« Les Tribulations d’un Chinois en Chine/Chapitre 1 » : différence entre les versions

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<center>'''Chapitre I - '''</center>
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— Et du mauvais aussi ! répondit, entre deux quintes de toux, un autre, que le piquant d'un délicat aileron de requin avait failli étrangler !
 
— Soyons philosophes ! dit alors un personnage plus âgé, dont le nez supportait une énorme paire de lunettes à larges verres, montées sur tiges de bois. Aujourd'hui, on risque de s'étrangler, et demain tout passe comme passent les suaves gorgées de ce nectar ! C'est la vie, après tout ! »
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Soyons philosophes ! dit alors un personnage plus âgé, dont le nez supportait une énorme paire de lunettes à larges verres, montées sur tiges de bois. Aujourd'hui, on risque de s'étrangler, et demain tout passe comme passent les suaves gorgées de ce nectar ! C'est la vie, après tout ! »
 
Et cela dit, cet épicurien, d'humeur accommodante, avala un verre d'un excellent vin tiède, dont la légère vapeur s'échappait lentement d'une théière de métal.
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« Voilà bien notre ami !
 
— Peut-il parler ainsi, lorsque jamais un pli de rose n'a encore troublé son repos !
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Peut-il parler ainsi, lorsque jamais un pli de rose n'a encore troublé son repos !
 
— Et quand il est jeune !
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L'amphitryon fit un geste d'acquiescement, et retomba dans son apathie habituelle.
 
Où se tenait cette conversation ? Était-ce dans une salle à manger européenne, à Paris, à Londres, à Vienne, à Pétersbourg ? Ces six convives devisaient-ils
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dans le salon d'un restaurant de l'ancien ou du nouveau monde ? Quels étaient ces gens qui traitaient ces questions, au milieu d'un repas, sans avoir bu plus que de raison ?
En tout cas, ce n'étaient pas des Français, puisqu'ils ne parlaient pas politique !
 
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Le repas n'avait rien laissé à désirer. Qu'imaginer de plus délicat que cette cuisine à la fois propre et savante ? Le Bignon de l'endroit, sachant qu'il s'adressait à des connaisseurs, s'était surpassé dans la confection des cent cinquante plats dont se composait le menu du dîner.
 
Au début et comme entrée de jeu, figuraient des gâteaux sucrés, du caviar, des sauterelles frites, des fruits secs et des huîtres de Ning-Po. Puis se
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succédèrent, à courts intervalles, des œufs pochés de cane, de pigeon et de vanneau, des nids d'hirondelle aux œufs brouillés, des fricassées de « ging-seng », des ouïes d'esturgeon en compote, des nerfs de baleine sauce au sucre, des têtards d'eau douce, des jaunes de crabe en ragoût, des gésiers de moineau et des yeux de mouton piqués d'une pointe d'ail, des ravioles au lait de noyaux d'abricots, des matelotes d'olothuries, des pousses de bambou au jus, des salades sucrées de jeunes radicelles, etc. Ananas de Singapore, pralines d'arachides, amandes salées, mangues savoureuses, fruits du « long-yen » à chair blanche, et du « li-tchi » à pulpe pâle, châtaignes d'eau, oranges de Canton confites, formaient le dernier service d'un repas qui durait depuis trois heures, repas largement arrosé de bière, de champagne, de vin de Chao-Chigne, et dont l'inévitable riz, poussé entre les lèvres des convives à l'aide de petits bâtonnets, allait couronner au dessert la savante ordonnance.
 
Le moment vint enfin où les jeunes servantes apportèrent, non pas de ces bols à la mode européenne, qui contiennent un liquide parfumé, mais des serviettes imbibées d'eau chaude, que chacun des convives se passa sur la figure avec la plus extrême satisfaction.
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Puis, la troupe chantante et exécutante, bien payée d'avance, se retira, non sans emporter force bravos dont elle alla faire encore une importante récolte dans les salons voisins.
 
