« Contes du jour et de la nuit (éd. Flammarion, 1885)/Souvenir » : différence entre les versions

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Comme il m’en vient des souvenirs de jeunesse sous la douce caresse du premier soleil ! Il est un âge où tout est bon, gai, charmant, grisant. Qu’ils sont exquis les souvenirs des anciens printemps !
 
Vous rappelez-vous, vieux amis, mes frères, ces années de joie où la vie n’était qu’un triomphe et qu’un rire ? Vous rappelez-vous les jours de vagabondage autour de Paris, notre radieuse pauvreté, nos promenades dans les bois reverdis, nos ivresses d’air bleu dans
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les cabarets au bord de la Seine, et nos aventures d’amour si banales et si délicieuses ?
 
J’en veux dire une de ces aventures. Elle date de douze ans et me paraît déjà si vieille, si vieille, qu’elle me semble maintenant à l’autre bout de ma vie, avant le tournant, ce vilain tournant d’où j’ai aperçu tout à coup la fin du voyage.
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C’est tous les jours dimanche, aujourd’hui. Mais je regrette le temps où je n’en avais qu’un par semaine. Qu’il était bon ! J’avais six francs à dépenser !
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Je m’éveillai tôt, ce matin-là, avec cette sensation de liberté que connaissent si bien les employés, cette sensation de délivrance, de repos, de tranquillité, d’indépendance.
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Paris s’éveillait, joyeux, dans la chaleur et la lumière. Les façades des maisons brillaient ; les serins des concierges s’égosillaient dans leurs cages, et une gaieté courait la rue, éclairait les visages, mettait un rire partout, comme un contentement mystérieux des êtres et des choses sous le clair soleil levant.
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Je gagnai la Seine pour prendre l’Hirondelle qui me déposerait à Saint-Cloud.
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Il accostait et je montais.
 
Des gens endimanchés étaient déjà dessus, avec des toilettes voyantes, des rubans éclatants et de grosses figures écarlates. Je me plaçais tout à l’avant, debout, regardant fuir les quais, les arbres, les maisons, les ponts. Et soudain j’apercevais le grand viaduc du Point-du-Jour qui barrait le fleuve. C’était la fin de Paris, le commencement de la campagne, et la Seine soudain, derrière la double ligne des arches, s’élargissait comme si on lui eût rendu l’espace et la liberté, devenait
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tout à coup le beau fleuve paisible qui va couler à travers les plaines, au pied des collines boisées, au milieu des champs, au bord des forêts.
 
Après avoir passé entre deux îles, l’Hirondelle suivit un coteau tournant dont la verdure était pleine de maisons blanches. Une voix annonça : « Bas-Meudon », puis plus loin : « Sèvres », et, plus loin encore « Saint-Cloud ».
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Dès que je fus à l’ombre, j’étudiai mon itinéraire qui me parut d’ailleurs d’une simplicité parfaite. J’allais tourner à droite, puis à gauche, puis encore à gauche, et j’arriverais à Versailles à la nuit, pour dîner.
 
Et je me mis à marcher lentement, sous les feuilles nouvelles, buvant cet air savoureux que parfument les bourgeons et les sèves.
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J’allais à petits pas, oublieux des paperasses, du bureau, du chef, des collègues, des dossiers, et songeant à des choses heureuses qui ne pouvaient manquer de m’arriver, à tout l’inconnu voilé de l’avenir. J’étais traversé par mille souvenirs d’enfance que ces senteurs de campagne réveillaient en moi, et j’allais, tout imprégné du charme odorant, du charme vivant, du charme palpitant des bois attiédis par le grand soleil de juin.
 
