« Les Tribulations d’un Chinois en Chine/Chapitre 12 » : différence entre les versions

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Soun, de plus en plus fatigué. C'estC’est Kin-Fo, dans cette bizarre disposition d'espritd’esprit qui le porte à fuir et à chercher à la fois l'introuvablel’introuvable Wang. C'estC’est le client de la Centenaire, qui ne demande à cet incessant va-et-vient que l'oublil’oubli de sa situation et peut-être une garantie contre les dangers invisibles dont il est menacé.
Soun, de plus en plus fatigué. C'est Kin-Fo, dans cette bizarre disposition d'esprit qui le porte à fuir et à chercher à la fois l'introuvable Wang. C'est le client de la Centenaire, qui ne demande à cet incessant va-et-vient que l'oubli de sa situation et peut-être une garantie contre les dangers invisibles dont il est menacé.
 
Le meilleur tireur a quelque chance de manquer un but mobile, et Kin-Fo veut être ce but qui ne s'immobilises’immobilise jamais.
 
Les voyageurs avaient repris à Nan-King l'unl’un de ces rapides steamboats américains, vastes hôtels flottants, qui font le service du fleuve Bleu. Soixante heures après, ils débarquaient à Ran-Kéou, sans avoir même admiré ce rocher bizarre, le « Petit-Orphelin », qui s'élèves’élève au milieu du courant du Yang-Tze-Kiang, et dont un temple, desservi par les bonzes, couronne si hardiment le sommet.
 
A Ran-Kéou, située au confluent du fleuve Bleu et de son important tributaire le Ran-Kiang, l'errantl’errant Kin-Fo ne s'étaits’était arrêté qu'unequ’une demi-journée. Là, encore, se retrouvaient en ruines irréparables les souvenirs des Taï-ping ; mais, ni dans cette ville commerçante, qui n'estn’est, à vrai dire, qu'unequ’une annexe de la préfecture de Ran-Yang-Fou, bâtie sur la rive droite de l'affluentl’affluent, ni à Ou-Tchang-Fou, capitale de cette province du Rou-Pé, élevée sur la rive droite du fleuve, l'insaisissablel’insaisissable Wang ne laissa voir trace de son passage. Plus de ces terribles lettres que Kin-Fo avait retrouvées à Nan-King sur le tombeau du bonze couronné.
 
Si Craig et Fry avaient jamais pu espérer que, de ce voyage en Chine, ils emporteraient quelque aperçu des mœurs ou quelque connaissance des villes, ils furent bientôt détrompés. Le temps leur eût même manqué pour prendre des notes, et leurs impressions auraient été réduites à quelques noms de cités et de bourgs ou à quelques quantièmes de mois ! Mais ils n'étaientn’étaient ni curieux ni bavards. Ils ne se parlaient presque jamais. A quoi bon ?
 
Ce que Craig pensait, Fry le pensait aussi. Ce n'eûtn’eût été qu'unqu’un monologue. Donc, pas plus que leur client, ils n'observèrentn’observèrent cette double physionomie commune à la plupart des cités chinoises, mortes au centre, mais vivantes à leurs faubourgs. A peine, à Ran-Kéou, aperçurent-ils le quartier européen, aux rues larges et rectangulaires, aux habitations élégantes, et la promenade ombragée de grands arbres qui longe la rive du fleuve Bleu. Ils avaient des yeux pour ne voir qu'unqu’un homme, et cet homme restait invisible.
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Le steamboat, grâce à la crue qui soulevait les eaux du Ran-Kiang, allait pouvoir remonter cet affluent pendant cent trente lieues encore, jusqu'àjusqu’à Lao-Ro-Kéou.
 
Kin-Fo n'étaitn’était point homme à abandonner ce genre de locomotion, qui lui plaisait. Au contraire, il comptait bien aller jusqu'aujusqu’au point où le Ran-Kiang cesserait d'êtred’être navigable. Au-delà, il aviserait. Craig et Fry, eux, n'eussentn’eussent pas mieux demandé que cette navigation durât pendant tout le cours du voyage. La surveillance était plus facile à bord, les dangers moins imminents. Plus tard, sur les routes peu sûres des provinces de la Chine centrale, ce serait autre chose.
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Le steamboat, grâce à la crue qui soulevait les eaux du Ran-Kiang, allait pouvoir remonter cet affluent pendant cent trente lieues encore, jusqu'à Lao-Ro-Kéou.
 
