« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Arc-boutant » : différence entre les versions

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Ce sont les arcs extérieurs qui par leur position sont destinés à contre-butter la poussée des voûtes en arcs d'ogives. Leur naissance repose sur les contre-forts, leur sommet arrive au point de la poussée réunie des arcs-doubleaux et des arcs-ogives. Suivant les goûts de chaque école, on a beaucoup blâmé ou beaucoup loué le système des arcs-boutants; nous n'entreprendrons pas de les défendre ou de faire ressortir leurs inconvénients; il n'y a qu'une chose à dire à notre sens sur ce système de construction, c'est qu'il est l'expression la plus franche et la plus énergique du mode adopté par les constructeurs du moyen âge. Jusqu'à leur application dans les églises gothiques, tout est tâtonnement; du moment que les arcs-boutants sont nettement accusés dans les constructions, la structure des
Ce sont les arcs extérieurs qui par leur position sont
églises se développe dans son véritable sens, elle suit hardiment la voie nouvelle. Demander une église gothique sans arc-boutants, c'est demander un navire sans quille, c'est pour l'église comme pour le navire une question d'être ou de n'être pas. Le problème que les architectes de l'époque romane s'étaient donné à résoudre était celui-ci: élever des voûtes sur la basilique antique. Comme disposition de plan, la basilique antique satisfaisait complètement au programme de l'église latine: grands espaces vides, points d'appui minces, air et lumière. Mais la basilique antique était couverte par des charpentes, l'abside seule était voûtée; or dans notre climat les charpentes ne préservent pas complètement de la neige et du vent; elles se pourrissent assez rapidement quand on n'emploie pas ces dispositions modernes de chéneaux en métal, de conduits d'eau, etc., procédés qui ne peuvent être en usage qu'au milieu d'un peuple chez lequel l'art de la métallurgie est arrivé à un haut degré de perfection. De plus, les charpentes brûlent, et un édifice couvert seulement par une charpente que l'incendie dévore est un édifice perdu de la base au faîte. Jusqu'aux X<sup>e</sup> et XI<sup>e</sup> siècles il n'est question dans les documents écrits de notre histoire que d'incendies d'églises qui nécessitent des reconstructions totales. La grande préoccupation du clergé, et par conséquent des architectes qui élevaient des églises, était dès le X<sup>e</sup> siècle de voûter les nefs des basiliques. Mais les murs des basiliques portés par des colonnes grêles ne pouvaient présenter une résistance suffisante à la poussée des voûtes hautes ou basses. Dans le centre de la France les constructeurs, vers le XI<sup>e</sup> siècle, avaient pris le parti de renoncer à ouvrir des jours au sommet des murs des nefs hautes, et ils contre-buttaient les voûtes en berceau de ces nefs hautes, soit par des demi-berceaux, comme dans la plupart des églises auvergnates, soit par de petites voûtes d'arêtes élevées sur les bas côtés. Les nefs alors ne pouvaient être éclairées que par les fenêtres de ces bas côtés presque aussi hautes que les grandes nefs. Les murs extérieurs, épais et renforcés de contre-forts, maintenaient les poussées combinées des grandes et petites voûtes (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Église|Église]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte|Voûte ]]). Mais dans le nord de la France ce système ne pouvait prévaloir; de grands centres de population exigeaient de vastes églises, on avait besoin de lumière, il fallait prendre des jours directs dans les murs des nefs, et renoncer par conséquent à contre-butter les voûtes hautes par des demi-berceaux continus élevés sur les bas côtés. <span id=Caen>Dans quelques églises de Normandie, celles entre autres de l'abbaye aux Hommes et de l'abbaye aux Dames de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Caen|Caen]], les constructeurs avaient cherché un moyen terme: ils avaient élevé sur des piles fort épaisses les grandes voûtes d'arêtes des nefs hautes, et ménageant de petits jours sous les formerets de ces voûtes, ils avaient cherché à contre-butter leur poussée
destinés à contre-butter la poussée des voûtes en arcs d'ogives. Leur naissance
repose sur les contre-forts, leur sommet arrive au point de la poussée
réunie des arcs-doubleaux et des arcs-ogives. Suivant les goûts de chaque
école, on a beaucoup blâmé ou beaucoup loué le système des arcs-boutants;
nous n'entreprendrons pas de les défendre ou de faire ressortir leurs inconvénients;
il n'y a qu'une chose à dire à notre sens sur ce système de construction,
c'est qu'il est l'expression la plus franche et la plus énergique du
mode adopté par les constructeurs du moyen âge. Jusqu'à leur application
dans les églises gothiques, tout est tâtonnement; du moment que les arcs-boutants
sont nettement accusés dans les constructions, la structure des
églises se développe dans son véritable sens, elle suit hardiment la voie
nouvelle. Demander une église gothique sans arc-boutants, c'est demander
un navire sans quille, c'est pour l'église comme pour le navire une question
d'être ou de n'être pas. Le problème que les architectes de l'époque romane
s'étaient donné à résoudre était celui-ci: élever des voûtes sur la basilique
antique. Comme disposition de plan, la basilique antique satisfaisait
complètement au programme de l'église latine: grands espaces vides, points
d'appui minces, air et lumière. Mais la basilique antique était couverte par
des charpentes, l'abside seule était voûtée; or dans notre climat les charpentes
ne préservent pas complètement de la neige et du vent; elles se pourrissent
assez rapidement quand on n'emploie pas ces dispositions modernes
de chéneaux en métal, de conduits d'eau, etc., procédés qui ne peuvent
être en usage qu'au milieu d'un peuple chez lequel l'art de la métallurgie
est arrivé à un haut degré de perfection. De plus, les charpentes brûlent, et
un édifice couvert seulement par une charpente que l'incendie dévore est
un édifice perdu de la base au faîte. Jusqu'aux X<sup>e</sup> et XI<sup>e</sup> siècles il n'est question
dans les documents écrits de notre histoire que d'incendies d'églises qui
nécessitent des reconstructions totales. La grande préoccupation du clergé,
et par conséquent des architectes qui élevaient des églises, était dès le X<sup>e</sup> siècle
de voûter les nefs des basiliques. Mais les murs des basiliques portés par
des colonnes grêles ne pouvaient présenter une résistance suffisante à la
poussée des voûtes hautes ou basses. Dans le centre de la France les constructeurs,
vers le XI<sup>e</sup> siècle, avaient pris le parti de renoncer à ouvrir des
jours au sommet des murs des nefs hautes, et ils contre-buttaient les voûtes
en berceau de ces nefs hautes, soit par des demi-berceaux, comme dans la
plupart des églises auvergnates, soit par de petites voûtes d'arêtes élevées
sur les bas côtés. Les nefs alors ne pouvaient être éclairées que par les fenêtres
de ces bas côtés presque aussi hautes que les grandes nefs. Les murs
extérieurs, épais et renforcés de contre-forts, maintenaient les poussées
combinées des grandes et petites voûtes (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Église|Église]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Voûte|Voûte ]]). Mais dans le
nord de la France ce système ne pouvait prévaloir; de grands centres de
population exigeaient de vastes églises, on avait besoin de lumière, il fallait
prendre des jours directs dans les murs des nefs, et renoncer par conséquent
à contre-butter les voûtes hautes par des demi-berceaux continus élevés
sur les bas côtés. <span id=Caen>Dans quelques églises de Normandie, celles entre autres
de l'abbaye aux Hommes et de l'abbaye aux Dames de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Caen|Caen]], les constructeurs
avaient cherché un moyen terme: ils avaient élevé sur des piles fort
épaisses les grandes voûtes d'arêtes des nefs hautes, et ménageant de petits
jours sous les formerets de ces voûtes, ils avaient cherché à contre-butter
leur poussée
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[[Image:Arc.boutant.abbaye.aux.Hommes.png|center]]
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par un demi-berceau continu bandé sur le triforium (49). Mais ce demi-berceau n'arrive pas au point de la poussée de ces voûtes hautes. Et pourquoi un demi-berceau continu pour maintenir une voûte d'arête dont les poussées sont reportées sur des points espacés au droit de chaque pile? Il y a quelque chose d'illogique dans ce système qui dut bientôt frapper des esprits enclins à tout ramener à un principe vrai et pratique. Or, supposons que le demi-berceau A figuré dans la coupe de la nef de l'abbaye aux Hommes (49) soit coupé par tranches, que ces tranches soient conservées seulement au droit des poussées des arcs-doubleaux et des arcs-ogives, et supprimées entre les piles, c'est-à-dire dans les parties où les poussées des grandes voûtes n'agissent pas, l'arc-boutant est trouvé; il permet d'ouvrir dans les travées des jours aussi larges et aussi bas que possible. Le triforium n'est plus qu'une galerie à laquelle on ne donne qu'une importance médiocre. Le bas côté, composé d'un rez-de-chaussée, est couvert par un comble à pente simple. Ces murs épais deviennent alors inutiles, les piles des nefs peuvent rester grêles, car la stabilité de l'édifice ne consiste plus que dans la résistance des points d'appui extérieurs sur lesquels les arcs-boutants prennent naissance (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Contre-fort|Contre-fort]]). Il fallut deux siècles de tâtonnements, d'essais souvent malheureux, pour arriver à la solution de ce problème si simple, tant il est vrai que les procédés les plus naturels, en construction comme en toute chose, sont lents à trouver. Mais aussi dès que cette nouvelle voie fut ouverte elle fut parcourue avec une rapidité prodigieuse, et l'arc-boutant, qui naît à peine au XII<sup>e</sup> siècle, est arrivé à l'abus au XIV<sup>e</sup>. Quelques esprits judicieux veulent conclure de la corruption si prompte du grand principe de la construction des édifices gothiques, que ce principe est vicieux en lui-même; et cependant l'art grec, dont personne n'a jamais contesté la pureté, soit comme principe, soit comme forme, a duré à peine soixante-dix ans, et Périclès n'était pas mort que déjà l'architecture des Athéniens arrivait à son déclin. Nous pensons, au contraire, que dans l'histoire de la civilisation, les arts qui sont destinés à faire faire un grand pas à l'esprit humain sont précisément ceux qui jettent tout à coup une vive clarté pour s'éteindre bientôt par l'abus même du principe qui les a amenés promptement à leur plus grand développement (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture|Architecture]]).
par un demi-berceau continu bandé sur le triforium (49). Mais ce demi-berceau n'arrive pas au point de la poussée de ces voûtes hautes.
Et pourquoi un demi-berceau continu pour maintenir une voûte d'arête
dont les poussées sont reportées sur des points espacés au droit de chaque
pile? Il y a quelque chose d'illogique dans ce système qui dut bientôt
frapper des esprits enclins à tout ramener à un principe vrai et pratique. Or,
supposons que le demi-berceau A figuré dans la coupe de la nef de l'abbaye
aux Hommes (49) soit coupé par tranches, que ces tranches soient conservées
seulement au droit des poussées des arcs-doubleaux et des arcs-ogives,
et supprimées entre les piles, c'est-à-dire dans les parties où les poussées
des grandes voûtes n'agissent
pas, l'arc-boutant est
trouvé; il permet d'ouvrir
dans les travées des jours
aussi larges et aussi bas que
possible. Le triforium n'est
plus qu'une galerie à laquelle
on ne donne qu'une
importance médiocre. Le
bas côté, composé d'un rez-de-chaussée,
est couvert
par un comble à pente
simple. Ces murs épais deviennent
alors inutiles, les
piles des nefs peuvent rester
grêles, car la stabilité
de l'édifice ne consiste plus
que dans la résistance des points d'appui extérieurs sur lesquels les
arcs-boutants prennent naissance (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Contre-fort|Contre-fort]]). Il fallut deux siècles
de tâtonnements, d'essais souvent malheureux, pour arriver à la solution
de ce problème si simple, tant il est vrai que les procédés les plus naturels,
en construction comme en toute chose, sont lents à trouver. Mais aussi dès
que cette nouvelle voie fut ouverte elle fut parcourue avec une rapidité
prodigieuse, et l'arc-boutant, qui naît à peine au XII<sup>e</sup> siècle, est arrivé à
l'abus au XIV<sup>e</sup>. Quelques esprits judicieux veulent conclure de la corruption
si prompte du grand principe de la construction des édifices gothiques, que
ce principe est vicieux en lui-même; et cependant l'art grec, dont personne
n'a jamais contesté la pureté, soit comme principe, soit comme forme, a
duré à peine soixante-dix ans, et Périclès n'était pas mort que déjà l'architecture
des Athéniens arrivait à son déclin. Nous pensons, au contraire, que
dans l'histoire de la civilisation, les arts qui sont destinés à faire faire un
grand pas à l'esprit humain sont précisément ceux qui jettent tout à coup
une vive clarté pour s'éteindre bientôt par l'abus même du principe qui les
a amenés promptement à leur plus grand développement (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 1, Architecture|Architecture]]).
