« Carnet d’un inconnu/Première Partie/1 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
Phe (discussion | contributions)
m split
ThomasBot (discussion | contributions)
m Yann : split
Ligne 672 :
 
 
==[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/35]]==
 
==*[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/35|Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/35]]==
 
==*[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/36|Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/36]]==
succès et puis, tout à coup, après un assez long
==*[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/37|Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/37]]==
silence, je reçus une étonnant épître, très différente des
==*[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/38|Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/38]]==
précédentes, bourrée de bizarres sous-entendus, de contradictions
incompréhensibles au premier abord. Il était évident qu’elle avait
été écrite sous l’empire d’une extrême agitation.
 
Une seule chose y était claire, c’est que mon oncle me suppliait
presque d’épouser au plus vite son ancienne pupille, fille d’un
pauvre fonctionnaire provincial nommé Éjévikine, laquelle avait
été fort bien élevée au compte de mon oncle dans un grand
établissement scolaire de Moscou et servait à ce moment
d’institutrice à ses enfants. Elle était malheureuse ; je pouvais
faire son bonheur en accomplissant une action généreuse ; il
s’adressait à la noblesse de mon cœur et me promettait de doter
la jeune fille, mais il s’exprimait sur ce dernier point d’une
façon extrêmement mystérieuse, et m’adjurait de garder sur tout
cela le plus absolu silence. Cette lettre me bouleversa.
 
Quel est le jeune homme qui ne se fût pas senti remué par une
proposition aussi romanesque ? De plus, j’avais entendu dire que la
jeune fille était fort jolie.
 
Je ne savais pas à quel parti m’arrêter, mais je
==[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/36]]==
répondis aussitôt
à mon oncle que j’allais partir sur-le-champ pour Stépantchikovo,
car il m’avait envoyé sous le même pli les fonds nécessaires à mon
voyage, ce qui ne m’empêcha pas de rester encore quinze jours à
Pétersbourg dans l’indécision. C’est à ce moment que je fis la
rencontre d’un ancien camarade de régiment de mon oncle. En
revenant du Caucase, cet officier s’était arrêté à Stépantchikovo.
C’était un homme d’un certain âge déjà, fort sensé et célibataire
endurci.
 
Il me raconta avec indignation des choses dont je n’avais aucune
connaissance. Foma Fomitch et la générale avaient conçu le projet
de marier le colonel avec une demoiselle étrange, âgée, à moitié
folle, qui possédait environ un demi million de roubles et dont la
biographie était quelque chose d’incroyable. La générale avait
déjà réussi à lui persuader qu’elles étaient parentes et à la
faire loger dans la maison. Bien qu’au désespoir, mon oncle
finirait certainement par épouser le demi million. Cependant, les
deux fortes têtes, la générale et Foma avaient organisé une
persécution contre cette malheureuse institutrice sans défense et
employaient tous leurs efforts à la faire partir, de peur que le
colonel n’en devint amoureux et peut-être même parce qu’il l’était
déjà. Ces
==[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/37]]==
dernières paroles me frappèrent, mais, à toutes mes
questions sur le point de savoir si mon oncle était réellement
amoureux, mon interlocuteur ne put ou ne voulut pas me donner de
réponse précise et, d’une façon générale, il me raconta tout cela
comme à contrecœur, avec un évident parti pris d’éviter les
détails précis.
 
Cette rencontre me donna beaucoup à penser, car ce que j’apprenais
était en contradiction formelle avec la proposition qui m’était
faite. Le temps pressant, je résolus de partir pour
Stépantchikovo, dans l’intention de réconforter mon oncle et même
de le sauver, si possible, c’est-à-dire de faire chasser Foma,
d’empêcher cet odieux mariage avec la vieille demoiselle et de
rendre le bonheur à cette malheureuse jeune fille en l’épousant.
Car le prétendu amour de mon oncle pour elle m’apparaissait comme
une misérable invention de Foma.
 
Comme font les très jeunes gens, je sautai d’une extrémité à
l’autre et, chassant toute hésitation, je brûlai de l’ardeur
d’opérer des miracles et d’accomplir mille exploits. Il me
semblait faire preuve d’une générosité extraordinaire en me
sacrifiant noblement au bonheur d’un être aussi charmant
qu’innocent et je me souviens que,
==[[Page:Dostoïevski - Carnet d’un inconnu 1906.djvu/38]]==
pendant tout le trajet, je me
sentis fort satisfait de moi. C’était en juillet ; le soleil
luisait ; devant moi s’étendait l’immensité des champs de blé déjà
presque mûr... J’étais resté si longtemps enfermé à Pétersbourg,
que je croyais voir le monde pour la première fois.