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BLANQUI


et les


OTAGES EN 1871




PREMIÈRE NÉGOCIATION

Le 12 février 1871, jour de la publication d’une brochure de Blanqui, intitulée : Un dernier mot, nous quittions Paris, Blanqui, Tridon et moi, eux pour aller à Bordeaux, moi pour aller à Cuers (Var), où des affaires m’appelaient. En nous séparant à Vierzon, il fut convenu entre Blanqui et moi qu’aussitôt mes affaires finies j’irais à Bruxelles chercher des manuscrits qu’il y avait laissés, et que de là je me rendrais chez madame Barrellier, sa sœur, qui se trouvait alors dans le département du Lot.

Le 27 mars, je reçus à Cuers une lettre de Tridon ainsi conçue :

La Commune est proclamée à Paris. Ne perds pas une minute, viens de suite. Blanqui qui nous serait si nécessaire a été arrêté le 17. Cette arrestation est un malheur pour la Commune.

Signé : Tridon

Le 29 mars, j’étais à Paris.

Le souvenir de la joie que j’éprouvai, en m’y retrouvant, me fait, après quatorze ans, encore battre le cœur, mais la douleur que j’eus de ne pas voir Blanqui à l’Hôtel de Ville, au milieu de ses amis, me parut d’un mauvais augure, et me consterna. Hélas ! il fallut s’y résigner.

Le 6 avril, plusieurs membres de la Commune me proposèrent d’aller à la recherche de Blanqui ; Tridon s’y opposa, et proposa à ses collègues une négociation avec Versailles, pour arriver à l’échange de Blanqui contre les otages. Il démontra qu’il en serait beaucoup mieux ainsi, Granger et Pilhes étant déjà partis pour découvrir le séjour du grand citoyen, car Thiers avait si bien pris ses dispositions que rien ne transpirait sur le sort réservé au prisonnier brutalement arrêté et séquestré avec les plus minutieuses précautions.

Le 9 avril, Rigault me fit dire de passer à la Préfecture.

Je m’y rendis aussitôt. Il vint à ma rencontre et me dit :

— Eh bien, voilà ce que nos amis et moi avons arrêté. Nous allons commencer, par l’intermédiaire de l’archevêque qui est à Mazas, une négociation afin qu’on nous rende Blanqui qui se trouve entre les griffes des coquins de Versailles. Veux-tu te charger de cette affaire ?

— Je suis prêt, lui dis-je, à tout faire pour que Blanqui soit à l’Hôtel de Ville au milieu de vous.

— À la bonne heure ; je n’attendais pas moins de toi ! Rends-toi à Mazas et entends-toi avec Darboy, tu as carte blanche.

Il me remit un permis ainsi conçu :

Au Directeur de Mazas,

Laissez communiquer le citoyen Flotte avec Lagarde, grand vicaire, et Darboy, archevêque de Paris.

Le délégué à l’ex-Préfecture de police,
Raoul Rigault.

(Permis personnel valable tous les jours et à toute heure.)

Le même jour, à huit heures du soir, j’étais à Mazas, demandant à voir l’archevêque, et cinq minutes après commençait entre lui et moi la conversation suivante :

— Monsieur, lui dis-je, je suis autorisé à m’entendre avec vous, afin d’aboutir, si la chose est possible, à un échange de prisonniers. La Commune mettrait en liberté l’archevêque, le grand vicaire de Paris, M. Bonjean et le curé de la Madeleine, si le gouvernement de Versailles consentait à rendre Blanqui.

M. Darboy me répondit :

— J’ai ma sœur qui est retenue comme otage.

— Votre sœur sera aussi mise en liberté si Blanqui nous est rendu.

— Mais, que dois-je faire pour cela ? dit M. Darboy.

— Écrire à M. Thiers pour lui proposer l’échange, et me désigner la personne que vous désirerez charger de votre lettre, afin que j’en avertisse le citoyen Rigault, délégué à l’ex-Préfecture.

L’archevêque, après avoir réfléchi un instant, me dit :

— La lettre pour M. Thiers sera prête demain matin à dix heures, et je prierai M. Deguerry, curé de la Madeleine, de la porter. Vous pouvez communiquer cette réponse à la Commune.

J’allai rendre compte à Rigault de ma première visite à l’archevêque.

Rigault m’écouta avec attention et me dit :

— Il ne faut pas laisser partir Deguerry pour Versailles ; dis à Darboy d’en envoyer un autre, je tiens à garder le curé de la Madeleine.

Le 10 au matin, à onze heures, je retournai à Mazas et fis appeler l’archevêque.

— Monsieur, lui dis-je, si vous vouliez envoyer à Versailles un autre prisonnier que M. Deguerry, cela conviendrait mieux au délégué à l’ex-Préfecture.

— Eh bien, nous enverrons M. Lagarde, grand vicaire de Paris, si la Commune y consent.

Le 11 avril j’étais à la Préfecture de bonne heure.

— As-tu fait entendre raison à Darboy ? me dit Rigault.

— La chose n’a pas été difficile, il enverra le grand vicaire, M. Lagarde.

