« Orgueil et Prévention (1822, ré-édition 1966)/8 » : différence entre les versions

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{{T3|chapitre 8}}
 
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À cinq heures, ces dames se retirèrent pour s’habiller,
et à six on vint dire à Élisabeth que le dîner était servi.
Aux diverses demandes qu’on lui fit, et parmi lesquelles
elle eut le plaisir de distinguer l’empressement de M. Bingley,
elle ne put donner aucunes réponses satisfaisantes.
Hélen n’était certainement pas mieux. En entendant cela,
les deux dames répétèrent deux ou trois fois qu’elles étaient
désolées, combien il était mauvais de prendre froid, et combien
elles redoutaient elles-mêmes d’être malades ; puis elles
n’y pensèrent plus ; et leur indifférence pour Hélen, lorsqu’elle
n’était pas absolument sous leurs yeux, rappela à
Élisabeth l’impression peu favorable que ces dames lui
avaient causée. Leur frère était en effet la seule personne
de cette maison qu’elle pût voir avec quelque plaisir. Son
inquiétude sur la santé d’Hélen était très visible, et ses
attentions pour Élisabeth assez gracieuses pour l’empêcher
de se croire aussi importune qu’elle pensait l’être aux autres
individus de la famille.
 
Elle ne recevait de politesses que de lui. Mlle Bingley
était entièrement occupée de M. Darcy, sa sœur à peu
près autant ; et quant à M. Hurst, près duquel Élisabeth
était assise, c’était un homme indolent, qui ne vivait que
pour manger, boire et jouer, et qui, lorsqu’il se fut aperçu
qu’elle préférait un mets simple à un ragoût, n’eut plus
rien à lui dire.
 
Le dîner fini, elle rentra dans l’appartement d’Hélen,
et sitôt qu’elle fut dehors miss Bingley commença à la critiquer…
Il fut décidé que ses manières étaient affreuses,
 
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un mélange d’orgueil et d’étourderie indiscrète ; elle n’avait
ni conversation, ni goût, ni beauté : Mme Hurst pensait
de même, et ajouta :
 
« En un mot, elle n’a rien qui puisse la faire remarquer,
si ce n’est d’être une excellente marcheuse. Je n’oublierai
de la vie la mine qu’elle avait ce matin !
 
— Je l’ai crue folle, en vérité.
 
— Cela est exact, Louisa, j’ai eu toutes les peines
du monde à m’empêcher de rire. Quel ridicule de courir la
campagne ainsi, seule… ; de se présenter dans un état…,
les cheveux en désordre…, la figure rouge… ; et tout cela,
parce que sa sœur a un rhume !
 
— Oh oui ! Et son jupon !… j’espère que vous avez
remarqué son jupon ? Un pied de boue… Sa robe, qu’elle
avait baissée pour cacher tout cela, le faisant paraître un
peu mieux.
 
— Ce portrait peut être exact, Louisa, dit M. Bingley,
mais moi ce n’est pas là ce que j’ai remarqué : j’ai
trouvé miss Bennet fort jolie lorsqu’elle est entrée ce matin,
et cette boue à son jupon ne m’a pas frappé comme
vous.
 
— Vous vous en êtes aperçu, monsieur Darcy, j’en
suis sûre ? dit Mlle Bingley. Je suis portée à croire que vous
n’aimeriez pas à voir votre sœur se montrer dans un tel
état…
 
— Non, certainement.
 
— Marcher trois milles, ou quatre, ou cinq, je ne
connais pas bien la distance, dans la boue, et seule, toute
seule, à quoi pensait-elle ? Il me semble que c’est montrer
une bien sotte indépendance, le plus parfait mépris des
convenances ; c’est être bien de la province !
 
— Cet attachement pour sa sœur est fort estimable,
dit M. Bingley.
 
— Je crains beaucoup, monsieur Darcy, observa à
demi-voix miss Bingley, que cette scène n’ait un peu diminué
votre admiration pour ses beaux yeux ?
 
— Pas du tout, répondit-il, l’exercice les avait rendus
plus animés. »
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Il y eut un moment de silence, après quoi Mme Hurst
recommença :
 
« J’ai beaucoup d’amitié pour Hélen Bennet ; elle est
vraiment charmante, et je désire de tout mon cœur la voir
bien établie ; mais, avec de tels parents et des liaisons si
communes, je crains qu’il n’y ait aucun espoir.
 
