« La Débâcle/Partie 3/Chapitre II » : différence entre les versions

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bavarois, qui fumait, tranquillement assis à
califourchon sur une chaise.
–le— le 106e de ligne, monsieur, par où faut-il
passer ?
L’officier, par exception, ne comprenait-il pas le
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troupeaux, au seuil des bergeries, contre la porte.
Jean eut un cri de joie.
–ah— ah ! C’est toi enfin ! Je t’ai cru dans la
rivière !
Il était là, avec ce qui restait de l’escouade,
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par petits groupes, chantant d’une voix lente
et haute, pour célébrer le dimanche.
–ah— ah ! Ces musiques ! Finit par crier Maurice
exaspéré. Elles m’entrent dans la peau !
Moins nerveux, Jean haussa les épaules.
–dame— dame ! Ils ont des raisons pour être contents. Et
puis, peut-être qu’ils croient nous distraire...distraire… la
journée n’a pas été mauvaise, ne nous plaignons pas.
Mais, à la tombée du jour, la pluie recommença.
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le hangar, Jean, malgré son calme habituel,
s’emportait.
–est— est-ce qu’ils se fichent de nous, à sonner,
quand il n’y a rien ? Du tonnerre de dieu si je me
dérange encore !
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de folie, galopaient, se perdaient au travers
des champs vides de la presqu’île.
–encore— encore de la viande pour les corbeaux ! Disait
douloureusement Maurice, qui se rappelait la
quantité inquiétante de chevaux, rencontrée par lui.
Si nous restons quelques jours, nous allons tous nous
dévorer...dévorer… ah ! Les pauvres bêtes !
La nuit du mardi au mercredi fut surtout terrible.
Et Jean qui commençait à s’inquiéter sérieusement
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Aussi, après cette nuit affreuse, Jean mit-il à
exécution une idée qui le hantait.
–écoute— écoute, mon petit, puisqu’on ne nous donne rien à
manger et qu’on nous oublie dans ce sacré trou,
faut pourtant se remuer un peu, si l’on ne veut pas
crever comme des chiens...chiens… as-tu encore des
jambes ?
Heureusement, le soleil avait reparu, et Maurice en
était tout réchauffé.
–mais— mais oui, j’ai des jambes !
–alors— alors, nous allons partir à la découverte...découverte… nous
avons de l’argent, c’est bien le diable si nous ne
trouvons pas quelque chose à acheter. Et ne nous
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Trois zouaves appelèrent Maurice et Jean. à cinq,
on ferait de la besogne.
–venez donc...venez donc… y a des chevaux qui claquent, et si
on avait seulement du bois sec...sec…
puis, ils se ruèrent sur une maison de paysan,
cassèrent les portes des armoires, arrachèrent le
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Iges aussi misérables et affamés que les soldats,
regretta d’avoir dédaigné la farine, au moulin.
–faut— faut retourner, peut-être qu’il y en a encore.
Mais Maurice commençait à être si las, si épuisé
d’inanition, que Jean le laissa dans un trou des
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Puis, comme Jean proposait de rester là
l’après-midi, Maurice eut un geste violent.
–non— non, non, pas là ! ... j’en tomberais malade,
d’avoir ça longtemps sous les yeux...yeux…
de sa main tremblante, il indiquait l’horizon
immense,
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bois de la Garenne, ces champs exécrables du
massacre et de la défaite.
–tout— tout à l’heure, pendant que je t’attendais, j’ai
dû me décider à tourner le dos, car j’aurais fini
par hurler de rage, oui ! Hurler comme un chien
qu’on exaspère...exaspère… tu ne peux t’imaginer le mal que ça
me fait, ça me rend fou !
Jean le regardait, étonné de cet orgueil saignant,
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égarement de folie qu’il avait remarqué déjà. Il
affecta de plaisanter.
–bon— bon ! C’est facile, nous allons changer de pays.
Alors, ils errèrent jusqu’à la fin du jour, au
hasard des sentiers. Ils visitèrent la partie
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comploter là quelque mauvais coup. Loubet, tout de
suite, les appela, et Chouteau leur dit :
–c’est— c’est par rapport au dîner de ce soir...soir… nous
allons crever, voici trente-six heures que nous ne
nous sommes rien mis dans le ventre...ventre… alors, comme
il y a là des chevaux, et que ce n’est pas
mauvais, la viande des chevaux...chevaux…
–n’est— n’est-ce pas ? Caporal, vous en êtes, continua
Loubet, parce que plus nous serons, mieux ça
vaudra, avec une si grosse bête...bête… tenez ! Il y en
a un, là-bas, que nous guettons depuis une heure,
ce grand rouge qui a l’air malade. Ce sera plus
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moments la tête, promenait ses yeux mornes,
avec un grand souffle triste.