 
Les besoins auxquels les architectes du moyen âge avaient à satisfaire en élevant leurs églises les amenaient presque malgré eux à employer l'arc-boutant; nous allons voir comment ils ont su développer ce système de construction et comment ils en ont abusé.
élevant leurs églises les amenaient presque malgré eux à employer l'arc-boutant;
nous allons voir comment ils ont su développer ce système de
construction et comment ils en ont abusé.
 
Ce n'est, comme nous venons de le dire, qu'à la fin du XII<sup>e</sup> siècle que l'arc-boutant se montre franchement dans les édifices religieux du nord de la France; il n'apparaît dans le centre et le midi que comme une importation, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, lorsque l'architecture ogivale, déjà développée dans l'Île-de-France, la Champagne et la Bourgogne, se répand dans tout l'occident.
Ce n'est, comme nous venons de le dire, qu'à la fin du XII<sup>e</sup> siècle que
l'arc-boutant se montre franchement dans les édifices religieux du nord de
la France; il n'apparaît dans le centre et le midi que comme une importation,
vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, lorsque l'architecture ogivale, déjà développée
dans l'Île-de-France, la Champagne et la Bourgogne, se répand dans tout
l'occident.
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[[Image:Arc.boutant.Saint.Remy.Reims.png|center]]
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Nous donnons en première ligne et parmi les plus anciens l'un des arcs-boutants du chœur de l'église Saint-Remy de Reims, dont la construction remonte à la dernière moitié du XII<sup>e</sup> siècle (50). Ici l'arc-boutant est simple, il vient contre-butter les voûtes au point de leur poussée, et répartit sa force de résistance sur une ligne verticale assez longue au moyen de ce contre-fort porté sur une colonne extérieure, laissant un passage entre elle et le mur au-dessus du triforium. Mais bientôt les constructeurs observèrent que la poussée des voûtes en arcs d'ogives d'une très-grande portée, agissait encore au-dessous et au-dessus du point mathématique de cette poussée. La théorie peut, en effet, démontrer que la poussée d'une voûte se résout en un seul point, mais la pratique fait bientôt reconnaître que cette poussée est diffuse et qu'elle agit par suite du glissement possible des claveaux des arcs et de la multiplicité des joints, depuis la naissance de ces arcs jusqu'à la moitié environ de la hauteur de la voûte (51). En effet, soit A le point mathématique de la poussée d'une voûte en arc d'ogive, si la voûte a une portée de 10 à 15 mètres, par exemple, un seul arc-boutant arrivant en A ne suffira pas pour empêcher la voûte d'agir encore au-dessus et au-dessous de ce point. De même qu'en étayant un mur qui boucle, si l'on est prudent, on posera verticalement sur ce mur une couche en bois et deux étais l'un au-dessus de l'autre pour arrêter le bouclement; de même les constructeurs qui élevèrent, au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, les grandes
Nous donnons en première ligne et parmi les plus anciens l'un des arcs-boutants
nefs des cathédrales du nord, établirent de C en B un contre-fort, véritable ''couche'' de pierre, et deux arcs-boutants l'un au-dessus de l'autre, le premier arrivant en C au-dessous de la poussée, le second en B au-dessus de cette poussée. Par ce moyen les voûtes se trouvaient ''étrésillonnées'' à l'extérieur, et les arcs-doubleaux ne pouvaient, non plus que les arcs-ogives, faire le moindre mouvement, le point réel de la poussée se trouvant agir sur un contre-fort maintenu dans un plan vertical et roidi par la buttée des deux arcs-boutants. Au-dessous de la naissance de la voûte ce contre-fort C B cessait d'être utile, aussi n'est-il plus porté que par une colonne isolée, et le poids de ce contre-fort n'agissant pas verticalement, les constructeurs sont amenés peu à peu à réduire
du chœur de l'église Saint-Remy de Reims, dont la construction
le diamètre de la colonne, dont la fonction se borne à prévenir des dislocations, à donner du ''roide'' à la construction des piles
remonte à la dernière moitié du XII<sup>e</sup> siècle (50). Ici l'arc-boutant est simple,
sans prendre de charge; aussi vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle ces colonnes isolées sont-elles faites de grandes pierres minces posées en délit et peuvent-elles se comparer à ces pièces de charpente nommées ''chandelles'' que l'on pose plutôt pour roidir une construction faible que pour porter un poids agissant verticalement. Les voûtes hautes du chœur de la cathédrale de Soissons, dont la construction remonte aux premières années du XIII<sup>e</sup> siècle, sont contre-buttées par des arcs-boutants doubles (52) dont
il vient contre-butter les voûtes au point de leur poussée, et répartit sa
force de résistance sur une ligne verticale assez longue au moyen de ce
contre-fort porté sur une colonne extérieure, laissant un passage entre elle
et le mur au-dessus du triforium. Mais bientôt les constructeurs observèrent
que la poussée des voûtes en arcs d'ogives d'une très-grande portée,
agissait encore au-dessous et au-dessus du point mathématique de cette
poussée. La théorie peut, en effet, démontrer que la poussée d'une voûte se
résout en un seul point, mais la pratique fait bientôt reconnaître que cette
poussée est diffuse et qu'elle agit par suite du glissement possible des claveaux
des arcs et de la multiplicité des joints, depuis la naissance de ces
arcs jusqu'à la moitié environ de la hauteur de la voûte (51). En effet, soit A
le point mathématique de la poussée d'une voûte en arc d'ogive, si la voûte
a une portée de 10 à 15 mètres, par exemple, un seul arc-boutant arrivant
en A ne suffira pas pour empêcher la voûte d'agir encore au-dessus et au-dessous
de ce point. De même qu'en étayant un mur qui boucle, si l'on est
prudent, on posera verticalement sur ce mur une couche en bois et deux
étais l'un au-dessus de l'autre pour arrêter le bouclement; de même les
constructeurs qui élevèrent, au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, les grandes
nefs des cathédrales du nord, établirent de C en B un contre-fort, véritable
''couche'' de pierre, et deux arcs-boutants l'un au-dessus de l'autre, le premier
arrivant en C au-dessous de la poussée, le second en B au-dessus de
cette poussée. Par ce moyen les voûtes se trouvaient ''étrésillonnées'' à l'extérieur,
et les arcs-doubleaux ne pouvaient, non plus que les arcs-ogives,
faire le moindre mouvement, le point réel de la poussée se trouvant agir sur
un contre-fort maintenu dans un plan vertical et roidi par la buttée des deux
arcs-boutants. Au-dessous de la naissance de la voûte ce contre-fort C B
cessait d'être utile, aussi n'est-il plus porté que par une colonne isolée, et le
poids de ce contre-fort n'agissant
pas verticalement, les constructeurs
sont amenés peu à peu à réduire
le diamètre de la colonne,
dont la fonction se borne à prévenir
des dislocations, à donner du
''roide'' à la construction des piles
sans prendre de charge; aussi vers
le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle ces colonnes
isolées sont-elles faites de
grandes pierres minces posées en
délit et peuvent-elles se comparer
à ces pièces de charpente nommées
''chandelles'' que l'on pose
plutôt pour roidir une construction
faible que pour porter un
poids agissant verticalement. Les
voûtes hautes du chœur de la
cathédrale de Soissons, dont la
construction remonte aux premières
années du XIII<sup>e</sup> siècle, sont
contre-buttées par des arcs-boutants
doubles (52) dont
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[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Soissons.png|center]]
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les têtes viennent s'appuyer contre des piles portées par des colonnes engagées. Un passage est réservé entre la colonne inférieure et le point d'appui vertical qui reçoit les sommiers des voûtes. Il est nécessaire d'observer que le dernier claveau de chacun des arcs n'est pas engagé dans la pile et reste libre de glisser dans le cas où la voûte ferait un mouvement par suite d'un tassement des points d'appui verticaux, c'est là encore une des conséquences de ce principe d'élasticité appliqué à ces grandes bâtisses et sans lequel leur stabilité serait compromise. La faculté de glissement laissée aux arcs-boutants empêche leur déformation, et il n'est pas besoin de dire qu'ils ne peuvent conserver toute leur force d'étrésillonnement qu'autant qu'ils ne se déforment pas. En effet (53), soit A B C un arc-boutant, la pile verticale D venant à tasser, il faudra, si l'arc est engagé au point A, qu'il se rompe en B, ainsi que l'indique la fig. 1. Si, au contraire, c'est le contre-fort E qui vient à tasser, l'arc étant engagé en A, il se rompra encore suivant la fig. 2. On comprend donc combien il importe que l'arc puisse rester libre en A pour conserver au moyen de son glissement possible la pureté de sa courbure. Ces précautions dans la combinaison de l'appareil des arcs-boutants n'ont pas été toujours prises, et la preuve qu'elles n'étaient pas inutiles, c'est que leur oubli a presque toujours produit des effets fâcheux.
les têtes viennent s'appuyer contre des piles
portées par des colonnes engagées.
Un passage est réservé entre la
colonne inférieure et le point d'appui vertical qui reçoit les sommiers des
voûtes. Il est nécessaire d'observer que le dernier claveau de chacun des
arcs n'est pas engagé dans la pile et reste libre de glisser dans le cas où la
voûte ferait un mouvement par suite d'un tassement des points d'appui
verticaux, c'est là encore une des conséquences de ce principe d'élasticité
appliqué à ces grandes bâtisses et sans lequel leur stabilité serait compromise.
La faculté de glissement laissée aux arcs-boutants empêche
leur déformation, et il n'est pas besoin de dire qu'ils ne peuvent
conserver toute leur force d'étrésillonnement qu'autant qu'ils ne se déforment
pas. En effet (53), soit A B C un arc-boutant, la pile verticale D venant
à tasser, il faudra, si l'arc est engagé au point A, qu'il se rompe en B,
ainsi que l'indique la fig. 1. Si, au contraire, c'est le contre-fort E qui vient
à tasser, l'arc étant engagé en A, il se rompra encore suivant la fig. 2. On
comprend donc combien il importe que l'arc puisse rester libre en A pour
conserver au moyen de son glissement possible la pureté de sa courbure.
Ces précautions dans la combinaison de l'appareil des arcs-boutants n'ont
pas été toujours prises, et la preuve qu'elles n'étaient pas inutiles, c'est que
leur oubli a presque toujours produit des effets fâcheux.