— Je crois vous avoir entendu dire que leur oncle
était procureur à Meryton ?
 
— Oui, et elles en ont un autre qui demeure près de
<i>Cheapside</i>.
 
— C’est parfait, ajouta sa sœur ; et elles se mirent
à rire aux éclats.
 
— Quand elles auraient assez d’oncles pour remplir
<i>tout Cheapside</i>, s’écria Bingley, elles n’en seraient pas moins
aimables !
 
— Mais cela diminue leur espoir d’épouser quelqu’un
qui ait un rang dans le monde », reprit Darcy.
 
Bingley ne fit point de réponse ; mais ses deux sœurs
donnèrent avec joie leur approbation et s’amusèrent
quelque temps aux dépens de la parenté de leur chère
amie.
 
Toutefois, par un renouvellement de tendresse, elles
se rendirent à sa chambre, au sortir de table, et restèrent
avec elle jusqu’au moment de servir le café. Elle était encore
très malade. Élisabeth ne voulut la quitter que très tard,
quand elle eut le plaisir de la voir endormie. Alors elle
pensa qu’il serait du moins poli, sinon fort amusant pour
elle, de descendre un peu dans le salon. Elle trouva toute
la société occupée du jeu, où elle-même fut aussitôt invitée ;
mais, s’imaginant qu’on jouait gros jeu, elle refusa et,
prenant sa sœur pour excuse, dit qu’elle lirait pendant le
peu de temps qu’elle pouvait rester avec eux.
 
M. Hurst la regarda avec étonnement :
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« Préférez-vous la lecture au jeu ? dit-il, cela est
singulier.
 
— Mlle Élisa Bennet, dit miss Bingley, méprise le
jeu ; elle est grand lecteur et ne se plaît à nulle autre chose.
 
— Je ne mérite ni cet éloge ni ce blâme, mademoiselle,
je n’aime pas excessivement la lecture, et je trouve du
plaisir dans beaucoup d’autres occupations.
 
— Je suis bien persuadé que vous en trouvez à
soigner votre sœur, dit Bingley, et j’espère que vous serez
bientôt satisfaite en la voyant parfaitement rétablie. »
 
Élisabeth le remercia de bon cœur, puis s’avança
vers une table où étaient quelques livres. Il lui offrit d’en
aller chercher d’autres, sa bibliothèque, dit-il, était entièrement
à son service :
 
« Et je désirerais qu’elle fût plus nombreuse pour
votre amusement, comme pour mon honneur ; mais je suis
un paresseux et, quoique j’aie peu de livres, j’en ai plus que
je n’en lis. »
 
Élisabeth l’assura que celui qu’elle tenait lui convenait
parfaitement.
 
« Je suis étonnée, dit Mlle Bingley, que mon père ait
laissé une bibliothèque si peu considérable. Vous en avez
une délicieuse à Pemberley, monsieur Darcy ?
 
— Elle doit être bonne, répondit-il, c’est l’ouvrage
de plusieurs générations.
 
— Et vous l’avez tant augmentée ! Vous êtes toujours
à acheter des livres.
 
— Je ne comprends pas qu’on puisse maintenant
négliger une bibliothèque de famille.
 
— Négliger ! je suis sûre que vous ne négligez rien
qui puisse ajouter aux beautés de cette demeure. Charles,
quand vous bâtirez votre maison, je souhaite qu’elle soit
à moitié aussi agréable que Pemberley.
 
— Je le souhaite aussi.
 
— Mais je vous conseillerai d’acheter une terre dans
ce voisinage et de prendre Pemberley pour modèle.
 
— De tout mon cœur ; je suis même fort disposé à
acheter Pemberley si Darcy veut me le vendre.
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— Mais, mon frère, je ne prétends parler que de choses
praticables.
 
— Vraiment, Caroline, je crois qu’il est plus facile
d’acheter Pemberley que de construire quelque chose qui
en approche. »
 
Cette conversation amusa tellement Élisabeth qu’elle
quitta son livre et vint s’asseoir entre Mme Hurst et Mlle
Bingley, sous prétexte de regarder leur jeu.
 
« Mlle Darcy est-elle bien grandie depuis ce printemps ?
dit miss Bingley ; sera-t-elle aussi grande que moi ?
 
— Je le crois ; elle est maintenant de la taille de miss
Élisabeth Bennet.
 
