelles on doit vraisemblablement la ''découverte ''de quelques-uns d'entre eux), sous peine d'être rejetées pour jamais de la matière médicale. Comme tant d'autres végétaux, la pomme de terre a dû subir cette épreuve, et, quoique très-innocente d'ailleurs, elle n'en a pas moins fourni un poison dangereux et violent ! Ce poison s'appelle ''Solanine. ''
 
La solanine, soupçonnée d'abord par Baup, découverte en 1821 par Desfosses, et obtenue plus tard à l'état de pureté par MM. Otto et Henry, existe dans plusieurs plantes de la famille des solanées, telles que la douce-amère, la morelle, le solanum verbascifolium, etc. Elle a cela de particulier, qu'elle ne se rencontre pas toujours dans toutes les parties de
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/103]]==
la plante qui la contient ; ainsi, tandis qu'elle se montre aussi bien dans les baies que dans les feuilles de la douce-amère, les baies seules de la morelle en renferment, les feuilles en sont privées. La solanine est sous forme d'une poudre blanche, un peu nacrée, soluble dans les acides minéraux, et brûle sans laisser de résidu. Son action sur les animaux est semblable à celle des narcotiques ; elle paralyse les extrémités postérieures, mais elle n'a pas la propriété de dilater la pupille. Un grain suffit pour tuer un lapin en trois heures.
 
La solanine s'obtient principalement des germes de la pomme de terre, chez qui ce principe se trouve particulièrement développé, si toutefois la pomme de terre elle-même, ainsi que les autres parties de la plante, en renferment réellement. Les amateurs de ce tubercule, et ils sont nombreux, doivent donc être pleinement rassurés au sujet des craintes que la présence de ce poison semblerait devoir leur inspirer, sur les qualités inoffensives du plus précieux et du plus sain des aliments !...
Ligne 618 ⟶ 809 :
|-
|}
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/104]]==
 
Et d'après Cadet de vaux :
Ligne 634 ⟶ 826 :
 
M. Cantù dit être parvenu à découvrir, dans les pommes de terre, des traces d'iode sensibles seulement aux réactifs propres à déceler les quantités les plus
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/105]]==
 
minimes de ce métalloïde. J'ai été curieux de répéter les expériences du savant professeur turinais, et j'ai obtenu les mêmes résultats. J'ai de plus constaté, dans ce même tubercule, la présence du brome<ref>J'ai annoncé ce fait à la Société Médico-chirurgicale de Turin, dans sa séance du 30 janvier 1846.</ref> que celle de l'iode m'y avait fait soupçonner. Une pomme de terre, de moyenne grosseur, suffit pour fournir des traces très sensibles d'iode, en suivant, pour cela, le procédé que j'ai découvert et annoncé dans le temps à l'Académie Royale des sciences de Paris<ref>Voyez Comptes-rendus de l'Institut Royal de France, séance du 29 mai 1843. —Moniteur universel, juillet 1843, N° 199. — Gazette médicale, 3 juin 1845, N° 22, — etc.</ref>. Pour le brome, il faut opérer sur une demi-livre au moins de tubercules.
Ligne 641 ⟶ 834 :
Cette matière animalisée, et la résine ensuite, sont les deux seuls principes de la pomme de terre qui aient une saveur marquée ; ce sont aussi les seuls qui soient colorés.
 
L'arôme et la saveur des tubercules qui ont cuit dans la cendre, dans leur propre suc, sont dus à ces deux corps.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/106]]==
La saveur de la matière animalisée est assez agréable quand elle est divisée par la partie amylacée et fibreuse de la pomme de terre ; mais, quoique analogue à celle du jus de champignons comestibles, elle est nauséabonde quand elle est concentrée.
 
Le parenchyme est cette partie fibreuse de la pomme de terre déchirée par la râpe, qui reste sur le tamis ou sur la toile dans la préparation de la fécule. C'est à Cadet-de-Vaux que l'on doit d'avoir converti cette substance, rejetée pendant longtemps comme inutile, en une ressource dont l'économie peut au besoin tirer un utile parti. Nous reviendrons sur ce sujet, en traitant de la préparation des divers produits que l'on peut obtenir de la pomme de terre.
Ligne 647 ⟶ 842 :
C'est dans la ''parmentière ''que l'on retrouve le plus de partie parenchymateuse ; elle en contient dix pour cent ; ''l'imbrigmie, ''neuf ; les autres variétés, trois seulement.
 
