« Monographie de la pomme de terre » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Aucun résumé des modifications
Aucun résumé des modifications
Ligne 1 222 :
 
 
<center>==DEUXIÈME PARTIE.==
 
Histoire<centerHistoire générale<br />
 
de la<br />
 
 
Maladie des Pommes de terre<br />
 
 
en 1845.<br />
 
 
Préliminaires<br /></center>
 
 
Ligne 2 536 :
 
 
<center>==TROISIÈME PARTIE.==</center>
 
 
<center>Fabrication
 
DES
 
divers Produits que l'on peut obtenir<br />
avec la Pomme de terre.
</center>
 
123. Nous avons exposé, dans la première Partie de cet ouvrage, les diverses questions relatives à la culture de la pomme de terre ; nous avons ensuite passé en revue la marche et les caractères de la maladie qui l'a frappée en 184 5, les causes probables qui ont précédé et accompagné l'apparition du mal, ainsi que les moyens à employer pour conserver et utiliser la récolte, sans que la santé des hommes ou des animaux en soit atteinte. Il nous reste enfin, comme complément de la Monographie que je me suis proposé de faire connaître, à décrire les divers procédés à l'aide desquels on peut se procurer, d'une manière aussi simple que possible, les principaux produits que les arts et l'industrie peuvent retirer de ce précieux tubercule.
 
Tout ce qui va être dit dans cette troisième Partie s'applique aux pommes de terre avariées comme aux pommes de terre saines ; toutefois, je donnerai avec soin les explications qui seraient exceptionnellement exigibles dans le premier cas, et je ferai en outre connaître la différence qui pourrait résulter de l'emploi, pour un même produit, des tubercules sains et des tubercules malades.
 
De tous les principes qui composent la pomme de terre, le plus intéressant est sans doute la fécule ou l'amidon[1] qu'elle renferme. C'est donc à l'extraction de ce principe que nous allons consacrer le premier Chapitre de cette dernière Partie de l'ouvrage; je décrirai ensuite les principaux produits auxquels il peut donner naissance, par suite des réactions que l'on fait subir à ses divers éléments constitutifs, et je terminerai enfin par faire connaître quelques-unes des productions alimentaires les plus essentielles, obtenues avec la pomme de terre elle-même ou avec la fécule en nature.
 
 
Chapitre premier
 
Préparation de la fécule de pomme de terre.
 
Article 1er. — Notions préliminaires.
 
Epoque de la récolte des Pommes de terre pour en obtenir le plus de fécule possible ; lieux où il convient de les retirer ; silos et moyens de les pratiquer en grand ; objets nécessaires pour ce genre d'exploitation ; qualités d'une bonne râpe.
 
124. C'est à l'époque de sa maturation la plus complète, que la pomme de terre renferme la plus grande quantité de fécule ; la récolte doit en être faite par un temps sec, et fermée immédiatement. II est très important de n'emmagasiner les tubercules que lorsqu'ils sont secs, ou tout au moins, le moins humides possible. Le lieu le plus convenable pour cela est une cave très saine, ou un cellier où il ne gèle pas. Dans l'un et l'autre cas, il faut les priver de la lumière, dont l'absence les tient, pour ainsi dire, dans un état de sommeil ; tandis qu'elle y développe promptement un mouvement intérieur de vie qui se manifeste par une germination plus ou moins rapide, laquelle n'a lieu qu'aux dépens de la fécule.
 
125. Comme il est souvent difficile, dans une exploitation un peu considérable, d'avoir des locaux assez grands pour emmagasiner la quantité de pommes de terre que l'on se propose de travailler, on remplace avantageusement la cave et le cellier par un silo, ou trou pratiqué en terre, dans un sol élevé et très sec ; La forme de ce trou est tout-à-fait indifférente ; il peut être long, carré ou rond, mais sa profondeur ne doit pas dépasser cinq mètres (15 à 16 pieds). Le fonds et les parois doivent être garnis d'une couche de paille de six à sept centimètres (2 pouces au moins) d'épaisseur, pour que les pommes de terre ne soient pas en contact direct avec la terre. On remplit ce trou de pommade terre jusqu'à un pied, au plus, de son bord, on place des pièces de bois en travers avec quelques branchages par-dessus, on y met ensuite de la paille, sur laquelle on amoncèle, en forme de tas, une couche de terre d'un mètre (3 pieds) au moins dans le centre, de manière qu'il en résulte un cône très surbaissé qui, formant toit, permette aux eaux pluviales de s'écouler facilement, sans pénétrer dans l'intérieur, ce à quoi l'on parvient en prenant la précaution de bien tasser la terre, et de tracer, à onze ou douze centimètres (4 pouces) du bord du trou, une petite rigole circulaire pour porter les eaux au loin. Si le trou est pratiqué dans un terrain léger et sablonneux, il est très utile d'enduire la rigole avec un peu de terre glaise. En opérant ainsi, on peut conserver les pommes de terre parfaitement saines, et exemptes de toute végétation, jusqu'au mois de mai suivant, ce qui permet une fabrication de fécule pendant six mois au moins.
 
126. La fabrication ou l'extraction de la fécule de pommes de terre est extrêmement simple et facile ; elle est basée sur la ténuité des mollécules de ce corps et son insolubilité dans l'eau froide. Ce qu'il faut, avant tout, c'est de l'eau claire à discrétion, un local où il ne gèle pas et situé de manière à ce que les eaux puissent y trouver un écoulement facile. Les instruments nécessaires sont : i° quelques tonneaux défoncés par un bout et servant de baquets ; 2° deux tamis en toile métallique et à rebord élevé, l'un à tissu gros, et l'autre à tissu très fin ; 3° une râpe ou machine à réduire la pomme de terre en pulpe ; 4° quelques paniers à anses et à claire-voie pour laver la pomme de terre.
 
127. La meilleure râpe est celle qui fait le plus de pulpe et la pulpe la plus fine possible dans un temps donné ; ses dents doivent être très courtes, afin que toutes les cellules soient atteintes, et que la fécule puisse ensuite s'extraire par un simple lavage et par un frottement aussi léger que possible. On doit pouvoir rechanger les lames facilement et sans perte de temps. Cette machine peut être mue par une puissance quelconque, par un homme ou par un cours d'eau.
 
 
Article 2e. — Extraction de la fécule.
 
Lavage des tubercules ; râpage ; tamisage de la pulpe ; lavage de la fécule brute ; égouttage de la fécule lavée : /° dans les tonneaux ; 2° sur une aire en plâtre ; — dessication, 1° à l'air libre ; 2° dans une étuve ; blutage de la fécule. — Résidu ou parenchyme ; son emploi pour nourrir le bétail. — Eaux de lavage des féculeries ; excellentes pour engrais. — Procédé pour préparer la fécule en petit, à la portée des ménages. — Fécule extraite de pommes de terre malades. — Moyens de conserver humides de grandet quantités de fécule pendant un an.
 
128. Pour bien concevoir l'extraction de la fécule, bornons-nous à dire que la pomme de terre récoltée par le plus beau temps possible, comprend : i° une légère couche de terre qui reste toujours plus ou moins adhérente à sa superficie ; 2° une substance environnée d'un parenchyme celluleux, de nature ligneuse ; 3° de très petits grains de fécule ; 4° un suc tenant en dissolution la matière colorante et quelques sels.
 
Le jour où l'on voudra commencer l'exploitation de la fécule, on commence par procéder au lavage des pommes de terre. Cette opération a pour but de séparer la terre qui revêt les tubercules, exercerait une action nuisible sur les dents de la râpe, et salirait la fécule en se précipitant au fond de l'eau avec elle. Immédiatement après, les pommes de terre sont soumises à l'action de la râpe.
 
