« L’Étui de nacre/Le Petit Soldat de plomb » : différence entre les versions

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[[Catégorie:Contes et Nouvelles d’Anatole France|Petit soldat]]
 
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Cette nuit-là, comme la fièvre de l’"influenza" m’empêchait de dormir, j’entendis très distinctement trois coups frappés sur la glace d’une vitrine qui est à côté de mon lit et dans laquelle vivent pêle-mêle des figurines en porcelaine de Saxe ou en biscuit de Sèvres, des statuettes en terre cuite de Tanagra ou de Myrina, des petits bronzes de la Renaissance, des ivoires japonais, des verres de Venise, des tasses de Chine, des boîtes en vernis Martin, des plateaux de laque, des coffrets d’émail ; enfin, mille riens que j’aime pour le fini du travail ou la beauté de la matière. Les coups étaient légers, mais parfaitement nets et je reconnus, à la lueur de la veilleuse, que c’était un petit soldat de plomb, logé dans le meuble, qui essayait de se donner la liberté. Il y réussit, et, bientôt, sous son poing, la porte vitrée s’ouvrit toute grande. A vrai dire, je ne fus pas surpris plus que de raison. Ce petit soldat m’a toujours eu l’air d’un fort mauvais sujet. Et depuis deux ans que madame G. M… me l’a donné, je m’attends de sa part à toutes les impertinences. Il porte l’habit blanc bordé de bleu : c’est un garde française, et l’on sait que ce régiment-là ne se distinguait point par la discipline.
 
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Cette nuit-là, comme la fièvre de l’"influenza" m’empêchait de dormir, j’entendis très distinctement trois coups frappés sur la glace d’une vitrine qui est à côté de mon lit et dans laquelle vivent pêle-mêle des figurines en porcelaine de Saxe ou en biscuit de Sèvres, des statuettes en terre cuite de Tanagra ou de Myrina, des petits bronzes de la Renaissance, des ivoires japonais, des verres de Venise, des tasses de Chine, des boîtes en vernis Martin, des plateaux de laque, des coffrets d’émail ; enfin, mille riens que j’aime pour le fini du travail ou la beauté de la matière.
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Cette nuit-là, comme la fièvre de l’"influenza" m’empêchait de dormir, j’entendis très distinctement trois coups frappés sur la glace d’une vitrine qui est à côté de mon lit et dans laquelle vivent pêle-mêle des figurines en porcelaine de Saxe ou en biscuit de Sèvres, des statuettes en terre cuite de Tanagra ou de Myrina, des petits bronzes de la Renaissance, des ivoires japonais, des verres de Venise, des tasses de Chine, des boîtes en vernis Martin, des plateaux de laque, des coffrets d’émail ; enfin, mille riens que j’aime pour le fini du travail ou la beauté de la matière. Les coups étaient légers, mais parfaitement nets et je reconnus, à la lueur de la veilleuse, que c’était un petit soldat de plomb, logé dans le meuble, qui essayait de se donner la liberté. Il y réussit, et, bientôt, sous son poing, la porte vitrée s’ouvrit toute grande. A vrai dire, je ne fus pas surpris plus que de raison. Ce petit soldat m’a toujours eu l’air d’un fort mauvais sujet. Et depuis deux ans que madame G. M… me l’a donné, je m’attends de sa part à toutes les impertinences. Il porte l’habit blanc bordé de bleu : c’est un garde française, et l’on sait que ce régiment-là ne se distinguait point par la discipline.
 
— Holà ! criai-je, la Fleur, Brindamour, La Tulipe ! ne pourriez-vous faire moins de bruit et me laisser reposer en paix, car je suis fort souffrant ?
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Le drôle me répondit en grognant :
 
— Tel que vous me voyez, bourgeois, il y a cent ans que j’ai pris la Bastille, ensuite de quoi on vida nombre de pots. Je ne crois pas qu’il reste beaucoup de soldats de plomb aussi
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vieux que moi. Bonne nuit, je vais à la parade.
 