Kin-Fo n'était point homme à abandonner ce genre de locomotion, qui lui plaisait. Au contraire, il comptait bien aller jusqu'au point où le Ran-Kiang cesserait d'être navigable. Au-delà, il aviserait. Craig et Fry, eux, n'eussent pas mieux demandé que cette navigation durât pendant tout le cours du voyage. La surveillance était plus facile à bord, les dangers moins imminents. Plus tard, sur les routes peu sûres des provinces de la Chine centrale, ce serait autre chose.
 
Quant à Soun, cette vie de steamboat lui allait assez. Il ne marchait pas, il ne faisait rien, il laissait son maître aux bons offices de Craig-Fry, il ne songeait qu'àqu’à dormir dans son coin, après avoir déjeuné, dîné et soupé consciencieusement, et la cuisine était bonne !
 
Ce fut même une modification survenue dans l'alimentationl’alimentation du bord, quelques jours après, qui, à tout autre que cet ignorant, eût indiqué qu'unqu’un changement de latitude venait de s'opérers’opérer dans la situation géographique des voyageurs.
 
En effet, pendant les repas, le blé se substitua subitement au riz sous la forme de pains sans levain, assez agréables au goût, quand on les mangeait au sortir du four.
 
Soun, en vrai Chinois du Sud, regretta son riz habituel. Il manœuvrait si habilement ses petits bâtonnets, lorsqu'illorsqu’il faisait tomber les graines de la tasse dans sa vaste bouche, et il en absorbait de telles quantités ! Du riz et du thé, que faut-il de plus à un véritable Fils du Ciel !
 
Le steamboat, remontant le cours du Ran-Kiang, venait donc d'entrer dans la région du blé. Là, le relief du pays s'accusa davantage. À l'horizon se dessinèrent quelques montagnes, couronnées de fortifications, élevées sous l'ancienne dynastie des Ming. Les berges artificielles qui contenaient les eaux du fleuve firent place à des rives basses, élargissant son lit aux dépens de sa profondeur. La préfecture de Guan-Lo-Fou apparut.
 
Kin-Fo ne débarqua même pas, pendant les quelques heures que nécessita la mise à bord du combustible devant les bâtiments de la douane. Que serait-il allé faire en cette ville, qu'il lui était indifférent de voir ? Il n'avait qu'un désir, puisqu'il ne trouvait plus trace du philosophe : s'enfoncer plus profondément encore dans cette Chine centrale, où, s'il n'y rattrapait pas Wang, Wang ne l'attraperait pas non plus.
 
Le steamboat, remontant le cours du Ran-Kiang, venait donc d'entrerd’entrer dans la région du blé. Là, le relief du pays s'accusas’accusa davantage. À l'horizonl’horizon se dessinèrent quelques montagnes, couronnées de fortifications, élevées sous l'anciennel’ancienne dynastie des Ming. Les berges artificielles qui contenaient les eaux du fleuve firent place à des rives basses, élargissant son lit aux dépens de sa profondeur. La préfecture de Guan-Lo-Fou apparut.
 
Kin-Fo ne débarqua même pas, pendant les quelques heures que nécessita la mise à bord du combustible devant les bâtiments de la douane. Que serait-il allé faire en cette ville, qu'ilqu’il lui était indifférent de voir ? Il n'avaitn’avait qu'unqu’un désir, puisqu'ilpuisqu’il ne trouvait plus trace du philosophe : s'enfoncers’enfoncer plus profondément encore dans cette Chine centrale, où, s'ils’il n'yn’y rattrapait pas Wang, Wang ne l'attraperaitl’attraperait pas non plus.
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Après Guan-Lo-Fou, ce furent deux cités bâties en face l'une de l'autre, la ville commerçante de Fan-Tcheng, sur la rive gauche, et la préfecture de Siang-Yang-Fou, sur la rive droite ; la première, faubourg plein du mouvement de la population et de l'agitation des affaires ; la seconde, résidence des autorités et plus morte que vivante.
 
