« La Religion des Celtes » : différence entre les versions

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==CHAPITRE I LES SOURCES ==
 
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Les sources de l’histoire religieuse des Celtes, manifestement insuffisantes, ne pourront fournir les éléments d’un exposé suivi qu’à condition que l’on comble par l’interprétation et l’hypothèse les lacunes considérables qu’elles laissent dans nos connaissances. Tous les efforts du critique devront tendre à ne pas franchir la limite qui sépare une hypothèse scientifique d’une pure conception de l’esprit.
en Gaule par les marchands et les légionnaires romains ? Rien ne nous permet de le déterminer. Il faut prendre garde, aussi, que des statuettes artistiques peuvent ne pas avoir la signification religieuse que nous leur prêtons. Quand il s’agit de peuples anciens, nous sommes disposés à attacher une signification mystérieuse et symbolique à tous les objets d’art et à tous les détails d’ornementation. Personne ne s’aviserait aujourd’hui d’étudier les formes de nos bijoux, les dessins de nos vêtements et de nos meubles, les sculptures décoratives de nos maisons et d’en tirer des conclusions sur notre état religieux. Quand il s’agit de l’antiquité, au contraire, tout devient matière à hypothèse mystique, et l’histoire de l’art est absorbée par l’histoire des religions. Une statuette qui ne porte pas le nom d’un dieu peut fort bien n’avoir jamais été l’objet d’aucun culte.
 
Les monnaies ou les médailles gauloises peuvent offrir des représentations de dieux ou de symboles religieux sans qu’il soit souvent possible d’attribuer avec sûreté ces représentations à la religion des Celtes.
 
On peut rechercher dans quelques noms de lieux les noms de divinités celtiques sous la protection desquelles on aurait mis une citadelle nouvellement fondée. Mais comme les noms divins ont été de bonne heure employés pour désigner des hommes, on peut se demander souvent si au lieu d’un dieu ce n’est pas plutôt d’un homme à nom divin que tel ou tel lieu tire son nom. On se tromperait beaucoup si l’on croyait que tous les anciens Mercuriacus de France, devenus aujourd’hui Mercuray, Mercurey, Mercoirey, Mercury sont dérivés du nom de dieu Mercurius. Ils proviennent plus vraisemblablement du gentilice romain Mercurius, assez fréquent dans les inscriptions, et au lieu de désigner l’emplacement de temples de Mercure, dénomment simplement le fundus, la propriété d’un Gallo-Romain du nom de Mercurius.
 
Enfin, on s’est demandé si l’on ne pouvait trouver dans l’ancienne littérature des Irlandais et des Gallois des traces de la mythologie celtique. En Irlande, l’épopée a pris la forme de longues compositions en prose, mélangées de dialogues et de monologues lyriques en vers. Ces compositions se répartissent en trois cycles ; le cycle qui retrace les luttes des premiers habitants de l’Irlande contre les envahisseurs, le cycle d’Ulster dont les principaux héros sont Cûchulainn et le roi Conchobar, le cycle de Leinster où sont racontés les hauts faits de Finn mac Cumaill (le Fingal de Macpherson) d’Oisin(Ossian) et de leurs compagnons. Les Annales irlandaises placent Finn au IIIe siècle de notre ère. Conchobar et Cûchulainn vivaient vers le début de l’ère chrétienne. Le premier cycle, que nous ne connaissons que par des résumés du XVIe siècle, retrace des événements plus anciens antérieurs de quelques siècles à notre ère. Sur quelles données historiques est fondée l’épopée irlandaise ? C’est une question à laquelle on ne pourra répondre qu’après un examen critique approfondi des Annales irlandaises. Toujours est-il que cette épopée a été remaniée sous l’influence des idées chrétiennes, et qu’on n’y trouve aucune trace d’offrandes ou de prières à des divinités. Les éléments merveilleux qui y abondent sont des faits de magie et de sorcellerie ainsi que les prodiges variés que l’on rencontre dans les contes populaires. Essayer de déterminer à l’aide des épisodes de la vie d’un héros irlandais les attributs primitifs de la divinité dont il est une transformation évhémériste demande beaucoup d’ingéniosité et d’érudition ; je doute que les résultats acquis à la science soient jamais équivalents aux efforts dépensés à ces recherches curieuses. La comparaison de l’épopée irlandaise avec les textes grecs et latins et les monuments de l’épigraphie gallo-romaine ne peut nous donner que des rapprochements de coutumes ou de noms propres ; coutumes signalées comme particulières aux Celtes et conservées ou modifiées dans quelque mesure par les Gaëls d’Irlande ; noms ou épithètes de dieux gallo-romains servant en Irlande à désigner des guerriers ou des artisans fameux. Mais il est invraisemblable que les idées religieuses des Celtes de l’île d’Erin telles qu’elles nous apparaissent dans des poèmes épiques rédigés sans doute au VIIe siècle ne soient pas très différentes des conceptions théologiques des Gaulois du temps de César, et il serait sans doute imprudent de restituer à l’aide de l’épopée irlandaise le vieux Panthéon celtique.
 