— La Tulipe, répondis-je sévèrement, votre régiment fut cassé par ordre de Louis XVI le 31 août 1789. Vous ne devez plus aller à aucune parade. Restez dans cette vitrine.
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Ce discours me laissa perplexe.
 
— Ainsi donc, la Tulipe, c’est un usage, un usage solennel ? J’ai infiniment de respect
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pour les usages, les coutumes, les traditions, les légendes, les croyances populaires. Nous appelons cela le folk-lore, et nous en faisons des études qui nous divertissent beaucoup. La Tulipe, je vois avec grand plaisir que vous êtes traditionniste. D’un autre côté, je ne sais si je dois vous laisser sortir de cette vitrine.
 
— Tu le dois, dit une voix harmonieuse et pure que je n’avais pas encore entendue et que je reconnus aussitôt pour celle de la jeune femme de Tanagra qui, serrée dans les plis de son himation, se tenait debout auprès du garde française qu’elle dominait de l’élégante majesté de sa taille. Tu le dois. Toutes les coutumes transmises par les aïeux sont également respectables. Nos pères savaient mieux que nous ce qui est permis et ce qui est défendu, car ils étaient plus près des dieux. Il convient donc de laisser ce Galate accomplir les rites guerriers des ancêtres. De mon temps, ils ne portaient pas, comme celui-ci, un ridicule habit bleu à revers rouges. Ils n’étaient couverts que de leurs boucliers. Et nous en avions grand-peur. C’étaient des barbares. Toi
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aussi, tu es un Galate et un barbare. En vain tu as lu les poètes et les historiens, tu ne sais point ce que c’est que la beauté de la vie. Tu n’étais point à l’agora, tandis que je filais la laine de Milet, dans la cour de la maison, sous l’antique mûrier.
 
Je m’efforçai de répondre avec mesure :
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Alors une petite batteuse de beurre en biscuit de Sèvres, les deux mains sur sa baratte, tourna vers moi des regards suppliants.
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— Monsieur, ne le laissez point partir. Il m’a promis le mariage. C’est l’amoureux des onze mille vierges. S’il s’en va, je ne le reverrai plus.
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Je la rassurai du mieux que je pus et j’invitai mon garde française à ne point s’attarder, après la revue, dans quelque cabaret. Il le promit et je lui souhaitai bon voyage. Mais il ne partait pas. Chose étrange, il demeurait tranquille sur sa tablette, ne bougeant pas plus que les magots qui l’entouraient. Je lui en témoignai ma surprise.
 
— Patience, me répondit-il. Je ne pourrais partir ainsi sous vos regards sans contrarier toutes les lois de la magie. Quand vous sommeillerez, il me sera facile de m’échapper dans un rayon de lune, car je suis subtil. Mais rien ne me presse et je puis attendre encore une
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heure ou deux. Pour l’instant nous n’avons rien de mieux à faire que de causer. Voulez-vous que je vous conte une histoire du vieux temps ? J’en sais plus d’une.
 
— Contez, dit Pannychis.
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Je l’interrompis :
 
— - La Tulipe, je connais cette histoire :
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c’est celle d’une visite domiciliaire au temps de la Terreur. Elle ne va pas à votre air : je la conterai moi-même, et dès demain. Dites-nous une histoire de guerre.
 
— Soit, reprit La Tulipe. Donnez-moi à boire et je vais vous narrer la bataille de Fontenoy, où je fus. Nous y abîmâmes les Anglais. Il y avait aussi contre nous, dans cette bataille, des Autrichiens, des Hollandais et, s’il m’en souvient, des Allemands ; mais ces individus-là ne comptent pas. La France n’a qu’un seul ennemi, l’Angleterre. Nous arrivâmes sur le champ de bataille. Dès l’abord, les lauriers sous mes pas levaient de terre.