Après Guan-Lo-Fou, ce furent deux cités bâties en face l'unel’une de l'autrel’autre, la ville commerçante de Fan-Tcheng, sur la rive gauche, et la préfecture de Siang-Yang-Fou, sur la rive droite ; la première, faubourg plein du mouvement de la population et de l'agitationl’agitation des affaires ; la seconde, résidence des autorités et plus morte que vivante.
Et après Fan-Tcheng, le Ran-Kiang, remontant droit au nord par un angle brusque, resta encore navigable jusqu'à Lao-Ro-Kéou. Mais, faute d'eau, le steamboat ne pouvait aller plus loin.
 
Et après Fan-Tcheng, le Ran-Kiang, remontant droit au nord par un angle brusque, resta encore navigable jusqu'àjusqu’à Lao-Ro-Kéou. Mais, faute d'eaud’eau, le steamboat ne pouvait aller plus loin.
Ce fut tout autre chose alors. À partir de cette dernière étape, les conditions du voyage durent être modifiées. Il fallait abandonner les cours d'eau, « ces chemins qui marchent », et marcher soi-même, ou, tout au moins, substituer au moelleux glissement d'un bateau les secousses, les cahots, les heurts des déplorables véhicules en usage dans le Céleste Empire. Infortuné Soun ! La série des tracas, des fatigues, des reproches, allait donc recommencer pour lui !
 
Ce fut tout autre chose alors. À partir de cette dernière étape, les conditions du voyage durent être modifiées. Il fallait abandonner les cours d'eaud’eau, « ces chemins qui marchent », et marcher soi-même, ou, tout au moins, substituer au moelleux glissement d'und’un bateau les secousses, les cahots, les heurts des déplorables véhicules en usage dans le Céleste Empire. Infortuné Soun ! La série des tracas, des fatigues, des reproches, allait donc recommencer pour lui !
Et, en effet, qui eût suivi Kin-Fo dans cette fantaisiste pérégrination, de province en province, de ville en ville, aurait eu fort à faire ! Un jour, il voyageait en voiture, mais quelle voiture ! une caisse durement fixée sur l'essieu de deux roues à gros clous de fer, traînée par deux mules rétives, bâchée d'une simple toile que transperçaient également les jets, la pluie et les rayons solaires ! Un autre jour, on l'apercevait étendu dans une chaise à mulets, sorte de guérite suspendue entre deux longs bambous, et soumise à des mouvements de roulis et de tangage si violents, qu'une barque en eût craqué dans toute sa membrure.
 
Et, en effet, qui eût suivi Kin-Fo dans cette fantaisiste pérégrination, de province en province, de ville en ville, aurait eu fort à faire ! Un jour, il voyageait en voiture, mais quelle voiture ! une caisse durement fixée sur l'essieul’essieu de deux roues à gros clous de fer, traînée par deux mules rétives, bâchée d'uned’une simple toile que transperçaient également les jets, la pluie et les rayons solaires ! Un autre jour, on l'apercevaitl’apercevait étendu dans une chaise à mulets, sorte de guérite suspendue entre deux longs bambous, et soumise à des mouvements de roulis et de tangage si violents, qu'unequ’une barque en eût craqué dans toute sa membrure.
Craig et Fry chevauchaient alors aux portières, comme des aides de camp, sur deux ânes, plus roulants et plus tanguants encore que la chaise. Quant à Soun, en ces occasions où la marche était nécessairement un peu rapide, il allait à pied, grognant, maugréant, se réconfortant plus qu'il ne convenait de fréquentes lampées d'eau-de-vie de Kao-Liang. Lui aussi éprouvait alors des mouvements de roulis particuliers, mais dont la cause ne tenait pas aux inégalités du sol ! En un mot, la petite troupe n'eût pas été plus secouée sur une mer houleuse.
 
