« Le fantôme vivant, ou Les Napolitains » : différence entre les versions

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La marquise de Dorilla, recommandable par ses charmes, ses qualités, son caractère, fixait les regards et les hommages de tous les Napolitains. Ses vertus et son mérite lui avaient concilié l'estime générale ; chacun enviait le bonheur d'être son époux. Mainfredi pensa que sa conquête devait mettre le sceau à sa réputation ; il adressa donc ses voeux à la marquise de Dorilla, non, pour s'attacher à son char sans retour , mais pour être à même de l'inscrire sur le catalogue des jolies"femmes qui devaient figurer un jour dans ses annales galantes. On devina son dessein, et le Lovelace Napolitain échoua près de Madame de Dorilla. Le chevalier de Corvero eut l'honneur d'être son rival préféré. Il apprécia son bonheur dans le silence, et n'eut pas la sotte vanité dé publier sa victoire. Il en fut récompensé en obtenant la main de celle, que n'avait pu séduire les hommages fastueux du comte de Mainfredi. Ce dernier fut piqué de l'aventure, et s'en consola en disant à ses amis, qu'il attendait la marquise après le mariage. Après cette époque, il prétendait que son triomphe serait facile, et que s'il cédait pour le moment quelques pouces de terrain au chevalier Corvero, c'était pour le battre plus sûrement ; en effet sa conduite répondit à sa manière de voir. Il fut le premier à féliciter son rival d'un triomphe qu'il croyait bien ne pas devoir être de longue durée. Madame de Dorilla sembla deviner ses projets ; elle voyait avec peine le comte de Mainfredi se familiariser avec son époux ; cette liaison l'obligeait à le recevoir et lui déplaisait souverainement. La conversation de Mainfredi ne pouvait lui être agréable ; sa fatuité, sa jactance, ses indiscrétions, le récit de ses aventures ; tout cela était pour l'épouse du chevalier de Corvero , un roman très ennuyeux. Elle se disait à elle-même : cet homme ne doit pas m'épargner plus que celles dont je l'entends médire, et il ne sort de chez moi qu'avec l'intention d'égayer à mes dépens la société où le hazard le conduit. Elle ne se trompait pas : il s'entretenait déjà confidemment avec ses compagnons de scandale, des progrès qu'il faisait auprès de la belle inhumaine (c'est le nom qu'il avait donné à la marquise de Dorilla, ) depuis que l'hymen s'était mêlé de la partie ; il plaignait, en riant, le pauvre chevalier de Corvero , qui, disait-il, se persuade avoir épousé Pénélope : le pauvre diable, ajoutait-il, ne s'est pas apperçu que la marquise de Dorilla l'avait choisi comme pouvant lui servir d'ombre. En l'épousant, disait-il, elle n'épouvante aucun de ceux qui aspirent à ses faveurs ; c'est un holocauste qui doit-être sacrifié sans pitié à la mode et aux usages reçus dans la bonne société.
 
Le chevalier Corvero fut instruit du peu de ménagement de Mainfredi à son égard. Il garda d'abord le silence, ou plutôt ne se pleignit point directement à Mainfredi ; mais il eut le soin de lui faire entendre qu'il était souvent très imprudent de pousser la
raillerie au-delà des bienséances : il est, lui disait-il, des plaisanteries qui souvent blessent l'amour propre, au point de vous porter à la vengeance... Allons donc, répondait Mainfredi, il ne faut pas savoir vivre pour se comporter de la sorte : et il continua d'égayer ses amis sur Corvero qui finit par prendre de l'humeur. Bientôt il arriva pis : Mainfredi, qui désespérait de vaincre l'indifférence de madame de Corvero, jugea qu'il devait pour son honneur et sa réputation, publier une défaite complette. Il fit d'abord des demi-confidences pour préparer les esprits
à la crédulité. Bientôt on en vint à rire, lorsque l'on voyait arriver dans un cercle le chevalier Corvero.
Madame de Corvero fut instruite par une de ses amies de la tactique du Lovelace Napolitain. Elle connaissait le caractère de son époux qui n'était pas homme à endurer longtemps les railleries du comte de Mainfredi ; elle
craignit qu'il n'en vînt à une explication sérieuse que suivrait selon toute apparence un combat singulier. L'amour, que lui inspirait son époux lui fit envisager le danger, peut-être plus imminent qu'il n'était ; et dès lors, elle ne songea plus qu'à le détourner. Fermer la porte au comte de Mainfredi, fut d'abord la première idée qu'elle conçut à cet égard ; cependant elle faisait réflexion que cette mesure ne l'empêcherait pas d'être le sujet de la médisance d'un homme qui voudrait sûrement se venger du parti que l’on prendrait envers lui, si ce parti, blessait son orgueil, et sa vanité.