« La Terre/Troisième partie/6 » : différence entre les versions
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Pourtant, le lendemain matin, lorsque Jean retourna à la machine, la peur le prit. Jamais il n’aurait osé risquer la démarche s’il n’avait vu Buteau et Françoise partir ensemble pour les champs. Il songea que Lise lui avait toujours été favorable, qu’il tremblerait moins avec elle ; et il s’échappa un instant, après avoir confié ses chevaux à un camarade.
Il s’excusa. Puis, en hâte, avec la brutalité des gens timides, il aborda la chose ; et elle put croire d’abord qu’il lui faisait une déclaration, car il lui rappelait qu’il l’avait aimée, qu’il l’aurait eue volontiers pour femme. Mais, tout de suite, il ajouta :
Elle le regarda, tellement surprise, qu’il se mit à bégayer.
Il était venu avec le projet formel de tout dire, dans l’espoir de rendre le mariage nécessaire. Mais un scrupule, au dernier moment, l’arrêta. Si Françoise ne s’était pas confessée à sa sœur, si personne ne savait rien, avait-il le droit de parler le premier ? Cela le découragea, il eut honte, à cause de ses trente-trois ans.
D’ailleurs, Lise, son étonnement passé, le regardait de son air réjoui ; et la chose, évidemment, ne lui déplaisait pas. Même elle fut tout à fait engageante.
C’était un cri qui lui échappait, cette désunion lente, grandie invinciblement entre elle et sa cadette, cette hostilité aggravée par les petites blessures de chaque jour, un sourd ferment de jalousie et de haine couvant depuis qu’un homme était là, avec ses volontés et ses appétits de mâle.
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Jean, heureux, lui mit un gros baiser sur chaque joue, lorsqu’elle eut ajouté :
Et il rejoignit ses chevaux à grandes enjambées, il les poussa tout le jour, en faisant chanter son fouet, dont les claquements partaient comme des coups de feu, au matin d’une fête.
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Le mardi, à deux heures précises, l’abbé Godard était à l’église, essoufflé de sa course, mouillé par une averse brusque. Personne n’était encore arrivé. Il n’y avait qu’Hilarion, à l’entrée de la nef, en train de déblayer un coin du baptistère, encombré de vieilles dalles rompues, qu’on avait toujours vues là. Depuis la mort de sa sœur, l’infirme vivait de la charité publique, et le curé, qui lui glissait de temps en temps des pièces de vingt sous, avait eu l’idée de l’occuper à ce nettoyage, vingt fois résolu et sans cesse remis. Pendant quelques minutes, il s’intéressa à ce travail. Puis, il eut un premier sursaut de colère.
Comme il regardait, de l’autre côté de la place, la maison des Buteau, muette, l’air endormi, il aperçut le garde champêtre qui attendait sous le porche, en fumant sa pipe.
Bécu se pendit à la corde de la cloche, très ivre, comme toujours. Le curé était allé mettre son surplis. Dès le dimanche, il avait préparé l’acte sur le registre, et il comptait expédier la cérémonie seul, sans l’aide des enfants de chœur, qui le faisaient damner. Lorsque tout se trouva prêt, il s’impatienta de nouveau. Dix autres minutes s’étaient écoulées, la cloche continuait de sonner, entêtée, exaspérante, dans le grand silence du village désert.
Enfin, il vit sortir, de chez les Buteau, la Grande, qui marchait de son air de vieille reine méchante, aussi droite et sèche qu’un chardon, malgré ses quatre-vingt-cinq ans. Un gros ennui effarait la famille : tous les invités étaient là, sauf la marraine, qu’on attendait vainement depuis le matin ; et M. Charles, confondu, répétait sans cesse que c’était bien étonnant, qu’il avait encore reçu une lettre la veille au soir, que sûrement Mme Charles, retenue peut-être à Cloyes, allait arriver d’un instant à l’autre. Lise, inquiète, sachant que le curé n’aimait guère attendre, avait fini par avoir l’idée de lui envoyer la Grande, pour le faire patienter.
Justement, Hilarion sortait les derniers débris de dalles, et il passa, portant contre son ventre une pierre énorme. Il se balançait sur ses jambes torses, mais il ne fléchissait pas, d’une solidité de roc, d’une force musculaire à charrier un bœuf. Son bec-de-lièvre salivait, sans qu’une goutte de sueur mouillât sa peau dure.