La littérature du Pays de Galles ne nous offre pas plus de ressources pour l’étude de la mythologie celtique. L’épopée en prose mélangée de poèmes lyriques s’est scindée chez les Gallois en deux genres distincts : le roman de chevalerie en prose et l’ode. Les plus anciennes odes sont l’œuvre de bardes du XIe siècle. Les plus anciens romans connus sous le nom de Mabinogion ne sont pas antérieurs au commencement du XIIe siècle. On peut retrouver dans les poèmes lyriques quelques éléments épiques, et y reconnaître des personnages de la légende celtique ; mais l’obscurité de la poésie galloise, qui est surtout fondée sur l’harmonie des voyelles et des consonnes, ne permet pas de tirer grand profit des rapprochements que ces poèmes peuvent suggérer. Quant aux Mabinogion, quatre d’entre eux nous retracent plus spécialement les traditions communes aux Gaëls et aux Bretons. On y peut trouver quelques éléments des mythes familiers aux Celtes des Iles Britanniques sans que l’on puisse déterminer si ces mythes ont été connus des Celtes du continent.
 
Il est peut-être superflu d’ajouter ici que le néo-druidisme est une création de l’imagination fertile et facétieuse de quelques érudits gallois du XVIIIe siècle. C’est en vain qu’Edward Williams et, après lui, Edward Ravies ont essayé de démontrer que les bardes gallois étaient restés les dépositaires des secrets des anciens druides de l’île de Bretagne et qu’ils avaient continué à pratiquer en secret depuis l’introduction du christianisme, la religion druidique. Ces deux ingénieux savants n’ont pu fonder leur doctrine que sur un roman merveilleux du commencement du XVIIe siècle, l’Histoire de Taliesin, qui reproduit quelques pièces attribuées faussement au célèbre barde du VIe siècle, et sur une collection d’écrits plus ou moins authentiques réunis par Llywelyn Sion de Llangewydd qui, vivait au XVIe siècle. Ils n’ont réussi à trouver dans des textes plus anciens des traces de mythologie cosmique qu’en expliquant par des symboles les phrases les plus simples, à la manière de H. de la Villemarqué qui publia dans le Barzaz-Breiz comme poème druidique une formulette bretonne destinée à apprendre à compter aux petits enfants et connue sous le nom de Vêpres des grenouilles.
 
Les sources de l’histoire religieuse des Celtes, manifestement insuffisantes, ne pourront fournir les éléments d’un exposé suivi qu’à condition que l’on comble par l’interprétation et l’hypothèse les lacunes considérables qu’elles laissent dans nos connaissances. Tous les efforts du critique devront tendre à ne pas franchir la limite qui sépare une hypothèse scientifique d’une pure conception de l’esprit.
 
==CHAPITRE II. LES DIEUX==