— Très bien ! voici un ordre de mise en liberté pour Lagarde et un laisser-passer en règle pour qu’il puisse aller à Versailles.

— Tu ferais bien de l’accompagner jusqu’à la gare.

Le 12, au matin, j’arrivai à Mazas avec mes deux permis, l’un pour M. Lagarde, l’autre pour laisser communiquer l’archevêque et le grand vicaire en ma présence ; mais, me rappelant le Mont-Saint-Michel et ses affreux cabanons où personne ne pouvait nous parler qu’en présence d’un agent de l’administration, je me retirai, mû par un sentiment de délicatesse bien facile à comprendre.

Je laissai les prisonniers une grande heure ensemble, me disant : Laissons à la monarchie et à la réaction la honte de ces tortures morales !

La conversation des deux prêtres terminée, M. Lagarde et moi nous sortîmes de Mazas pour nous rendre à la gare de Lyon.

Avant de nous séparer, je lui dis :

— Promettez-moi de ne pas manquer de revenir vous constituer prisonnier, quelle que soit la réponse de M. Thiers.

— Soyez sans inquiétude, monsieur Flotte, dussé-je être fusillé, je reviendrai. Pouvez-vous penser que j’aie un seul instant l’idée d’abandonner ainsi monseigneur ?

Le lecteur sait comment M. Lagarde, grand vicaire de Paris, a tenu sa parole d’honneur, et l’amour qu’il avait pour son seigneur Darboy ! ! !

Le 13 avril, je fis une nouvelle visite à l’archevêque. Il me donna la copie, écrite de sa main, de la lettre envoyée à M. Thiers.

Je la reproduis ici, ainsi que les lettres de M. Lagarde.


Prison de Mazas, 12 avril 1871.
Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de vous soumettre une communication que j’ai reçue hier soir, et je vous prie d’y donner la suite que votre sagesse et votre humanité jugeront le plus convenable.

Un homme influent, très lié avec M. Blanqui par certaines idées politiques et surtout par le sentiment d’une vieille et solide amitié, s’occupe activement de faire qu’il soit mis en liberté. Dans cette vue, il propose de lui-même, aux commissaires que cela concerne, cet arrangement : Si M. Blanqui est mis en liberté, l’archevêque de Paris sera rendu à la liberté avec sa sœur ; M. le président Bonjean, M. Deguerry, curé de la Madeleine, et M. Lagarde, vicaire général de Paris, celui-là même qui vous remettra la présente lettre. La proposition a été agréée, et c’est en cet état qu’on me demande de l’appuyer auprès de vous.

Quoique je sois en jeu dans cette affaire, j’ose la recommander à votre haute bienveillance. Mes motifs vous paraîtront plausibles, je l’espère.

Il n’y a déjà que trop de causes de dissentiment et d’aigreur parmi nous ; puisqu’une occasion se présente de faire une transaction qui, du reste, ne regarde que les personnes et non les principes, ne serait-il pas sage d’y donner les mains et de contribuer ainsi à préparer l’apaisement des esprits ? L’opinion ne comprendrait peut-être pas un tel refus.

Dans les crises aiguës comme celle que nous traversons, des représailles, des exécutions par l’émeute, quand elles ne toucheraient que deux ou trois personnes, ajoutent à la terreur des uns, à la colère des autres et aggravent encore la situation. Permettez-moi de vous dire, sans autres détails, que cette question d’humanité mérite de fixer toute votre attention dans l’état présent des choses à Paris.

Oserai-je, Monsieur le Président, vous avouer ma dernière raison ? Touché du zèle que la personne dont je parle déployait avec une amitié si vraie en faveur de M. Blanqui, mon cœur d’homme et de prêtre n’a pas su résister à ses sollicitations émues, et j’ai pris l’engagement de vous demander l’élargissement de M. Blanqui le plus promptement possible. C’est ce que je viens de faire.

Je serais heureux, Monsieur le Président, que ce que je sollicite ne vous parût point impossible ; j’aurais rendu service à plusieurs personnes et même à mon pays tout entier.

Veuillez agréer, etc.

Signé : G. Darboy, archevêque de Paris.


Versailles, le 15 avril 1871.
Monsieur Flotte,

J’ai écrit à Monseigneur l’archevêque, sous le couvert de M. le directeur de la prison de Mazas, une lettre qui lui sera parvenue, je l’espère, et qui vous a sans doute été communiquée. Je tiens à vous écrire directement, comme vous m’y avez autorisé, pour vous faire connaître les nouveaux retards qui sont imposés. J’ai vu quatre fois déjà le personnage à qui la lettre de Monseigneur l’archevêque était adressée, et je dois, pour me conformer à ses ordres, attendre encore deux jours la réponse définitive. Quelle sera-t-elle ? Je ne puis vous dire qu’une chose, c’est que je ne néglige rien pour qu’elle soit dans le sens de vos désirs et des nôtres. Dans ma première visite, j’espérais qu’il en serait ainsi et que je vous reviendrais sans beaucoup tarder avec cette bonne nouvelle. On m’avait bien fait quelques difficultés, mais on m’avait témoigné des intentions favorables.