129. La pulpe qui provient du râpage est reçue dans une caisse placée au-dessous de la râpe. Cette pulpe, composée d'un parenchyme ligneux, de fécule et d'un suc coloré, est portée dans le tamis à gros tissu qui plonge jusqu'aux trois quarts de sa hauteur, dans un tonneau ou cuvier aux trois quarts plein d'eau. En imprimant à la pulpe un mouvement circulaire à l'aide d'un morceau de bois, la fécule passe à travers le tissu du tamis, tandis que le parenchyme ou matière fibreuse reste dessus. Au bout de huit à dix minutes, l'opération est terminée, le tamis est porté sur un autre cuvier, et l'on fait arriver, sur le résidu qu'il renferme, un courant d'eau qui enlève les dernières portions de fécule qui peuvent y rester interposées. On reconnaît que le résidu ne contient plus de fécule, quand l'eau qui s'écoule n'est plus laiteuse[2].
 
130. L'amidon se dépose rapidement, au fond du cuvier ; trois quarts d'heure ou une heure suffisent pour cela. Lorsque la couche a environ 35 à 45 centim. (1 pied à 18 pouces) d'épaisseur, on arrête l'opération. La liqueur qui surnage, étant fortement colorée par la matière extractive de la pomme de terre, on la décante et on la remplace par de l'eau claire, en agitant fortement avec une pelle de bois, pour suspendre de nouveau la fécule dans le liquide. Pendant le brassage, qui ne doit pas discontinuer, le mélange est versé, à mesure qu'il passe, dans le tamis à tissu fin placé sur un tonneau vide et très propre, et que l'on agite constamment. La fécule passe seule avec l'eau, et la pulpe fine, qui s'y trouvait mélangée, reste sur le tamis.
 
Lorsque toute la liqueur est ainsi tamisée, on l'agite de nouveau avec une pelle, en même temps que l'on fait arriver dans le tonneau un courant d'eau pour le remplir. Après une ou deux heures de repos, tout l'amidon est déposé, et la liqueur qui surnage est claire, mais encore un peu colorée. On jette cette eau, on la remplace par de nouvelle, on délaye de nouveau l'amidon et on laisse déposer. On répète les lavages jusqu'à ce que l'eau qui en provient soit parfaitement claire et incolore, après quoi l'opération est terminée. Toute la série de manœuvres que je viens de rapporter, s'exécute facilement dans une journée. Si cependant une cause quelconque empêchait que la pulpe ne pût être entièrement travaillée dans le jour de sa fabrication, on peut la remettre au lendemain et même à plusieurs jours après. Dans ce retard, la pulpe acquiert, il est vrai, une couleur brune verdâtre, mais la fécule qu'elle fournit ne devient pas moins belle que le premier jour.
 
131. La fécule amenée à son degré de blancheur, ce qui a lieu au quatrième ou cinquième lavage, adhère fortement au fond du tonneau. Elle présente à sa surface, lorsque l'eau qui la surnageait a été décantée, une couche grisâtre de 2 à 3 centimètres (i/2 pouce à 1 pouce) d'épaisseur, et qu'on enlève au moyen d'un racloir en cuivre, semblable à ceux des boulangers. Cette portion porte le nom de têt de l'amidon ; elle doit sa couleur à une petite partie de matière pulpeuse qui a passé à travers le tamis fin ; elle a moins de valeur que celle qui reste dans le tonneau, mais elle vaut autant que la fécule la plus blanche, pour être convertie en matière sucrée, en eau-de-vie, etc.
 
132. La portion de fécule blanche s'appelle pied de l’amidon ; il ne s'agit plus que de la faire sécher. Pour cela, on la dépose sur une aire ou planche faite en plâtre gâché très mou, de manière que celle-ci soit très poreuse après sa dessication. Cette planche, ainsi fabriquée, agit sur la fécule que l'on répand dessus, absolument comme le ferait une éponge ; elle absorbe rapidement la plus grande partie de son humidité et l'essore au point qu'en douze heures au plus, elle peut être enlevée en pains solides. Les pains sont alors placés, en les arc-boutant ainsi deux à deux (jr\), sur des planches échelonnées dans un séchoir bien aéré, où on les laisse pendant quatre ou cinq jours. Pour leur donner ensuite le dernier degré de chaleur nécessaire à leur entière dessication, on les enlève du séchoir, on les casse en morceaux, et on les place dans des corbeilles garnies d'une toile serrée, que l'on porte dans une étuve où la température doit être constamment maintenue entre 26 et 40 degrés centigrades, jamais au-dessus de 4o degrés. Après dix à douze heures d'exposition dans cette étuve, la fécule est complètement sèche ; il ne reste plus, pour la livrer au commerce, qu'à la pulvériser et la passer au sas fin, espèce de tissu de crin, de soie, etc., dont on se sert pour passer la farine. Cette opération se faisait autrefois sur une table à rebord, à l'aide d'un rouleau de bois ; la fécule, ainsi écrasée, était tamisée ensuite. Aujourd'hui on met la fécule, au sortir de l'étuve, dans une machine qui la verse dans un blutoir où la pulvérisation et le tamisage se font d'eux-mêmes.
 
Il est nécessaire que l'aire en plâtre sur laquelle on met essorer la fécule, ne soit pas construite au rez-de-chaussée. Un grenier est l'endroit le plus convenable, et la pièce qui est au-dessous doit être ouverte de toute part, afin que l'air puisse y circuler facilement et en quantité ; de cette manière, l'aire se dessèche par dessous, tandis que, dans le cas contraire, elle serait bientôt elle-même saturée d'eau et ne pourrait plus en enlever à l'amidon.
 
132 bis. Le résidu fibreux ou parenchyme de la pomme de terre qui reste sur les tamis, est donné en nourriture aux bestiaux ; c'est le seul parti que l'on puisse en tirer. Les vaches le mangent cru ; il a seulement besoin d'être assaisonné avec un peu de sel ; pour les porcs, il faut le faire cuire, et il les pousse très facilement à l'engrais. — Comme ce résidu retient toujours une petite portion de fécule, quelques personnes ont cru pouvoir le rendre panifiable, et trouver en lui une ressource importante pour l'économie domestique. Mais il paraît qu'on n'obtient ainsi qu'un pain fort peu nourrissant, et ne pouvant être mâché que comme une sorte de charpie qui se réfugie autour des dents, comme le font les filaments de haricots peu avancés.
 
Les eaux de lavage des féculeries, qui ont souvent causé tant d'embarras aux fabricants, à cause des matières azotées qu'elles contiennent en suspension ou en dissolution, peuvent être appliquées à l'irrigation des terres en culture, car elles constituent un excellent engrais. Dans le cas où la position de la fabrique ne permettrait pas de les utiliser ainsi, on peut les perdre dans des puits absorbants.
 
133. Telle est la marche que l'on suit ordinairement dans les grandes fabrications de fécule pour les besoins du commerce ; mais, comme toutes les manipulations exigées, quoique très simples et très faciles à mettre à exécution, pourraient effrayer les personnes qui désireraient préparer seulement une petite quantité de ce produit, voici le procédé qu'on pourra suivre à cet égard, en le modifiant toutefois selon les circonstances. Il faut râper les pommes de terre, passer la râpure dans un tamis de crin, verser de l'eau dessus en même temps qu'on la remue et qu'on la presse pour séparer le son de la fécule, et cela, jusqu'à ce que l'eau qui en découle soit claire ; car la fécule entraînée par l'eau se dépose promptement au fond du vase placé sous le tamis, et quelques lavages lui donnent toute sa blancheur. Si, après le lavage, des parties jaunâtres restaient mélangées à la fécule, il faudrait la passer de nouveau au tamis. Il faut faire sécher promptement la farine ainsi obtenue, sans toutefois l'exposer à une haute température ; pour cela, on l'étend sur des planches ou sur des claies, dans un lieu bien aéré, et on la remue souvent. On peut profiter de la chaleur d'un four, élevée seulement à 30 ou 40 degrés centigrades, en plaçant la fécule dans des corbeilles garnies de toile. — Pour ne laisser aucun doute, enfin, sur la facilité qu'il y a de se procurer en très peu de temps de la fécule de pommes de terre, j'ajouterai que j'en ai préparé moi-même, en un quart d'heure, plusieurs onces, pour faire voir aux personnes qui m'entouraient comment cela se pratique. Cette opération peut donc se faire très en grand, et sur une petite échelle ; elle peut être mise en usage par de petits ménages, aussi bien que par les grands cultivateurs. 134. Dans les divers pays où la maladie de 1845 a attaqué les pommes de terre, des industriels ont cherché à tirer parti des tubercules altérés en en extrayant la fécule. On a pu se convaincre qu'aucune partie attaquée par la maladie ne reste dans la farine lorsqu'elle est bien lavée. Les pommes de terre altérées au premier degré ont fourni de la fécule très blanche, celles qui commençaient à se putréfier en ont donné de grisâtre ; dans le premier cas, la quantité obtenue différait peu de celle fournie par les mêmes pommes de terre saines, ainsi que nous l'avons démontré précédemment (74).
 
