« Aurore (Nietzsche)/Livre troisième » : différence entre les versions

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''La logique grossière''. – On dit d'un homme, avec le plus profond respect : « C'est un caractère ! » – Oui ! s'il étale une logique grossière, une logique qui saute aux yeux les moins clairvoyants ! Mais dès qu'il s'agit d'un esprit plus subtil et plus profond, conséquent à sa manière, la manière supérieure, les spectateurs nient l'existence du caractère. C'est pourquoi les hommes d'État rusés jouent généralement leur comédie sous le couvert de la logique grossière.
Nous sommes plus nobles. - Fidélité, générosité, pudeur de la bonne réputation : ces trois choses réunies en un seul sentiment - c'est ce que nous appelons noble, distingué, et par là nous dépassons les Grecs. A aucun prix nous ne voudrions y renoncer, sous prétexte que les objets anciens de ces vertus ont baissé dans notre estime (et avec raison), mais nous voudrions substituer, avec précaution, des objets nouveaux à cet héritage, le plus précieux de tous. Pour comprendre que les sentiments des Grecs les plus nobles, au milieu de notre noblesse toujours chevaleresque et féodale, devraient passer pour médiocres et à peine convenables, il faut se souvenir de ces paroles de consolation qui sortent de la bouche d'Ulysse dans les situations ignominieuses : « Supporte cela, cher cceur! tu en as supporté bien d'autres, plus détestables encore! Comme un chien '!» On peut mettre en parallèle, comme exemple d'application du modèle mythique, l'histoire de cet officier athénien qui, devant l'état-major tout entier, menacé du bâton par un autre officier, secoua la honte avec ces paroles : « Bats-moi! mais écoute-moi aussi! » (C'est ce que fit Thémistocle, ce très habile Ulysse de la période classique, qui était bien l'homme à adresser à « son cher cceur », dans ce moment ignominieux, ces paroles de consolation dans la détresse.) Les Grecs étaient bien loin de prendre à la légère la vie et la mort à cause d'un outrage, comme nous faisons sous l'influence d'un esprit d'aventure, chevaleresque et héréditaire, et d'un certain besoin de sacrifice; bien loin aussi de chercher des occasions où l'on pouvait risquer honorablement la vie et la mort comme dans les duels; ou bien d'estimer la conservation d'un nom sans tache (honneur) plus que le mauvais renom, quand celui-ci est compatible avec la gloire et le sentiment de puissance; ou encore d'être fidèle aux préjugés et aux articles de foi d'une caste, s'ils risquaient d'empêcher la venue d'un tyran. Car ceci est le secret peu noble de tout bon aristocrate grec : une profonde jalousie lui fait traiter sur un pied d'égalité chacun des membres de sa caste, mais il est prêt, à chaque instant, à fondre comme un tigre sur sa proie - sur le pouvoir despotique : que lui importe alors le mensonge, le crime, la trahison, la perte volontaire de sa ville natale! I,a justice était extrêmement difficile aux yeux de cette espèce d'hommes, elle passait presque pour quelque chose d'incroyable; « le juste », ce mot sonnait aux oreilles des Grecs, comme « le saint » aux oreilles des chrétiens. Mais lorsque Socrate se hasardait à dire : « L'homme vertueux est le plus heureux », on n'en croyait pas ses oreilles, on pensait avoir entendu quelque chose de fou. Car, l'image de l'homme le plus heureux évoquait chez chaque citoyen d'extraction noble l'absence totale d'égard, le diabolisme du tyran qui sacrifie tout et tous à son orgueil et à son plaisir. Chez des hommes dont l'imagination s'agitait en secret à la poursuite sauvage d'un pareil bonheur, la vénération de l'État ne pouvait pas être implantée assez profondément, - mais je veux dire : que pour les hommes dont le désir de puissance n'est plus aussi aveugle que celui de ces nobles Grecs, cette idolâtrie de la conception de l'État, au moyen de quoi ce désir fut jadis tenu en bride, n'est plus aussi nécessaire.
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