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L’abbé Godard, outré du flegme de la Grande, tomba sur elle.
Elle répliqua rudement :
Au mot d’enfer, la Grande avait eu un mince sourire. Comme elle le disait, elle en savait trop, l’enfer était sur cette terre, pour le pauvre monde. Mais la vue d’Hilarion portant les dalles la faisait réfléchir, plus que les menaces du prêtre. Elle était surprise, jamais elle ne l’aurait cru si fort, avec ses jambes en manches de veste.
Hilarion, qui avait compris, se mit à trembler tellement, qu’il faillit s’écraser les pieds, en laissant tomber son dernier morceau de dalle, dehors. Et il eut, quand il s’éloigna, un regard furtif sur sa grand-mère, un regard d’animal battu, épouvanté et soumis.
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Une demi-heure encore se passa. Bécu, las de sonner, fumait de nouveau sa pipe. Et la Grande, muette, imperturbable, restait là, comme si sa présence eût suffi à la politesse qu’on devait au curé ; pendant que celui-ci, dont l’exaspération montait, allait à chaque instant, sur la porte de l’église, jeter, au travers de la place vide, un regard flamboyant vers la maison des Buteau.
Alors, dans la reprise affolée de la cloche, qui fit envoler et croasser les corbeaux centenaires, on vit les Buteau et leur monde sortir un à un, puis traverser la place. Lise était consternée, la marraine n’arrivait toujours pas. On avait décidé de se rendre doucement à l’église, avec l’espoir que cela la ferait venir. Il n’y avait pas cent mètres, l’abbé Godard les bouscula tout de suite.
Et il les poussait vers le baptistère, la mère qui portait le nouveau-né, le père, le grand-père Fouan, l’oncle Delhomme, la tante Fanny, jusqu’à M. Charles, très digne en parrain, dans sa redingote noire.
L’abbé Godard devint rouge, à faire craindre un coup de sang. Il étouffait, il bégaya :
Tous se regardèrent, Delhomme et Fanny hochèrent la tête, Fouan déclara :
L’abbé Godard eut un sursaut, jeté hors de lui, perdant cette fois toute mesure.
Et il éclata.
Ils écoutaient tous, curieusement, avec la parfaite indifférence, au fond, de gens pratiques qui ne craignaient plus son Dieu de colère et de châtiment. A quoi bon trembler et s’aplatir, acheter le pardon, puisque l’idée du diable les faisait rire désormais, et qu’ils avaient cessé de croire le vent, la grêle, le tonnerre, aux mains d’un maître vengeur ? C’était bien sûr du temps perdu, valait mieux garder son respect pour les gendarmes du gouvernement, qui étaient les plus forts.
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L’abbé Godard vit Buteau goguenard, la Grande dédaigneuse, Delhomme et Fouan eux-mêmes très froids, sous la déférence de leur gravité ; et ce peuple qui lui échappait acheva la rupture.
Il courut arracher son surplis, il retraversa l’église et s’en alla, dans un tel coup de tempête, que les gens du baptême, laissés ainsi en détresse, n’eurent pas le temps d’ajouter une parole, béants, les yeux écarquillés.
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Mais le pis fut qu’à ce moment, comme l’abbé Godard dévalait dans la nouvelle rue à Macqueron, on vit arriver par la route une carriole, où se trouvaient Mme Charles et Élodie. La première expliqua qu’elle s’était arrêtée à Châteaudun, désireuse d’embrasser la chère petite, et qu’on lui avait permis de l’emmener en vacances, deux jours. Elle se montrait désolée du retard, elle n’avait pas même poussé jusqu’à Roseblanche pour déposer sa malle.
Buteau prit sa course, et on l’entendit à son tour descendre au galop la rue à Macqueron. Mais l’abbé Godard avait de l’avance, le père passa le pont, monta la côte, ne l’aperçut qu’à la crête, au détour du chemin.
Il finit par se retourner et attendre.
Un instant, il resta immobile. Puis, du même pas rageur, il se mit à redescendre la côte, derrière le paysan ; et ce fut ainsi qu’ils rentrèrent dans l’église, sans avoir échangé un mot. La cérémonie fut bâclée, le prêtre bouscula le Credo du parrain et de la marraine, oignit l’enfant, appliqua le sel, versa l’eau, violemment. Déjà, il faisait signer sur le registre.
