« Orgueil et Prévention (1822, ré-édition 1966)/5 » : différence entre les versions

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À peu de distance de Longbourn vivait une famille
avec laquelle les Bennet étaient étroitement liés. Sir William
Lucas, autrefois négociant à Meryton, possédait une
jolie fortune. Ayant exercé honorablement l’office de maire,
il avait obtenu du roi le titre de chevalier. Cette faveur
avait peut-être été trop fortement sentie, car elle le dégoûta
de son commerce et de la petite ville où il demeurait ; il
les quitta tous deux et vint, avec sa famille, habiter une
maison à un mille de Meryton, connue depuis sous le nom
de Lucas-Lodge. Ici, il pouvait penser avec plaisir à sa
nouvelle dignité et, libre de toute affaire, s’occuper uniquement
à fêter ses voisins ; car, quoique vain de son titre,
il n’était point dédaigneux : au contraire, il ne se plaisait
qu’à combler d’honnêtetés tous ceux qui le fréquentaient.
Naturellement doux, amical et obligeant, sa présentation
à Saint-James l’avait mis tout à fait sur le pied d’homme
de cour.
 
Lady Lucas était une bonne femme, d’un esprit très
ordinaire. Ils avaient plusieurs enfants, dont une fille, entre
autres, âgée de vingt-sept ans, douée d’autant d’esprit que
de sensibilité, amie intime d’Élisabeth. Se voir et causer
ensemble du bal de la veille était pour les demoiselles une
chose indispensable. Le lendemain donc, la famille Lucas
se rendit à Longbourn, et d’abord : « Vous commençâtes
bien votre soirée d’hier, Charlotte, dit Mme Bennet ; vous
avez dansé la première avec M. Bingley.
 
— Oui, mais son second choix…
 
— Oh ! vous voulez dire Hélen ; il l’a demandée deux
 
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fois. Il est vrai que cela pouvait faire croire qu’il la trouvait
à son goût : je m’en suis un peu doutée ; je sais qu’il
en a dit quelque chose à M. Robinson.
 
— Peut-être parlez-vous de la conversation qu’il eut
avec M. Robinson ; ne vous ai-je pas dit que je l’avais
entendue ? M. Robinson lui demandait comment il trouvait
l’assemblée de Meryton ; s’il ne croyait pas qu’il y eût
beaucoup de jolies femmes dans ce salon, et laquelle il
trouvait la plus belle. À cette dernière question, il répondit
avec vivacité : « Oh ! l’aînée des demoiselles Bennet ; il ne
peut y avoir deux opinions sur ce point. »
 
— Ah ! ah ! vraiment, c’était se déclarer assez ; cela
aurait un air de… ; mais ce ne sont que des conjectures.
 
— Mes rapports sont plus flatteurs pour votre mère
que les vôtres, Éliza, dit Charlotte ; il vaut mieux écouter
M. Bingley que son ami, n’est-ce pas ? Pauvre Éliza ! n’être
que passable !
 
— Je vous prie de ne point persuader à Lizzy qu’elle
doive s’offenser de cette impertinence, car c’est un homme
si ennuyeux que je serais fâchée qu’elle lui eût plu.
Mme Long m’a dit, hier au soir, qu’il avait été assis auprès
d’elle pendant plus d’une demi-heure, mais n’avait pas
daigné ouvrir la bouche.
 
— En êtes-vous bien sûre, maman ? Je crois que vous
vous trompez, j’ai certainement vu M. Darcy lui parler,
dit Hélen.
 
— Oh ! parce qu’elle lui demanda s’il aimait Netherfield,
il fut obligé de répondre, mais il paraissait très fâché
qu’on eût pris la liberté de lui adresser la parole.
 
— Mlle Bingley m’a dit, reprit Hélen, qu’il parlait
fort peu aux étrangers, mais qu’avec ses amis il était extrêmement
aimable.
 
— Je ne le crois pas, ma chère ; s’il avait été si aimable,
il eût causé avec Mme Long. Mais je me doute bien de ce
qu’il en est : on dit qu’il est d’une fierté intolérable, et je
pense qu’il aura su que Mme Long n’avait point d’équipage
et qu’elle était venue au bal dans une chaise de poste.
 
— Je me soucie fort peu qu’il ait parlé ou non à
 
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Mme Long, dit miss Lucas, mais j’aurais voulu qu’il eût
dansé avec Éliza.
 
— Une autre fois, Lizzy, lui dit sa mère, je le refuserais,
si j’étais à votre place.
 
— Je crois, maman, que je puis avec sûreté vous promettre
de ne jamais danser avec lui.
 
— Sa fierté, dit Mlle Lucas, ne me paraît pas aussi
ridicule que la fierté le semble ordinairement, car on ne
peut guère s’étonner qu’un jeune homme beau, riche et
d’une famille distinguée pense bien de lui-même. Je crois
qu’il a le droit d’être fier, si j’ose m’exprimer ainsi.
 
— Cela est très vrai, répondit Élisabeth ; et je lui
pardonnerais facilement sa fierté s’il n’eût blessé la mienne.
 
— L’orgueil, observa Mary, qui se piquait de réfléchir
et de moraliser, est de tous les vices, je crois, le plus
commun. Par tout ce que j’ai lu, je suis convaincue que
c’est une faiblesse attachée à la nature humaine et qu’il y
a peu de personnes qui ne tirent vanité de quelques qualités
réelles ou imaginaires. La vanité et la fierté sont deux
choses bien différentes ; une personne peut être fière sans
être vaine. La fierté provient ordinairement de l’opinion
que nous avons de nous-mêmes, et la vanité de celle que
nous désirons que les autres aient de nous.
 
— Si j’étais aussi riche que M. Darcy, dit un des
jeunes Lucas, qui avait accompagné ses sœurs, je serais
au moins aussi fier que lui : j’aurais une meute de chiens
et je boirais une bouteille de vin tous les jours.
 
— Alors, vous boiriez beaucoup trop », dit Mme Bennet.
 
Le jeune homme protesta du contraire ; il s’ensuivit
une discussion sur la tempérance, qui dura jusqu’à la fin
de la visite.