« La Débâcle/Partie 2/Chapitre V » : différence entre les versions

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le sol, les yeux fermés. Il était très pâle,
la face immobile.
–eh— eh bien ! Quoi donc ?
Mais, simplement, Maurice s’était endormi.
L’attente, la fatigue, l’avaient terrassé, malgré la
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temps il avait sommeillé. Il lui semblait sortir
d’un néant infini et délicieux.
–tiens— tiens ! Est-ce drôle, murmura-t-il, j’ai
dormi ! ...
ah ! ça m’a fait du bien.
En effet, il sentait moins, à ses tempes et à ses
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village, il ajouta que ça ne portait pas chance de
toucher aux morts : on en mourait.
–taisez— taisez-vous donc, tonnerre de dieu ! Cria le
lieutenant Rochas. Est-ce qu’on meurt !
Sur son grand cheval, le colonel De Vineuil
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reprit le blessé à son cou et l’emporta.
Alors, Maurice plaisanta Lapoulle.
–dis— dis, si le métier te plaît davantage, va donc
leur donner un coup de main !
Depuis un moment, les batteries de Saint-Menges
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C’était une pitié, d’épuiser le moral des hommes,
pendant de si longues heures, sans les employer.
–je— je n’ai pas d’ordre, répéta stoïquement le
colonel.
On vit encore le général Douay passer au galop,
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face ardente ; et, d’un grand geste de son épée,
montrant le calvaire :
–enfin— enfin, mes enfants, c’est notre tour ! ... en
avant, là-haut !
Le 106e, entraîné, s’ébranla. Une des premières, la
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tellement le feu devenait vif. Et l’on fila en
pliant l’échine.
–mon— mon petit, répétait Jean à Maurice, attention !
C’est le coup de chien...chien… ne montre pas le bout de
ton nez, car pour sûr on te le démolirait...démolirait… et
ramasse bien tes os sous ta peau, si tu ne veux pas
en laisser en route. Ceux qui en reviendront,
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Des hommes déjà retournaient en arrière, lorsque le
colonel se précipita.
–voyons— voyons, mes enfants, vous ne me ferez pas cette
peine, vous n’allez pas vous conduire comme des
lâches...lâches… souvenez-vous ! Jamais le 106e n’a
reculé, vous seriez les premiers à salir notre
drapeau…
drapeau...
il poussait son cheval, barrait le chemin aux
fuyards, trouvait des paroles pour chacun,
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dans une terrible colère, levant son épée, tapant
sur les hommes comme avec un bâton.
–sales— sales bougres, je vas vous monter là-haut à coups
de botte dans le derrière, moi ! Voulez-vous bien
obéir, ou je casse la gueule au premier qui tourne
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Mais ces violences, ces soldats menés au feu à
coups de pied, répugnaient au colonel.
–non— non, non, lieutenant, ils vont tous me
suivre...suivre… n’est-ce pas, mes enfants, vous n’allez
pas laisser votre vieux colonel se débarbouiller
tout seul avec les prussiens ? ... en avant,
là-haut !
Et il partit, et tous en effet le suivirent,
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chaleur du soleil de midi qui leur mangeait les
épaules.
–ce— ce que j’ai soif ! Bégaya Maurice. Il me semble
que j’ai de la suie dans la gorge. Tu ne sens pas
cette odeur de roussi, de laine brûlée ?
Jean hocha la tête.
–ça— ça sentait la même chose à Solférino. Peut-être
bien que c’est l’odeur de la guerre...guerre… attends,
j’ai encore de l’eau-de-vie, nous allons boire
un coup.
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croix rongée par les vents et la pluie, entre deux
maigres tilleuls.
–ah— ah ! Bon sang, nous y voilà ! Cria Jean. Mais le
tout est d’y rester !
Il avait raison, l’endroit n’était pas précisément
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les hommes se retournaient, dans l’attente de
ces canons qui n’arrivaient pas.
–c’est— c’est ridicule, ridicule ! Répétait le capitaine
Beaudoin, qui avait repris sa promenade saccadée.
On n’envoie pas ainsi un régiment en l’air, sans
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Puis, ayant aperçu un pli de terrain, sur la
gauche, il cria à Rochas :
–dites— dites donc, lieutenant, la compagnie pourrait
se terrer là.
Rochas, debout, immobile, haussa les épaules.
–oh— oh ! Mon capitaine, ici ou là-bas, allez !
La danse est la même...même… le mieux est encore
de ne pas bouger.
Alors, le capitaine Beaudoin, qui ne jurait
jamais, s’emporta.
–mais— mais, nom de dieu ! Nous allons y rester tous !
On ne peut pas se laisser détruire ainsi !
Et il s’entêta, voulut se rendre compte
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culbuta sur le dos, en jetant un cri aigu de
femme surprise.