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[[Image:Schema.Arc.boutant.png|center]]
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<span id="Amiens16">La nef de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], élevée vers 1230, présente une disposition d'arcs-boutants analogue à celle du chœur de la cathédrale de Soissons, seulement les colonnes supérieures sont dégagées comme les colonnes inférieures, elles sont plus sveltes, et le chaperon du second arc-boutant sert de canal pour conduire les eaux des chéneaux du grand comble à l'extrémité inférieure de l'arc, d'où elles tombent lancées par des gargouilles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Chéneau|Chéneau]], [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Gargouille|Gargouille]]). Ce moyen de résistance opposé aux poussées des voûtes par les arcs-boutants doubles ne sembla pas toujours assez puissant aux constructeurs
du XIII<sup>e</sup> siècle; ils eurent l'idée de rendre solidaires les deux arcs par une suite de rayons qui les réunissent, les étrésillonnent et leur donnent toute la résistance d'un mur plein, en leur laissant une grande légèreté. <span id=Chartres1>La cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] nous donne un admirable exemple de ces sortes d'arcs-boutants (54).
d'arcs-boutants analogue à celle du chœur de la cathédrale de Soissons,
seulement les colonnes supérieures sont dégagées comme les colonnes inférieures,
elles sont plus sveltes, et le chaperon du second arc-boutant sert
de canal pour conduire les eaux des chéneaux du grand comble à l'extrémité
inférieure de l'arc, d'où elles tombent lancées par des gargouilles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Chéneau|Chéneau]],
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Gargouille|Gargouille]]). Ce moyen de résistance opposé aux poussées des voûtes
par les arcs-boutants doubles ne sembla pas toujours assez puissant aux constructeurs
du XIII<sup>e</sup> siècle; ils eurent l'idée de rendre solidaires les deux arcs
par une suite de rayons qui les réunissent, les étrésillonnent et leur donnent
toute la résistance d'un mur plein, en leur laissant une grande légèreté. <span id=Chartres1>La
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chartres|Chartres]] nous donne un admirable exemple de ces sortes d'arcs-boutants (54).
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[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Chartres.png|center]]
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La construction de cet édifice présente dans toutes ses parties une force remarquable, les voûtes ont une épaisseur inusitée (0m,40 environ), les matériaux employés, lourds, rugueux, compactes, se prêtant peu aux délicatesses de l'architecture gothique de la première moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. Il était nécessaire, pour résister à la poussée de ces voûtes épaisses et qui n'ont pas moins de 15 mètres d'ouverture, d'établir des buttées énergiques, bien assises; aussi, fig. A, on observera que tout le système des arcs pénètre dans les contre-forts, s'y loge comme dans une rainure, que tous les joints de l'appareil sont normaux aux courbes, qu'enfin c'est une construction entièrement oblique destinée à résister à des pesanteurs agissant obliquement.
La construction de cet édifice présente dans toutes ses parties
une force remarquable, les voûtes ont une épaisseur inusitée (0m,40 environ),
les matériaux employés, lourds, rugueux, compactes, se prêtant peu aux
délicatesses de l'architecture gothique de la première moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. Il
était nécessaire, pour résister à la poussée de ces voûtes épaisses et qui n'ont
pas moins de 15 mètres d'ouverture, d'établir des buttées énergiques, bien
assises; aussi, fig. A, on observera que tout le système des arcs pénètre dans
les contre-forts, s'y loge comme dans une rainure, que tous les joints de
l'appareil sont normaux aux courbes, qu'enfin c'est une construction entièrement
oblique destinée à résister à des pesanteurs agissant obliquement.
 
Ce système d'étrésillonnement des arcs au moyen de rayons intermédiaires ne paraît pas toutefois avoir été fréquemment adopté pendant le
XIII<sup>e</sup> siècle; il est vrai qu'il n'y avait pas lieu d'employer des moyens aussi puissants pour résister à la poussée des voûtes, ordinairement fort légères, même dans les plus grandes églises ogivales. À la cathédrale de Reims les arcs-boutants sont doubles, mais indépendants l'un de l'autre; ils deviennent de plus en plus hardis vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, alors que les piles sont plus grêles, les voûtes plus légères. Une fois le principe de la construction des églises gothiques admis, on en vint bientôt à l'appliquer dans ses conséquences les plus rigoureuses. Observant avec justesse qu'une voûte bien contre-buttée n'a besoin pour soutenir sa naissance que d'un point d'appui vertical très-faible comparativement à son poids, les constructeurs amincirent peu à peu les piles et reportèrent toute la force de résistance à l'extérieur, sur les contre-forts (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]]). Ils évidèrent complètement les intervalles entre les piles, sous les formerets, par de grandes fenêtres à meneaux; ils mirent à jour les galeries au-dessous de ces fenêtres (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium|Triforium ]]), et tout le système de la construction des grandes nefs se réduisit à des piles minces, rendues rigides par la charge, et maintenues dans un plan vertical par suite de l'équilibre établi entre la poussée des voûtes et la buttée des arcs-boutants.
ne paraît pas toutefois avoir été fréquemment adopté pendant le
XIII<sup>e</sup> siècle; il est vrai qu'il n'y avait pas lieu d'employer des moyens aussi
puissants pour résister à la poussée des voûtes, ordinairement fort légères,
même dans les plus grandes églises ogivales. À la cathédrale de Reims les
arcs-boutants sont doubles, mais indépendants l'un de l'autre; ils deviennent
de plus en plus hardis vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, alors que les piles
sont plus grêles, les voûtes plus légères. Une fois le principe de la construction
des églises gothiques admis, on en vint bientôt à l'appliquer dans ses
conséquences les plus rigoureuses. Observant avec justesse qu'une voûte
bien contre-buttée n'a besoin pour soutenir sa naissance que d'un point d'appui
vertical très-faible comparativement à son poids, les constructeurs amincirent
peu à peu les piles et reportèrent toute la force de résistance à l'extérieur,
sur les contre-forts (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Construction|Construction]]). Ils évidèrent complètement
les intervalles entre les piles, sous les formerets, par de grandes fenêtres à
meneaux; ils mirent à jour les galeries au-dessous de ces fenêtres (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9, Triforium|Triforium ]]),
et tout le système de la construction des grandes nefs se réduisit à
des piles minces, rendues rigides par la charge, et maintenues dans un plan
vertical par suite de l'équilibre
établi entre la poussée des
voûtes et la buttée des arcs-boutants.
</div>
[[Image:Arc.boutant.eglise.Saint.Denis.png|center]]
<div class="text">
La nef et l'œuvre haute du chœur de l'église de Saint-Denis, bâties sous saint Louis, nous donnent une des applications les plus parfaites de ce principe (55), que nous trouvons adopté au XIII<sup>e</sup> siècle dans les chœurs des cathédrales de Troyes, de Sées, du Mans, et plus tard, au XIV<sup>e</sup> siècle, à Saint-Ouen de Rouen. Toute la science des constructeurs d'églises consistait donc
La nef et l'œuvre haute du
alors à établir un équilibre parfait entre la poussée des voûtes d'une part, et la poussée des arcs-boutants de l'autre. Et il faut dire que s'ils n'ont pas toujours réussi pleinement dans l'exécution, les erreurs qu'ils ont pu commettre démontrent que le système n'était pas mauvais, puisque malgré des déformations effrayantes subies par quelques-uns de ces monuments, ils n'en sont pas moins restés debout depuis six cents ans, grâce à l'élasticité de ce mode de construction. Il faut ajouter aussi que dans les grands édifices bâtis avec soin, au moyen de ressources suffisantes et par des gens habiles, ces déformations ne se rencontrent pas, et l'équilibre des constructions a été maintenu avec une science et une adresse peu communes.
chœur de l'église de Saint-Denis,
bâties sous saint Louis,
nous donnent une des applications
les plus parfaites de ce
principe (55), que nous trouvons
adopté au XIII<sup>e</sup> siècle
dans les chœurs des cathédrales
de Troyes, de Sées, du
Mans, et plus tard, au XIV<sup>e</sup> siècle,
à Saint-Ouen de Rouen.
Toute la science des constructeurs
d'églises consistait donc
alors à établir un équilibre
parfait entre la poussée des
voûtes d'une part, et la poussée
des arcs-boutants de l'autre.
Et il faut dire que s'ils
n'ont pas toujours réussi pleinement dans l'exécution, les erreurs qu'ils ont
pu commettre démontrent que le système n'était pas mauvais, puisque
malgré des déformations effrayantes subies par quelques-uns de ces monuments,
ils n'en sont pas moins restés debout depuis six cents ans, grâce à
l'élasticité de ce mode de construction. Il faut ajouter aussi que dans les
grands édifices bâtis avec soin, au moyen de ressources suffisantes et par
des gens habiles, ces déformations ne se rencontrent pas, et l'équilibre
des constructions a été maintenu avec une science et une adresse peu communes.
 
La courbure des arcs-boutants varie suivant la courbure des arcs-doubleaux, le diamètre des arcs-boutants, leur épaisseur et l'épaisseur de la culée ou contre-fort.
arcs-doubleaux,
le diamètre des arcs-boutants, leur épaisseur et l'épaisseur de la
culée ou contre-fort.
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[[Image:Arc.boutant.primitif.png|center]]
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Ainsi les arcs-boutants primitifs sont généralement formés d'un quart de cercle (56), mais leurs claveaux sont épais et lourds, ils résistent à l'action de la poussée des voûtes par leur poids, et venant s'appuyer au droit de cette poussée, ils ajoutent sur les piles A une nouvelle charge à celle des voûtes; c'est une pesanteur inerte venant neutraliser une poussée oblique. Quand on comprit mieux la véritable fonction des arcs-boutants, on vit qu'on pouvait, comme nous l'avons dit déjà, opposer à la poussée oblique une résistance oblique et non-seulement ne plus charger les piles A d'un surcroît de poids, mais même les soulager d'une partie du poids des voûtes. D'ailleurs on avait pu observer que les arcs-boutants étant tracés suivant un quart de cercle, se relevaient au point B, lorsque la poussée des voûtes était considérable et que le poids des claveaux des arcs n'était pas exactement calculé de manière à conserver leur courbure. Dès lors les arcs-boutants furent cintrés sur une portion de cercle dont le centre était placé en dedans
Ainsi les arcs-boutants primitifs sont généralement formés d'un quart de
cercle (56), mais leurs claveaux sont épais et lourds, ils résistent à l'action
de la poussée des voûtes par leur poids, et venant s'appuyer au droit de cette
poussée, ils ajoutent sur les piles A une nouvelle charge à celle des voûtes;
c'est une pesanteur inerte venant neutraliser une poussée oblique. Quand on
comprit mieux la véritable fonction des arcs-boutants, on vit qu'on pouvait,
comme nous l'avons dit déjà, opposer à la poussée oblique une résistance
oblique et non-seulement ne plus charger les piles A d'un surcroît de poids,
mais même les soulager d'une partie du poids des voûtes. D'ailleurs on avait
pu observer que les arcs-boutants étant tracés suivant un quart de cercle, se
relevaient au point B, lorsque la poussée des voûtes était considérable et
que le poids des claveaux des arcs n'était pas exactement calculé de manière
à conserver leur courbure. Dès lors les arcs-boutants furent cintrés sur une
portion de cercle dont le centre était placé en dedans
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[[Image:Arc.boutant.png|center]]
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des piles des nefs (57), ils remplissaient ainsi la fonction d'un étai, n'opposaient plus une force passive à une force active, mais venaient porter une partie du poids de la voûte, en même temps qu'ils maintenaient son action latérale, ils déchargeaient d'autant les piles A. Si par une raison d'économie, ou faute de place, les culées C ne pouvaient avoir une grande épaisseur, les arcs-boutants devenaient presque des piles inclinées, très-légèrement cintrées, opposant aux poussées une résistance considérable, et reportant cette poussée presque verticalement sur les contre-forts. On voit des arcs-boutants ainsi construits dans l'église
des piles des nefs (57), ils remplissaient ainsi la fonction d'un étai, n'opposaient plus une force passive
à une force active, mais venaient porter une partie du poids de la voûte,
en même temps qu'ils maintenaient son action latérale, ils déchargeaient
d'autant les piles A. Si par une raison d'économie, ou faute de place, les culées
C ne pouvaient avoir une grande épaisseur, les arcs-boutants devenaient
presque des piles inclinées, très-légèrement
cintrées, opposant aux poussées une résistance
considérable, et reportant cette poussée
presque verticalement sur les contre-forts.