Il eut un geste de remerciement, il partit, après avoir répété, en se tournant vers tous :
Les Buteau et leur monde, essoufflés d’avoir été menés d’un tel train, le regardèrent disparaître au coin de la place, dans l’envolement noir de sa soutane. Tout le village était aux champs, il n’y avait là que trois gamins, convoitant des dragées. Au milieu du grand silence, on entendait le ronflement lointain de la batteuse à vapeur, qui ne cessait pas.
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Dès qu’on fut rentré chez les Buteau, à la porte desquels la carriole était restée avec la malle, on tomba d’accord qu’on allait boire un coup, puis qu’on reviendrait dîner le soir. Il n’était que quatre heures, qu’est-ce qu’on aurait fait ensemble, jusqu’à sept ? Alors, quand les verres et les deux litres furent sur la table de la cuisine, Mme Charles voulut absolument qu’on descendît la malle, pour faire ses cadeaux. Elle l’ouvrit, en tira la robe et le bonnet qui arrivaient un peu tard, sortit ensuite les six boîtes de bonbons qu’elle donnait à l’accouchée.
Mme Charles eut une seconde d’embarras. Puis, tranquillement :
Et, se tournant vers Lise :
Au mot de linge, la famille s’était approchée, Françoise, la Grande, les Delhomme, Fouan lui-même ; et, en cercle autour de la malle, ils regardaient la vieille dame déballer tout un lot de chiffons, blancs du lavage, exhalant, malgré la lessive, une odeur persistante de musc.
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Mme Charles dépliait, secouait, expliquait.
Tous y mettaient le nez, et ils tâtaient avec des hochements de tête approbateurs, les femmes surtout, la Grande et Fanny, dont les lèvres pincées disaient l’envie sourde. Buteau, lui, avait un rire silencieux, aiguisé des gaudrioles qu’il retenait, par convenance ; tandis que Fouan et Delhomme, très graves, montraient le respect du linge, la vraie richesse après la terre.
Cette fois, on s’égayait ouvertement, lorsque la petite Élodie, qui avait suivi des yeux chaque drap, chaque chemise, s’écria :
Mme Charles n’eut pas une hésitation.
Dès que Lise eut tout fait disparaître dans son armoire, avec l’aide de Françoise, on trinqua enfin, on but à la santé de l’enfant baptisée, que la marraine avait nommée Laure, de son prénom. Puis, l’on s’oublia un instant, à causer ; et l’on entendit M. Charles, assis sur la malle, interroger Mme Charles, sans attendre d’être seul avec elle, dans l’impatience où il était de savoir comment les choses marchaient, là-bas. Il se passionnait encore, il rêvait toujours de cette maison, si énergiquement fondée autrefois, tant regrettée depuis. Les nouvelles n’étaient pas bonnes. Certes, leur fille Estelle avait de la poigne et de la tête ; mais, décidément, leur gendre Vaucogne, ce mollasson d’Achille, ne la secondait pas. Il passait les journées à fumer des pipes, il laissait tout salir, tout casser : ainsi les rideaux des chambres avaient des taches, la glace du petit salon rouge était fêlée, partout les pots à eau et les cuvettes s’ébréchaient, sans qu’il intervînt seulement ; et le bras d’un homme était si nécessaire, pour faire respecter le mobilier de la maison ! A chaque nouveau dégât qu’il apprenait ainsi, M. Charles poussait un soupir, ses bras tombaient, sa pâleur augmentait. Une dernière plainte, murmurée à voix plus basse, l’acheva.
M. Charles, tremblant, serra les poings, dans un élan d’indignation exaspérée.
D’un geste, Mme Charles le fit taire, car Élodie revenait de la cour, où elle était allée voir les poules. On vida encore un litre, la malle fut rechargée dans la carriole, que les Charles suivirent à pied, jusque chez eux. Et chacun partit, pour donner un coup d’œil à sa maison, en attendant le repas.