On a remarqué que la fécule provenant des pommes de terre les plus fortement altérées, ne pouvait pas se déposer, et qu'elle n'était pas vendable en raison des matières étrangères qu'elle contient en grande proportion. M. Payen a cherché à faire disparaître cet inconvénient, et il y est parvenu en ajoutant quelques millièmes d'acide sulfureux ou de sulfites, dans l'eau servant à délayer le dépôt[3]. La fécule s'est précipitée au fond la première, blanche et bien lassée, et la matière organique rousse a formé un second dépôt léger, facile à enlever. L'illustre académicien a également trouvé, dans l'addition de 2 à 3 centièmes de chaux fusée, un autre moyen d'amener promptement la putréfaction de la matière azotée.
 
Les uns ont fait de la fécule pour la consommer dans leur ménage ; d'autres ont exploité cette industrie sur une échelle plus ou moins grande. Parmi ces derniers, je citerai M. Colomb, syndic de la commune de Grésy-sur-Aix (Savoie-Propre), qui a travaillé dans ce but 7 à 800 quintaux de pommes de terre altérées, et dont il a retiré, en moyenne, 14 pour °/0 d'une fécule assez belle. Cet habile mécanicien, auteur des presses hydrauliques à bascule, et connu fort au loin par son génie particulier à fabriquer toute espèce de machine, a construit de lui-même un appareil au moyen duquel il peut convertir en fécule cent quintaux de pommes de terre par jour ; la râpe, mue par eau, broie dix quintaux de tubercules à l'heure, et, à la rigueur, une seule personne, deux au plus, suffisent pour toutes les manœuvres de l'opération. J'ai vu fonctionner cet ingénieux appareil, et je l'ai trouvé parfait, remplissant en un mot toutes les conditions désirables[4].
 
135. La plus grande partie des frais qu'entraîne, en grand, la fabrication de la fécule, provient de sa dessication. M. Barruel, chimiste distingué de Paris, et dont je m'honore d'avoir été l'élève, a trouvé le moyen de la conserver saine pendant un an. Ce moyen, à la fois simple, peu dispendieux et d'une facile exécution, consiste à mettre la fécule, parfaitement dépouillée de sa matière colorante, dans des tonneaux bien cerclés, et à la recouvrir de 50 à 60 centimètres (1 pied i/2 à 2 pieds) d'eau très limpide ; on renouvelle cette eau tous les douze à quinze jours en hiver, et tous les quatre à cinq jours en été, en agitant chaque fois pour suspendre la farine dans le liquide. 1200 livres de fécule ont pu être conservées ainsi dans le bassin d'un petit jet d'eau, avec une perte de 2 pour °/0 seulement. — Cette manière de faire est mise à profit lorsqu'on se propose de convertir la fécule en matière sucrée, en eau-de-vie, vinaigre, etc. ; outre qu'il est avantageux d'employer, dans ces sortes de circonstances, l'amidon humide, dit amidon vert, qui exige moins de frais de main-d'œuvre pour être délayé, on fait encore les bénéfices des frais entiers de sa dessication. C'est ce que nous verrons dans le Chapitre qui va suivre.
 
135 bis. La fécule sèche, sans mélange, se présente sous la forme d'une poudre blanche offrant un grand nombre de points brillants, lorsqu'on l'expose au soleil. Elle est insoluble dans l'eau froide, beaucoup plus lourde que ce liquide ; elle s'en précipite assez promptement et se tasse au fond des vases. Elle ne contient pas au-dessous de 8 pour °/0 d'eau, et elle ne doit pas en contenir plus de 15. Calcinée dans une capsule en platine, la fécule doit à peine donner de résidu, un demi-centième au plus ; enfin, traitée par la diastase, ou l'orge germée, comme nous le verrons (140), elle doit se dissoudre complètement, sans laisser de résidu. Ce dernier caractère est celui qui indique le plus sûrement son degré de pureté.
 
Comme tous les autres produits industriels, la fécule a été falsifiée par l'addition de divers corps, pour augmenter les bénéfices du fabricant. Entre autres mélanges frauduleux qui ne sont malheureusement que trop employés, il en est un, le carbonate de chaux ou craie, qui a été souvent la cause de pertes considérables dans la conversion de la fécule en matière sucrée. Cette addition est doublement nuisible au fabricant de sucre ou de sirop de fécule, en ce que la craie se combine à l'acide sulfurique, et empêche la dissolution de la fécule, qui ne peut s'opérer qu'après la saturation du carbonate. — II suffit d'une simple calcination à l'air libre pour découvrir la fraude.
 
 
Chapitre deuxième
 
Produits obtenus de la fécule à l’aide des réactions
que l’on fait subir à ses divers éléments
constitutifs.
 
Sirop. — Sucre. — Eau-de-vie. — Vinaigre. — Bière. — Gomme ou Dextrine, — ses usages dans les arts ; son emploie en chirurgie dans les appareils de fracture, etc.
 
Article 1er. — Sirop de Fécule.
 
136. Kirkoff, chimiste russe, a découvert qu'en faisant bouillir de la fécule avec de l'eau additionnée d'acide sulfurique (huile de vitriol), elle disparaissait complètement, en donnant naissance à une liqueur sucrée. En effet, non-seulement l'acide sulfurique convertit la fécule en matière sucrée par l'effet de la réaction qu'il détermine entre les éléments de la fécule et ceux de l'eau, mais tous les acides minéraux, ainsi que quelques acides végétaux, jouissent de cette propriété, quoique à un degré moindre. L'acide sulfurique est choisi de préférence, parce qu'il est le moins cher, qu'il réussit le mieux, et que, par ses propriétés, il possède l'immense avantage de pouvoir être facilement séparé de la matière sucrée, et cela, par le moyen le moins coûteux qu'il soit possible d'imaginer. — Voici comment on opère.
 
137. Pour saccharifier 25 livres de fécule, il faut employer 50 livres d'eau et une livre d'acide sulfurique à 66 degrés. Après avoir mêlé l'eau et l'acide en agitant avec un morceau de bois, on porte la liqueur à l'ébullition dans un vase de cuivre bien étamé. On verse ensuite dans ce mélange une portion seulement de la fécule délayée dans assez d'eau pour l'amener à un état de bouillie claire, et l'on continue ainsi jusqu'à ce que toute la fécule soit introduite, avec la précaution de n'ajouter une nouvelle portion de celle bouillie, que lorsque la première est arrivée à l'état d'ébullition[5].
 
A mesure que la conversion en dextrine s'opère, le liquide devient fluide et doit se maintenir tel jusqu'à ce que la saccharification soit terminée, ce que l'on reconnaît à la transparence du liquide, ou bien en laissant refroidir quelques gouttes de celui-ci sur une soucoupe, et s'assurant que l'iode n'y accuse plus la présence de la matière amylacée.
 