On voit des arcs-boutants ainsi
construits dans l'église
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[[Image:Arc.boutant.eglise.Semur.en.Auxois.png|center]]
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<br>
Notre-Dame de Semur en Auxois (58), monument que nous citerons souvent à cause de son exécution si belle et de l'admirable entente
Notre-Dame de
de son mode de construction. Toutefois des arcs-boutants ainsi construits ne pouvaient maintenir que des voûtes d'une faible portée (celles de Notre-Dame de Semur n'ont que 8 mètres d'ouverture) et dont la poussée se rapprochait de la verticale par suite de l'acuité des arcs-doubleaux, car ils se seraient certainement déversés en pivotant sur leur sommier D, si les arcs-doubleaux se rapprochant du plein cintre eussent eu par conséquent la propriété de pousser suivant un angle voisin de 45 degrés. Dans ce cas, tout en cintrant les arcs-boutants sur un arc d'un très-grand rayon, et d'une courbure peu sensible par conséquent, on avait le soin de les charger puissamment au-dessus de leur naissance, près de la culée, pour éviter le déversement. <span id=Paris1>Ce système a été adopté dans la
Semur en Auxois (58), monument que nous citerons souvent à cause de son
construction des immenses arcs-boutants de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], refaits au XIV<sup>e</sup> siècle (59). Ces arcs prodigieux, qui n'ont pas moins de 15 mètres de rayon, furent élevés par suite de dispositions tout exceptionnelles (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]]); c'est là un fait unique.
exécution si belle et de l'admirable entente
de son mode de construction. Toutefois
des arcs-boutants ainsi construits ne pouvaient
maintenir que des voûtes d'une faible
portée (celles de Notre-Dame de Semur
n'ont que 8 mètres d'ouverture) et dont la
poussée se rapprochait de la verticale par
suite de l'acuité des arcs-doubleaux, car
ils se seraient certainement déversés en
pivotant sur leur sommier D, si les arcs-doubleaux
se rapprochant du plein cintre
eussent eu par conséquent la propriété de pousser suivant un angle voisin
de 45 degrés. Dans ce cas, tout en cintrant les arcs-boutants sur un arc
d'un très-grand rayon, et d'une courbure peu sensible par conséquent, on
avait le soin de les charger puissamment au-dessus de leur naissance, près
de la culée, pour éviter le déversement. <span id=Paris1>Ce système a été adopté dans la
construction des immenses arcs-boutants de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], refaits
au XIV<sup>e</sup> siècle (59). Ces arcs prodigieux, qui n'ont pas moins de 15 mètres
de rayon, furent élevés par suite de dispositions tout exceptionnelles
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]]); c'est là un fait unique.
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[[Image:Arc.boutant.Notre.Dame.de.Paris.png|center]]
<div class="text">
Tous les exemples que nous venons de donner ne reproduisent que des arcs-boutants simples ou doubles d'une seule volée; mais dans les chœurs des grandes cathédrales, par exemple, ou dans les nefs des XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles bordées de doubles bas côtés, ou de bas côtés et de chapelles communiquant entre elles, il eût fallu établir des arcs-boutants d'une trop grande portée pour franchir ces espaces s'ils eussent été s'appuyer sur les contre-forts extérieurs, ou ces contre-forts auraient dû alors prendre un terrain considérable en dehors des édifices. Or nous ne devons pas oublier que le terrain était chose à ménager dans les villes du moyen âge. Nous le répétons, les arcs-boutants de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], qui franchissent les doubles bas côtés, sont un exemple unique; ordinairement, dans les cas que nous venons de signaler, les arcs-boutants sont à deux volées, c'est-à-dire qu'ils sont séparés par un point d'appui intermédiaire ou repos, qui, en divisant la poussée, détruit une partie de son effet et permet ainsi de réduire l'épaisseur des contre-forts extérieurs.
Tous les exemples que nous venons de donner ne reproduisent que des
arcs-boutants simples ou doubles d'une seule volée; mais dans les chœurs
des grandes cathédrales, par exemple, ou dans les nefs des XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et
XV<sup>e</sup> siècles bordées de doubles bas côtés, ou de bas côtés et de chapelles
communiquant entre elles, il eût fallu établir des arcs-boutants d'une trop
grande portée pour franchir ces espaces s'ils eussent été s'appuyer sur les
contre-forts extérieurs, ou ces contre-forts auraient dû alors prendre un
terrain considérable en dehors des édifices. Or nous ne devons pas oublier
que le terrain était chose à ménager dans les villes du moyen âge. Nous le
répétons, les arcs-boutants de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], qui franchissent les
doubles bas côtés, sont un exemple unique; ordinairement, dans les cas que
nous venons de signaler, les arcs-boutants sont à deux volées, c'est-à-dire
qu'ils sont séparés par un point d'appui intermédiaire ou repos, qui, en divisant
la poussée, détruit une partie de son effet et permet ainsi de réduire
l'épaisseur des contre-forts extérieurs.
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[[Image:Plan.arc.boutant.chapelle.png|center]]
<div class="text">
Dans les chœurs des grandes églises bâties pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, les chapelles présentent généralement en plan une disposition telle que derrière les piles qui forment la séparation de ces chapelles, les murs sont réduits à une épaisseur extrêmement faible (60) à cause de la disposition rayonnante de l'abside. Si l'on élevait un contre-fort plein sur le mur de séparation de A en B, il y aurait certainement rupture au point C, car c'est sur ce point faible que viendrait se reporter tout le poids de l'arc-boutant. Si on se contentait d'élever un contre-fort sur la partie résistante de cette séparation, de C en B, par exemple, le contre-fort ne serait pas assez épais pour résister à la poussée des arcs-boutants bandés de D en C, en tenant compte surtout de la hauteur des naissances des voûtes, comparativement à l'espace C B. <span id=Beauvais1>À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], la longueur A B de
Dans les chœurs des grandes églises bâties pendant les XIII<sup>e</sup>, XIV<sup>e</sup> et
séparation des chapelles est à la hauteur des piles D, jusqu'à la naissance de la voûte comme 1 est à 6, et la longueur C B comme 1 est à 9. Voici donc comment les constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle établirent les arcs-boutants du chœur de cette immense église (61). Pour
XV<sup>e</sup> siècles, les chapelles présentent généralement en plan une disposition
telle que derrière les piles qui forment la séparation de ces chapelles, les
murs sont réduits à une épaisseur extrêmement faible (60) à cause de la
disposition rayonnante de l'abside. Si l'on élevait un contre-fort plein sur le
mur de séparation de A en B, il y aurait certainement rupture au point C,
car c'est sur ce point faible que viendrait se reporter tout le poids de l'arc-boutant.
Si on se contentait d'élever un contre-fort sur la partie résistante
de cette séparation, de C en B, par exemple, le contre-fort ne serait pas
assez épais pour résister à la poussée des arcs-boutants bandés de D en C,
en tenant compte surtout de la hauteur des naissances des voûtes, comparativement
à l'espace C B. <span id=Beauvais1>À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], la longueur A B de
séparation des chapelles est à la hauteur des piles D, jusqu'à la naissance de
la voûte comme 1 est à 6, et la longueur C B comme 1 est à 9. Voici donc
comment les constructeurs du XIII<sup>e</sup> siècle établirent les arcs-boutants du
chœur de cette immense église (61). Pour
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[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Beauvais.png|center]]
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laisser une plus grande résistance à la culée des contre-forts A C, ils ne craignirent pas de poser la pile A en porte à faux sur la pile B, calculant avec raison que la poussée des deux arcs-boutants supérieurs tendait à faire incliner cette pile A, et reportait sa
charge sur son parement extérieur à l'aplomb de la pile B. Laissant un vide entre la pile A et le contre-fort C, ils bandèrent deux autres petits arcs-boutants dans le prolongement des deux grands, et surent ainsi maintenir l'aplomb de la pile intermédiaire A chargée par le pinacle D. Grâce à cette division des forces des poussées et à la stabilité donnée à la pile A et au contre-fort C par ce surcroît de pesanteur obtenu au moyen de l'adjonction des pinacles D et E, l'équilibre de tout le système s'est conservé; <span id=Beauvais2>et si le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] a menacé de s'écrouler au XIVe siècle, au point qu'il a fallu élever de nouvelles piles entre les anciennes dans les travées parallèles, il ne faut pas s'en prendre au système adopté, qui est très-savamment combiné, mais à certaines imperfections dans l'exécution, et surtout à l'ébranlement causé à l'édifice par la chute de la flèche centrale élevée imprudemment sur le transsept avant la construction de la nef. D'ailleurs, l'arc-boutant que nous donnons ici appartient au rond-point dont toutes les parties ont conservé leur aplomb. Nous citons le chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] parce qu'il est la dernière limite à laquelle la construction des grandes églises du XIII<sup>e</sup> siècle ait pu arriver. C'est la théorie du système mise en pratique avec ses conséquences même exagérées. Sous ce point de vue, cet édifice ne saurait être étudié avec trop de soin. C'est le Parthénon de l'architecture française; il ne lui a manqué que d'être achevé, et d'être placé au centre d'une population conservatrice et sachant comme les Grecs de l'antiquité, apprécier, respecter et vanter les grands efforts de l'intelligence humaine. <span id=Cologne>Les architectes de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]], qui bâtirent le chœur de cette église peu après celui de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]],
porte à faux sur la pile B, calculant avec raison que la poussée des deux
appliquèrent ce système d'arcs-boutants, mais en le perfectionnant sous le rapport de l'exécution. Ils chargèrent cette construction simple de détails infinis qui nuisent à son effet sans augmenter ses chances de stabilité (voy.
arcs-boutants supérieurs tendait à faire incliner cette pile A, et reportait sa
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]]). Dans la plupart des églises bâties au commencement du XIII<sup>e</sup> siècle, les eaux des chéneaux des grands combles s'égouttaient par les larmiers des corniches, et n'étaient que rarement dirigés dans des canaux destinés à les rejeter promptement en dehors du périmètre de l'édifice (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Chéneau|Chéneau]]); on reconnut bientôt les inconvénients de cet état de choses, et, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on eut l'idée de se servir des arcs-boutant supérieurs comme d'aqueducs pour conduire les eaux des chéneaux des grands combles à travers les têtes des contre-forts; on évitait ainsi de longs trajets, et on se débarrassait des eaux de pluie par le plus court chemin. Ce système fut adopté dans le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] (61).
charge sur son parement extérieur à l'aplomb de la pile B. Laissant un
Mais on était amené ainsi à élever la tête des arcs-boutants supérieurs jusqu'à la corniche des grands combles, c'est-à-dire bien au-dessus de la poussée des voûtes, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], ou à conduire les eaux des chéneaux sur ces arcs-boutants au moyen de coffres verticaux en pierre qui avaient l'inconvénient de causer des infiltrations au droit des reins des voûtes. <span id="Amiens17">La poussée de ces arcs-boutants supérieurs, agissant à la tête des murs, pouvait causer des désordres dans la construction. On remplaça donc, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, les arcs-boutants supérieurs par une construction à claire-voie, véritable aqueduc incliné qui étrésillonnait les têtes des murs, mais d'une façon passive et sans pousser. C'est ainsi que furent construits les arcs-boutants du chœur de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], élevés vers 1260(62).
vide entre la pile A et le contre-fort C, ils bandèrent deux autres petits
arcs-boutants dans le prolongement des deux grands, et surent ainsi
maintenir l'aplomb de la pile intermédiaire A chargée par le pinacle D.
Grâce à cette division des forces des poussées et à la stabilité donnée à la
pile A et au contre-fort C par ce surcroît de pesanteur obtenu au moyen
de l'adjonction des pinacles D et E, l'équilibre de tout le système s'est
conservé; <span id=Beauvais2>et si le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] a menacé de s'écrouler
au XIVe siècle, au point qu'il a fallu élever de nouvelles piles entre les
anciennes dans les travées parallèles, il ne faut pas s'en prendre au système
adopté, qui est très-savamment combiné, mais à certaines imperfections
dans l'exécution, et surtout à l'ébranlement causé à l'édifice par la chute
de la flèche centrale élevée imprudemment sur le transsept avant la
construction de la nef. D'ailleurs, l'arc-boutant que nous donnons ici
appartient au rond-point dont toutes les parties ont conservé leur aplomb.
Nous citons le chœur de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] parce qu'il est la dernière limite à laquelle
la construction des grandes églises du XIII<sup>e</sup> siècle ait pu arriver. C'est la
théorie du système mise en pratique avec ses conséquences même exagérées.
