« David Strauss, sectateur et écrivain » : différence entre les versions

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Si pourtant notre vie publique et privée ne porte évidemment pas l'empreinte d'une culture productive et pleine de caractère, si nos grands artistes, avec une sérieuse insistance et une franchise qui est le propre de la grandeur, ont avoué et avouent encore ce fait monstrueux et profondément humiliant pour un peuple doué, comment est-il possible que, parmi les gens instruits de l'Allemagne, règne quand même cette grande satisfaction, une satisfaction qui, depuis la dernière guerre, se montre sans cesse prête à faire explosion, pour se changer en joie pétulante, en cris de triomphe ? En tous les cas, l'on s'imagine que l'on possède une véritable culture et un petit nombre seulement qui forme l'élite, semble s'apercevoir de l'énorme disparate qu'il y a entre cette crédulité satisfaite et même triomphante, et une infériorité qui est notoire. Car tout ce qui pense comme pense l'opinion publique s'est bandé les yeux et s'est bouché les oreilles. On ne veut à aucun prix que ce contraste existe. D'où cela vient-il ? Quelle est la force assez dominante pour prescrire cette non-existence ? Quelle espèce d'hommes est devenue assez puissante en Allemagne pour interdire des sentiments aussi vifs et aussi simples, ou pour empêcher, du moins, que ces sentiments puissent s'exprimer ? Cette puissance, cette espèce d'hommes, je veux l'appeler par son nom - je veux parler des ''philistins cultivés''.
 