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Dès qu’il fut seul, Buteau, mécontent de cette après-midi perdue, ôta sa veste et se mit à battre, dans le coin pavé de la cour ; car il avait besoin d’un sac de blé. Mais il s’ennuya vite à battre seul, il lui manquait, pour s’échauffer, la cadence double, des fléaux, tapant en mesure ; et il appela Françoise, qui l’aidait souvent à cette besogne, les reins forts, les bras aussi durs que ceux d’un garçon. Malgré la lenteur et la fatigue de ce battage primitif, il avait toujours refusé d’acheter une batteuse à manège, en disant, comme tous les petits propriétaires, qu’il préférait ne battre qu’au jour le jour, suivant les nécessités.
Lise, le nez dans un ragoût de veau aux carottes, et qui avait chargé sa sœur de surveiller une épinée de cochon à la broche, voulut empêcher celle-ci d’obéir. Mais Buteau, mal planté, parla de les rosser toutes les deux.
Françoise, qui s’était déjà remise en souillon, de crainte d’attraper des taches, dut le suivre. Elle prit un fléau, au long manche et au battoir de cornouiller, que des boucles de cuir reliaient entre eux. C’était le sien, poli par le frottement, garni d’une ficelle serrée, pour qu’il ne glissât pas. A deux mains, elle le fit voler au-dessus de sa tête, l’abattit sur la gerbe, que le battoir, dans toute sa longueur, frappa d’un coup sec. Et elle ne s’arrêta plus, le relevant très haut, le repliant comme sur une charnière, le rabattant ensuite, dans un mouvement mécanique et rythmé de forgeron ; tandis que Buteau, en face d’elle, allait de même, à contretemps. Bientôt, ils s’échauffèrent, le rythme s’accéléra, on ne vit plus que ces pièces de bois volantes, qui rebondissaient chaque fois et tournoyaient derrière leur nuque, en un continuel essor d’oiseaux liés aux pattes.
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A sept heures moins un quart, au jour tombant, Fouan et les Delhomme se présentèrent.
Elle ne lâchait pas, tapait plus dur, dans l’emportement du travail et du bruit. Et ce fut ainsi que Jean, qui arrivait à son tour avec la permission de dîner dehors, les trouva. Il en éprouva une jalousie brusque, il les regarda comme s’il les surprenait ensemble, accouplés dans cette besogne chaude, d’accord pour cogner juste, au bon endroit, tous les deux en sueur, si échauffés, si défaits, qu’on les aurait dits en train plutôt de planter un enfant que de battre du blé. Peut-être Françoise, qui y allait d’un tel cœur, eut la même sensation, car elle s’arrêta net, gênée. Buteau, s’étant retourné alors, demeura un instant immobile de surprise et de colère.
Mais Lise, justement, descendait au-devant de Fouan et des Delhomme. Elle s’approcha avec eux, elle s’écria de son air gai :
La face enflammée de son mari devint si terrible, qu’elle ajouta, voulant s’excuser :
Jean rougissait, et il balbutia, très contrarié que la chose s’engageât de la sorte, si vite, devant tous. Du reste, Buteau l’interrompit violemment, le regard rieur que sa femme jetait sur Françoise ayant suffi à le renseigner.
Cet accueil brutal rendit à Jean son courage. Il tourna le dos, il s’adressa au vieux.
Françoise, qui tenait encore son fléau, le laissa tomber de saisissement. Elle devait pourtant s’y attendre ; mais jamais elle n’aurait pensé que Jean oserait la demander ainsi, tout de suite. Pourquoi ne lui en avait-il pas causé d’abord ? Ça la bousculait, elle n’aurait pu dire si elle tremblait d’espoir ou de crainte. Et, toute vibrante de travail, la gorge soulevée dans son corsage défait, elle était entre les deux hommes, chaude d’une telle poussée de sang, qu’ils en sentaient venir le rayonnement jusqu’à eux.
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Buteau ne laissa pas à Fouan le temps de répondre. Il avait repris, avec une fureur croissante :
Jean commençait à se fâcher.
Et il se tourna vers Françoise, pour qu’elle se prononçât. Mais elle restait effarée, raidie, sans avoir l’air de comprendre. Elle ne pouvait pas dire non, elle ne dit pas oui, pourtant. Buteau, d’ailleurs, la regardait à la tuer, à lui enfoncer le oui dans la gorge. Si elle se mariait, il la perdait, il perdait aussi la terre. La pensée brusque de cette conséquence acheva de l’enrager.