46. De tous les principes qui constituent la pomme de terre,le plus essentiel, le seul véritablement utile, est la ''fécule ''ou ''amidon ''qui en est la partie nutritive et alimentaire. C'est donc à ce principe qu'il faut essentiellement se rattacher, et sa qualité relative décide de la valeur réelle d'une qualité de pommes de terre. Des 47 variétés analysées par Vauquelin (40), onze d'entre elles ont fourni depuis le cinquième jusqu'au quart de leur poids d'amidon ; deux seulement n'en ont donné que le huitième. Les cinq variétés les
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/107]]==
plus riches sont : ''Vorpheline, ''la ''Decroisille, Yooxnoble, ''la ''petite hollandaise ''et la ''brugeoise ;'' elles contiennent, sur 500 grammes, savoir :
 
{|
Ligne 675 ⟶ 872 :
|uc}}
 
{{centré|''Usages de la ''''Pomme ''''de terre.''
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/108]]==
Usages de la ''''Pomme ''''de terre.''
}}
 
Ligne 681 ⟶ 880 :
48. L'usage de la pomme de terre sera désormais l'obstacle le plus efficace an retour de ces disettes affreuses qui ont désolé plusieurs fois les plus belles contrées de l'Europe ; comme plante destinée à la nourriture de l'homme, elle occupe incontestablement le premier rang. C'est en vain que, pendant longtemps, des savants distingués ont voulu démontrer qu'elle ne peut pas nourrir l'homme ; il n'en est pas moins vrai que les Allemands, les Alsaciens, les Lorrains, les Irlandais, les Ecossais et tant d'autres peuples encore, en font une partie de l'année leur unique aliment.
 
On sait que le philanthrope Parmentier servit un jour un dîner où, ''depuis le pain, jusqu'au café et au gloria'', tous les mets étaient uniquement composés des produits de la pomme de terre. Ce serait sans doute exagérer, si l'on disait que cette plante peut remplacer, pour l'homme, toutes les préparations alimentaires ;
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/109]]==
mais on peut affirmer qu'elle fournit à l'art culinaire les apprêts les plus variés. Je vais indiquer sommairement l'emploi de ce tubercule, comme racine alimentaire pour l'homme et les animaux.
 
On peut dire, d'abord, que toutes les parties de la plante sont utiles. Les fanes réduites en cendres fournissent beaucoup de potasse. La fleur offre à la teinture un beau jaune solide et durable. Le tubercule remplace avantageusement le savon ; la fécule qu'on en retire est très nourrissante, et peut entrer dans toutes les préparations comestibles au gras et au maigre ; unie au froment et au seigle, on en obtient un pain savoureux, et, traitée par des procédés convenables, elle se convertit en sirop, en sucre, en eau-de-vie d'assez bonne qualité, en bière, en vinaigre, etc., etc. Mangée seule, la pomme de terre remplace le pain, et, mêlée aux autres substances, soit végétales, soit animales, dont l'homme se nourrit, elle amène une notable diminution dans la consommation des céréales, dont le prix s'élève considérablement par le manque de cette précieuse racine. Le tubercule gelé se convertit en fécule, en un bon empois, en colle pour les cartonniers, et en une sorte de bouillie que l'on répand sur de la paille, au moyen de quoi l'on, obtient un fumier très puissant. Ses tiges, soumises au rouissage, ou couvertes de neige plusieurs jours de suite, fournissent un papier assez blanc ; mêlées aux résidus des féculeries, le papier que l'on obtient
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/110]]==
est moins beau, très fort et excellent pour fabriquer du carton ; associées avec de vieux chiffons, le papier est meilleur, d'une superbe blancheur, et convient surtout à l'imprimerie.
 
49. La faculté nutritive de la pomme de terre pour l'aliment du bétail n'est pas moins intéressante. Crue ou cuite, elle peut remplacer en totalité ou en partie les autres végétaux pour nos animaux domestiques. (Un boisseau par jour, dit Bosc, avec le foin qu'on jette dans le râtelier, nourrit très bien les bœufs destinés à la boucherie ; il en faut un peu moins pour les vaches, qui alors donnent du lait en abondance ; cette nourriture soutient également les chevaux à la charrue ; elle est convenable aussi pour les moutons à l'engrais, pour les boucs, les chèvres, qui profitent beaucoup, pour les cochons et les oiseaux de basse-cour ; les poissons même s'en nourrissent, il suffit de la leur jeter en boulettes dans les étangs et les viviers. »
 
