« Boileau - Œuvres poétiques/L’Art poétique/Chant II » : différence entre les versions
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Version du 12 mars 2005 à 14:27
- Telle qu'une bergère, au plus beau jour de fête,
- De superbes rubis ne charge point sa tête,
- Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,
- Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements
- Telle, aimable en son air, mais humble dans son style,
- Doit éclater sans pompe une élégante Idylle.
- Son tour, simple et naïf, n'a rien de fastueux
- Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
- Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
- Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.
- Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois
- Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois ;
- Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète,
- Au milieu d'une églogue entonne la trompette.
- De peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux ;
- Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux.
- Au contraire cet autre, abject en son langage,
- Fait parler ses bergers comme on parle au village.
- Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
- Toujours baisent la terre et rampent tristement :
- On dirait que RONSARD, sur ses pipeaux rustiques,
- Vient encor fredonner ses idylles gothiques,
- Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
- Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon.
- Entre ces deux excès la route est difficile.
- Suivez, pour la trouver, THÉOCRITE et VIRGILE
- Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés,
- Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés.
- Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre
- Par quel art, sans bassesse un auteur peut descendre ;
- Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ;
- Au combat de la flûte animer deux bergers ;
- Des plaisirs de l'amour vanter la douce amorce ;
- Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d'écorce ;
- Et par quel art encor l'églogue, quelquefois,
- Rend dignes d'un consul la campagne et les bois.
- Telle est de ce poème et la force et la grâce.
- D'un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace,
- La plaintive Élégie en longs habits de deuil,
- Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil.
- Elle peint des amants la joie et la tristesse,
- Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse.
- Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux,
- C'est peu d'être poète, il faut être amoureux.
- Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée
- M'entretient de ses feux, toujours froide et glacée ;
- Qui s'affligent par art, et, fous de sens rassis,
- S'érigent pour rimer en amoureux transis.
- Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines
- Ils ne savent jamais que se charger de chaînes,
- Que bénir leur martyre, adorer leur prison,
- Et faire quereller les sens et la raison.
- Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule
- Qu'Amour dictait les vers que soupirait TIBULLE,
- Ou que, du tendre OVIDE animant les doux sons,
- Il donnait de son art les charmantes leçons.
- Il faut que le coeur seul parle dans l'élégie.
- L'Ode, avec plus d'éclat et non moins d'énergie,
- Élevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,
- Entretient dans ses vers commercé avec les dieux.
- Aux athlètes dans Pise elle ouvre la barrière,
- Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière,
- Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs,
- Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis.
- Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
- Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage :
- Elle peint les festins, les danses et les ris ;
- Vante un baiser cueilli sur les lèvres d'Iris,
- Qui mollement résiste, et, par un doux caprice,
- Quelquefois le refuse afin qu'on le ravisse.
- Son style impétueux souvent marche au hasard
- Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.
- Loin ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegmatique
- Garde dans ses fureurs un ordre didactique,
- Qui, chantant d'un héros les pogrès éclatants,
- Maigres historiens, suivront l'ordre des temps!
- Ils n'osent Un moment perdre un sujet de vue :
- Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue ;
- Et que leur vers exact, ainsi que Mézerail,
- Ait déjà fait tomber les remparts de Courtrai.
- Apollon de son feu leur fut toujours avare.
- On dit, à ce propos, qu'un jour ce dieu bizarre,
- Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois,
- Inventa du Sonnet les rigoureuses lois ;
- Voulut qu'en deux quatrains, de mesure pareille,
- La rime, avec deux sons, frappât huit fois l'oreille ;
- Et qu'ensuite six vers, artistement rangés,
- Fussent en deux tercets par le sens partagés.
- Surtout, de ce Poème il bannit la licence ;
- Lui-même en mesura le nombre et la cadence ;
- Défendit qu'un vers faible y pût jamais entrer,
- Ni qu'un mot déjà rais osât s'y remontrer.
- Du reste, il l'enrichit d'une beauté suprême
- Un sonnet sans défaut vaut seul un long Poème.
- Mais en vain mille auteurs y pensent arriver,
- Et cet heureux phénix est encore à trouver.
- A peine dans GOMBAUT, MAYNARD et MALLEVILLEZ,
- En peut-on admirer deux ou trois entre raille ;
- Le reste, aussi peu lu que ceux de Pelletier.
- N'a fait de chez Sercy, qu'un saut chez l'épicier.
- Pour enfermer son sens dans la borne prescrite,
- La mesure est toujours trop longue ou trop petite.
- L'Épigramme, plus libre en son tour plus borné,
- N'est souvent qu'un bon mot de deux rimes orné.
- Jadis, de nos auteurs les pointes ignorées
- Furent de l'Italie en nos vers attirées.