Craig et Fry chevauchaient alors aux portières, comme des aides de camp, sur deux ânes, plus roulants et plus tanguants encore que la chaise. Quant à Soun, en ces occasions où la marche était nécessairement un peu rapide, il allait à pied, grognant, maugréant, se réconfortant plus qu'ilqu’il ne convenait de fréquentes lampées d'eaud’eau-de-vie de Kao-Liang. Lui aussi éprouvait alors des mouvements de roulis particuliers, mais dont la cause ne tenait pas aux inégalités du sol ! En un mot, la petite troupe n'eûtn’eût pas été plus secouée sur une mer houleuse.
Ce fut à cheval – de mauvais chevaux, on peut le croire – que Kin-Fo et ses compagnons firent leur entrée à Si-Gnan-Fou, l'ancienne capitale de l'Empire du Milieu, dont les empereurs de la dynastie des Tang faisaient autrefois leur résidence.
 
Ce fut à cheval – de mauvais chevaux, on peut le croire – que Kin-Fo et ses compagnons firent leur entrée à Si-Gnan-Fou, l'anciennel’ancienne capitale de l'Empirel’Empire du Milieu, dont les empereurs de la dynastie des Tang faisaient autrefois leur résidence.
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Mais, pour atteindre cette lointaine province du Chen-Si, pour en traverser les interminables plaines, arides et nues, que de fatigues à supporter et même de dangers !
 
Ce soleil de mai, par une latitude qui est celle de l'Espagnel’Espagne méridionale, projetait des rayons déjà insoutenables, et soulevait la fine poussière de routes qui n'ontn’ont jamais connu le confort de l'empierragel’empierrage. De ces tourbillons jaunâtres, salissant l'airl’air comme une fumée malsaine, on ne sortait que gris de la tête aux pieds.
 
C'étaitC’était la contrée du « lœss », formation géologique singulière, spéciale au nord de la Chine, « qui n'estn’est plus de la terre et qui n'estn’est pas une roche, ou, pour mieux dire, une pierre qui n'an’a pas encore eu le temps de se solidifier ».
 
Quant aux dangers, ils n'étaientn’étaient que trop réels, dans un pays où les gardes de police ont une extraordinaire crainte du coup de couteau des voleurs. Si, dans les villes, les tipaos laissent aux coquins le champ libre, si, en pleine cité, les habitants ne se hasardent guère dans les rues pendant la nuit, que l'onl’on juge du degré de sécurité que présentent les routes ! Plusieurs fois, des groupes suspects s'arrêtèrents’arrêtèrent au passage des voyageurs, lorsqu'ilslorsqu’ils s'engageaients’engageaient dans ces étroites tranchées, creusées profondément entre les couches du lœss ; mais la vue de Craig-Fry, le revolver à la ceinture, avait imposé jusqu'alorsjusqu’alors aux coureurs de grands chemins. Cependant, les agents de la Centenaire éprouvèrent, en mainte occasion, les plus sérieuses craintes, sinon pour eux, du moins pour le million vivant qu'ilsqu’ils escortaient. Que Kin-Fo tombât sous le poignard de Wang ou sous le couteau d'und’un malfaiteur, le résultat était le même. C'étaitC’était la caisse de la Compagnie qui recevait le coup.
 
Dans ces circonstances, d'ailleursd’ailleurs, Kin-Fo, non moins bien armé, ne demandait qu'àqu’à se défendre. Sa vie, il y tenait plus que jamais, et, comme le disaient Craig-Fry, « il se serait fait tuer pour la conserver ».
 
À Si-Gnan-Fou, il n'étaitn’était pas probable que l'onl’on retrouvât aucune trace du philosophe. Jamais un ancien Taï-ping n'auraitn’aurait eu la pensée d'yd’y chercher refuge. C'estC’est une cité dont les rebelles n'ontn’ont pu franchir les fortes murailles, au temps de la rébellion, et qui est occupée par une nombreuse garnison mantchoue. A moins d'avoird’avoir un goût particulier pour les curiosités archéologiques, très nombreuses dans cette ville, et d'êtred’être versé dans les mystères de l'épigraphie,
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de l’épigraphie, dont le musée, appelé « la forêt des tablettes », renferme d'incalculablesd’incalculables richesses, pourquoi Wang serait-il venu là ?
 
Aussi, le lendemain de son arrivée, Kin-Fo, abandonnant cette ville, qui est un important centre d'affairesd’affaires entre l'Asiel’Asie centrale, le Tibet, la Mongolie et la Chine, reprit-il la route du nord.
 