Sous ce point de vue, cet édifice ne saurait être étudié avec trop de
soin. C'est le Parthénon de l'architecture française; il ne lui a manqué que
d'être achevé, et d'être placé au centre d'une population conservatrice et
sachant comme les Grecs de l'antiquité, apprécier, respecter et vanter les
grands efforts de l'intelligence humaine. <span id=Cologne>Les architectes de la cathédrale de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Cologne|Cologne]], qui bâtirent le chœur de cette église peu après celui de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]],
appliquèrent ce système d'arcs-boutants, mais en le perfectionnant sous le
rapport de l'exécution. Ils chargèrent cette construction simple de détails
infinis qui nuisent à son effet sans augmenter ses chances de stabilité (voy.
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 2, Cathédrale|Cathédrale]]). Dans la plupart des églises bâties au commencement du
XIII<sup>e</sup> siècle, les eaux des chéneaux des grands combles s'égouttaient par les
larmiers des corniches, et n'étaient que rarement dirigés dans des canaux
destinés à les rejeter promptement en dehors du périmètre de l'édifice
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Chéneau|Chéneau]]); on reconnut bientôt les inconvénients de cet état de choses,
et, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on eut l'idée de se servir des arcs-boutant
supérieurs comme d'aqueducs pour conduire les eaux des chéneaux des
grands combles à travers les têtes des contre-forts; on évitait ainsi de longs
trajets, et on se débarrassait des eaux de pluie par le plus court chemin.
Ce système fut adopté dans le chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]] (61).
Mais on était amené ainsi à élever la tête des arcs-boutants supérieurs
jusqu'à la corniche des grands combles, c'est-à-dire bien au-dessus de la
poussée des voûtes, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], ou à conduire les eaux des
chéneaux sur ces arcs-boutants au moyen de coffres verticaux en pierre
qui avaient l'inconvénient de causer des infiltrations au droit des reins des
voûtes. <span id="Amiens17">La poussée de ces arcs-boutants supérieurs, agissant à la tête des
murs, pouvait causer des désordres dans la construction. On remplaça
donc, vers la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, les arcs-boutants supérieurs par une
construction à claire-voie, véritable aqueduc incliné qui étrésillonnait les
têtes des murs, mais d'une façon passive et sans pousser. C'est ainsi que
furent construits les arcs-boutants du chœur de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]],
élevés vers 1260(62).
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[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Amiens.png|center]]
<div class="text">
<br>
Cette première tentative ne fut pas heureuse. Les arcs-boutants, trop peu chargés par ces aqueducs à jour, purent se maintenir dans le rond-point, là où ils n'avaient à contre-butter que la poussée d'une seule nervure de la voûte; mais, dans la partie parallèle du chœur, là où il fallait résister à la poussée combinée des arcs-doubleaux et des arcs-ogives, les arcs-boutants se soulevèrent, et au XV<sup>e</sup> siècle on dut bander, en contre-bas des arcs primitifs, de nouveaux arcs d'un plus grand rayon, pour neutraliser l'effet produit par la poussée des grandes voûtes. Cette expérience profita aux constructeurs des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, qui
Cette première tentative ne fut pas heureuse. Les arcs-boutants, trop peu chargés par ces aqueducs à jour, purent se
combinèrent dès lors les aqueducs surmontant les arcs-boutants, de façon à éviter ce ''relèvement'' dangereux. Toutefois, ce système d'aqueducs appartient particulièrement aux églises de Picardie, de Champagne et du nord, et on le voit rarement employé avant le XVI<sup>e</sup> siècle dans les monuments de l'Île-de-France, de la Bourgogne et du nord-ouest.
maintenir dans le rond-point, là où ils n'avaient à contre-butter que la
poussée d'une seule nervure de la voûte; mais, dans la partie parallèle du
chœur, là où il fallait résister à la poussée combinée des
arcs-doubleaux et
des arcs-ogives, les arcs-boutants se soulevèrent, et au XV<sup>e</sup> siècle on dut
bander, en contre-bas des arcs primitifs, de nouveaux arcs d'un plus grand
rayon, pour neutraliser l'effet produit par la poussée des grandes voûtes.
Cette expérience profita aux constructeurs des XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, qui
combinèrent dès lors les aqueducs surmontant les arcs-boutants, de façon
à éviter ce ''relèvement'' dangereux. Toutefois, ce système d'aqueducs
appartient particulièrement aux églises de Picardie, de Champagne et du
nord, et on le voit rarement employé avant le XVI<sup>e</sup> siècle dans les monuments
de l'Île-de-France, de la Bourgogne et du nord-ouest.
</div>
[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Amiens.2.png|center]]
<div class="text">
Voici comment au XV<sup>e</sup> siècle l'architecte qui réédifia en grande partie le chœur de l'église d'Eu sut prévenir le relèvement des arcs-boutants surmontés seulement de la trop faible charge des aqueducs à jour. Au lieu de poser immédiatement les pieds-droits de l'aqueduc sur l'extrados de l'arc (63), comme dans le chœur de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], il établit d'abord sur cet extrados un premier ''étai'' de pierre A B. Cet étai est appareillé comme une plate-bande retournée, de façon à opposer une résistance puissante au relèvement de l'arc produit au point C par la poussée de la voûte; c'est sur ce premier étai, rendu inflexible, que sont posés les pieds-droits de l'aqueduc, pouvant dès lors être allégé sans danger. D'après ce système, les à-jour D ne sont que des étrésillons qui sont destinés à empêcher toute déformation de l'arc de E en C; l'arc ECH et sa tangente AB ne forment qu'un corps homogène parfaitement rigide par suite des forces contraires qui se neutralisent en agissant en sens inverse. L'inflexibilité de la première ligne AB étant opposée au relèvement de l'arc, le chaperon FG conserve la ligne droite et forme un second étai de pierre qui maintient encore les poussées supérieures de la voûte; la figure ECHFG
Voici comment au XV<sup>e</sup> siècle l'architecte qui réédifia en grande partie le
présente toute la résistance d'un mur plein sans en avoir le poids. Ces arcs-boutants sont à doubles volées, et le même principe est adopté dans la construction de chacune d'elles.
chœur de l'église d'Eu sut prévenir le relèvement des arcs-boutants
surmontés seulement de la trop faible charge des aqueducs à jour. Au lieu
de poser immédiatement les pieds-droits de l'aqueduc sur l'extrados de
l'arc (63), comme dans le chœur de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], il établit
d'abord sur cet extrados un premier ''étai'' de pierre A B. Cet étai est appareillé
comme une plate-bande retournée, de façon à opposer une résistance
puissante au relèvement de l'arc produit au point C par la poussée de la
voûte; c'est sur ce premier étai, rendu inflexible, que sont posés les pieds-droits
de l'aqueduc, pouvant dès lors être allégé sans danger. D'après ce
système, les à-jour D ne sont que des étrésillons qui sont destinés à
empêcher toute déformation de l'arc de E en C; l'arc ECH et sa tangente
AB ne forment qu'un corps homogène parfaitement rigide par suite des
forces contraires qui se neutralisent en agissant en sens inverse. L'inflexibilité
de la première ligne AB étant opposée au relèvement de l'arc, le
chaperon FG conserve la ligne droite et forme un second étai de pierre qui
maintient encore les poussées supérieures de la voûte; la figure ECHFG
présente toute la résistance d'un mur plein sans en avoir le poids. Ces
arcs-boutants sont à doubles volées, et le même principe est adopté dans la
construction de chacune d'elles.
 
L'emploi de l'arc-boutant dans les grands édifices exige une science approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l'avons dit plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s'étonner si de nombreuses tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas toujours couronnées d'un plein succès, et si quelques édifices périssent par suite du défaut d'expérience de leurs architectes.
L'emploi de l'arc-boutant dans les grands édifices exige une science
approfondie de la poussée des voûtes, poussée qui, comme nous l'avons dit
plus haut, varie suivant la nature des matériaux employés, leur poids et
leur degré de résistance. Il ne faut donc pas s'étonner si de nombreuses
tentatives faites par des constructeurs peu expérimentés ne furent pas
toujours couronnées d'un plein succès, et si quelques édifices périssent par
suite du défaut d'expérience de leurs architectes.
 
<span id="Auxerre4"><span id="Bayeux1"><span id=Beauvais3>Lorsque le goût dominant vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle poussa les
constructeurs à élever des églises d'une excessive légèreté et d'une grande élévation sous voûtes, lorsque l'on abandonna partout le système des arcs-boutants primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut y avoir, et il y eut en effet pendant près d'un demi-siècle, des tâtonnements, des hésitations, avant de trouver ce que l'on cherchait: l'arc-boutant réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent promptement le problème par des voies diverses, comme à Saint-Denis, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], comme à Saint-Pierre de Chartres, comme à la cathédrale du Mans, comme à Saint-Étienne d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]], comme à Notre-Dame de Semur, comme aux cathédrales de Reims, de Coutances et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], etc., tous édifices bâtis de 1220 à 1260; mais les inhabiles (et il s'en trouve dans tous les temps) commirent bien des erreurs jusqu'au moment où l'expérience acquise à la suite de nombreux exemples put permettre d'établir des règles fixes, des formules qui pouvaient servir de guide aux
constructeurs à élever des églises d'une excessive légèreté et d'une grande
constructeurs novices ou n'étant pas doués d'un génie naturel. À la fin du XIII<sup>e</sup> siècle, et pendant le XIV<sup>e</sup>, on voit en effet l'arc-boutant appliqué sans hésitation partout; on s'aperçoit alors que les règles touchant la stabilité des voûtes sont devenues classiques, que les écoles de construction ont admis des formules certaines; et si quelques génies audacieux s'en écartent, ce sont des exceptions.
élévation sous voûtes, lorsque l'on abandonna partout le système des arcs-boutants
primitifs dont nous avons donné des types (fig. 50, 52, 54), il dut
y avoir, et il y eut en effet pendant près d'un demi-siècle, des tâtonnements,
des hésitations, avant de trouver ce que l'on cherchait:
l'arc-boutant
réduit à sa véritable fonction. Les constructeurs habiles résolurent
promptement le problème par des voies diverses, comme à Saint-Denis,
comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Beauvais|Beauvais]], comme à Saint-Pierre de Chartres, comme à la cathédrale
du Mans, comme à Saint-Étienne d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Auxerre|Auxerre]], comme à Notre-Dame de
Semur, comme aux cathédrales de Reims, de Coutances et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes B#Bayeux|Bayeux]], etc.,
tous édifices bâtis de 1220 à 1260; mais les inhabiles (et il s'en trouve
dans tous les temps) commirent bien des erreurs jusqu'au moment où
l'expérience acquise à la suite de nombreux exemples put permettre
d'établir des règles fixes, des formules qui pouvaient servir de guide aux
constructeurs novices ou n'étant pas doués d'un génie naturel. À la fin du
XIII<sup>e</sup> siècle, et pendant le XIV<sup>e</sup>, on voit en effet l'arc-boutant appliqué sans
hésitation partout; on s'aperçoit alors que les règles touchant la stabilité
des voûtes sont devenues classiques, que les écoles de construction ont
admis des formules certaines; et si quelques génies audacieux s'en écartent,
ce sont des exceptions.