138. La saccharification de la fécule une fois terminée, on procède immédiatement à la saturation de l'excès de l'acide qu'on a employé. On emploie pour cela la chaux, qui forme avec l'acide sulfurique un sel insoluble qu'il est ensuite facile de séparer du sirop par la filtration. La chaux caustique ou le carbonate de chaux (craie) remplissent ce double but ; mais on doit préférer l'emploi combiné de ces deux corps, et voici pourquoi. Il est rigoureusement nécessaire de saturer complètement l'acide de la liqueur, ce à quoi l'on ne peut arriver qu'en mettant un excès de chaux qui altère la matière sucrée ; d'un autre côté, si l'on emploie le carbonate de chaux, dont on peut impunément mettre un excès, il se produit une vive effervescence due au dégagement du gaz acide carbonique, et dont l'inconvénient principal est de faire déborder la liqueur, qui est très visqueuse. On obvie à tous ces désagréments, en saturant d'abord imparfaitement la liqueur avec de la chaux caustique préalablement fusée et bien délayée dans de l'eau chaude, et en ajoutant ensuite un excès de carbonate de chaux en poudre et réduite en bouillie claire, de manière que le liquide ne fasse plus effervescence à la dernière addition de craie, ce qui indique que tout l'acide sulfurique est saturé.
 
139. On laisse déposer le sulfate de chaux formé, puis on soutire au clair le liquide qui surnage, pour le faire rapidement évaporer jusqu'à 3o° de Baume environ.— Le sirop rapproché à ce degré, est mis en repos, où il achève de déposer le sulfate de chaux précipité pendant l'évaporation. En cet état, le sirop est clair ; il peut servir à préparer l'alcool, la bière, etc., ainsi que nous le verrons bientôt.
 
140. On peut aussi saccharifier la fécule avec l'orge germée qui renferme un principe appelé diastase, lequel possède la propriété de dissoudre des quantités énormes de fécule, deux mille fois son poids. On prend pour cela: Fécule 100 parties, orge germée 10 parties, eau 400 parties. Ces proportions m'ont assez bien réussi. On délaye d'abord l'orge dans une partie de l'eau chauffée à 25 ou 30°, on ajoute la fécule réduite en bouillie avec le reste de l'eau, et l'on continue à chauffer pendant 20 à 25 minutes entre65 et y5 degrés. On porte ensuite rapidement à l'ébullition, on passe le sirop et on l'évapore à 30° bouillant ; — préparé de cette manière, il ne développe et ne retient pas l'odeur désagréable dont le sirop obtenu par l'acide sulfurique reste toujours imprégné. Cependant, ce dernier procédé étant plus expéditif, et son agent principal, l'acide sulfurique, se trouvant en tous lieux dans les contrées industrielles, il est aujourd'hui le plus généralement en usage.
 
Article 2. — Sucre de Fécule ou Glucose.
 
141. En concentrant le sirop de fécule jusqu'à 45° et le versant ensuite dans des cristallisoirs, il se prend en masse et constitue le sucre de fécule. Ce sucre, vendu dans le commerce sous le nom de glucose, est en pains très durs, d'un blanc jaunâtre et d'une saveur à la fois piquante et farineuse, qui se change en une saveur faiblement sucrée et mucilagineuse dès qu'il commence à se dissoudre. Il en faut deux fois et demie autant que de sucre de canne pour sucrer, au même degré, le même volume d'eau ; il exige pour sa dissolution une fois et un tiers son poids d'eau froide, tandis qu'il se dissout en toutes proportions dans l'eau bouillante.
 
Le sucre de fécule ou glucose est un produit très répandu dans la nature ; il constitue ces grains de sucre qu'on voit dans le raisin sec, et l'enduit farineux que l'on trouve à la surface des pruneaux et des figues. La saveur douce des fruits de la plupart de nos climats doit lui être attribuée. On en trouve dans le miel et le suc sucré des fleurs. L'urine des diabétiques en renferme souvent de grandes quantités. Enfin, la chimie peut en produire par des moyens artificiels, en traitant par les acides, comme nous venons de le voir, la fécule et autre corps, tels que la gomme, le sucre de lait, etc., etc.
 
Depuis que la fabrication du sucre de fécule est créée en France, elle consomme toutes les années une quantité de fécule qui s'élève à plusieurs millions de kilogrammes, et qui produit un égal poids de sucre en pains. Cette fabrication constitue une forme nouvelle et importante sous laquelle la pomme de terre va prendre place à côté du sucre de cannes dans nos aliments.
 
Le sucre de fécule est employé depuis quelque temps pour améliorer les vins des pays froids, qui sont ordinairement peu spiritueux et plus ou moins aigres. On y ajoute d'abord de la craie qui les désacidifie, et une matière sucrante pour augmenter la proportion d'alcool. On délaye dans un peu du vin que l'on veut traiter, environ un ou deux kil. de glucose par cent litres de liquide, et l'on abandonne le tout à la fermentation. On agit pour le reste comme dans la préparation ordinaire des vins.
 
Article 3. — Eau-de-vie de Pomme de terre.
 
142. Quand on se propose de convertir le sirop de fécule en eau-de-vie, il est inutile de le concentrer, et d'attendre qu'il ait été séparé, par le repos, du sulfate de chaux qu'il renferme, lequel sulfate provient, comme on le sait (138), de la saturation de l'acide sulfurique par la chaux. Cette saturation étant terminée, on ajoute au sirop assez d'eau froide pour que le mélange ne pèse que 6 degrés à l'aréomètre de Baumé. L'affusion de l'eau froide amène la liqueur à une température de 25 degrés centigrades ; si par hasard la température était plus élevée, on attendrait qu'elle fût arrivée à ce degré, avant de mettre le liquide en fermentation.
 
143. On peut faire fermenter la liqueur de deux manières : avec la levure de Mère et avec Forge germée ou malt des brasseurs. Dans le premier cas, on délaye de la levure dans la proportion de 3 pour °/0 de l'amidon saccharifié, dans une petite portion de la liqueur ; on verse ce mélange dans la cuve, on agite bien et on laisse en repos. Ce moyen est le plus simple ; mais comme on ne trouve pas partout de la levure de bière, on la remplace par un levain composé, pour 100 livres de fécule, de 4 livres d'orge germée en poudre, et de 2 livres de farine de seigle. On prépare ainsi, avec suffisante quantité d'eau, une pâte que l'on place dans un endroit modérément chauffé, comme on le fait pour le levain qui sert à faire le pain. Cette pâte lève, augmente de volume, et, après i2 heures, on la divise en boulettes que l'on jette dans la cuve. Pour que la fermentation s'exécute bien, et subisse toutes ses phases dans le moins de temps possibles, le local où elle s'exécute doit être à une température qui ne doit jamais être au-dessous de 18, ni au-dessus de 25 degrés. Cette fermentation se manifeste par une effervescence ou bouillonnement qui se fait dans la liqueur, avec dégagement d'acide carbonique ; elle est terminée, ce qui a lieu dans l'espace de 3 à 5 jours, selon la saison, lorsque les pommes de terre sont tombées au fond de la cuve, que la liqueur ne bouillonne plus, s'éclaircit et perd presque toute sa saveur sucrée que remplace une saveur vineuse très légèrement aigrelette. Arrivée à ce point, il faut se hâter de la distiller, autrement elle s'acidifie promptement, car quelques heures suffisent pour la convertir entièrement en vinaigre.
 
144. La distillation est fondée sur ce que la partie spiritueuse ou alcoolique d'un liquide quelconque fermenté, est beaucoup plus volatile que l'eau ; il suffit donc de soumettre à l'ébullition, dans un alambic, la liqueur fermentée ; l'alcool, plus volatil, se vaporise le premier, et l'eau reste. On obtient ainsi de l'eau-de-vie ou alcool faible à 18 ou 20 degrés, qui, distillée de nouveau au bain-marie, peut fournir la moitié de son poids d'alcool à 82 ou 34 degrés. Cet alcool a une forte odeur de pommes de terre ; on le réserve principalement pour les usages industriels.
 
145. On peut encore se procurer l'eau-de-vie de fécule en agissant directement sur la pomme de terre elle-même. On prend : pommes de terre 100 livres, orge germée 2 livres, levure de bière 4 onces.
 
Les tubercules étant cuits, on les écrase et on les amène à l'état d'une bouillie claire, avec de l'eau chaude dans laquelle on a préalablement délayé l'orge ; on ajoute la levure de bière, et on laisse fermenter pour distiller ensuite.
 