À suivre par Kao-Lin-Sien, par Sing-Tong-Sien, la route de la vallée de l'Oueil’Ouei-Ro, aux eaux chargées des teintes jaunes de ce lœss à travers lequel il s'ests’est frayé son lit, la petite troupe arriva à Roua-Tchéou, qui fut le foyer d'uned’une terrible insurrection musulmane en 1860. De là, tantôt en barque, tantôt en charrette, Kin-Fo et ses compagnons atteignirent, non sans grandes fatigues, cette forteresse de Tong-Kouan, située au confluent de l'Oueil’Ouei-Ro et du Rouang-Ro.
 
Le Rouang-Ro, c'estc’est le fameux fleuve Jaune. Il descend directement du nord pour aller, à travers les provinces de l'Estl’Est, se jeter dans la mer qui porte son nom, sans être plus jaune que la mer Rouge n'estn’est rouge, que la mer Blanche n'estn’est blanche, que la mer Noire n'estn’est noire. Oui ! fleuve célèbre, d'origined’origine céleste sans doute, puisque sa couleur est celle des empereurs, Fils du Ciel, mais aussi « Chagrin de la Chine », qualification due à ses terribles débordements, qui ont causé en partie l'impraticabilitél’impraticabilité actuelle du canal Impérial.
 
A Tong-Kouan, les voyageurs eussent été en sûreté, même la nuit. Ce n'estn’est plus une cité de commerce, c'estc’est une ville militaire, habitée en domicile fixe et non en camp volant par ces Tartares Mantchoux, qui forment la première catégorie de l'arméel’armée chinoise ! Peut-être Kin-Fo avait-il l'intentionl’intention de s'ys’y reposer quelques jours. Peut-être allait-il chercher dans un hôtel convenable une bonne chambre, une bonne table, un bon lit, – ce qui n'eûtn’eût point déplu à Fry-Craig et encore moins à Soun !
 
Mais ce maladroit, auquel il en coûta cette fois un bon pouce de sa queue, eut l'imprudencel’imprudence de donner en douane, au lieu du nom d'empruntd’emprunt, le véritable nom de son maître.
 
Il oublia que ce n'étaitn’était plus Kin-Fo, mais Ki-Nan, qu'ilqu’il avait l'honneurl’honneur de servir. Quelle colère ! Elle amena ce dernier à quitter immédiatement la ville. Le nom avait produit son effet. Le célèbre Kin-Fo était arrivé à Tong-Kouan ! On voulait voir cet homme unique, « dont le seul et unique désir était de devenir centenaire » !
 
L'horripiléL’horripilé voyageur, suivi de ses deux gardes et de son valet, n'eutn’eut que le temps de prendre la fuite à travers le rassemblement des curieux qui s'étaits’était
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formé sur ses pas. A pied cette fois, à pied ! il remonta les berges du fleuve jaune, et il alla ainsi jusqu'aujusqu’au moment où ses compagnons et lui tombèrent d'épuisementd’épuisement dans un petit bourg, où son incognito devait lui garantir quelques heures de tranquillité.
 
Soun, absolument déconfit, n'osaitn’osait plus dire un seul mot.
 
A son tour, avec cette ridicule petite queue de rat qui lui restait, il était l'objetl’objet des plaisanteries les plus désagréables ! Les gamins couraient après lui et l'apostrophaientl’apostrophaient de mille clameurs saugrenues.
 
Aussi avait-il hâte d'arriverd’arriver ! Mais arriver où ? Puisque son maître – ainsi
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qu'ilqu’il l'avaitl’avait dit à William J. Bidulph – comptait aller et allait toujours devant lui !
 
