« Le Héros » : différence entre les versions
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Il faut donc travailler d'abord à arrêter tout mauvais penchant, et s'étudier ensuite à le dissimuler pour le moins: le premier demande beaucoup de courage, et le second demande une extrême dextérité; le premier, sans parler du devoir indispensable de le vaincre, serait peut-être plus facile que le second, bien que ce ne soit pas toujours l'opinion du cœur humain, lequel en matière de mœurs décide assez à la place de la raison. Quoi qu'il en soit, ceux qui se montrent esclaves d'une passion se dégradent et s'avilissent dans l'idée des sages; et ceux qui savent la couvrir se soustraient à ce décri, lequel en peu de temps devient général. Au reste, comme c'est le chef-d'œuvre de la pénétration d'esprit que de comprendre tout le fonds du cœur d'autrui, c'est aussi le dernier effort de l'empire sur soi de conserver son cœur inconnu aux plus habiles scrutateurs.
Je l'ai déjà dit : de profonds politiques prétendent que découvrir toute la capacité d'un homme et être en état de le gouverner, c'est à peu près la même chose. Mais j'estime qu'il est encore plus vrai qu'il n'y a point de différence entre laisser apercevoir sa passion, et prêter des armes certaines pour qu'on se rende maître de nous. Que de gens intéressés à connaître ce côté faible seront ravis que vous le leur présentiez
L'Antiquité païenne éleva au rang des dieux des personnages qui n'avaient pas fait la moitié des belles actions d'Alexandre, et elle refusa l'apothéose à ce héros de la Macédoine; elle n'assigna pas la moindre place aux cieux pour celui qui avait rempli toute la terre de ses prodigieux exploits. D'où pouvait venir dans ces anciens sages une si grande inégalité de conduite? Pourquoi tant de rigueur d'une part, et de l'autre tant de facilité? C'est qu'Alexandre flétrit la gloire par l'excès de ses emportements: il démentit mille fois le caractère de héros, parce que mille fois on le vit comme un homme vulgaire, esclave de ses passions. Et que lui servit d'avoir conquis un monde entier, puisqu'il perdit l'apanage des grands hommes, lequel est de savoir se commander.
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Je finis ce chapitre par une pensée du cardinal Madrucio. Nous pouvons tous faillir, disait-il, mais je ne donne pas absolument le nom de fou à l'homme auquel il arrive de tomber dans une faute: j'appelle un fou celui qui, ayant fait une folie, n'a pas l'esprit et le soin de l'étouffer sur-Iechamp. Cette adresse de distraire promptement l'attention d'autrui et d'ôter le loisir de réfléchir sur une faute, n'est point d'un génie médiocre. Néanmoins, il faut avouer qu'on ne saurait guère donner ainsi le change que pour des fautes légères; à l'égard des grandes, on n'en supprime pas la connaissance; on ne fait que la suspendre pour un temps. A quelque prix donc que ce soit, il faut se soumettre les affections de son cœur, si l'on veut qu'il n'en paraisse rien au-dehors, et si l'on prétend à l'héroïsme. Quelques-uns sont nés vertueux, il est vrai; mais les soins, les réflexions, les efforts peuvent rendre aux autres ce que la nature leur a refusé.
== III. Quel doit être le caractère de l'esprit dans un héros ==
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