Les six convives quittèrent alors leur siège, mais uniquement pour passer
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d'une table à une autre, — ce qu'ils firent non sans grandes cérémonies et compliments de toutes sortes.
 
Sur cette seconde table, chacun trouva une petite tasse à couvercle, agrémentée du portrait de Bôdhidharama, le célèbre moine bouddhiste, debout sur son radeau légendaire. Chacun reçut aussi une pincée de thé, qu'il mit à infuser, sans sucre, dans l'eau bouillante que contenait sa tasse, et qu'il but presque aussitôt.
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En tout cas, ce à quoi ne s'attendaient ni les uns ni les autres, ce fut la communication que leur fit l'amphitryon, au moment où ils allaient enfin quitter la table. Pourquoi celui-ci les avait traités, ce jour-là, ils l'apprirent alors.
 
Les tasses étaient encore pleines. Au moment de vider la sienne pour la dernière
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fois, l'indifférent, s'accoudant sur la table, les yeux perdus dans le vague s'exprima en ces termes :
 
« Mes amis, écoutez-moi sans rire. Le sort en est jeté. Je vais introduire dans mon existence un élément nouveau, qui en dissipera peut-être la monotonie ! Sera-ce un bien, sera-ce un mal ? l'avenir me l'apprendra. Ce dîner, auquel je vous ai conviés, est mon dîner d'adieu à la vie de garçon. Dans quinze jours, je serai marié, et...
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— Je ne serai donc jamais heureux ?...
 
— Non, tant que tu n'auras pas connu le malheur !
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Non, tant que tu n'auras pas connu le malheur !
 
— Le malheur ne peut m'atteindre !
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— Ah ! ces philosophes ! s'écria le plus jeune des convives. Il ne faut pas les écouter. Ce sont des machines à théories ! Ils en fabriquent de toute sorte ! Pure camelote, qui ne vaut rien à l'user ! Marie-toi, marie-toi, ami ! J'en ferais autant, si je n'avais fait vœu de ne jamais rien faire ! Marie-toi, et, comme disent nos poètes, puissent les deux phénix t'apparaître toujours tendrement unis ! Mes amis, je bois au bonheur de notre hôte !
 
— Et moi, répondit le philosophe, je bois à la prochaine intervention de quelque divinité protectrice, qui, pour le rendre heureux, le fasse passer par l'épreuve du malheur ! »
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Et moi, répondit le philosophe, je bois à la prochaine intervention de quelque divinité protectrice, qui, pour le rendre heureux, le fasse passer par l'épreuve du malheur ! »
 
Sur ce toast assez bizarre, les convives se levèrent, rapprochèrent leurs poings comme eussent fait des boxeurs au moment de la lutte ; puis, après les avoir successivement baissés et remontés en inclinant la tête, ils prirent congé les uns des autres.
 
À la description du salon dans lequel ce repas a été donné, au menu exotique qui le composait, à l'habillement des convives, à leur manière de s'exprimer,
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peut-être aussi à la singularité de leurs théories, le lecteur a deviné qu'il s'agissait de Chinois, non de ces « Célestials » qui semblent avoir été décollés d'un paravent ou être en rupture de potiche, mais de ces modernes habitants du Céleste Empire, déjà « européennisés » par leurs études, leurs voyages, leurs fréquentes communications avec les civilisés de l'Occident.
 
En effet, c'était dans le salon d'un des bateaux-fleurs de la rivière des Perles, à Canton, que le riche Kin-Fo, accompagné de l'inséparable Wang, le philosophe, venait de traiter quatre des meilleurs amis de sa jeunesse, Pao-Shen, un mandarin de quatrième classe à bouton bleu, Yin-Pang, riche négociant en soieries de la rue des Pharmaciens, Tim le viveur endurci et Houal le lettré.
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[[Les Tribulations
== reste ==
d’un Chinois en Chine/Chapitre 2|Chapitre II]]
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