Thaer et Peler pensent qu'il faut deux livres de cette racine pour équivaloir à une livre de foin ; Krantz estime qu'il n'en faut que 1,25. Dombasle, qui a formulé son opinion sur des faits positifs, au lieu de la déduire de probabilités très équivoques, pense qu'il faut, pour remplacer ''\ ''de foin, 1,73 de pommes de terre cuites, et 1,87 de crues. Au reste, la variété des plantes, l'espèce de bétail, l'année et l'époque des expériences suffisent au-delà pour concilier des opinions tant soit peu diverses.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/111]]==
 
On a observé que les pommes de terre crues poussent à la production du lait, et cuites, à celle de la graisse. L'influence de cet aliment sur la sécrétion lactée sera traitée ailleurs (105) ; je me contente de dire actuellement que ce tubercule cru doit être administré avec prudence ; donné en trop grande abondance, il est regardé comme un régime débilitant ; il n'en faut pas donner plus de la moitié de la ration qui doit composer la nourriture journalière. Ainsi, dans le cas où une vache consommerait 20 livres de foin par jour, on ne doit lui donner que 10 livres de foin et 15 à 20 livres de racines.
Ligne 694 ⟶ 898 :
 
M. Ribeck, de Lindow, a démontré, le premier, par des essais pratiques, le peu de fondement de cette idée, que les chevaux ne peuvent consommer avec avantage la racine de la pomme de terre. Si ces animaux refusent ce tubercule lorsqu'il est cru, ils le mangent très bien si on le leur donne cuit et refroidi. Ce genre d'alimentation, qui est déjà répandu dans plusieurs contrées de la France septentrionale, menacerait-il de détrôner l'avoine ?
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/112]]==
 
Les pommes de terre cuites et distribuées à la volaille, la font engraisser promptement, et déterminent chez les femelles une ponte abondante et précoce. Toutefois, pour obtenir de meilleurs résultats encore, il faut ajouter à cette nourriture une petite quantité d'une matière grasse quelconque, laquelle, d'après les belles expériences de MM. Dumas, Payen, Boussingault, Persoon, Liebig, etc., augmente beaucoup le pouvoir engraissant des substances nutritives en général, en en facilitant l'assimilation.
Ligne 699 ⟶ 904 :
Je ne dirai rien des fanes de pommes de terre coupées avant ou après la floraison, que l'on a essayé de donner en vert aux bestiaux. Nous avons déjà vu (28) que la coupe prématurée de cette partie aérienne de la plante, diminue très sensiblement la production et la croissance des tubercules. Dans tous les cas, si l'on y avait recours, il faudrait au moins l'exposer quelques jours au soleil avant de la faire consommer, et y ajouter du sel.
 
50. La pomme de terre est aussi employée en médecine dans diverses circonstances ; cuite à l'eau, et pétrie avec de l'eau chaude ou de l'eau de mauve, elle constitue un excellent cataplasme émollient, qui peut, à la campagne, remplacer la farine de lin et être appliqué sur toutes les tumeurs inflammatoires en général. La fécule peut servir au même usage. Un cataplasme ainsi préparé et appliqué à la base du
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/113]]==
cou, sur la partie antérieure de la poitrine, produit souvent de très bons effets, dans les cas de catarrhe bronchique, lorsque l'expectoration est difficile et douloureuse ; il se conserve chaud pendant très longtemps, provoque de la moiteur sur toute la partie environnante et facilite le crachement. Il agit de même dans les pleurésies (points de côté), appliqué sur la partie correspondante au point douloureux. La fécule elle-même peut remplacer toutes les fécules exotiques que l'on tire à grands frais de l'étranger, et qui sont le plus souvent falsifiées ; cuite dans de l'eau aromatisée, du lait ou du bouillon, elle forme un aliment léger, d'une facile digestion, et qui convient parfaitement aux malades qui entrent en convalescence.
 
Je me suis contenté d'exposer ici les principaux usages de la pomme de terre ; dans la troisième partie de cet ouvrage, je traiterai spécialement de la préparation et de la fabrication de tous les produits que l'on peut obtenir, directement ou indirectement, de chacune des parties qui composent cette solanée.
==[[Page:Joseph Bonjean - Monographie de la pomme de terre, 1846.djvu/114]]==
 
inline:Image4.png
=== no match ===
Image4.png
 
'''DEUXIÈME PARTIE''''''.'''