C'est en opérant ainsi, qu'un des membres de la Chambre de Commerce de Savoie, M. Hippolyte Chavasse, a converti cette année en alcool à 34 degrés, 7 à 800 quintaux de pommes de terre, toutes plus ou moins altérées par la maladie de 1845. Le rendement a été, en moyenne, de 2 litres i/2 d'alcool fort, ou 5 litres d'eau-de-vie à 22 degrés, pour 100 livres de tubercules, c'est-à-dire très approximativement ce qu'on aurait obtenu avec des pommes de terre saines. — Cette opération est si simple et si facile que chacun peut l'exécuter sur une petite comme sur une grande quantité, de manière à tirer un parti très avantageux des pommes de terre, soit à une époque où elles se trouveraient altérées par une cause quelconque, soit lorsqu'une abondante récolte en abaisse trop la valeur commerciale.
 
145 bis. Les baies de pommes de terre peuvent aussi servir à la fabrication de l'eau-de-vie ; le procédé en est très simple. On récolte les baies dans leur parfaite maturité et on les écrase soigneusement. La pulpe est mise dans des cuviers et abandonnée à la fermentation spontanée ; lorsque celle-ci est terminée, on distille. Cent hectolitres de baies non écrasées rendent ordinairement quatre hectolitres d'une eau-de-vie d'assez bon goût, marquant i9 à 20 degrés.
 
Ces baies produisent, par la fermentation, à peu près autant d'alcool que du raisin de bonne qualité. Dans tous les cas, il faut distiller ces sortes d'eaux-de-vie à la vapeur, si l'on veut éviter, en partie du moins, ce goût d'empyreume inhérent à leur nature.
 
Article 4°. — Vinaigre de Pommes de terre.
 
146. Nous avons vu précédemment que, dans la préparation de l'eau-de-vie, la fermentation terminée, la liqueur s'acidifiait rapidement (143), si on ne se hâtait de la distiller. Le vinaigre qui provient de cette altération est assez fort pour remplacer le vinaigre de vin, mais on ne peut guère l'employer aux mêmes usages, à cause du sulfate de chaux qu'il tient en dissolution. Pour avoir un vinaigre qui ne laisse rien à désirer, il faut se servir de la matière saccharifiée privée de sulfate de chaux, ce qu'il est facile d'obtenir avec le sirop de fécule, en opérant de la manière suivante : on délaye d'abord ce sirop avec de l'eau chauffée à 3o° et en quantité telle, qu'il ne pèse plus que six degrés au pèse-sirop ; on fait fermenter exactement de la même manière que si l'on voulait procéder à la distillation de l'eau-de-vie, et quand la fermentation est terminée, on laisse la liqueur dans la cuve en procédant à son acidification.
 
147. Pour cela, on place des tonneaux appelés tonneaux-mères, dans une pièce que l'on puisse maintenir à une température de 18 à 20° ; à ces tonneaux, tenus couchés, la bonde toujours ouverte, on pratique un trou aux trois quarts environ de la hauteur de l'un de leurs fonds, égal à celui de la bonde, et tenu également ouvert pendant tout le cours de l'acidification. Cette ouverture, comme celle de la bonde, sert à introduire l'air de la chambre dans les tonneaux, pour acidifier la liqueur qu'ils sont destinés à recevoir. Tout étant ainsi disposé, on met dans chaque pièce (de 500 litres environ) 5 à 6 litres de vinaigre, ou à défaut, 3 à 4 livres d'un fruit acide et non mur, puis on verse dessus 8 litres de liqueur fermentée pour chaque tonneau, et l'on agite bien le mélange. Après cinq jours de repos, le liquide est acidifié. On ajoute dans chaque pièce une nouvelle dose de 8 litres de liqueur fermentée, et ainsi de suite tous les cinq jours, jusqu'à ce que l'on soit arrivé au niveau de l'ouverture faite au sommet d'un des fonds des tonneaux.
 
148. Le vinaigre ainsi obtenu est comparable au meilleur vinaigre de vin ; il est en outre plus pur et exempt de cette saveur âpre que communique à ce dernier le tartre (tartrate acide de potasse) qu'il renferme. Si l'on veut imiter le vinaigre de vin, on suspend dans la liqueur de chaque tonneau, un petit sac contenant une livre de crème de tartre en poudre pour 200 litres de vinaigre ; ce sel se dissout insensiblement, et tout est terminé. Quand on soutire le vinaigre de ces pièces pour le livrer au commerce, il faut en laisser, dans chacune d'elles, environ dix litres pour servir à acidifier de nouvelles liqueurs. Ce résidu porte le nom de mère du vinaigre. Au bout de deux ou trois opérations, les douves des tonneaux se trouvant imbibées de vinaigre, l'acidification marche alors avec beaucoup plus de rapidité.
 
Si l'on veut obtenir du vinaigre plus fort que les vinaigres du commerce, on ajoute un litre d'eau-de-vie de fécule à 20° pour chaque 8 litres de liqueur fermentée ; cette eau-de-vie elle-même se change en vinaigre, et fournit un produit doublement plus riche en acide acétique que les meilleurs vinaigres de vin.
 
ARTICLE 5°. — Bière de Pomme de terre.
 
149. On peut fabriquer, avec le sirop d'amidon, une sorte de bière supérieure en qualité à celle que l'on fait à Paris ; mais, pour qu'elle ait le goût de la bière ordinaire, c'est-à-dire de la bière d'orge, il faut employer une certaine quantité de cette dernière.
 
Le premier objet à se procurer est de l'orge torréfiée sans avoir préalcmcnt germé. Cette torréfaction est faite avec soin, non dans un moulin à café, mais dans une simple poêle à frire, ou sur une plaque de tôle suffisamment chauffée. Pendant cette opération, l'orge doit être remuée constamment ; l'on s'arrête quand elle a acquis une couleur jaune foncé et l'odeur du pain cuit que l'on sort du four. On la passe ensuite dans un moulin à café, dont la noix est assez peu serrée pour pouvoir fournir une farine grossière.
 
150. Pour faire 100 litres de bière, on prend :
 
Farine d'orge préparée comme il vient d'être dit
 
8
 
lit.
 
Houblon[6]
 
1
 
id. 8 onc.
 
Levure de bière
 
0 4
 
id.
 
Eau,
 
100
 
litres ou 200 id.
 
On commence par délayer l'orge dans un baquet, avec 15 litres d'eau portée à la température de 80° centigrades ; on couvre le vase et on laisse reposer pendant une heure. On décante alors la liqueur, que l'on remplace par de nouvelle eau chaude (15 litres) ; on agite et on laisse reposer encore une demi-heure ; on décante de nouveau, on verse sur le résidu une 3mc quantité d'eau chaude (10 litres), on décante une dernière fois, et on laisse bien égoutter le résidu, qui est donné à manger au bétail.
 
D'un autre côté, on fait infuser le houblon dans 10 litres d'eau bouillante ; on couvre le vase pour éviter la volatilisation du parfum du houblon, et, après 2 heures d'infusion, on passe la liqueur à travers une toile. Le houblon étant parfaitement exprimé, on l'introduit dans un sac ou mieux dans un filet à petites mailles, et on le fait bouillir dans le restant de l'eau et les infusions d'orge réunies. Après un quart d'heure d'ébullition, on retire le houblon, qu'on exprime fortement dans la liqueur, à laquelle on ajoute, en agitant continuellement, du sirop de fécule jusqu'à ce que le mélange marque 5 degrés 1/2 au pèse-sirop, puis on laisse refroidir jusqu'à 26° centigrades. En ajoutant alors l'infusion du houblon, et ensuite la levure de bière délayée dans une quantité d'eau suffisante pour compléter les 100 litres de liquide, il ne reste plus qu'à introduire la bière dans de petites pièces débondonnées, où on la laisse fermenter ou jeter pendant 4 à 7 jours, selon la saison. La fermentation achevée, la bière est collée et mise en bouteilles.
 
Article 6e. — Dextrine ou Gomme d'amidon.
 
