« Aurore (Nietzsche)/Livre premier » : différence entre les versions

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''Le préjugé de l’« esprit pur »''. — Partout où a régné la doctrine de la spiritualité pure, elle a détruit par ses excès la force nerveuse : elle enseignait à mépriser le corps, à le négliger ou à le tourmenter, à tourmenter et à mépriser l’homme lui-même, à cause de tous ses instincts ; elle produisait des âmes assombries, raidies et oppressées, — qui en outre, croyaient connaître la cause de leur sentiment de misère et espéraient pouvoir la supprimer ! « Il faut qu’elle se trouve dans le corps ! il est toujours encore trop florissant ! » — ainsi concluaient-ils, tandis qu’en réalité le corps, par ses douleurs, ne cessait de s’élever contre le continuel mépris qu’on lui témoignait. Une extrême nervosité, devenue générale et chronique, finissait par être l’apanage de ces vertueux esprits purs : ils n’apprenaient plus à connaître la joie que sous la forme de l’extase et autres prodromes de la folie — et leur système atteignait son apogée lorsqu’ils considéraient l’extase comme point culminant de la vie et comme étalon pour condamner tout ce qui est terrestre.
''Origine de la vie contemplative''. — Pendant les époques barbares, lorsque règnent les jugements pessimistes à l’égard des hommes et du monde, l’individu s’applique toujours, confiant dans la plénitude de sa force, à agir conformément à ces jugements, c’est-à-dire à mettre les idées en action, par la chasse, le pillage, la surprise, la brutalité et le meurtre, y compris les formes affaiblies de ces actes, seules tolérées dans le sein de la communauté. Mais si la vigueur de l’individu se relâche, s’il se sent fatigué ou malade, mélancolique ou rassasié, et, par conséquent, d’une façon temporaire, sans désirs et sans appétits, il devient un homme relativement meilleur, c’est-à-dire moins dangereux, et ses idées pessimistes ne se formulent à présent que par des paroles et des réflexions, par exemple sur ses compagnons, sa femme, sa vie ou ses dieux, — et les jugements qu’il émettra alors seront des jugements défavorables. Dans cet état d’esprit il deviendra penseur et annonciateur, ou bien son imagination développera ses superstitions, inventera des usages nouveaux, raillera ses ennemis – : mais quoi qu’il puisse imaginer, toutes les productions de son esprit refléteront nécessairement son état, donc un accroissement de sa crainte et de sa fatigue, une diminution de son estime pour l’action et la jouissance ; il faudra que la teneur de pareilles productions corresponde aux éléments de l’état d’âme poétique, imaginatif et sacerdotal : le jugement défavorable doit y régner. Plus tard, tous ceux qui faisaient d’une façon continue ce qu’autrefois l’individu faisait en cette disposition, ceux donc qui portaient des jugements défavorables, vivaient mélancoliquement et demeuraient pauvres en actions, furent appelés poètes ou penseurs, prêtres ou « médecins » – : parce qu’ils n’agissaient pas suffisamment, on eût volontiers méprisé de pareils hommes ou bien on les eût chassés de la commune ; mais il y avait à cela un danger, — ils s’étaient mis sur la piste de la superstition et sur les traces de la puissance divine, on ne doutait pas qu’ils ne disposassent de moyens appartenant à des puissances inconnues. C’est en cette estime qu’étaient tenues les plus anciennes générations de natures contemplatives, — méprisées dans la mesure où elles n’éveillaient pas la crainte. C’est sous cette forme masquée, en ce respect douteux, avec un mauvais cœur et un esprit souvent tourmenté, que la contemplation a fait sa première apparition sur la terre, faible en même temps que terrible, méprisée en secret et couverte publiquement des marques d’un respect superstitieux ! Il faut dire ici comme toujours : pudenda origo !
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