Cette fois, à vingt lis de Tong-Kouan, dans ce modeste bourg où Kin-Fo avait cherché refuge, plus de chevaux, plus d'ânesd’ânes, ni charrettes, ni chaises. Nulle autre perspective que de rester là ou de continuer à pied la route. Ce n'étaitn’était pas pour rendre sa bonne humeur à l'élèvel’élève du philosophe Wang, qui montra peu de philosophie dans cette occasion. Il accusa tout le monde, et n'auraitn’auraits'ens’en prendre qu'àqu’à lui-même. Ah ! combien il regrettait le temps où il n'avaitn’avait qu'àqu’à se laisser vivre ! Si, pour apprécier le bonheur, il fallait avoir
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connu ennuis, peines et tourments, ainsi que le disait Wang, il les connaissait maintenant, et de reste !
 
Et puis, à courir ainsi, il n'étaitn’était pas sans avoir rencontré sur sa route de braves gens sans le sou, mais qui étaient heureux, pourtant ! Il avait pu observer ces formes variées du bonheur que donne le travail accompli gaiement.
 
Ici, c'étaientc’étaient des laboureurs courbés sur leur sillon ; là, des ouvriers qui chantaient en maniant leurs outils. N'étaitN’était-ce pas précisément à cette absence de travail que Kin-Fo devait l'absencel’absence de désirs, et, par conséquent, le défaut de bonheur ici-bas ? Ah ! la leçon était complète ! Il le croyait du moins !… Non ! ami Kin-Fo, elle ne l'étaitl’était pas !
 
Cependant, en cherchant bien dans ce village, en frappant à toutes les portes, Craig et Fry finirent par découvrir un véhicule, mais un seul ! Encore ne pouvait-il transporter qu'unequ’une personne, et, circonstance plus grave, le moteur dudit véhicule manquait.
 
C'étaitC’était une brouette – la brouette de Pascal -, et peut-être inventée avant lui par ces antiques inventeurs de la poudre, de l'écriturel’écriture, de la boussole et des cerfs-volants.
 
Seulement, en Chine, la roue de cet appareil, d'und’un assez grand diamètre, est placée, non à l'extrémitél’extrémité des brancards, mais au milieu, et se meut à travers le coffre même, comme la roue centrale de certains bateaux à vapeur. Le coffre est donc divisé en deux parties, suivant son axe, l'unel’une dans laquelle le voyageur peut s'étendres’étendre, l'autrel’autre qui est destinée à contenir ses bagages.
 
Le moteur de ce véhicule, c'estc’est et ce ne peut être qu'unqu’un homme, qui pousse l'appareill’appareil en avant et ne le traîne pas.
 
Il est donc placé, en arrière du voyageur, dont il ne gêne aucunement la vue, comme le cocher d'und’un cab anglais.
 
Lorsque le vent est bon, c'estc’est-à-dire quand il souffle de l'arrièrel’arrière, l'hommel’homme s'adjoints’adjoint cette force naturelle, qui ne lui coûte rien ; il plante un mâtereau sur l'avantl’avant du coffre, il hisse une voile carrée, et, par les grandes brises, au lieu de pousser la brouette, c'estc’est lui qui est entraîné, – souvent plus vite qu'ilqu’il ne le voudrait.
 
Le véhicule fut acheté avec tous ses accessoires. Kin-Fo y prit place. Le vent était bon, la voile fut hissée.
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« Allons, Soun ! » dit Kin-Fo.
 
Soun se disposait tout simplement à s'étendres’étendre dans le second compartiment du coffre.
 
«
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Aux brancards ! cria Kin-Fo d'un certain ton qui n'admettait pas de réplique.
 
« Aux brancards ! cria Kin-Fo d'und’un certain ton qui n'admettaitn’admettait pas de réplique.
– Maître… que… moi… je !… répondit Soun, dont les jambes fléchissaient d'avance, comme celles d'un cheval surmené.
 
– Maître… que… moi… je !… répondit Soun, dont les jambes fléchissaient d'avanced’avance, comme celles d'und’un cheval surmené.
– Ne t'en prends qu'à toi, qu'à ta langue et à ta sottise !
 
– Ne t'ent’en prends qu'àqu’à toi, qu'àqu’à ta langue et à ta sottise !
 
– Allons, Soun ! dirent Fry-Craig.
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– Aux brancards ! répéta Kin-Fo en regardant ce qui restait de queue au malheureux valet. Aux brancards, animal, et veille à ne point buter, ou sinon !… »
 
L'indexL’index et le médius de la main droite de Kin-Fo, rapprochés en forme de ciseaux, complétèrent si bien sa pensée, que Soun passa la bretelle à ses épaules et saisit le brancard des deux mains. Fry-Craig se postèrent des deux côtés de la brouette, et, la brise aidant, la petite troupe détala d'und’un léger trot.
 