151. L'amidon ou fécule, légèrement torréfié, devient soluble dans l'eau froide à la manière des gommes. MM. Biot et Persoz ont donné à ce produit le nom de dextrine, parce qu'il fait tourner, plus qu'aucune autre matière, le plan de polarisation à droite. La dextrine est donc une matière d'apparence gommeuse, dans laquelle se transforme la partie interne de l'amidon, dans diverses circonstances, et entr'autres sous l'influence de la chaleur des acides, ou de l'orge germée.
 
La chaleur seule peut opérer la transformation de l'amidon en dextrine ; mais ce procédé exige des précautions bien prises pour élever vite et très uniformément la température de toute la fécule ordinaire au degré où la réaction s'opère. Celle-ci varie de i40 à 160 degrés, suivant que la température se répartit plus ou moins vite avant que les 0,18 d'eau hygroscopique que la fécule renferme, soient entièrement exhalés, suivant aussi que le produit doit être plus ou moins soluble. Il importe donc que la réaction ait lieu simultanément dans toute la masse, et qu'aussitôt qu'elle est accomplie, on enlève la dextrine ou la fécule grillée. Passé ce terme, la dextrine devient rousse et se colore de plus en plus, défaut qui nuit beaucoup à son écoulement dans le commerce.
 
152. Pour préparer la dextrine par les acides, on prend 100 parties de fécule de pommes de terre, 20 d'acide sulfurique du commerce, et 280 d'eau. On met l'acide avec les deux tiers de l'eau, on porte le mélange jusqu'à l'ébullition, et l'on y verse la fécule délayée dans l'eau restante. La liqueur se trouvant ainsi refroidie, on la chauffe jusqu'à 90 ou 92° ; puis on en sature l'acide par de l'oxide de plomb en poudre (litharge), on la retire du feu, et lorsqu'elle n'est plus qu'à la température de 20°, on la filtre, et on y ajoute de l'alcool, qui en précipite tout-à-coup la dextrine sous forme d'une matière blanche glutineuse, d'un aspect soyeux et nacré ; on la purifie ensuite par plusieurs lavages alcooliques faits à chaud et par des décantations successives. Par ce moyen, la dextrine change peu à peu d'aspect et se transforme en une poudre blanche presque impalpable. On la chauffe jusqu'à i00°, pour en dégager l'alcool ; on la fait bouillir avec du charbon pour la décolorer complètement, et l'on filtre la liqueur, que l'on fait évaporer ensuite.
 
153. Au lieu d'acide, on emploie avec succès la diastase ou plutôt l'orge germée qui en contient. Les proportions suivantes m'ont donné de bons résultats : fécule 100 parties, orge germée 10 parties, eau 400 parties. On verse dans une bassine une partie de l'eau qu'on chauffe de 26 à 3o°, on y mêle l'orge, et l'on ajoute ensuite la fécule délayée dans le reste de l'eau. On chauffe la liqueur pendant 20 minutes, de manière qu'elle soit maintenue entre 65 et 7 5°, en ayant soin de l'agiter continuellement. De laiteuse et un peu visqueuse qu'elle était d'abord, elle paraît fluide presque comme de l'eau. A cette époque, on la porte rapidement à l'ébullition, après quoi la liqueur est passée à travers un linge et évaporée ensuite, si l'on veut se contenter d'obtenir de la dextrine colorée et impure ; pour l'avoir blanche, il faut filtrer la liqueur et la précipiter par l'alcool, comme on l'a dit précédemment.
 
154. La dextrine pure est blanche, insipide, sans odeur, très transparente sous forme de plaques minces, friable et à cassure vitreuse, lorsqu'elle est bien desséchée. Ordinairement, elle est un peu colorée en jaune ou en brun. Elle se dissout très bien et en grande quantité dans l'eau, soit à froid, soit à chaud ; la dissolution, qui est mucilagineuse comme avec la gomme, peut, en se concentrant, prendre l'état sirupeux et conserver, par la solidification, l'état amorphe de la gomme arabique. Enfin, l'iode ne la colore point en bleu, et la levure de bière est sans action sur elle, à moins qu'elle ne contienne du sucre, qui, seul, donnerait lieu à un commencement de fermentation spiritueuse.
 
155. Usage de la dextrine. M. Dumas, membre de l'Institut de France[7], distingue sous ce rapport la dextrine sirupeuse ou liquide, plus ou moins sucrée, obtenue par la réaction de la diastase (153), de la dextrine pulvérulente ou fécule soluble et gommeuse (152). La première, soit fabriquée à part, soit résultant de la dissolution de la fécule dans la trempe des brasseurs, sert à la confection de la bière ; amenée à l'état sirupeux, on peut l'employer dans diverses préparations alimentaires, notamment pour édulcorer et gommer des tisanes, pour fabriquer des pains de luxe dits de dextrine et de facile digestion. Sa qualité hygroscopique la rend propre à fabriquer des feutres et des rouleaux d'imprimerie, à tenir humide le parou des tisserands, etc.
 
156. La dextrine pulvérulente est d'un transport et d'un emploi beaucoup plus facile ; elle devient chaque jour plus usuelle dans les apprêts, encollages, application des mordants, impression et gommage des couleurs, composition des bains mucilagineux à imprimer sur soie, collage des papiers à lavis, etc.
 
157. La chirurgie a su tirer elle-même de la dextrine un très utile parti, car une des applications les plus précieuses de ce produit, est celle qui en a été faite, ces derniers temps, pour maintenir les fractures. En effet, les bandages à la dextrine, légers et solides, maintiennent parfaitement les membres fracturés sur lesquels ils se sont moulés. Si l'on veut débrider une partie ou la totalité du bandage, il suffit de mouiller avec de l'eau tiède ; on enlève les bandes, qu'on peut remplacer par d'autres enduites de dextrine, et que l'on serre moins à volonté.
 
M. Félix d'Arcet, digne fils d'un père qui a légué à la science un nom honorable, a disposé un petit appareil fort commode pour dextriner les bandes ; il permet de préparer ainsi et d'enrouler une longueur de 12 mètres en trois minutes. — Voici la description de cet appareil, qui est aujourd'hui utilement employé dans la plupart des hôpitaux de France et ailleurs.
 
On empli t la petite mesure qui contient 100 grammes de dextrine, on la verse dans un bol ou une terrine, et l'on y ajoute 60 grammes d'eau-de-vie camphrée ordinaire, qui se trouve immédiatement dosée en remplissant de ce liquide la portion b c de la double mesure. On délaye la dextrine très vite et facilement, car elle ne s'hydrate que peu à peu en enlevant de l'eau à l’alcool ; au bout de 5 minutes, le mélange acquiert la consistance du miel ; on y ajoute 40 grammes d'eau, que l'on obtient en remplissant la portion b d de la double mesure retournée ; on malaxe bien et la liqueur est prête[8].
 
Versée dans l'appareil, on plonge la bande enroulée sur le petit cylindre à manivelle, et le rouleau dextriné s'emploie immédiatement suivant les doses approximatives suivantes :
 
Une fracture de la
 
clavicule exige
 
400 gr.
 
de dextrine sèche.
 
Id.
 
cuisse
 
300.
 
 
Id.
 
jambe
 
200.
 
 
Id.
 
avant-bras
 
150.
 
 
On a proposé de remplacer les bandes dextrinées par des bandes enduites d'empois ; mais la préparation de celles-ci est plus lente, moins constante, la dessication moins prompte, la levée des appareils plus difficile, enfin aujourd'hui le prix de la dextrine n'est pas plus élevé que celui de l'amidon.
 
 
Chapitre troisième
 
Produits alimentaires obtenus de la fécule
et de la pomme de terre en nature.
 
Pain de fécule de pommes de terre, — de farine de pommes de terre,
— de pâte de pommes de terre. — Différence dans l'emploi de la fécule et celui de la farine de pommes de terre. — Préparation de la farine de pommes de terre. — Semoule. — Riz de fécule.— Tapioka. Tisane, gelée et crème de fécule. — Pommes de terre cuites à l'eau,— à la vapeur, — sous la cendre, — au four. — Vermicelle, Gruaux.
 