–ah— ah ! Comme c’est long ! Grogna Lapoulle, que son
gros appétit torturait. Je vas l’assommer,
voulez-vous ?
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les quatre, ils étaient dans le fossé, à guetter,
les yeux luisants, ne quittant pas la bête.
–caporal— caporal, demanda Pache, d’une voix un peu
tremblante, vous qui avez de l’idée, si vous pouviez
le tuer sans lui faire du mal ?
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ragaillardir un peu à l’espoir qu’on dînerait, il
dit lui-même de son air de bonne humeur :
–ma— ma foi, non, je n’ai pas d’idée, et s’il faut
le tuer, sans lui faire du mal...mal…
–oh— oh ! Moi, je m’en fiche, interrompit Lapoulle.
Vous allez voir !
Quand les deux nouveaux venus se furent assis dans le
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regardant de toutes parts, avec une inquiétude
effarée, si personne ne les voyait.
–ah— ah ! Zut ! Cria Chouteau, c’est le moment !
La campagne restait claire, d’une clarté louche
d’entre chien et loup. Et Lapoulle courut le
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trop, les coups ne portaient plus, Lapoulle
ne pouvait le finir.
–nom— nom de dieu ! Qu’il a les os durs ! ... tenez-le
donc, que je le crève !
Jean et Maurice, glacés, n’entendaient pas les
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genoux, joignit les mains, se mit à bégayer des
prières, comme on en dit au chevet des agonisants.
–seigneur— seigneur, prenez pitié de lui...lui…
une fois encore, Lapoulle frappa à faux,
n’enleva qu’une oreille au misérable cheval,
qui se renversa, avec un grand cri.
–attends— attends, attends ! Gronda Chouteau. Il faut en
finir, il nous ferait pincer...pincer… ne le lâche pas,
Loubet !
Dans sa poche, il venait de prendre son couteau,
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les hommes hagards qui attendaient qu’il fût mort.
Ils se troublèrent et s’éteignirent.
–mon— mon dieu, bégayait Pache toujours à genoux,
secourez-le, ayez-le en votre sainte garde...garde…
ensuite, quand il ne remua plus, ce fut un gros
embarras, pour en tirer un bon morceau. Loubet,
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des loups qui fouillaient à pleins crocs la
carcasse d’une proie.
–je— je ne sais pas bien quel morceau ça peut être,
dit enfin Loubet en se relevant, les bras chargés
d’un lambeau énorme de viande. Mais voilà tout de
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haleine, comme poursuivis.
Tout d’un coup, Loubet arrêta les autres.
–c’est— c’est bête, faudrait savoir où nous allons faire
cuire ça.
Jean, qui se calmait, proposa les carrières. Elles
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l’eau de la Meuse, dont la berge se trouvait
de l’autre côté de la route.
–j’y— j’y vas avec la marmite, proposa Jean.
Tous se récrièrent.
–ah— ah ! Non ! Nous ne voulons pas être empoisonnés,
c’est plein de morts !
La Meuse, en effet, roulait des cadavres d’hommes
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que l’eau, après avoir bouilli, ne serait plus
dangereuse.
–alors— alors, j’y vas, répéta Jean, qui emmena
Lapoulle. Lorsque la marmite fut enfin au feu,
pleine d’eau,
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de drap eût pu lui-même se rendre compte de cet
arrachement.
–ah— ah ! Mes pauvres amis ! Balbutia-t-il, stupéfait,
bouleversé, lui qui arrivait le sourire aux lèvres,
l’air bonhomme et pas fier, dans son désir de
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accablement, bien que sa mère continuât à lui
tenir compagnie du matin au soir.
–et— et ma sœur ? Demanda Maurice.
–votre— votre sœur, c’est vrai ! ... elle m’accompagnait,
c’était elle qui portait les deux pains.
Seulement, elle a dû rester là-bas, de l’autre
côté du canal. Jamais le poste n’a consenti
à la laisser passer...passer… vous savez que les prussiens
ont rigoureusement interdit aux femmes l’entrée
de la presqu’île.
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morgue de l’ennemi héréditaire, grandi dans
la haine de la race qu’il châtiait.