Le mot philistin est emprunté, comme chacun sait, au langage des étudiants. Il désigne, dans son acception la plus étendue, bien que dans un sens tout à fait populaire, le contraire du fils des muses, de l'artiste, de l'homme de haute culture. Le « philistin cultivé », dont nous nous sommes imposé la tâche peu agréable d'étudier ici le type et d'écouter les confessions, se distingue cependant de l'espèce commune du « philistin » par une superstition : il croit être lui-même fils des muses et - homme cultivé. C'est là une illusion qui parait inconcevable, et il faut en déduire qu'il n'a pas la moindre idée de ce qu'est le philistin et le contraire du philistin. Nous ne nous étonnerons donc pas si, la plupart du temps, il jure ses grands dieux qu'il n'est pas un philistin. Dépourvu de tout espèce de conscience de lui-même, il vit dans la ferme conviction que sa culture à lui est le type accompli de la vraie culture allemande. Et comme il trouve partout des gens cultivés pareils à lui, et que toutes les institutions scolaires, pédagogiques et artistiques, sont en rapport avec son degré de culture et avec ses besoins, il porte aussi partout avec lui la conviction triomphante qu'il est le digne représentant de la culture allemande actuelle, et il formule, en conséquence, ses prétentions et ses exigences. Or, si la vraie culture suppose en tous les cas l'unité du style, et lors mememême qu'une culture mauvaise et de décadence ne saurait aller sans une fusion de la variété de toutes les formes dans l'harmonie d'un style unique, on induira de là que la confusion qui s'est produite dans l'imagination du philistin cultivé tire son origine de ce fait que, rencontrant partout des répliques de lui-même, frappées au même coin que lui, celui-ci conclut de cette uniformité de tous les « gens cultivés », à une unité de style de l'éducation allemande, en un mot, à une culture. Autour de lui il constate partout les mêmes besoins, les mêmes opinions ; partout où il va, il trouve établi un régime de conventions tacites sur une foule de sujets, en particulier sur tout ce qui concerne la religion et l'art : cette imposante similitude, ce ''tutti unisono'' qui, sans qu'il soit besoin d'un ordre, éclate aussitôt de lui-même, le conduit à croire que cet accord est l'effet d'une « culture ». Mais le philistinisme systématique et triomphant, s'il n'est pas sans logique, ne constitue pas, de ce fait, une culture, même mauvaise ; il est au contraire l'opposé d'une culture, je veux dire une barbarie solidement établie. Car cette unité de type, qui saute aux yeux quand on passe en revue les gens cultivés de l'Allemagne actuelle, n'est unité que par la négation, consciente ou inconsciente, de toutes les formes et de toutes les lois fécondes au point de vue artistique, et qui sont la condition de tout style véritable. Il faut qu'un malheureux travers de l'esprit afflige le philistin cullivé, car il appelle civilisation ce qui en est précisément la négation, et, comme il procède logiquement, il fini par obtenir un groupement coordonné de ces négations, un système de ''non-culture'' auquel on pourrait même accorder une certaine « unité de style », en admettant, toutefois que ce ne soit pas un non-sens de parler d'une barbarie qui aurait du style. Laisse-t-on le philistin décider librement entre un acte qui a du style et un acte qui n'en a pas, ce sera toujours ce dernier qu'il choisira et, en raison de la constance de ce choix, tous ses actes porteront uniformément la même estampille négative. Et cette estampille lui servira toujours à reconnaître le caractère de la « culture allemande » par lui patentée : dans tout ce qui ne la portera pas, il reconnaîtra ce qui lui est étranger et hostile. Le philistin cultivé, dans un cas semblable, se bornera à parer les coups, il ne fera que nier et ignorer, et se bouchera les oreilles en détournant les yeux. Même dans ses haines et ses inimitiés, il demeure un être négatif. Mais il ne détestera personne autant que celui qui le traite de philistin et lui dit ce qu'il est : il est l'obstacle qui arrête les créateurs et les forts, le labyrinthe où s'égarent ceux qui doutent, le marécage où s'enlisent ceux qui faiblissent, l'entrave qui retient ceux qui courent à des buts élevés, la brume empoisonnée qui étouffe les germes vivaces, le sable du désert qui dessèche l'esprit allemand anxieux et assoiffé de vie nouvelle. Car il ''cherche'', cet esprit allemand ! Et vous le haïssez parce qu'il cherche, et parce qu'il refuse de croire que vous avez déjà trouvé ce qu'il cherche. Comment le type du philistin cultivé a-t-il pu se former et, en admettant qu'il se soit formé, comment a-t-il pu s'élever à la puissance d'un juge souverain sur tous les problèmes de la civilisation allemande, alors qu'une série de grandes figures héroïques a passé devant nous, des génies qui, dans tous leurs gestes, dans l'expression de leur visage, dans leur voix interrogatrice, dans leur regard de flamme ne révélaient, qu'une seule chose : ''qu'ils étaient des chercheurs'', et que c'était avec ferveur et persévérance qu'ils cherchaient ce que les philistins croient posséder déjà : une culture allemande véritable et originale. Existe-t-il un terrain, telle semblait être leur question, un terrain assez pur, assez intact, d'une sainteté assez virginale, pour que l'esprit allemand choisisse celui-là et point un autre, afin d'y construire sa maison ? Tout en posant cette question ils parcouraient le désert et les broussailles des temps misérables et des conditions étroites ; et, dans leurs investigations, ils échappaient à nos yeux, de sorte que l'un d'eux a pu dire au nom de tous, à un âge très avancé : « Pendant un demi-siècle j'ai pris beaucoup de peine et ne me suis accordé aucun délassement, mais sans cesse j'ai cherché et agi, autant et aussi bien que je le pouvais. »
 
Quelle est l'opinion de notre culture de philistins sur ces chercheurs ? - Elle les considère tout simplement comme des gens qui ont trouvé quelque chose et elle semble oublier qu'ils ne se considéraient eux mêmes que comme des chercheurs. Nous possédons notre culture, disent les philistins, car nous posédonspossédons nos « classiques » qui en sont le fondement, et l'édifice qui s'appuie sur ce fondement est déjà terminé, lui aussi, car nous sommes cet édifice. Et, tout en parlant ainsi, les philistins portent la main à leur propre front.
 
Mais pour ainsi mal juger les classiques allemands et pour pouvoir les vénérer en les insultant de la sorte, il faut les avoir oubliés complètement. C'est ce qui est généralement le cas. Car autrement on devrait savoir qu'il n'y a qu'une seule façon de les honorer, c'est de continuer à chercher dans le même esprit qu'eux et avec le même courage et de ne point se fatiguer de pareilles recherches. Par contre, leur accrocher l'épithète douteuse de « classiques » et s' « édifier » de temps en temps à la lecture de leurs oeuvres, c'est s'abandonner à ces élans faibles et égoïstes que nos salles de théâtre et de concert promettent à leur public payant. Il en sera de même si on leur dresse des statues, si l'on donne leur nom à des sociétés ou si l'on célèbre des fêtes en leur honneur. Tout cela ne sont que des payements en monnaie sonnante, à quoi consent le philistin cultivé, pour pouvoir les ignorer pour le reste, et avant tout pour ne pas être forcé de marcher sur leurs traces et de poursuivre leurs recherches. Car, il faut cesser les investigations, çc'est là le mot d'ordre des philistins.
 