 
Article 1er. — Panification et fabrication de la farine
de Pommes de terre.
 
158. On peut mettre au premier rang, pour les produits alimentaires, l'emploi de la fécule à la panification. En effet, la panification de la pomme de terre occupe en ce moment l'attention générale, et la crainte de disette lui a donné depuis peu une importance particulière.
 
La fécule étant d'une conservation très facile, elle peut, jusqu'à un certain point, remplacer la farine de blé ; elle met ainsi les pays qui cultivent la pomme de terre, à l'abri de toutes chances de disette, en faisant venir les années abondantes au secours des années stériles, et elle fait encore diminuer, dans toutes les saisons, le prix des aliments les plus nécessaires. Mêlée avec la farine de froment dans des proportions qui doivent avoir des limites, elle forme un excellent pain. Cette proportion ne doit pas dépasser un tiers ; si on porte la dose de fécule jusqu'à partie égale, le pain qu'on obtient est plat, serré, difficile à couper, mal passant, désagréable et surtout peu nourrissant. Tout ceci s'explique en sachant que c'est au gluten que la farine des céréales doit la propriété de faire pâte avec l'eau, comme la pâte lui doit celle de lever par son mélange avec la levure ou le levain ; or, le pain sera d'autant plus blanc, plus léger et plus nourrissant, que la farine contiendra plus de gluten. La fécule de pommes de terre, qui est privée de ce principe, ne peut donc pas être mêlée au pain dans des proportions indéfinies. Une partie de fécule et quatre parties de farine de froment, fournissent un pain de bonne qualité et très nourrissant.
 
159. On peut encore introduire la pomme de terre dans le pain, à l'état de farine ou en nature même. Dans le premier cas, on commence par la faire cuire, on la pèle, on la gruaute, on la dessèche dans le four ou à l'étuve, et on la réduit en farine. Cette farine, qui se conserve très bien, se mélange par moitié avec les farines des céréales, et donne un pain nourrissant et savoureux qui a la propriété bien précieuse de se conserver frais plusieurs semaines. — La pomme de terre se gruaute dans une presse de vermicellier réduite à de petites proportions ; si même on ne veut pas faire la dépense d'un cylindre à gruauter, on peut dessécher la pomme de terre cuite et grossièrement émiétée, et la diviser ensuite à l'aide d'un rouleau pour pouvoir la faire moudre comme on moud le grain.
 
160. Le pain de pommes de terre pures se prépare avec parties égales de farine et de tubercules cuits, réduits en pâte, et une once de sel pour seize livres de mélange. Afin de fournir aux pommes de terre toute la flexibilité favorable au pétrissage, ainsi qu'au mouvement de fermentation panaire qui doit s'y établir, on les écrasera bouillantes avec un rouleau de bois, après les avoir pelées, de manière qu'il ne reste aucuns grumeaux, et qu'il en résulte une pâte unie, tenace et visqueuse.
 
161. Dans la panification, la fécule paraît d'abord présenter quelque avantage sur la farine de pommes de terre, comme étant obtenue à froid, par une manipulation peu dispendieuse et sans le secours du feu. Mais, d'un autre coté, la farine de pommes de terre possède des avantages qui peuvent bien compenser les frais exigés pour sa dessication ; elle conserve l'odeur et la saveur qui sont propres à ce tubercule, elle contient tous les principes de cette précieuse racine, et fournit en outre, comparativement, une plus grande quantité de substances nutritives que la fécule elle-même.
 
162. M. Aug. Clerget a présenté à l'Académie des Sciences de Paris (séance du 17 novembre 1845) un Mémoire descriptif d'un procédé simple, sans l'emploi d'aucun agent chimique, pour la fabrication économique et en grand d'une farine naturelle de pommes de terre, composée de la totalité de la fécule et du parenchyme, et dégagée de l'odeur spéciale inhérente à la fécule. Voici ce procédé dont M. Clerget dit avoir obtenu des résultats très avantageux. L'auteur choisit les bonnes espèces de pommes de terre blanches ou jaunes farineuses, et il les fait passer d'abord dans un laveur mécanique semblable à celui des féculeries, ou mieux encore, armé intérieurement de brosses mobiles. A la sortie du laveur, elles tombent sur un coupe-racines horizontal qui les divise en tranches parallélipipèdes : si elles ont été bien nettoyées par le laveur, on peut les trancher avec leur pellicule, qui se détache ensuite en son par la mouture et le blutage ; dans le cas contraire, ou encore pour obtenir la farine blanche et sans aucune parcelle de son, après avoir fait subir aux tubercules l'action du laveur, on les introduit dans une peleuse ou dans un cylindre garni intérieurement de tôle percée comme une râpe, après quoi elles passent au coupe-racines. Les tranches coupées par ce dernier instrument sont jetées dans des réservoirs, et soumises pendant douze heures à l'injection d'un courant d'eau froide, qui arrive par le fond des réservoirs et se dégage par le haut. Douze heures après ce premier lavage, on amène un filet d'eau chauffée à 25 ou 3o° ; cette eau produit une macération lente ; elle s'écoule en entraînant des matières mucilagineuses et grasses, d'une odeur nauséabonde et infecte ; lorsqu'elle commence à s'écouler claire et limpide, le lavage est terminé. Les tranches sont alors insipides ; on les retire des réservoirs pour les faire égoutter ou pour en exprimer l'eau qui les imprègne ; on les fait sécher ensuite, et dès lors elles sont devenues inaltérables. Une fois bien sèches, elles sont très blanches, cassantes et très faciles à moudre. Le rendement ordinaire est, selon M. Clerget, de 25 à 31 ou 32 pour 100 des pommes de terre coupées. La farine qu'on en obtient est, ajoute-t-il, aussi belle que la plus belle farine de blé, tout-à-fait insipide, inaltérable : elle peut entrer dans la panification dans la proportion de 50 pour 100 et au-delà ; elle est préférable, à cause de son inaltérabilité, à la farine de froment pour la confection du biscuit de mer.
 
En modifiant un peu son procédé, M. Clerget obtient une farine jaune, qui, selon lui, convient très bien pour donner du liant aux farines qui en manquent.
 
163. Pour utiliser les pommes de terre malades de 1845, on avait conseillé de les piler, après en avoir ôté la partie altérée, et d'en exprimer le suc. Le tubercule desséché devait servir à faire de la farine qu'on aurait ajoutée à celle du froment pour faire du pain. M. Calloud, pharmacien à Annecy, notre doyen d'âge et de science, a préparé un tourteau semblable, qu'il a fait cuire et qu'il a goûté ; il en a trouvé la saveur repoussante. ((Après une heure et demie de décoction, dit-il[9], l'eau était restée presque claire, peu gluante ; les morceaux sont restés entiers, la plupart durs, et glissant entre les doigts, en raison de la fécule qui s'apercevait, avant la cuisson, à la surface de chaque fragment. »
 
 
Art. 2e. — Produits alimentaires divers.
 
164. Outre les diverses applications dont nous venons de parler, la fécule sert à confectionner une foule de produits alimentaires dont la découverte de quelques-uns d'entre eux est due au hasard. — Une grande fabrication de Labriche, près Paris, dans le but de sécher plus rapidement de l'amidon qui devait être livré à époque fixe, avait fait placer sous son étuve deux poêles en fonte, et évité par-là de faire essorer la fécule sur l'aire en plaire (132). Au bout de i2 heures, l'amidon était converti en gâteaux d'un blanc de lait, et assez durs pour ne plus pouvoir être réduits en farine. La fécule s'était combinée intimement avec l'eau. — Pour tirer parti de ce résultat inattendu, on acheva de dessécher ces gâteaux à un feu plus modéré, et on les pila ensuite en les passant successivement dans des tamis à tissus de diverses grosseurs. Les grains les plus fins se sont vendus sous le nom de semoule de fécule, les grains moyens sous le nom de riz de fécule, et enfin les plus gros sous celui de tapioka[10].
 