- Le vulgaire, ébloui de leur faux agrément,
- A ce nouvel appât courut avidement.
- La faveur du public excitant leur audace,
- Leur nombre impétueux inonda le Parnasse.
- Le madrigal d'abord en fut enveloppé ;
- Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé ;
- La tragédie en fit ses plus chères délices ;
- L'élégie en orna ses douloureux caprices ;
- Un héros sur la scène eut soin de s'en parer,
- Et, sans pointe, un amant n'osa plus soupirer
- On vit tous les bergers, dans leurs plaintes nouvelles,
- Fidèles à la pointe encor plus qu'à leurs belles ;
- Chaque met eut toujours deux visages divers ;
- La prose la reçut aussi bien que les vers ;
- L'avocat au Palais en hérissa son style,
- Et le docteur en chaire en sema l'Évangile.
- La raison outragée enfin ouvrit les yeux,
- La chassa pour jamais des discours sérieux ;
- Et, dans tous ces écrits la déclarant infâme,
- Par grâce lui laissa l'entrée en l'épigramme,
- Pourvu que sa finesse, éclatant à propos,
- Roulât sur la pensée et non pas sur les mots.
- Ainsi de toutes parts les désordres cessèrent.
- Toutefois, à la cour, les Turlupins, restèrent,
- Insipides plaisants, bouffons infortunés,
- D'un jeu de mots grossiers partisans surannés.
- Ce n'est pas quelquefois qu'une Muse un peu fine,
- Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine,
- Et d'un sens détourné n'abuse avec succès
- Mais fuyez sur ce point un ridicule excès,
- Et n'allez pas toujours d'une pointe, frivole
- Aiguiser par la queue une épigramme folle.
- Tout poème est brillant de sa propre beauté.
- Le Rondeau, né gaulois, a la naïveté.
- La Ballade, asservie à ses vieilles maximes,
- Souvent doit tout son lustre au caprice des rimes.
- Le Madrigal, plus simple et plus noble en son tour,
- Respire la douceur, la tendresse et l'amour.
- L'ardeur de se montrer, et non pas de médire,
- Arma la Vérité du vers de la Satire.
- LUCILE le premier osa la faire voir,
- Aux vices des Romains présenta le miroir,
- Vengea l'humble vertu de la richesse altière,
- Et l'honnête homme à pied du faquin en litière.
- HORACE à cette aigreur mêla son enjouement
- On ne fut plus ni fat ni sot impunément ;
- Et malheur à tout nom qui, propre à la censure
- Put entrer dans un vers sans rompre la mesure!
- PERSE, en ses vers obscurs, mais serrés et pressants,
- Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.
- JUVÉNAL, élevé dans les cris de l'école,
- Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.
- Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,
- Étincellent pourtant de sublimes beautés
- Soit que, sur un écrit arrivé de Caprée,
- Il brise de Séjan la statue adorée ;
- Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,
- D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs ;
- Ou que, poussant à bout la luxure latine,
- Aux portefaix de Rome il vende Messaline,
- Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.
- De ces maîtres savants disciple ingénieux,
- RÉGNIER seul parmi nous formé sur leur modèle,
- Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
- Heureux, si ses discours, craints du chaste lecteur,
- Ne se sentaient des lieux où fréquentait l'auteur,
- Et si, du son hardi de ses rimes cyniques,
- Il n'alarmait souvent les oreilles pudiques!
- Le latin dans les mots brave l'honnêteté,
- Mais le lecteur français veut être respecté ;
- Du moindre sens impur la liberté l'outrage,
- Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
- Je veux dans la satire un esprit de candeur,
- Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
- D'un trait de ce poème en bons mots si fertile,
- Le Français, né malin, forma le Vaudeville,
- Agréable indiscret qui, conduit par le chant,
- Passe de bouche en bouche et s'accroît en marchant.
- La liberté française en ses vers se déploie :
- Cet enfant du plaisir veut naître dans la joie.
- Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux,
- Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.
- A la fin tous ces jeux, que l'athéisme élève,
- Conduisent tristement le plaisant à la Grève.
- Il faut, même en chansons, du bon sens et de l'art
- Mais pourtant on a vu le vin et le hasard
- Inspirer quelquefois une Muse grossière
- Et fournir, sans génie, un couplet à Linière.
- Mais, pour un vain bonheur qui vous a fait rimer,
- Gardez qu'un sot orgueil ne vous vienne enfumer.
- Souvent, l'auteur altier de quelque chansonnette
- Au même instant prend droit de se croire poète
- Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un sonnet,
- Il met tous les matins six impromptus au net.
- Encore est-ce un miracle, en ses vagues furies,
- Si bientôt, imprimant ses sottes rêveries,
- Il ne se fait graver au-devant du recueil,
- Couronné de lauriers, par la main de Nanteuil.