Ce mot d'ordre avait jadis un certain sens. C'était dans les dix premières années du xixeXIXe siècle, lorsque les vagues des recherches et des expériences multiples commencèrent à se soulever et à s'entrecroiser en Allemagne, lorsque les destructions, les promesses, les pressentiments et les espérances atteignirent de telles proportions que la moyenne de la bourgeoisie intellectuelle craignit avec raison pour elle-même. Elle haussa les épaules, à bon droit, devant ces mélanges de philosophies fantastiques et incongrues, devant ces considérations sur l'histoire si nébuleuses et pourtant si conscientes, devant ce carnaval de tous les dieux et de tous les mythes qu'imaginèrent les romantiques, devant cette débauche de modes et de folies poétiques que seule l'ivresse avait pu concevoir. AÀ bon droit, dis-je, car le philistin n'a pas même droit aux excès. Mais, avec cette rouerie propre aux natures basses, il profita des circonstances pour mettre toute espèce d'esprit de recherche en état de suspicion et pour engager plutôt à résoudre les problèmes avec commodité. Son oeil s'ouvrit au bonheur du philistin. Abandonnant l'expérience aventureuse, il se sauva dans l'idylle et opposa à l'instinct inquiet et créateur de l'artiste une certaine tendance au contentement, le contentement que l'on éprouve en face de sa propre étroitesse, de sa propre tranquillité, de son propre esprit borné. Ses doigts longs désignaient, sans inutile pudeur, tous les replis mystérieux et cachés de sa vie, toutes les joies naïves et touchantes qui croissaient dans les profondeurs misérables d'une existence inculte, comme d'humbles fleurs sur le marécage du philistinisme.
 
Il s'est trouvé des talents descriptifs qui ont su peindre d'un pinceau délicat le bonheur, la simplicité, l'intimité, la santé rustique et tout le bien-être qui enveloppe les chambres des enfants, des savants et des paysans. Munis de semblables livres d'images de la réalité, les partisans de la vie confortable cherchèrent à s'accommoder, une fois pour toutes, de ces classiques scabreux et de leurs invites à poursuivre les investigations. Ils imaginèrent l'idée que nous vivons à une époque d'épigone uniquement pour ne pas être troublés dans leur tranquillité et pour être prêts à repousser tous les novateurs gênants, en faisant passer leurs oeuvres pour des produits d' « épigones ». Dans le but de conserver leur tranquillité, ces partisans d'une vie confortable s'emparèrent de l'histoire et cherchèrent à transformer toutes les sciences qui auraient encore pu troubler leur repos en simples branches de l'histoire. Ils agirent ainsi surtout avec la philosophie et la philologie classique. Par la conscience historique, ils se sauvèrent de l'enthousiasme, car ce n'était plus, comme l'avait encore pensé Goethe, l'histoire qui provoquait l'enthousiasme. Non, le but de ces admirateurs anti-philosophiques du ''nil admirari'', lorsqu'ils cherchent à comprendre toute chose au point de vue historique, c'est d'arriver à émousser les facultés. Tandis que l'on prétendait haïr le fanatisme et l'intolérance sous toutes leurs formes, on haïssait, au fond, le génie dominant et la tyrannie des véritables revendications de la culture. C'est pourquoi l'on employait toutes ses forces à paralyser, à entraver et à décomposer partout où l'on pouvait s'attendre à un mouvement jeune et puissant. Cette philosophie qui s'ingéniait à envelopper de phrases contournées la profession de foi philistine de son auteur, inventa de plus une formule pour la déification de la vie quotidienne. Elle affirma que tout ce qui est réel est raisonnable et, par là, elle gagna les bonnes grâces du philistin cultivé qui, bien qu'il aime les embrouillaminis, se considère, lui seul, comme une réalité, et envisage cette réalité comme la mesure de la raison. Dès lors, le pliilistinphilistin cultivé permit à chacun et à lui-même, de réfléchir, de faire des recherches esthétiques et scientifiques, avant tout de faire des vers, de la musique et même des tableaux, sans oublier les systèmes philosophiques, à condition, bien entendu, qu'à aucun prix il n'y eût quelque chose de changé et qu'on se gardât bien de toucher à ce qui est raisonnable et « réel », c'est-à-dire au philistin. Le philistin aime bien, il est vrai, s'abandonner de temps en temps aux débauches agréables et audacieuses de l'art, au scepticisme des recherches historiques, et le charme de pareils sujets de distraction et d'amusement est pour lui d'une certaine importance. Mais il sépare rigoureusement des futilités le « sérieux de la vie », et il entend par là ses affaires, sa position, y compris sa femme et ses enfants ; et au nombre de ces futilités il compte à peu près tout ce qui touche à la culture. C'est pourquoi, malheur à l'art qui voudrait se prendre au sérieux, à l'art qui aurait des exigences et toucherait à ses affaires, à ses revenus, à ses habitudes - c'est-à-dire à tout ce qui chez le philistin est sérieux - un pareil art lui fait détourner les yeux, comme s'il se trouvait en présence de quelque chose d'impudique, et, avec des airs de gardien de la chasteté, y prévient la vertu qu'il faut protéger de n'y point porter les regards.
 