 
<span id=Limoges><span id=Clermont.Ferrand>Il existe en France trois grandes églises bâties pendant le XIV<sup>e</sup> siècle, qui
nous font voir jusqu'à quel point ces règles sur la construction des voûtes et des arcs-boutants étaient devenues fixes: ce sont les cathédrales de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont-Ferrand]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]. Ces trois édifices sont l'œuvre d'un seul homme, ou au moins d'une école particulière, et bien qu'ils soient élevés tous trois au delà de la Loire, ils appartiennent à l'architecture du nord. Comme plan et comme construction, ces trois églises présentent une complète analogie; ils ne diffèrent que par leur décoration; leur stabilité est parfaite; un peu froids, un peu trop soumis à des règles ''classiques'', ils sont par cela même intéressants à étudier pour nous aujourd'hui. Les arcs-boutants de ces trois édifices (les chœurs seuls ont été construits à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]] et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]) sont combinés avec un grand art et une connaissance approfondie des poussées des voûtes; aussi dans ces trois cathédrales, très-légères d'ailleurs comme système de bâtisse, les piles sont restées parfaitement verticales dans toute leur hauteur, les voûtes n'ont pas une lézarde, les arcs-boutants ont conservé toute la pureté primitive de leur courbe.
nous font voir jusqu'à quel point ces règles sur la construction des voûtes
et des arcs-boutants étaient devenues fixes: ce sont les cathédrales de
[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont-Ferrand]], de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]] et de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]. Ces trois édifices sont
l'œuvre d'un seul homme, ou au moins d'une école particulière, et bien
qu'ils soient élevés tous trois au delà de la Loire, ils appartiennent à l'architecture
du nord. Comme plan et comme construction, ces trois églises
présentent une complète analogie; ils ne diffèrent que par leur décoration;
leur stabilité est parfaite; un peu froids, un peu trop soumis à des règles
''classiques'', ils sont par cela même intéressants à étudier pour nous aujourd'hui.
Les arcs-boutants de ces trois édifices (les chœurs seuls ont été
construits à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]] et à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]]) sont combinés avec un grand art et
une connaissance approfondie des poussées des voûtes; aussi dans ces trois
cathédrales, très-légères d'ailleurs comme système de bâtisse, les piles sont
restées parfaitement verticales dans toute leur hauteur, les voûtes n'ont pas
une lézarde, les arcs-boutants ont conservé toute la pureté primitive de
leur courbe.
</div>
[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Clermont.Ferrand.png|center]]
<div class="text">
Nous donnons ici (64) un des arcs-boutants de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Clermont.Ferrand|Clermont-Ferrand]], construits comme toute cette église en lave de Volvic.
construits comme toute cette église en lave de Volvic.
</div>
[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Narbonne.png|center]]
<div class="text">
<span id=Narbonne>Un des arcs-boutants de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes N#Narbonne|Narbonne]] (65), construits en pierre de Sainte-Lucie, qui est un calcaire fort résistant. Quant au chœur de la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]], il est bâti en granit. Dans l'un comme dans l'autre de ces arcs-boutants, les piles A reposent sur les piles de tête des chapelles, et le vide AB se trouve au-dessus de la partie mince des murs de séparation de ces chapelles, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]. Ces constructions sont exécutées avec une irréprochable précision. Alors, au XIV<sup>e</sup> siècle, l'arc-boutant, sous le point de vue de la science, avait atteint le dernier degré de la perfection;
vouloir aller plus loin, c'était tomber dans l'abus; mais les constructeurs du moyen âge n'étaient pas gens à s'arrêter en chemin. Évidemment ces ''étais'' à demeure étaient une accusation permanente du système général adopté dans la construction de leurs grandes églises; ils s'évertuaient à les dissimuler, soit en les chargeant d'ornements, soit en les masquant avec une grande adresse, comme à la cathédrale de Reims, par des têtes de contre-forts qui sont autant de chefs-d'œuvre, soit en les réduisant à leur plus simple expression, en leur donnant alors la roideur que doit avoir un étai. C'est ce dernier parti qui fut franchement admis au XIV<sup>e</sup> siècle dans la construction des arcs-boutants de l'église de Saint-Urbain de Troyes (66).
Sainte-Lucie, qui est un calcaire fort résistant. Quant au chœur de la
cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Limoges|Limoges]], il est bâti en granit. Dans l'un comme dans l'autre
de ces arcs-boutants, les piles A reposent sur les piles de tête des chapelles,
et le vide AB se trouve au-dessus de la partie mince des murs de séparation
de ces chapelles, comme à [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]]. Ces constructions sont exécutées avec
une irréprochable précision. Alors, au XIV<sup>e</sup> siècle, l'arc-boutant, sous le
point de vue de la science, avait atteint le dernier degré de la perfection;
vouloir aller plus loin, c'était tomber dans l'abus; mais les constructeurs du
moyen âge n'étaient pas gens à s'arrêter en chemin. Évidemment ces ''étais''
à demeure étaient une accusation permanente du système général adopté
dans la construction de leurs grandes églises; ils s'évertuaient à les dissimuler,
soit en les chargeant d'ornements, soit en les masquant avec une
grande adresse, comme à la cathédrale de Reims, par des têtes de contre-forts
qui sont autant de chefs-d'œuvre, soit en les réduisant à leur plus
simple expression, en leur donnant alors la roideur que doit avoir un étai.
C'est ce dernier parti qui fut franchement admis au XIV<sup>e</sup> siècle dans la
construction des arcs-boutants de l'église de Saint-Urbain de Troyes (66).
</div>
[[Image:Arc.boutant.eglise.Saint.Urbain.Troyes.png|center]]
<div class="text">
Que l'on veuille bien examiner cette figure, et l'on verra que l'arc-boutant se compose d'un petit nombre de morceaux de pierre; ce n'est plus, comme dans tous les arcs précédents, une succession de claveaux peu ép ais, conservant une certaine élasticité, mais au contraire des pierres posées bout à bout, et acquérant ainsi les qualités d'un étai de bois. Ce n'est plus par la charge que l'arc conserve sa rigidité, mais par la combinaison de son appareil. Ici, la buttée n'est pas obtenue au moyen de l'arc ABC, mais par l'étai de pierre DE. L'arc ABC, dont la flexibilité est d'ailleurs neutralisée par l'horizontale BG et le cercle F, n'est là que pour empêcher l'étai DE de fléchir. Si l'architecte qui a tracé cet arc-boutant eût pu faire tailler le triangle DBG dans un seul morceau de pierre, il se fût dispensé de placer le ''lien'' AB. Toutefois, pour oser appareiller un arc-boutant de cette façon, il fallait être bien sûr du point de la poussée de la voûte et de la direction de cette poussée, car si ce système de buttée eût été placé un peu au-dessus
Que l'on veuille bien examiner cette figure, et l'on verra que
ou au-dessous de la poussée, si la ligne DE n'eût pas été inclinée suivant le seul angle qui lui convenait, il y aurait eu rupture au point B. Pour que cette rupture n'ait pas eu lieu, il faut supposer que la résultante des pressions diverses de la voûte agit absolument suivant la ligne DE. Ce n'est donc pas trop s'avancer que de dire: le système de l'arc-boutant, au XIV<sup>e</sup> siècle,
l'arc-boutant
était arrivé à son développement le plus complet. Mais on peut avoir raison suivant les règles absolues de la géométrie, et manquer de sens. L'homme qui a dirigé les constructions de l'église de Saint-Urbain de Troyes était certes beaucoup plus savant, meilleur mathématicien que ceux qui ont bâti les nefs de Chartres, de Reims ou d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], cependant ces derniers ont atteint le but et le premier l'a dépassé en voulant appliquer
se compose d'un petit nombre de morceaux de pierre; ce n'est plus, comme
ses matériaux à des combinaisons géométriques qui sont en complet désaccord avec leur nature et leurs qualités; en voulant donner à la pierre le rôle qui appartient au bois, en torturant la forme et l'art enfin, pour se donner la puérile satisfaction de les soumettre à la solution d'un problème de géométrie. Ce sont là de ces exemples qui sont aussi bons à étudier qu'ils sont mauvais à suivre.
dans tous les arcs précédents, une succession de claveaux peu épais, conservant
une certaine élasticité, mais au contraire des pierres posées bout à
bout, et acquérant ainsi les qualités d'un étai de bois. Ce n'est plus par
la charge que l'arc conserve sa rigidité, mais par la combinaison de son
appareil. Ici, la buttée n'est pas obtenue au moyen de l'arc ABC, mais par
l'étai de pierre DE. L'arc ABC, dont la flexibilité est d'ailleurs neutralisée
par l'horizontale BG et le cercle F, n'est là que pour empêcher l'étai DE de
fléchir. Si l'architecte qui a tracé cet arc-boutant eût pu faire tailler le
triangle DBG dans un seul morceau de pierre, il se fût dispensé de placer le
''lien'' AB. Toutefois, pour oser appareiller un arc-boutant de cette façon, il
fallait être bien sûr du point de la poussée de la voûte et de la direction de
cette poussée, car si ce système de buttée eût été placé un peu au-dessus
ou au-dessous de la poussée, si la ligne DE n'eût pas été inclinée suivant le
seul angle qui lui convenait, il y aurait eu rupture au point B. Pour que
cette rupture n'ait pas eu lieu, il faut supposer que la résultante des pressions
diverses de la voûte agit absolument suivant la ligne DE. Ce n'est donc
pas trop s'avancer que de dire: le système de l'arc-boutant, au XIV<sup>e</sup> siècle,
était arrivé à son développement le plus complet. Mais on peut avoir
raison suivant les règles absolues de la géométrie, et manquer de sens.
L'homme qui a dirigé les constructions de l'église de Saint-Urbain de
Troyes était certes beaucoup plus savant, meilleur mathématicien que ceux
qui ont bâti les nefs de Chartres, de Reims ou d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]], cependant ces
derniers ont atteint le but et le premier l'a dépassé en voulant appliquer
ses matériaux à des combinaisons géométriques qui sont en complet
désaccord avec leur nature et leurs qualités; en voulant donner à la pierre
le rôle qui appartient au bois, en torturant la forme et l'art enfin, pour
se donner la puérile satisfaction de les soumettre à la solution d'un problème
de géométrie. Ce sont là de ces exemples qui sont aussi bons à
étudier qu'ils sont mauvais à suivre.
</div>
[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Troyes.png|center]]
<div class="text">
Ce même principe est adopté dans de grands édifices. On voit dans la partie de la nef de la cathédrale de Troyes, qui date
Ce même principe
du XV<sup>e</sup> siècle, un arc-boutant à double volée particulièrement bien établi pour résister aux poussées des grandes voûtes. Il
est adopté dans
se compose de deux buttées rigides de pierre réunies par une arcature à jour (67); la buttée inférieure est tangente à l'extrados de l'arc, de manière à reporter la poussée sur la naissance de cet arc, en le laissant libre toutefois par la disposition de l'appareil.
de grands édifices.
<span id="Amiens18">Les pieds-droits de l'arcature à jour sont perpendiculaires à la direction des deux buttées, et les étrésillonnent ainsi beaucoup mieux que s'ils étaient verticaux, comme dans les arcs-boutants des chœurs de la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et de l'église d'Eu, donnés figures 62 et 63. Ces deux buttées rigides AB, CD, ne sont pas parallèles, mais se rapprochent en AC comme deux étais de bois, afin de mieux reporter la poussée agissant de B en F sur l'arc-boutant unique de la première volée E. La buttée rigide AB sert d'aqueduc pour les eaux du comble. Par le fait, cette construction est plus savante que gracieuse, et l'art ici est complètement sacrifié aux combinaisons géométriques.
On voit dans la
partie de la nef
de la cathédrale de
Troyes, qui date
du XV<sup>e</sup> siècle, un
arc-boutant à double
volée particulièrement
bien établi
pour résister
aux poussées des
grandes voûtes. Il
se compose de deux
buttées rigides de
pierre réunies par
une arcature à jour (67);
la buttée inférieure
est tangente à l'extrados de l'arc, de manière à reporter la poussée sur
la naissance de cet arc, en le laissant libre toutefois par la disposition de l'appareil.
<span id="Amiens18">Les pieds-droits de l'arcature à jour sont perpendiculaires à la direction
des deux buttées, et les étrésillonnent ainsi beaucoup mieux que s'ils
étaient verticaux, comme dans les arcs-boutants des chœurs de la cathédrale
d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]] et de l'église d'Eu, donnés figures 62 et 63. Ces deux buttées
rigides AB, CD, ne sont pas parallèles, mais se rapprochent en AC comme
deux étais de bois, afin de mieux reporter la poussée agissant de B en F
sur l'arc-boutant unique de la première volée E. La buttée rigide AB sert
d'aqueduc pour les eaux du comble. Par le fait, cette construction est plus
savante que gracieuse, et l'art ici est complètement sacrifié aux combinaisons
géométriques.
