« Aurore (Nietzsche)/Livre premier » : différence entre les versions

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''Valeur de la croyance aux passions surhumaines''. — L’institution du mariage maintient opiniâtrement la croyance que l’amour, bien qu’il soit une passion, est cependant susceptible de durer en tant que passion, la croyance que l’amour durable, l’amour à vie peut être considéré comme la règle. Par cette ténacité d’une noble croyance, maintenue, malgré des réfutations si fréquentes qu’elles sont presque la règle et qui en font par conséquent une ''pia fraus'', l’institution du mariage a conféré à l’amour une noblesse supérieure. Toutes les institutions qui ont concédé à une passion la croyance en sa durée et la rendent responsable de cette durée, malgré l’essence même de la passion, lui ont procuré un rang nouveau : et celui qui dès lors est pris d’une semblable passion n’y voit plus, comme jadis, une dégradation ou une menace, mais, au contraire se sent élevé par elle devant lui-même et devant ses semblables. Que l’on songe aux institutions et aux coutumes qui ont fait de l’abandon fougueux d’un moment une fidélité éternelle, du plaisir de la colère l’éternelle vengeance, du désespoir le deuil éternel, de la parole soudaine et unique l’éternel engagement. Par de telles transformations, beaucoup d’hypocrisie et de mensonge s’est chaque fois introduit dans le monde : chaque fois aussi, et à ce prix seulement, une conception surhumaine qui élève l’homme.
''Tout esprit finit par devenir réellement visible''. — Le christianisme s’est assimilé tout l’esprit d’un nombre incalculable d’individus qui avaient besoin d’assujettissement, de tous ces subtils ou grossiers enthousiastes de l’humiliation et de la dévotion. Il s’est ainsi débarrassé de lourdeur campagnarde — à quoi l’on pense par exemple vivement en voyant la première image de l’apôtre Pierre — pour devenir une religion très spirituelle, avec un visage marqué de mille rides, de faux-fuyants et d’arrière-pensées ; il a donné de l’esprit à l’humanité européenne, et ne s’est pas contenté de la rendre astucieuse au point de vue théologique. Dans cet esprit, allié à la puissance et très souvent à la profonde conviction et à la loyauté de l’abnégation, il a façonné les individualités les plus subtiles qu’il y ait jamais eu dans la société humaine : les figures du plus haut clergé catholique, surtout lorsque celles-ci tiraient leur origine d’une famille noble et apportaient, dès l’origine, la grâce innée des gestes, la force dominatrice du regard, de belles mains et des pieds fins. Là le visage humain atteint cette spiritualisation que produit le flot continuel de deux espèces de bonheur (le sentiment de puissance et le sentiment de soumission), une fois qu’un style de vie très concerté a dompté l’animal dans l’homme ; là une activité qui consiste à bénir, à pardonner les péchés, à représenter la divinité, maintient sans cesse en éveil, dans l’âme, et même dans le corps, le sentiment d’une mission surhumaine ; là règne ce mépris noble de la fragilité du corps, du bien-être et du bonheur, propre aux soldats de naissance ; on met sa fierté dans l’obéissance, ce qui est le signe distinctif de tous les aristocrates ; on trouve son idéalisme et son excuse dans l’énorme impossibilité de sa tâche. La puissante beauté et la finesse des princes de l’Église ont toujours démontré chez le peuple la vérité de l’Église ; une brutalisation momentanée du clergé (comme du temps de Luther) amène toujours la croyance au contraire. — Et ce résultat de la beauté et de la finesse humaines, dans l’harmonie de la figure, de l’esprit et de la tâche, serait anéanti en même temps que finissent les religions ? Et il n’y aurait pas moyen d’atteindre quelque chose de plus haut, ni même d’y songer ?
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