S'il montre tant d'éloquence à déconseiller, il est reconnaissant à l'artiste qui l'écoute et se laisse déconseiller. Il donne à entendre à l'artiste qu'on lui rendra la vie facile, qu'on ne lui demandera pas des chefs-d'oeuvre sublimes, mais seulement deux choses : soit l'imitation de la réalité jusqu'à la singerie, dans des idylles, et dans des satires douces et pleines d'humour, soit de libres imitalionsimitations d'après les oeuvres des classiques les plus connus et les plus réputés, avec cependant une timide complaisance à l'égard du goût du jour. Car s'il n'apprécie que la copie minutieuse ou la fidélité photographique dans la représentation du présent, il sait que cette fidélité le glorifiera lui-même et augmentera le plaisir que procure la « réalité », tandis que la copie des modèles classiques ne lui nuira point et sera même favorable à sa réputation d'arbitre du goût traditionnel. Et, du reste, il n'en aura point de soucis nouveaux, car il s'est déjà mis d'accord avec les classiques, une fois pour toutes. En fin de compte, il inventera encore pour aider ses habitudes, ses jugements, ses antipathies et ses préférences une formule générale et de grand effet, il parlera de « santé » et éloignera le trouble-fête gênant en l'accusant d'être malade et exalté.
 
C'est ainsi que David Strauss, un véritable ''satisfait'' en face de nos conditions de culture, un philistin-type, parle une fois, avec des tournures de phrases caractéristiques de la « philosophie d'Arthur Schopenhauer, pleine d'esprit, il est vrai, mais souvent malsaine et peu profitable ». Car une circonstance fâcheuse veut que ce soit surtout sur ce qui est « malsain et peu profitable » que « l'esprit » aime à descendre avec une particulière sympathie et que le philistin lui-même, lorsqu'il lui arrive d'étre ''loyal'' envers lui même, éprouve en face des produits philosophiques que ses semblables mettent au jour quelque chose qui ressemble beaucoup à du manque d'esprit, bien que ce soit d'une philosophie saine et profitable.
 