</div>
[[Image:Arc.boutant.Sainte.Chapelle.Paris.png|center]]
<div class="text">
Ce système d'arcs-boutants à jour, rigides, fut quelquefois employé avec bien plus de raison lorsqu'il s'agissait de maintenir une poussée agissant sur un vide étroit, comme dans la Sainte-Chapelle basse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] (XIII<sup>e</sup> siècle). Là, cet arc-boutant se compose d'une seule pierre évidée venant opposer une résistance fort légère en apparence, mais très-rigide en réalité, à la pression d'une voûte. La Sainte-Chapelle basse du Palais se compose d'une nef et de deux bas côtés étroits, afin de diminuer la portée des voûtes dont on voulait éviter de faire
Ce système d'arcs-boutants à jour, rigides, fut quelquefois employé avec
descendre les naissances trop bas; mais les voûtes de ces bas côtés atteignant la hauteur sous clef des voûtes de la nef (68), il fallait s'opposer à la poussée des grands arcs-doubleaux et des arcs-ogives au point A, au moyen d'un véritable étrésillon. L'architecte imagina de rendre fixe ce point A, et de reporter sa poussée sur les contre-forts extérieurs, en établissant un triangle à jour ABC découpé dans un seul morceau de pierre.
bien plus de raison lorsqu'il s'agissait de maintenir une poussée agissant
sur un vide étroit, comme dans la Sainte-Chapelle basse de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]] (XIII<sup>e</sup> siècle).
Là, cet arc-boutant se compose d'une seule pierre évidée venant
opposer une résistance fort légère en apparence, mais très-rigide en réalité,
à la pression d'une voûte. La Sainte-Chapelle basse du Palais se compose
d'une nef et de deux bas côtés étroits, afin de diminuer la portée des voûtes
dont on voulait éviter de faire
descendre les naissances trop
bas; mais les voûtes de ces bas
côtés atteignant la hauteur sous
clef des voûtes de la nef (68),
il fallait s'opposer à la poussée
des grands arcs-doubleaux et
des arcs-ogives au point A, au
moyen d'un véritable étrésillon.
L'architecte imagina de rendre
fixe ce point A, et de reporter
sa poussée sur les contre-forts
extérieurs, en établissant un
triangle à jour ABC découpé
dans un seul morceau de pierre.
 
<span id=Paris2>Ce système d'arc-boutant, ou plutôt d'étrésillon, est employé souvent dans les constructions civiles pour contre-butter des poussées. Les manteaux des quatre cheminées des cuisines dites de saint Louis, au Palais de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], sont maintenus par des étrésillons pris également dans un seul morceau de pierre découpé à jour (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cheminée|Cheminée]]).
<span id=Paris2>Ce système d'arc-boutant, ou
plutôt d'étrésillon, est employé
souvent dans les constructions
civiles pour contre-butter des
poussées. Les manteaux des
quatre cheminées des cuisines
dites de saint Louis, au Palais de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], sont maintenus par des étrésillons
pris également dans un seul morceau de pierre découpé à jour
(voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3, Cheminée|Cheminée]]).
 
Il n'en résulte pas moins que l'arc-boutant surmonté d'un aqueduc se perfectionne sous le point de vue de la parfaite connaissance des poussées pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, comme l'arc-boutant simple ou double. Les constructeurs arrivent à calculer exactement le poids qu'il faut donner aux aqueducs à jour pour empêcher le soulèvement de l'arc. Le caniveau qui couronne l'aqueduc devient un étai par la force qu'on lui donne aussi bien que par la manière dont il est appareillé.
Il n'en résulte pas moins que l'arc-boutant surmonté d'un aqueduc se
perfectionne sous le point de vue de la parfaite connaissance des poussées
pendant les XIV<sup>e</sup> et XV<sup>e</sup> siècles, comme l'arc-boutant simple ou double. Les
constructeurs arrivent à calculer exactement le poids qu'il faut donner aux
aqueducs à jour pour empêcher le soulèvement de l'arc. Le caniveau qui
couronne l'aqueduc devient un étai par la force qu'on lui donne aussi bien
que par la manière dont il est appareillé.
</div>
[[Image:Arc.boutant.église.Saint.Wulfrand.Abbeville.png|center]]
<div class="text">
Comme il arrive toujours lorsqu'un système adopté est poussé à ses dernières limites, on finit par perdre la trace du principe qui l'a développé; à la fin du XV<sup>e</sup> siècle et pendant le XVI<sup>e</sup>, les architectes prétendirent si bien améliorer la construction des arcs-boutants, qu'ils oublièrent les conditions premières de leur stabilité et de leur résistance. Au lieu de les former d'un simple arc de cercle venant franchement contre-butter les poussées, soit par lui-même, soit par sa combinaison avec une construction rigide servant d'étai, ils leur donnèrent des courbes composées, les faisant porter sur les piles des nefs en même temps qu'ils maintenaient l'écartement des voûtes. Ils ne tenaient plus compte ainsi de cette condition essentielle du glissement des têtes d'arcs, dont nous avons expliqué plus haut l'utilité; ils tendaient à pousser les piles en dedans, au-dessous et en sens inverse de
Comme il arrive toujours lorsqu'un système adopté est poussé à ses
la poussée des voûtes. <span id="Abbeville1">Nous donnons ici (69) un des arcs-boutants de la nef de l'église Saint-Wulfrand d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Abbeville|Abbeville]], construit d'après ce dernier principe pendant les premières années du XVI<sup>e</sup> siècle. Ces arcs ont produit et subi de graves désordres par suite de leur disposition vicieuse. Les contre-forts extérieurs ont tassé; il s'est déclaré des ruptures et des écrasements aux points A des arcs, les sommiers B ayant empêché le glissement qui aurait pu avoir lieu sans de grands inconvénients. Les arcs rompus aux points A ne contre-buttent plus les voûtes, qui poussent et écrasent, par le déversement des murs, les aqueducs supérieurs; en même temps ces arcs, déformés, chargés par ces aqueducs qui subissent la pression des voûtes, agissent puissamment sur les sommiers B, et, poussant dès lors les piliers vers l'intérieur à la naissance des voûtes, augmentent encore les causes d'écartement. Pour nous expliquer en peu de mots,
dernières limites, on finit par perdre la trace du principe qui l'a développé;
lorsque des arcs-boutants sont construits d'après ce système, la poussée des voûtes qui agit de C en D charge l'arc A verticalement, en augmentant la pression des pieds-droits de l'aqueduc. Cette charge verticale, se reportant sur une construction élastique, pousse de A en B. Or, plus la poussée de A en B est puissante, et plus la poussée des voûtes agit en C par le renversement de la ligne DC. Donc les sommiers placés à la tête des arcs-boutants en B sont contraires au principe même de l'arc-boutant.
à la fin du XV<sup>e</sup> siècle et pendant le XVI<sup>e</sup>, les architectes prétendirent si bien
améliorer la construction des arcs-boutants, qu'ils oublièrent les conditions
premières de leur stabilité et de leur résistance. Au lieu de les former d'un
simple arc de cercle venant franchement contre-butter les poussées, soit
par lui-même, soit par sa combinaison avec une construction rigide servant
d'étai, ils leur donnèrent des courbes composées, les faisant porter sur les
piles des nefs en même temps qu'ils maintenaient l'écartement des voûtes.
Ils ne tenaient plus compte ainsi de cette condition essentielle du glissement
des têtes d'arcs, dont nous avons expliqué plus haut l'utilité; ils
tendaient à pousser les piles en dedans, au-dessous et en sens inverse de
la poussée des voûtes. <span id="Abbeville1">Nous donnons ici (69) un des arcs-boutants de la
nef de l'église Saint-Wulfrand d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Abbeville|Abbeville]], construit d'après ce dernier
principe pendant les premières années du XVI<sup>e</sup> siècle. Ces arcs ont produit
et subi de graves désordres par suite de leur disposition vicieuse. Les
contre-forts extérieurs ont tassé; il s'est déclaré des ruptures et des écrasements
aux points A des arcs, les sommiers B ayant empêché le glissement
qui aurait pu avoir lieu sans de grands inconvénients. Les arcs
rompus aux points A ne contre-buttent plus les voûtes, qui poussent et
écrasent, par le déversement des murs, les aqueducs supérieurs; en même
temps ces arcs, déformés, chargés par ces aqueducs qui subissent la pression
des voûtes, agissent puissamment sur les sommiers B, et, poussant
dès lors les piliers vers l'intérieur à la naissance des voûtes, augmentent
encore les causes d'écartement. Pour nous expliquer en peu de mots,
lorsque des arcs-boutants sont construits d'après ce système, la poussée
des voûtes qui agit de C en D charge l'arc A verticalement, en augmentant
la pression des pieds-droits de l'aqueduc. Cette charge verticale, se reportant
sur une construction élastique, pousse de A en B. Or, plus la poussée de A
en B est puissante, et plus la poussée des voûtes agit en C par le renversement
de la ligne DC. Donc les sommiers placés à la tête des arcs-boutants
en B sont contraires au principe même de l'arc-boutant.
</div>
[[Image:Porche.eglise.Saint.Urbain.Troyes.png|center]]
<div class="text">
Les porches nord et sud de l'église Saint-Urbain de Troyes peuvent donner une idée bien exacte de la fonction que remplissent les arcs-boutants dans les édifices de la période ogivale. Ces porches sont comme la dissection d'une petite église du XIV<sup>e</sup> siècle. Des voûtes légères, portées sur des colonnes minces et longues, sont contre-buttées par des arcs qui viennent se reposer sur des contre-forts complètement indépendants du monument; pas de murs: des colonnes, des voûtes, des contre-forts isolés, et les arcs-boutants placés suivant la résultante des poussées. Il n'entre dans toute cette construction, assez importante cependant, qu'un
Les porches nord et sud de l'église Saint-Urbain de Troyes peuvent
donner une idée bien exacte de la fonction que remplissent les arcs-boutants
dans les édifices de la période ogivale. Ces porches sont comme la
dissection d'une petite église du XIV<sup>e</sup> siècle. Des voûtes légères, portées
sur des colonnes minces et longues, sont contre-buttées par des arcs
qui viennent se reposer sur des contre-forts complètement indépendants
du monument; pas de murs: des colonnes, des voûtes, des contre-forts
isolés, et les arcs-boutants placés suivant la résultante des poussées. Il
n'entre dans toute cette construction, assez importante cependant, qu'un
volume très-restreint de matériaux posés avec autant d'art que d'économie (70).
</div>
[[Image:Arc.boutant.eglise.Saint.Urbain.Troyes.2.png|center]]
<div class="text">
A indique le plan de ce porche, B la vue de l'un de ses arcs-boutants d'angle. Comme dans toutes les bonnes constructions de cette
époque, l'arc-boutant ne fait que s'appuyer contre la colonne, juste au point de la poussée, étayant le sommier qui reçoit les arcs-doubleaux, les archivoltes et les arcs-ogives. Au-dessus des arcs-boutants les contre-forts sont rendus plus stables par des pinacles, et les colonnes elles-mêmes sont chargées et roidies par les pyramidions qui les surmontent. Il est aisé de comprendre, en examinant le plan A, comment les deux voûtes du porche, qui reposent d'un côté sur le mur du transsept et de l'autre sur les trois colonnes CDE, ne peuvent se maintenir sur des points d'appui aussi grêles qu'au moyen de la buttée des trois arcs-boutants CF, DG, EH, reportant les résultantes de leurs poussées sur les trois contre-forts IKL. L'espace MCDEN est seul couvert, et forme comme un grand dais suspendu sur de frêles colonnes. Cette élégante construction n'a éprouvé ni mouvement ni déversement, malgré son extrême légèreté,
d'angle. Comme dans toutes les bonnes constructions de cette
et quoiqu'elle ait été laissée dans les plus mauvaises conditions depuis longtemps. On aura pu observer, d'après tous les exemples que nous avons donnés, que les arcs-boutants ne commencent à être chanfreinés ou ornés de moulures qu'à partir de la deuxième moitié du XIII<sup>e</sup> siècle. En général, les profils des arcs-boutants sont toujours plus simples que ceux des arcs-doubleaux; il est évident qu'on craignait d'affaiblir les arcs-boutants exposés aux intempéries par des évidements de moulures, et qu'en se laissant entraîner à les tailler sur un profil, on obéissait au désir de ne point faire contraster ces arcs d'une manière désagréable avec la richesse des archivoltes des fenêtres et la profusion de moulures qui couvraient tous les membres de l'architecture dès la fin du XIII<sup>e</sup> siècle. Cependant les moulures qui sont profilées à l'intrados des arcs-boutants sont toujours plus simples et conservent une plus grande apparence de force que celles appliquées aux archivoltes et aux arcs des voûtes.