Toute sa haine de l’ouvrier des villes éclatait.
Alors, Buteau vit que la chose allait être faite, si la jeune fille parlait. Ce qu’il redoutait surtout, c’était que, la liaison étant connue, le mariage fût regardé comme raisonnable. Justement, la Grande entrait dans la cour, suivie des Charles, qui revenaient avec Élodie. Et il les appela du geste, sans savoir encore ce qu’il dirait. Puis, la face gonflée, il trouva, il gueula, en menaçant du poing sa femme et sa belle-sœur :
Béants, les Charles reçurent les mots à la volée, en plein visage. Mme Charles se précipita, comme pour couvrir de son corps Élodie qui écoutait, puis, la poussant vers le potager, elle cria elle-même très fort :
Cette audace enragée paralysait, étourdissait Jean. Pouvait-il expliquer maintenant qu’il avait eu Françoise ? ça lui semblait sale, surtout si elle ne l’aidait pas. Les autres d’ailleurs, les Delhomme, Fouan, la Grande, se tenaient sur la réserve. Ils n’avaient pas eu l’air surpris, ils pensaient, évidemment, que, si le gaillard couchait avec les deux, il était bien le maître de faire d’elles ce qu’il voulait. Quand on a des droits, on les fait valoir.
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Dès lors, Buteau se sentit victorieux, dans sa force indiscutée de la possession. Il se tourna vers Jean.
Il ramassa son fléau, il en fit tournoyer le battoir, et Jean n’eut que le temps de saisir l’autre fléau, celui de Françoise, pour se défendre. Il y eut des cris, on voulut se jeter entre eux ; mais ils étaient si terribles, qu’on recula. Les grands manches portaient les coups à plusieurs mètres, la cour en était balayée. Eux seuls restèrent, au milieu, à distance l’un de l’autre, élargissant le cercle de leurs moulinets. Ils ne disaient plus un mot, les dents serrées. On n’entendait que les claquements secs des pièces de bois, à chaque parade.
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Delhomme et Fouan, pourtant, se précipitaient, lorsque les femmes crièrent. Jean venait de rouler dans la paille, pris en traître par Buteau, qui, d’un coup de fouet, à ras de terre, heureusement amorti, l’avait touché aux jambes. Il se remit debout, il brandit son fléau dans une rage que décuplait la douleur. Le battoir décrivit un large cercle, tomba à droite, lorsque l’autre l’attendait à gauche. Quelques lignes de plus, et la cervelle sautait. Il n’y eut que l’oreille d’effleurée. Le coup, obliquant, tapa en plein sur le bras, qui fut cassé net. L’os avait eu un bruit de verre qu’on brise.
Jean, hagard, les yeux rougis de sang, lâcha son arme. Puis, un moment, il les regarda tous, comme hébété des choses qui venaient de se passer là, si rapides ; et il s’en alla, en boitant, avec un geste de furieux désespoir.
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Quand il eut tourné le coin de la maison, vers la plaine, il aperçut la Trouille, qui avait assisté à la bataille, par-dessus la haie du jardin. Elle en riait encore, venue là pour rôder autour de ce baptême, auquel ni son père ni elle n’étaient invités. Ce qu’il en rigolerait, Jésus-Christ, de la petite fête de famille, de la patte cassée à son frère ! Elle se tortillait comme si on l’eût chatouillée, près de tomber sur le dos, tant ça l’amusait.
Il ne répondit pas, ralentissant sa marche d’un air accablé. Et elle le suivit, elle siffla ses oies, qu’elle avait emmenées, pour avoir le prétexte de stationner et d’écouter derrière les murs. Lui, machinalement, retournait vers la batteuse, qui fonctionnait encore dans le jour finissant. Il songeait que c’était fichu, qu’il ne pourrait revoir les Buteau, que jamais on ne lui donnerait Françoise. Était-ce bête ! dix minutes venaient de suffire : une querelle qu’il n’avait pas cherchée, un coup si malheureux, juste au moment où les choses marchaient ! et jamais, jamais plus, maintenant ! Le ronflement de la machine, au fond du crépuscule, se prolongeait comme une grande plainte de détresse.
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