165. En délayant 1/4 d'once de fécule de pommes de terre dans 2 onces d'eau froide, et versant ce mélange dans un litre d'eau que l'on a préalablement fait bouillir, on obtient une tisane excellente pour les estomacs débiles et les convalescents. Cette boisson peut être sucrée à volonté. On prépare aussi une gelée médicamenteuse, employée dans les mêmes cas que la tisane. On prend : fécule 1 once, sucre 4 onces, eau l livre. On fait dissoudre le sucre dans l'eau, on porte à l'ébullition, et l'on verse la fécule qu'on a délayée dans un peu d'eau froide. Après quelques bouillons, on coule dans un pot de la farine de pommes de terre, cuite dans du lait, avec un peu de sucre et une feuille de laurier-cerise, fournit une crème et une excellente nourriture pour les enfants et les vieillards. Une cuillerée de cette farine cuite, ajoutée à une bavaroise au lait ou à l'eau, communique à celle-ci une vertu très nourrissante. Il faut que les liquides soient très chauds quand on y met la farine, et il suffit de remuer le tout ensemble pendant quatre à cinq minutes.
 
166. La pomme de terre elle-même, telle qu'on la récolte, peut être instantanément convertie en aliment. Cent livres, crues, rendent un poids égal de pommes de terre cuites, c'est-à-dire cent livres d'un excellent pain azyme ou sans levain, surtout si, comme en Angleterre, en Hollande, en Flandre, etc., on ajoute à chaque tranche une pointe de beurre ou une bouchée de viande, qui rendent cette racine plus assimilable, et par conséquent plus nutritive.
 
La pomme de terre se cuit de différentes manières : dans l'eau, sans eau, à la vapeur, sous la cendre. Cuite et desséchée dans un four, elle en sort jaune-rousse, légère, friable comme un échaudé sec, demi-transparente et ayant l'aspect d'une gomme ; dans cet état, elle peut se conserver sans attirer l'humidité, sans être attaquée par les animaux rongeurs. Cuite à la vapeur et réduite en pâte, on peut la vermiceller et la gruauter, en la faisant passer par un cylindre dont la base est percée de trous, et en faisant agir un piston par une forte pression. Des pommes de terre préparées par des moyens analogues ont été envoyées au Comice de Chambéry[11], par M. Julien Rey, ouvrier tourneur, à Albert-Ville (Haute-Savoie), auteur de plusieurs machines propres à la transformation alimentaire des pommes de terre, et que le congrès d'Annecy a récompensé l'année dernière. Le procédé de M. Rey consiste à presser dans un cylindre creux et dont le fond est percé de trous très rapprochés, des pommes de terre préalablement cuites et bien mondées ; à leur sortie, elles imitent assez bien les pâtes de farine, et, séchées à une chaleur modérée, elles peuvent ensuite se conserver longtemps. Dans une année malheureuse, où les pommes de terre seraient menacées de pourriture, l'on peut ainsi, sans frais, dans les moments perdus de la soirée, assurer leur valeur alimentaire ; et, dans les années d'abondance où la pomme de terre est à bas prix, la prévoyance peut tirer un grand parti d'un moyen si facile.
 
Après le blé, la pomme de terre peut être considérée comme une production de première nécessité ; quand la récolte des grains manque, elle y supplée, elle est même ordinairement, ces années-là, plus abondante. C'est à cette précieuse racine qu'on a recours dans les temps de disette et de famine dont elle a tant de fois sauvé une multitude de pays. La pomme de terre, il est vrai, n'a qu'un temps limité pour sa conservation en vert, passé lequel elle devient dure et se pourrit ; son volume et sa pesanteur s'opposent à ce qu'on puisse l'emmagasiner, cumuler deux récoltes ensemble, et la transporter à une distance un peu éloignée d'un endroit où elle abonde dans celui qui en est privé. Mais, à l'aide des divers moyens qui viennent d'être exposés, on peut remédier en grande partie à ces inconvénients, et prolonger pour nos besoins futurs, et sous une autre forme, la substance nutritive de la pomme de terre, soit par sa dessication entière, soit par l'extraction de sa fécule, soit enfin par les produits gommeux, sucrés, alcooliques et autres que cette dernière est susceptible de produire sous les diverses influences que j'ai fait connaître.
 
 
NOTE ADDITIONNELLE.
 
167. Le silos dont j'ai parlé (118) a été ouvert le 24 février 1846 ; toute la masse de pommes de terre qu'il renfermait était réduite en un putrilage mou, noirâtre, et exhalant au loin une odeur infecte. — II paraît donc que les pommes de terre altérées, quoique sèches, ne peuvent pas se conserver dans les silos comme à l'état sain.
 
La culture forcée précédemment décrite (121) est fort belle aujourd'hui. Les plants ont déjà, pour quelques-uns, une hauteur de 5 à 6 pouces ; à la fin du mois, je ferai connaître, par la voie des journaux, la nature des pommes de terre qu'ils auront fournies.— Toutefois, je puis déjà annoncer dès à présent que tout porte à croire que la maladie ne sera pas transmissible, car j'ai déjà obtenu, de tubercules gâtés et placés cet hiver dans des conditions réunies de température et d'humidité, de petites pommes de terre jaunes et rouges, de la grosseur d'une belle noix, parfaitement saines, et toutes munies d'yeux.
 
En Amérique où, comme je l'ai déjà dit (57), la maladie des pommes de terre est commune, les indigènes parviennent à l'arrêter par un moyen analogue à celui dont il a été question à la page 222. — Dès qu'ils s'aperçoivent, à la couleur jaune des feuilles, que l'affection existe, ils déchaussent un peu la plante, ou ils donnent au champ un profond labour, de manière à laisser agir avec plus de force les rayons solaires sur la terre fraîchement remuée. (Echo du Monde savant, 22 et 26 février 1846.) Chambéry, le 1er mars 1846.
[1] Sous le point de vue industriel, l'amidon et la fécule Sont deux choses bien distinctes ; mais, sous le rapport chimique, ces deux dénominations sont synonymes. On nomme plus particulière meolamidon la fécule que l'on retire des céréales, et fécule l'espèce de farine contenue dans un grand nombre de racines, principalement dans la pomme de terre.
 
[2] Ce résidu, quelque soin que l'on prenne, retient toujours une portion de fécule qui a échappé à l'action de la râpe ; c'est pour cela qu'il conserve encore quelques propriétés nutritives dont on a cru pouvoir tirer parti (131 bis).
 
[3] Société Royale et Centrale d'Agriculture de Paris, séance du 7 janvier 1846.
 
[4] L'appareil complet de M. Collomb coûte 4 à 500 francs ; mais on peut facilement se procurer, pour 15 à 20 fr, un cylindre-râpe capable de féculer dix quintaux de pommes de terre par jour, à l'aide d'un seul homme seulement.
 
C'est avec un aussi modeste instrument, les autres objets nécessaires se trouvant dans toutes les campagnes, que M. Baurille fils aîné, substitut-procureur en cette ville, est parvenu à convertir en fécule assez belle, une assez grande quantité de pommes de terre malades, dont il ne pouvait tirer qu'un bien faible parti Tous frais faits, ces pommes de terre altérées ont encore rendu 2 fr. environ par quintal du pays ! .. .
 
[5] Quand on opère en grand, on se sert de grands cuveaux en bois, et le liquide est chauffé par la vapeur ; mais je ne puis entrer ici dans tous les détails que comportent les fabriques de ces sortes de produits.
 
[6] (1) Cette quantité de houblon peut varier suivant le degré d'amertume que l'on veut donner à la bière.
 
[7] Voyez son Traité de chimie appliqué aux arts, vol. 6, p. 132.
 
[8] On peut à la rigueur se passer de l'appareil de M d'Arcet, en opérant dans une simple terrine avec les doses suivantes de substances : dextrine, 3 onces 1/2 ; eau-de-vie camphrée, 2 onces ; eau, 1 once 1/2.
 
[9] Courrier des Alpes, 11 octobre 1845.
 
[10] Le véritable tapioka est la fécule du Jatropha Manihot, plante de l'Amérique méridionale.
 
[11] Séance du 20 novembre 1845 ; Courrier des Alpes du 25 nov.