époque, l'arc-boutant ne fait que s'appuyer contre la colonne, juste au
point de la poussée, étayant le sommier qui reçoit les
arcs-doubleaux, les archivoltes et les arcs-ogives. Au-dessus des arcs-boutants les contre-forts
sont rendus plus stables par des pinacles, et les colonnes elles-mêmes
sont chargées et roidies par les pyramidions qui les surmontent.
Il est aisé de comprendre, en examinant le plan A, comment les deux
voûtes du porche, qui reposent d'un côté sur le mur du transsept et de
l'autre sur les trois colonnes CDE, ne peuvent se maintenir sur des points
d'appui aussi grêles qu'au moyen de la buttée des trois arcs-boutants
CF, DG, EH, reportant les résultantes de leurs poussées sur les trois
contre-forts IKL. L'espace MCDEN est seul couvert, et forme comme
un grand dais suspendu sur de frêles
colonnes. Cette élégante construction
n'a éprouvé ni mouvement ni déversement,
malgré son extrême légèreté,
et quoiqu'elle ait été laissée dans les
plus mauvaises conditions depuis longtemps.
On aura pu observer, d'après tous
les exemples que nous avons donnés,
que les arcs-boutants ne commencent
à être chanfreinés ou ornés de moulures
qu'à partir de la deuxième moitié
du XIII<sup>e</sup> siècle. En général, les profils
des arcs-boutants sont toujours plus
simples que ceux des arcs-doubleaux;
il est évident qu'on craignait d'affaiblir
les arcs-boutants exposés aux
intempéries par des évidements de
moulures, et qu'en se laissant entraîner
à les tailler sur un profil, on
obéissait au désir de ne point faire
contraster ces arcs d'une manière
désagréable avec la richesse des archivoltes
des fenêtres et la profusion de
moulures qui couvraient tous les
membres de l'architecture dès la fin
du XIII<sup>e</sup> siècle. Cependant les moulures qui sont profilées à l'intrados des
arcs-boutants sont toujours plus simples et conservent une plus grande
apparence de force que celles appliquées aux archivoltes et aux arcs des
voûtes.
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[[Image:Arc.boutant.cathedrale.Paris.png|center]]
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Lorsqu'à la fin du XII<sup>e</sup> siècle et au commencement du XIII<sup>e</sup> on appliqua le système des arcs-boutants aux grandes voûtes portées sur des piles isolées, on ne songea d'abord qu'à contre-butter les poussées des voûtes des nefs et des chœurs. Les voûtes des transsepts, se retournant à angle droit, n'étaient contre-buttées que par des contre-forts peu saillants. On se fiait sur le peu de longueur des croisillons composés de deux ou trois travées de voûtes, on supposait que les buttées des contre-forts des
Lorsqu'à la fin du XII<sup>e</sup> siècle et au commencement du XIII<sup>e</sup> on appliqua
pignons et celles des murs des nefs suffisaient pour maintenir la poussée des arcs-doubleaux entre ces buttées. <span id=Paris3>À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], par exemple (71), il a toujours existé des arcs-boutants de A en B pour maintenir la poussée des voûtes de la nef et du chœur; mais l'écartement des voûtes des croisillons n'est maintenu que par les deux contre-forts minces D et C, et il n'a jamais existé d'arcs-boutants de D en A
le système des arcs-boutants aux grandes voûtes portées sur des
et de C en A. On ne pouvait songer en effet à bander des arcs-boutants qui eussent pris les contre-forts AE en flanc; en admettant que ces contre-forts fussent arrivés jusqu'au prolongement de l'arc-doubleau CD, ce qui n'existe pas à la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. Cette difficulté non résolue causa
piles isolées, on ne songea d'abord qu'à contre-butter les poussées des
quelquefois la ruine des croisillons peu de temps après leur construction. <span id="Amiens19">Aussi, dès le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on disposa les contre-forts des angles formés par les transsepts de manière à pouvoir butter les voûtes dans les deux sens (72). À la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]],
voûtes des nefs et des chœurs. Les voûtes des transsepts, se retournant à
par exemple, ces contre-forts, à la rencontre du transsept et du chœur, présentent en plan la forme d'une croix, et il existe des arcs-boutants de D en C comme de A en B. Quand les arcs-boutants sont à doubles volées, la première volée est bandée de E en F comme de G en F.
angle droit, n'étaient contre-buttées que par des contre-forts peu saillants.
On se fiait sur le peu de longueur des croisillons composés de deux ou trois
travées de voûtes, on supposait que les buttées des contre-forts des
pignons et celles des murs des nefs suffisaient pour maintenir la
poussée des arcs-doubleaux entre ces buttées. <span id=Paris3>À la cathédrale de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]],
par exemple (71), il a toujours existé des
arcs-boutants de A en B pour maintenir
la poussée des voûtes de la nef et du
chœur; mais l'écartement des voûtes des
croisillons n'est maintenu que par les
deux contre-forts minces D et C, et il n'a
jamais existé d'arcs-boutants de D en A
et de C en A. On ne pouvait songer en
effet à bander des arcs-boutants qui eussent
pris les contre-forts AE en flanc; en
admettant que ces contre-forts fussent arrivés
jusqu'au prolongement de l'arc-doubleau
CD, ce qui n'existe pas à la cathédrale
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]]. Cette difficulté non résolue causa
quelquefois la ruine des croisillons peu de
temps après leur construction. <span id="Amiens19">Aussi, dès le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, on disposa
les contre-forts des angles formés par les transsepts de manière à pouvoir
butter les voûtes dans les deux sens (72). À la cathédrale d'[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes A#Amiens|Amiens]],
par exemple, ces contre-forts, à la rencontre du transsept et du chœur,
présentent en plan la forme d'une croix, et il existe des arcs-boutants de
D en C comme de A en B. Quand les arcs-boutants sont à doubles volées,
la première volée est bandée de E en F comme de G en F.
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[[Image:Arc.boutant.XIIIe.siecle.png|center]]
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Souvent il arrivait aussi que les arcs-boutants des nefs ou des chœurs, poussant sur la tranche de contre-forts très-larges mais
très-minces, et qui n'étaient en réalité que des murs (73), comme aux chœurs de Notre-Dame de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], de l'église de Saint-Denis, de la cathédrale du Mans, tendaient à faire déverser ces murs; on établit également, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle, des éperons latéraux A sur les flancs des contre-forts, pour prévenir ce déversement (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Contre-fort|Contre-fort]]).
poussant sur la tranche de contre-forts très-larges mais
très-minces, et qui
n'étaient en réalité que des murs (73), comme aux chœurs de
Notre-Dame
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes P#Paris|Paris]], de l'église de Saint-Denis, de la cathédrale du Mans, tendaient à
faire déverser ces murs; on établit également, vers le milieu du XIII<sup>e</sup> siècle,
des éperons latéraux A sur les flancs des contre-forts, pour prévenir ce
déversement (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4, Contre-fort|Contre-fort]]).
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[[Image:Arc.boutant.XIIIe.siecle.2.png|center]]
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<span id=Mont.Saint.Michel.en.Mer5></span>On ne s'arrêta pas là; ces masses de constructions élevées pour maintenir les arcs-boutants ne pouvaient satisfaire les constructeurs du XV<sup>e</sup> siècle, qui voulaient que leurs édifices parussent plus légers encore qu'ils ne l'étaient réellement. Dans quelques églises, et notamment dans le chœur de l'église du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont.Saint.Michel.en.Mer|Mont-Saint-Michel-en-Mer]], ils remplacèrent les éperons A de flanc, par des arcs bandés d'un contre-fort à l'autre, comme une succession d'étrésillons destinés à rendre tous les contre-forts des arcs-boutants solidaires.
<span id=Mont.Saint.Michel.en.Mer5></span>On ne s'arrêta pas là; ces masses de constructions élevées pour maintenir
les arcs-boutants ne pouvaient satisfaire les constructeurs du XV<sup>e</sup> siècle, qui
voulaient que leurs édifices parussent plus légers encore qu'ils ne l'étaient
réellement. Dans quelques églises, et notamment dans le chœur de l'église
du [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes M#Mont.Saint.Michel.en.Mer|Mont-Saint-Michel-en-Mer]], ils remplacèrent les éperons A de flanc, par
des arcs bandés d'un contre-fort à l'autre, comme une succession d'étrésillons
destinés à rendre tous les contre-forts des arcs-boutants solidaires.
 
De tout ce qui précède on peut conclure que les architectes du moyen âge, après avoir résolu le problème de la construction des voûtes sur des piles minces et isolées, au moyen de l'arc-boutant, ont été frappés, sitôt après l'application du principe, des difficultés d'exécution qu'il présentait. Tous leurs efforts ont eu pour but d'établir l'équilibre entre la poussée des voûtes et la résistance des arcs-boutants, à baser ce système sur des règles fixes, ce qui n'était pas possible, puisque les conditions d'équilibre se modifient en raison de la nature, du poids, de la résistance et de la dimension des corps. Les hommes d'un génie supérieur, comme il arrive toujours, ont su vaincre ces difficultés, plutôt par l'instinct que par le calcul, par l'observation des faits particuliers que par l'application de règles absolues. Les constructeurs vulgaires ont suivi tels ou tels exemples qu'ils avaient sous les yeux, mais sans se rendre compte des cas exceptionnels qu'ils avaient à traiter; souvent alors ils se sont trompés. Est-ce à dire pour cela que l'arc-boutant, parce qu'il exige une grande sagacité de la part du constructeur, est un moyen dont l'emploi doit être proscrit? Nous ne le croyons pas. Car de ce que l'application d'un système présente des difficultés et une certaine finesse d'observation, ce n'est pas une raison pour le condamner, mais c'en est une pour l'étudier avec le plus grand soin.
De tout ce qui précède on peut conclure que les architectes du moyen
âge, après avoir résolu le problème de la construction des voûtes sur
des piles minces et isolées, au moyen de l'arc-boutant, ont été frappés,
sitôt après l'application du principe, des difficultés d'exécution qu'il présentait.
Tous leurs efforts ont eu pour but d'établir l'équilibre entre la poussée
des voûtes et la résistance des arcs-boutants, à baser ce système sur des
règles fixes, ce qui n'était pas possible, puisque les conditions d'équilibre se
modifient en raison de la nature, du poids, de la résistance et de la dimension
des corps. Les hommes d'un génie supérieur, comme il arrive
toujours, ont su vaincre ces difficultés, plutôt par l'instinct que par le
calcul, par l'observation des faits particuliers que par l'application de règles
absolues. Les constructeurs vulgaires ont suivi tels ou tels exemples qu'ils
avaient sous les yeux, mais sans se rendre compte des cas exceptionnels
qu'ils avaient à traiter; souvent alors ils se sont trompés. Est-ce à dire
pour cela que l'arc-boutant, parce qu'il exige une grande sagacité de la
part du constructeur, est un moyen dont l'emploi doit être proscrit? Nous
ne le croyons pas. Car de ce que l'application d'un système présente des
difficultés et une certaine finesse d'observation, ce n'est pas une raison
pour le condamner, mais c'en est une pour l'étudier avec le plus grand
soin.
=== Voir aussi ===
*[[w:Arc-boutant|Article]] sur Wikipédia.