Parfois, je m’asseyais pour regarder, le long d’un talus, toutes sortes de petites fleurs dont je savais les noms depuis longtemps. Je les reconnaissais toutes comme si elles eussent été justement celles mêmes vues autrefois au pays. Elles étaient jaunes, rouges, violettes, fines, mignonnes, montées sur de longues tiges ou collées contre terre. Des insectes de toutes couleurs et de toutes formes, trapus, allongés, extraordinaires de construction, des monstres effroyables et microscopiques, faisaient paisiblement des ascensions de brins d’herbe qui ployaient sous leur poids.
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Puis je dormis quelques heures dans un fossé, et je repartis reposé, fortifié par ce somme.
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Devant moi, s’ouvrit une ravissante allée, dont le feuillage un peu grêle laissait pleuvoir partout sur le sol des gouttes de soleil qui illuminaient des marguerites blanches. Elle s’allongeait interminablement, vide et calme. Seul, un gros frelon solitaire et bourdonnant la suivait, s’arrêtant parfois pour boire une fleur qui se penchait sous lui, et repartant presque aussitôt pour se reposer encore un peu plus loin. Son corps énorme semblait en velours brun rayé de jaune, porté par des ailes transparentes et démesurément petites.
 
Mais tout à coup j’aperçus au bout de l’allée deux personnes, un homme et une femme, qui venaient, vers moi. Ennuyé d’être troublé dans ma promenade tranquille j’allais m’enfoncer dans les taillis, quand il me sembla qu’on m’appelait. La femme en effet agitait son ombrelle, et l’homme, en manches de chemise,
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la redingote sur un bras, élevait l’autre en signe de détresse.
 
J’allai vers eux. Ils marchaient d’une allure pressée, très rouges tous deux, elle à petits pas rapides, lui à longues enjambées. On voyait sur leur visage de la mauvaise humeur et de la fatigue.
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Elle prononça plusieurs fois, en haussant les épaules :
 
— Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu ! avec ce
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ton de souverain mépris qu’ont les femmes pour exprimer leur exaspération.
 
Elle était toute jeune, jolie, brune, avec une ombre de moustache sur les lèvres.
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Elle n’avait point achevé de parler, que son mari, comme s’il eût été pris de folie, poussa un cri perçant, un long cri de sauvage qui ne pourrait s’écrire en aucune langue, mais qui ressemblait à tiiitiiit.
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La jeune femme ne parut ni s’étonner, ni s’émouvoir, et reprit :
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Il essayait de l’arrêter, de la calmer et bégayait :
 
— Mais, ma chère amie… c’est inutile… devant monsieur… Nous nous donnons en
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spectacle… Cela n’intéresse pas monsieur…
 
Et il tournait des yeux lamentables vers les taillis, comme s’il eût voulu en sonder la profondeur mystérieuse et paisible, pour s’élancer dedans, fuir, se cacher à tous les regards ; et, de temps en temps, il poussait un nouveau cri, un tiiitiiit prolongé, suraigu. Je pris cette habitude pour une maladie nerveuse.
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Son mari marchait à côté d’elle, jetant toujours des regards de fou dans l’épaisseur des arbres, et criant tiiitiiit de moment en moment.
 
À
À la fin, je lui demandai :
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À la fin, je lui demandai :
 
— Pourquoi criez-vous comme ça ?
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— Mais, ma chère amie, c’est toi…
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Elle s’arrêta net ; et, le regardant dans les yeux comme si elle allait les lui arracher, elle recommença à lui jeter au visage des reproches sans nombre.
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Elle frémit de colère, et suffoqua d’indignation.
 
— Il ne manquait plus que cela. Que tu es
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stupide ! Mais que tu es stupide ! Est-ce possible d’avoir épousé un idiot pareil ! Eh bien va le chercher, et fais en sorte de le retrouver. Moi je vais gagner Versailles avec monsieur. Je n’ai pas envie de coucher dans le bois.
 
Il répondit doucement :
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Moi, j’allais d’un pas vif, d’un pas heureux dans la douceur du crépuscule, avec cette petite femme inconnue qui s’appuyait sur mon bras.
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Je cherchais des mots galants sans en trouver. Je demeurais muet, troublé, ravi.
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Nous entrâmes donc dans un restaurant, au bord de l’eau, et j’osai prendre un cabinet particulier.
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Elle se grisa, ma foi, fort bien, chanta, but du Champagne, fit toutes sortes de folies… et même la plus grande de toutes.
 
Ce fut mon premier adultère !
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