–c’était— c’était sûr, murmura Rochas. ça ne vaut rien de
tant remuer, et ce qu’on doit gober, on le gobe.
Des hommes de la compagnie, en voyant tomber leur
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par courir jusqu’à lui, suivi aussitôt de
Maurice.
–mes— mes amis, au nom du ciel ! Ne m’abandonnez pas,
emportez-moi à l’ambulance !
–dame— dame ! Mon capitaine, ce n’est guère commode...commode…
on peut toujours essayer...essayer…
déjà, ils se concertaient pour savoir par quel bout
le prendre, lorsqu’ils aperçurent, abrités
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Il avait connu le jeune homme dès sa sortie de
Saint-Cyr, il l’aimait et se montrait très ému.
–mon— mon pauvre enfant, ayez du courage...courage… ce ne sera
rien, on vous sauvera...sauvera…
le capitaine eut un geste de soulagement, comme si
beaucoup de bravoure lui était venue enfin.
–non— non, non, c’est fini, j’aime mieux ça. Ce qui est
exaspérant, c’est d’attendre ce qu’on ne peut
éviter.
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derrière le bouquet d’arbres, où se trouvait
l’ambulance, il eut un soupir de soulagement.
–mais— mais, mon colonel, cria soudain Maurice, vous
êtes blessé, vous aussi !
Il venait d’apercevoir la botte gauche de son chef
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selle, regarda un instant son pied, qui devait
le brûler et peser lourd, au bout de sa jambe.
–oui— oui, oui, murmura-t-il, j’ai attrapé ça tout à
l’heure...l’heure… ce n’est rien, ça ne m’empêche pas de me
tenir à cheval...cheval…
et il ajouta, en retournant prendre sa place, à la
tête de son régiment :
–quand— quand on est à cheval et qu’on peut s’y tenir, ça
va toujours.
Enfin, les deux batteries de l’artillerie de
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sillon, se souleva, enthousiasmé, pour dire à
Jean :
–tiens— tiens ! Là, celle qui s’établit à gauche, c’est
la batterie d’Honoré. Je reconnais les hommes.
D’un revers de main, Jean l’avait déjà rejeté sur
le sol.
–allonge— allonge-toi donc ! Et fais le mort !
Mais tous deux, la joue collée à la terre, ne
perdirent plus de vue la batterie, très intéressés
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plateau. Et l’on entendit ce capitaine crier, après
qu’il eut rapidement fait son calcul :
–la— la hausse à seize cents mètres !
L’objectif allait être la batterie prussienne, à
gauche de Fleigneux, derrière des broussailles,
dont le feu terrible rendait le calvaire d’Illy
intenable.
–tu— tu vois, se remit à expliquer Maurice, qui ne
pouvait se taire, la pièce d’Honoré est dans la
section du centre. Le voilà qui se penche avec le
pointeur...pointeur… c’est le petit Louis, le pointeur :
nous avons bu la goutte ensemble à Vouziers,
tu te souviens ? ... et, là-bas, le conducteur de
gauche, celui qui se tient si raide sur son
porteur, une bête alezane superbe, c’est
Adolphe…
Adolphe...
la pièce avec ses six servants et son maréchal des
logis, plus loin l’avant-train et ses quatre chevaux
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poussait insensiblement la pièce plus à droite
ou plus à gauche.
–ça— ça doit y être, dit-il en se relevant.
Le capitaine, son grand corps plié en deux, vint
vérifier la hausse. à chaque pièce, l’aide-pointeur
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le fulminate. Et les ordres furent criés, par
numéros, lentement :
–première— première pièce, feu ! ... deuxième pièce,
feu ! ...
les six coups partirent, les canons reculèrent,
furent ramenés, pendant que les maréchaux des logis
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d’avoir atteint les broussailles, là-bas, où se
cachait l’artillerie ennemie.
–Honoré— Honoré, reprit Maurice, dit que les autres sont
des clous, à côté de la sienne...sienne… ah ! La sienne, il
coucherait avec, jamais on n’en trouvera la
pareille ! Vois donc de quel oeil il la couve, et
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malgré les inconvénients d’un changement de place.
Le capitaine n’hésita plus, cria l’ordre :
–amenez— amenez les avant-trains !
Et la dangereuse manœuvre s’exécuta avec une
rapidité foudroyante : les conducteurs refirent leur
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eut débarrassé les roues du cadavre d’un autre
servant, dont le sang avait éclaboussé l’affût.
–non— non, ce n’est pas le petit Louis, continua à
penser tout haut Maurice. Le voilà qui pointe, et
il doit être blessé pourtant, car il ne se sert que
de son bras gauche...gauche… ah ! Ce petit Louis, dont le
ménage allait si bien avec Adolphe, à la
condition que le servant, l’homme à pied,
malgré son instruction plus grande, serait
l’humble valet du conducteur, l’homme à cheval...cheval…
Jean, qui se taisait, l’interrompit, d’un cri
d’angoisse :
–jamais— jamais ils ne tiendront, c’est foutu !
