« Aurore (Nietzsche)/Livre premier » : différence entre les versions

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''Tout esprit finit par devenir réellement visible''. — Le christianisme s’est assimilé tout l’esprit d’un nombre incalculable d’individus qui avaient besoin d’assujettissement, de tous ces subtils ou grossiers enthousiastes de l’humiliation et de la dévotion. Il s’est ainsi débarrassé de lourdeur campagnarde — à quoi l’on pense par exemple vivement en voyant la première image de l’apôtre Pierre — pour devenir une religion très spirituelle, avec un visage marqué de mille rides, de faux-fuyants et d’arrière-pensées ; il a donné de l’esprit à l’humanité européenne, et ne s’est pas contenté de la rendre astucieuse au point de vue théologique. Dans cet esprit, allié à la puissance et très souvent à la profonde conviction et à la loyauté de l’abnégation, il a façonné les individualités les plus subtiles qu’il y ait jamais eu dans la société humaine : les figures du plus haut clergé catholique, surtout lorsque celles-ci tiraient leur origine d’une famille noble et apportaient, dès l’origine, la grâce innée des gestes, la force dominatrice du regard, de belles mains et des pieds fins. Là le visage humain atteint cette spiritualisation que produit le flot continuel de deux espèces de bonheur (le sentiment de puissance et le sentiment de soumission), une fois qu’un style de vie très concerté a dompté l’animal dans l’homme ; là une activité qui consiste à bénir, à pardonner les péchés, à représenter la divinité, maintient sans cesse en éveil, dans l’âme, et même dans le corps, le sentiment d’une mission surhumaine ; là règne ce mépris noble de la fragilité du corps, du bien-être et du bonheur, propre aux soldats de naissance ; on met sa fierté dans l’obéissance, ce qui est le signe distinctif de tous les aristocrates ; on trouve son idéalisme et son excuse dans l’énorme impossibilité de sa tâche. La puissante beauté et la finesse des princes de l’Église ont toujours démontré chez le peuple la vérité de l’Église ; une brutalisation momentanée du clergé (comme du temps de Luther) amène toujours la croyance au contraire. — Et ce résultat de la beauté et de la finesse humaines, dans l’harmonie de la figure, de l’esprit et de la tâche, serait anéanti en même temps que finissent les religions ? Et il n’y aurait pas moyen d’atteindre quelque chose de plus haut, ni même d’y songer ?
''Le sacrifice nécessaire''. — Ces hommes sérieux, solides, loyaux, d’une sensiblité profonde qui sont maintenant encore chrétiens de cœur : ils se doivent à eux-mêmes d’essayer une fois, pendant un certain temps, de vivre sans christianisme ; ils doivent à leur foi d’élire ainsi domicile « dans le désert » — afin d’acquérir le droit d’être juges dans la question de savoir si le christianisme est nécessaire. En attendant, ils demeurent attachés à leur glèbe et maudissent le monde qui se trouve au-delà : ils s’irritent même lorsque quelqu’un donne à entendre que c’est justement au-delà que se trouve le monde entier, que le christianisme n’est, somme toute, qu’un recoin ! Non, votre témoignage n’aura de poids que lorsque vous aurez vécu pendant des années sans christianisme, avec un loyal désir de pouvoir, au contraire, exister sans lui : jusqu’à ce que vous vous en soyez éloigné, loin, bien loin. Si ce n’est pas le mal du pays qui vous ramène au bercail, mais un jugement fondé sur une comparaison sévère, votre retour signifiera quelque chose ! — Les hommes de l’avenir agiront un jour ainsi avec tous les jugements des valeurs du passé ; il faut les revivre volontairement encore une fois, et de même leurs contraires, — pour avoir enfin le droit de les passer au crible.
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