–enfin— enfin, conclut Delaherche, vous aurez toujours
mangé, ce soir ; et ce qui me désespère, c’est que
je crains bien de ne pouvoir obtenir une autre
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Puis, comme Maurice et Jean l’accompagnaient
jusqu’au pont, Delaherche s’écria :
–mais— mais, tenez ! La voici là-bas, Henriette ! ... vous
la voyez bien qui agite son mouchoir.
Au delà de la ligne des sentinelles, en effet,
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surtout. Hein ? Quel sale individu, s’il avait à
manger, de ne pas partager avec les camarades !
–vous— vous ne savez pas, ce soir, nous allons le
suivre...suivre… nous verrons s’il ose s’emplir tout seul,
quand de pauvres bougres crèvent à côté de lui.
–oui— oui, oui ! C’est ça, nous le suivrons ! Répéta
violemment Lapoulle. Nous verrons bien !
Il serrait les poings, le seul espoir de manger
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arbres de la tour à Glaire, et les trois autres,
prudemment, filèrent derrière lui.
–faut— faut pas qu’il se doute, répétait Chouteau.
Méfiez-vous, s’il se retourne.
Mais, cent pas plus loin, Pache, évidemment, se
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ses provisions, il avait encore de quoi faire
un repas.
–nom— nom de dieu de cafard ! Hurla Lapoulle, voilà
donc pourquoi tu te caches ! ... tu vas me donner
ça, c’est ma part !
Donner son pain, pourquoi donc ? Si chétif qu’il
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le morceau de toutes ses forces sur son cœur. Lui
aussi avait faim.
–fiche— fiche-moi la paix, entends-tu ! C’est à moi !
Puis, devant le poing levé de Lapoulle, il prit
sa course, galopant, dévalant des carrières dans
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jurant, hurlant, fouettés par la course, pareils
à des loups lâchés sur une proie.
–donne— donne ça, nom de dieu ! Cria Lapoulle, ou je te
fais ton affaire !
Et il levait de nouveau le poing, lorsque Chouteau
lui passa, grand ouvert, le couteau mince, qui lui
avait servi à saigner le cheval.
–tiens— tiens ! Le couteau !
Mais Jean s’était précipité, pour empêcher un
malheur, perdant la tête lui aussi, parlant de les
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puisqu’il n’y avait plus de chefs et que les
prussiens seuls commandaient.
–tonnerre— tonnerre de dieu ! Répétait Lapoulle, veux-tu
me donner ça !
Malgré la terreur dont il était blême, Pache
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son obstination de paysan affamé qui ne lâche rien
de ce qui est à lui.
–non— non !
Alors, ce fut fini, la brute lui planta le couteau
dans la gorge, si violemment, que le misérable ne
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Dans sa révolte, Maurice, lui aussi, disait à
Jean :
–écoute— écoute, je ne puis plus rester. Je t’assure que je
vais devenir fou...fou… ça m’étonne que le corps ait
résisté, je ne me porte pas trop mal. Mais la
tête déménage, oui ! Elle déménage, c’est
certain. Si tu me laisses encore un jour dans
cet enfer, je suis perdu...perdu… je t’en prie, partons,
partons tout de suite !
Et il se mit à lui expliquer des plans
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à prix d’argent, revêtiraient leurs uniformes,
pour franchir les lignes prussiennes.
–mon— mon petit, tais-toi ! Répétait Jean désespéré,
ça me fait peur de t’entendre dire des bêtises.
Est-ce que c’est raisonnable, est-ce que c’est
possible, tout ça ? ... demain, nous verrons.
Tais-toi !
Lui, bien qu’il eût également le cœur abreuvé de
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larmes, suppliant et grondant. Puis, tout d’un
coup :
–tiens— tiens ! Regarde !
Un clapotement d’eau venait de se faire entendre.
Ils virent Lapoulle, qui s’était décidé à se
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Lorsque l’aube parut, l’un des soldats était mort,
l’autre râlait toujours.
–allons— allons, viens, mon petit, dit Jean avec
douceur. Nous allons prendre l’air, ça vaudra mieux.
Mais, dehors, par la belle matinée déjà chaude,
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Saint-Menges à gauche, le bois de la Garenne à
droite.
–non— non, non ! Je ne peux plus, je ne peux plus voir
ça ! C’est d’avoir ça devant moi qui me troue
le cœur et me fend le crâne...crâne… emmène-moi,
emmène-moi tout de suite !
Ce jour-là était encore un dimanche, des volées de