— Combien je désire la revoir ! Je n’ai jamais rencontré
quelqu’un qui m’ait plu autant… Quelle physionomie !…
quelles manières !… et si instruite pour son âge !…
Son talent au piano est vraiment remarquable.
 
— Je ne puis concevoir, dit Bingley, comment les
dames ont assez de persévérance pour se rendre, par les
talents, aussi accomplies qu’elles le sont toutes aujourd’hui.
 
— Toutes, mon cher Charles, que voulez-vous dire ?
 
— Mais, oui, toutes, elles savent toutes peindre des
souvenirs, couvrir des écrans et faire des bourses. J’en
connais à peine une seule qui ne puisse faire tout cela, et
je n’ai jamais entendu parler d’une jeune personne pour
la première fois sans être prévenu qu’elle était très accomplie,
toujours dans le même sens.
 
— Votre interprétation de ce qu’on entend ordinairement
par une personne accomplie n’est que trop vraie,
dit Darcy. Ce mot s’applique à bien des femmes qui ne
l’ont mérité qu’en faisant des bourses ou des tapisseries à
écrans. Je suis cependant loin de partager votre opinion
sur les dames en général… Je ne puis me vanter, parmi
toutes mes connaissances, d’en avoir plus de six qui soient
réellement accomplies.
 
— Ni moi non plus, ajouta Mlle Bingley.
 
— Alors, dit Élisabeth, vous devez exiger un grand
mérite de celles que vous nommez accomplies.
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— Oui, j’y comprends beaucoup de choses.
 
— Oh ! bien certainement ! s’écria la complaisante
Mlle Bingley. On ne peut dire qu’une femme soit vraiment
accomplie si elle n’est en tout supérieure à la plupart des
personnes de son sexe… Elle doit posséder à fond la musique,
le dessin, la danse et les langues étrangères ; de plus,
il faut qu’elle soit douée d’un certain je ne sais quoi dans
sa manière d’être et de marcher, dans le son de sa voix,
dans ses expressions…, ou ce titre ne serait qu’à moitié
mérité.
 
— Elle doit posséder tout cela, dit Darcy, mais il
lui faut encore unir à un jugement sain une parfaite connaissance
des auteurs anciens et modernes.
 
— Je ne suis plus étonnée, reprit Élisabeth, que vous
ne connaissiez que six femmes accomplies ; je suis même
presque surprise que vous en connaissiez une.
 
— Êtes-vous assez sévère à l’égard de votre sexe
pour douter de la possibilité de tout ceci ?
 
— Je n’ai jamais vu de femme qui ressemblât au
portrait que vous venez de tracer : je ne croyais pas qu’une
seule personne pût réunir autant de qualités. »
 
Mme Hurst et Mlle Bingley se récrièrent sur l’injustice
d’un tel doute et assurèrent qu’elles connaissaient beaucoup
de femmes qui répondaient à cette description,
lorsque M. Hurst les força au silence en se plaignant amèrement
du peu d’attention qu’elles donnaient au jeu.
La conversation étant interrompue, Élisabeth quitta le
salon.
 
« Éliza Bennet, dit alors miss Bingley, est une de ces
jeunes personnes qui cherchent à se faire valoir auprès
de l’autre sexe en diminuant le mérite du leur ; avec bien
des hommes, je crois que cela réussit : mais, selon moi,
c’est un moyen pitoyable, un bien pauvre artifice.
 
— Il y a sans doute de la petitesse, reprit M. Darcy,
à qui cette remarque était particulièrement adressée, dans
toutes les ruses que les dames daignent quelquefois employer
pour nous captiver ; tout ce qui tient à l’art est méprisable. »
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Mlle Bingley ne fut pas assez satisfaite de cette réponse
pour continuer la conversation.
 
Élisabeth, peu de temps après, vint leur dire que sa
sœur était plus mal. Bingley voulut qu’on envoyât sur-le-champ
chercher M. Jones. Ses sœurs, convaincues qu’un
médecin de province ne pouvait rien savoir, conseillaient
d’en faire venir un de Londres. Enfin, il fut décidé qu’on
ferait appeler M. Jones le lendemain matin, si toutefois
Mlle Bennet n’était pas beaucoup mieux. Bingley était
réellement inquiet ; ses sœurs assuraient qu’elles étaient
cruellement tourmentées et cherchaient à se distraire en
faisant de la musique, tandis que M. Bingley ne put trouver
quelque repos qu’après avoir recommandé à sa femme de
charge de donner tous ses soins aux deux demoiselles
Bennet.