Il faut renoncer à peindre la rage sourde et impuissante de Soun, passé à l'étatl’état de cheval ! Et cependant, souvent Craig et Fry consentirent à le relayer. Très heureusement, le vent du sud leur vint constamment en aide, et fit les trois quarts de la besogne. La brouette étant bien équilibrée par la position de la roue centrale, le travail du brancardier se réduisait à celui de l'hommel’homme de barre au gouvernail d'und’un navire : il n'avaitn’avait qu'àqu’à se maintenir en bonne direction.
 
Et c'estc’est dans cet équipage que Kin-Fo fut entrevu dans les provinces septentrionales de la Chine, marchant lorsqu'illorsqu’il sentait le besoin de se dégourdir les jambes, brouetté quand, au contraire, il voulait se reposer.
 
Ainsi Kin-Fo, après avoir évité Houan-Fou et Cafong, remonta les berges du célèbre canal Impérial, qui, il y a vingt ans à peine, avant que le fleuve jaune eût repris son ancien lit, formait une belle route navigable depuis Sou-Tchéou, le pays du thé, jusqu'àjusqu’à Péking, sur une longueur de quelques centaines de lieues.
 
Ainsi il traversa Tsinan, Ho-Kien, et pénétra dans la province de Pé-Tché-Li, où s'élèves’élève Péking, la quadruple capitale du Céleste Empire.
 
Ainsi il passa par Tien-Tsin, que défendent un mur de circonvallation et deux forts, grande cité de quatre cent mille habitants, dont le large port, formé par la jonction du Peï-ho et du canal Impérial, fait, en important des cotonnades de Manchester, des lainages, des cuivres, des fers, des allumettes allemandes, du bois de santal, etc., et en exportant des jujubes, des feuilles
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de nénuphar, du tabac de Tartarie, etc., pour cent soixante-dix millions d'affairesd’affaires. Mais Kin-Fo ne songea même pas à visiter, dans cette curieuse Tien-Tsin, la célèbre pagode des supplices infernaux ; il ne parcourut pas, dans le faubourg de l'Estl’Est, les amusantes rues des Lanternes et des Vieux-Habits ; il ne déjeuna pas au restaurant de « l'Harmoniel’Harmonie et de l'Amitiél’Amitié », tenu par le musulman Léou-Lao-Ki, dont les vins sont renommés, quoi qu'enqu’en puisse penser Mahomet ; il ne déposa pas sa grande carte rouge – et pour cause – au palais de Li-Tchong-Tang, vice-roi de la province depuis 1870, membre du Conseil privé, membre du Conseil de l'Empirel’Empire, et qui porte, avec la veste jaune, le titre de Fei-Tzé-Chao-Pao.
 
Non ! Kin-Fo, toujours brouetté, Soun toujours brouettant, traversèrent les quais où s'étageaients’étageaient des montagnes de sacs de sel ; ils dépassèrent les faubourgs ; les concessions anglaise et américaine, le champ de courses, la campagne couverte de sorgho, d'orged’orge, de sésame, de vignes, les jardins maraîchers, riches de légumes et de fruits, les plaines d'oùd’où partaient par milliers des lièvres, des perdrix, des cailles, que chassaient le faucon, l'émerillonl’émerillon et le hobereau. Tous quatre suivirent la route dallée de vingt-quatre lieues qui conduit à Péking, entre les arbres d'essencesd’essences variées et les grands roseaux du fleuve, et ils arrivèrent ainsi à Tong-Tchéou, sains et saufs, Kin-Fo valant toujours deux cent mille dollars, Craig-Fry solides comme au début du voyage, Soun poussif, éclopé, fourbu des deux jambes, et n'ayantn’ayant plus que trois pouces de queue au sommet du crâne !
 
On était au 19 juin. Le délai accordé à Wang n'expiraitn’expirait que dans sept jours !
 
Où était Wang ?
 
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