« Page:Montaigne - Essais, Éd de Bordeaux, 3.djvu/109 » : différence entre les versions

(Aucune différence)

Version du 19 décembre 2009 à 23:05

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vainement nous concluons aujourd'hui l'inclination et la decrepitude du monde par les arguments que nous tirons de nostre propre foiblesse et decadence,

Jamque adeo affecta est aetas, affectaque tellus;

ainsi vainement concluoit cettuy-là sa naissance et jeunesse, par la vigueur qu'il voyoit aux espris de son temps, abondans en nouvelletez et inventions de divers arts:

Verum, ut opinor, habet novitatem summa, recénsque
Natura est mundi, neque pridem exordia coepit:
Quare etiam quaedam nunc artes expoliuntur,
Nunc etiam augescunt, nunc addita navigiis sunt
Multa.

Nostre monde vient d'en trouver un autre (et qui nous respond si c'est le dernier de ses freres, puis que les Daemons, les Sybilles et nous, avons ignoré cettuy-cy jusqu'asture?) non moins grand, plain et membru que luy, toutesfois si nouveau et si enfant qu'on luy aprend encore son abc: il n'y a pas cinquante ans qu'il ne sçavoit ny lettres, ny pois, ny mesure, ny vestements, ny bleds, ny vignes. Il estoit encore tout nud au giron, et ne vivoit que des moyens de sa mere nourrice. Si nous concluons bien de nostre fin, et ce poete de la jeunesse de son siecle, cet autre monde ne faira qu'entrer en lumiere quand le nostre en sortira. L'univers tombera en paralisie; l'un membre sera perclus, l'autre en vigueur. Bien crains-je que nous aurons bien fort hasté sa declinaison et sa ruyne par nostre contagion, et que nous luy aurons bien cher vendu nos opinions et nos arts. C'estoit un monde enfant; si ne l'avons nous pas foité et soubmis à nostre discipline par l'avantage de nostre valeur et forces naturelles, ny ne l'avons practiqué par nostre justice et bonté, ny subjugué par nostre magnanimité. La plus part de leurs responces et des negotiations faictes avec eux tesmoignent qu'ils ne nous devoyent rien en clarté d'esprit naturelle