En effet, cette seconde position, en moins de
cinq minutes, était devenue aussi intenable que la
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Alors, le cri du capitaine retentit une seconde
fois :
–amenez— amenez les avant-trains !
La manœuvre recommença, les conducteurs
galopèrent, refirent demi-tour, pour que les servants
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tandis que les servants, tout de suite, rouvraient le
feu, avec un entêtement d’héroïsme invincible.
–c’est— c’est la fin de tout ! Dit Maurice, dont la voix
se perdit.
Il semblait, en effet, que la terre et le ciel se
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héroïque. L’ordre allait être crié de se replier
définitivement.
–dépêchons— dépêchons, camarades ! Répétait Honoré. Nous
l’emmènerons au moins, et ils ne l’auront pas !
C’était son idée, sauver sa pièce, ainsi qu’on
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Le seul lieutenant qui ne fût pas mort, jeta le
commandement :
–amenez— amenez les avant-trains !
Un caisson avait sauté, avec un bruit de pièces
d’artifice qui fusent et éclatent. On dut se
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Maurice avait tout vu. Il répétait, avec un petit
grelottement d’horreur, d’une voix machinale :
–oh— oh ! Le pauvre garçon ! Le pauvre garçon !
Cette peine semblait augmenter encore la douleur
grandissante qui lui tordait l’estomac. La bête, en
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replier. D’une minute à l’autre, des masses
considérables pouvaient attaquer le plateau.
–écoute— écoute, dit-il à Jean, il faut que je mange...mange…
j’aime mieux manger et qu’on me tue tout de suite !
Il avait ouvert son sac, il prit le pain de ses
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éclatèrent à quelques mètres. Mais plus rien
n’existait, il n’y avait que sa faim à satisfaire.
–Jean— Jean, en veux-tu ?
Celui-ci le regardait, hébété, les yeux gros,
l’estomac déchiré du même besoin.
–oui— oui, tout de même, je veux bien, je souffre trop.
Ils partagèrent, ils achevèrent goulûment le pain,
sans s’inquiéter d’autre chose, tant qu’il en
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dû fuir. Alors, obligé de céder au torrent, levant
son épée, les yeux pleins de larmes :
–mes— mes enfants, cria M De Vineuil, à la garde de
Dieu qui n’a pas voulu de nous !
Des bandes de fuyards l’entouraient, il disparut
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réveillaient plus ; et il fallait les mettre
debout, les tirer de ce néant à coups de pied.
–mais— mais qu’est-ce qu’on fiche, qu’est-ce qu’on fiche
de nous ? Répétait Prosper, pour secouer cette
torpeur irrésistible.
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sonné " pied à terre ! " et le commandement des
officiers retentit :
–sanglez— sanglez les chevaux, assurez les paquetages !
Descendu de cheval, Prosper s’étira, flatta
Zéphir de la main. Ce pauvre Zéphir, il était
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agita le bras, là-bas, vers l’ennemi.
La clameur grandissait toujours.
–notre général...notre général… vengeons-le, vengeons-le !
Alors, le colonel du premier régiment, levant en
l’air son sabre, cria d’une voix de tonnerre :
— chargez !
–chargez !
Les trompettes sonnaient, la masse s’ébranla,
d’abord au trot. Prosper se trouvait au premier
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Maurice et Jean, qui avaient suivi l’héroïque
galop des escadrons, eurent un cri de colère :
–tonnerre— tonnerre de dieu, ça ne sert à rien d’être brave !
Et ils continuèrent à décharger leur chassepot,
accroupis derrière les broussailles du petit
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se rejoindre, fermant la boucle.
Jean, tout d’un coup, fut renversé.
–j’ai— j’ai mon affaire, bégaya-t-il.
Il avait reçu, sur le sommet de la tête, comme un
fort coup de marteau, et son képi, déchiré,
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replier. Une compagnie prussienne n’était plus qu’à
deux ou trois cents mètres. On allait être pris.
–ne— ne vous pressez pas, retournez-vous et lâchez
votre coup...coup… nous nous rallierons là-bas,
derrière ce petit mur.
Mais Maurice se désespérait.
–mon— mon lieutenant, nous n’allons pas laisser là notre
caporal ?
–s’il— s’il a son compte, que voulez-vous y faire ?
–non— non, non ! Il respire...respire… emportons-le !
D’un haussement d’épaules, Rochas sembla dire
qu’on ne pouvait s’embarrasser de tous ceux qui
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comptent plus. Alors, suppliant, Maurice s’adressa à
Pache et à Lapoulle.
–voyons— voyons, donnez-moi un coup de main. Je suis trop
faible, à moi tout seul.
Ils ne l’écoutaient pas, ne l’entendaient pas, ne