Il arrive, çà et là, que les philistins, à condition qu'ils soient entre eux, boivent une bonne bouteille et se souviennent honnètement et naïvement, ''lorsque'' la langue se délie, des grands faits de guerre auxquels ils ont pris part. Alors bien des choses viennent au jour que l'on cache généralement avec crainte. Il arrive mêùemême, à l'occasion, que l'un d'eux se mette à révéler les secrets essentiels de toute la confrérie. Récemment, un esthéticien notoire, appartenant à l'école de la raison de Hegel, a eu un de ces moments de franchise. Le prétexte, il est vrai, était assez singulier. On célébrait dans un bruyant cercle de philistins, la mémoire d'un homme qui était, véritablement, le contraire d'un philistin, et, qui plus est, avait péri par la main des philistins, au sens le plus absolu du terme. Je veux parler du superbe Hoelderlin, et l'esthéticien célèbre avait le droit, en cette occasion, de parler des âmes tragiques que la « réalité » fait périr, - le mot réalité, entendu, naturellement, dans le sens indiqué plus haut de « raison du philistin. ». Mais la « réalité » s'est faite différente et l'on peut se demander si Hoelderlin serait parvenu à s'orienter dans notre grande époque contemporaine. « Je ne sais pas, dit Fr. Vischer, si sa tendre âme aurait pu supporter la rudesse qui accompagne toutes les guerres, et la corruption que nous voyons s'accroître, depuis la guerre dans les domaines les plus variés. Peut-être serait-il retombé dans la désolation. Il possédait une âme sans défense ; il était, le Werther de la Grèce, un amoureux sans espoir ; sa vie n'était que délicatesse et langueur, mais dans sa volonté il y avait aussi de la force et de la détermination, dans son style de la grandeur, de l'abondance et de la vie, au point que, çà et là, il faisait songer à Eschyle. Pourtant, son esprit manquait de dureté ; il aurait dû se servir de l'humour comme d'une arme. ''Il ne pouvait pas admettre que, bien que l'on soit un philistin, on n'est pas pour cela un barbare.'' » Ce dernier aveu nous importe, et non point les condoléances doucereuses du discoureur. Certes, on avoue que l'on est un philistin, mais à aucun prix on ne veut être un barbare. Ce pauvre Hoelderlin n'a malheureusement pas su faire cette subtile distinction ({{Refl|1}}). Il est vrai que lorsque l'on songe, en entendant le mot barbarie, au contraire de la civilisation et peut-être même aux pirates et aux anthropophages, on aura raison de séparer les termes. Mais apparemment l'esthéticien veut nous dire que l'on peut être philistin et pourtant homme civilisé. Voilà l'humour qui manquait à ce pauvre Hoelderlin et il est mort de ce manque d'humour.
 
Dans la même occasion, l'orateur a laissé échapper un second aveu : « Ce n'est pas toujours la force de volonté, mais souvent ''la faiblesse'' qui ''nous'' fait passer outre, en face de l'aspiration à la beauté que les âmes tragiques sentent en elles avec tant de violence. » - C'est à peu près dans ces termes qu'a été faite cette confession, prononcée au nom de ces « ''nous'' » assemblés, de ceux qui ont « passé outre », « passé outre par faiblesse » ! Contentons-nous de l'aveu ! Maintenant nous avons appris deux choses, de la bouche même d'un initié : d'une part que ces « ''nous'' » ont véritablement passé sur l'aspiration à la beauté, qu'ils ont même passé outre ; et, d'autre part, qu'ils l'ont fait par faiblesse. Cette faiblesse, dans des moments moins enclins à la franchise, s'ornait d'un plus beau nom, et c'était la fameuse « santé » des philistins cultivés. Mais après cette indication de date récente, on pourrait peut-être recommander de parler d'eux non plus comme de gens « bien portants », mais comme d'''infirmes'', ou encore comme de ''faibles''. Si du moins ces faibles n'avaient pas la puissance ! Hélas ! quelle importance peut avoir pour eux le nom qu'on leur donne ! Car ils sont les dominateurs, et domine mal qui ne saurait supporter un sobriquet. Pourvu que l'on ait le pouvoir, on apprend alors à se moquer même de soi-même. Il importe peu que le puissant donne prise sur lui-même : la pourpre couvre tout, tout est caché par le manteau du triomphateur ! La force du philistin cultivé s'affirme, lorsqu'il arme ses faiblesses. Et plus il avoue, plus il avoue avec cynisme, plus il laisse deviner l'importance qu'il se donne et la supériorité qu'il croit avoir. Nous sommes à la période où le philistin aime cyniquement. De même que Frédéric Vischer a fait des aveux en prononçant un discours, de même David Strauss s'est confessé dans tout un livre. Cette confession est cynique comme l'était ce discours.
 
 
 
== 3. ==