Malheureusement, la lettre publiée par l’Affranchi et apportée ici après cette publication, aussi bien qu’après la remise de la mienne, a modifié les impressions. Il y a eu conseils et ajournement pour notre affaire.

Puisqu’on m’a formellement invité à différer mon départ de deux jours, c’est que tout n’est pas fini et je vais me remettre en campagne. Puissé-je réussir ! Encore une fois, vous ne pouvez douter ni de mon désir, ni de mon zèle. Permettez-moi d’ajouter qu’outre les intérêts si graves qui sont en jeu et qui me touchent de si près, je serais heureux de vous prouver autrement que par des paroles la reconnaissance que m’ont inspiré vos procédés et vos sentiments. Quoi qu’il arrive et quel que soit le résultat de mon voyage, je garderai, croyez-le bien, le meilleur souvenir de notre rencontre.

Veuillez, à l’occasion, me rappeler au bon souvenir de l’ami qui vous accompagnait, et agréez, Monsieur, la nouvelle assurance de mon estime et de mon dévouement.

E.-J. Lagarde.


Versailles, le 15 avril 1871.
Monseigneur,

Je viens de revoir pour la quatrième fois la personne à qui vous m’aviez adressé, et je dois attendre encore deux jours la réponse définitive ! Je suis désolé de tous ces retards, mais il m’est impossible de ne pas les subir, et je vous assure bien que je ne néglige aucune démarche pour arriver à une solution conforme à vos désirs. Pour moi, je n’ai que l’ambition que vous savez : de ne point séparer mon sort du vôtre, et de vous servir jusqu’à la fin dans la mesure de mes forces.

Que Dieu bénisse mes efforts et exauce tant de prières faites pour vous et notre malheureux pays !

Je vous renouvelle, Monseigneur, l’hommage de ma filiale et profonde vénération en N. S.

E. J. Lagarde.

Je recommande cette nouvelle lettre à toute l’obligeance de M. le Directeur de la prison de Mazas, à qui j’ai l’honneur de renouveler l’assurance de mes sentiments distingués.

E. J. Lagarde.


Versailles, le 17 avril 1871.
Monseigneur,

Je suis toujours dans l’attente de la décision, et n’ai pu rien obtenir de précis. Cependant, comme on m’a, ce matin encore, expressément dit de ne point quitter Versailles jusqu’à nouvel ordre, je dois penser que tout n’est pas fini et qu’il est permis d’espérer.

Mon devoir en tout cas, est certainement de rester ici, tant que je n’ai pas de solution et une réponse à votre lettre. En attendant, je ne perds pas mon temps, je vous l’assure, et mes journées sont toutes employées à visiter et à négocier. Je ne néglige aucune des démarches qui me paraissent de nature à faire réussir notre affaire. Que ne puis-je également soulager et améliorer la situation si pénible où, mon cœur de fils saigne tant de vous savoir toujours réduit !

Je vous renouvelle, Monseigneur et vénéré père, l’hommage de mon filial dévouement en N. S.

E. J. Lagarde.

Encore une lettre que je recommande à toute l’obligeance de M. le Directeur de la prison de Mazas, à qui, je réitère l’assurance de mes sentiments distingués.

E. J. Lagarde.


Versailles, le 18 avril 1871.
Monseigneur,

Je profite d’une occasion sûre pour vous envoyer encore de mes nouvelles. Je vous ai déjà écrit trois fois, mais je ne sais si mes lettres vous ont été remises et c’est là mon grand tourment. J’aime à espérer que cette fois vous aurez certainement les quelques lignes que je vous adresse de nouveau et que vous saurez, en tous cas, une fois de plus, combien je suis avec vous toujours d’esprit et de cœur. La personne à qui vous m’aviez chargé de remettre votre lettre, me retient ici et je dois attendre sa réponse. Ce retard me désole bien, quand je pense à votre triste isolement ; mais que faire ? Comme je vous le disais hier, il me semble que mon devoir n’est pas douteux et que je n’ai qu’à me conformer aux ordres qui me sont donnés, Ces ordres mêmes prouvent que rien n’est terminé et que nous pouvons encore espérer. C’est ce que je fais pour ma part, en continuant d’agir et de prier de mon mieux pour mon vénéré Père.

Daignez, Monseigneur, agréer l’hommage de ma filiale vénération.

E.-J. Lagarde.


Après avoir reçu une lettre de M. Lagarde, datée de Versailles 15 avril, M. Darboy en reçut une le 17, une le 18 et une le 19. Dans ces trois lettres, comme le lecteur a pu le voir, le grand vicaire se disait désolé de ne pas avoir une réponse définitive. Il ajoutait qu’il ne négligeait rien pour arriver à une solution ; mais qu’il lui était impossible de ne pas subir ce retard.

À chacune de mes visites à Mazas M. Darboy me parlait de la négociation et des affaires du jour.

Le 21, il me retint longtemps. Sa conversation roula sur les personnages politiques de l’Empire, MM. Rouher, Émile Ollivier, Paul de Cassagnac, etc.

Outre ma visite, l’archevêque avait l’autorisation de recevoir celle de M. Washburn, ministre des États-Unis et celle de son secrétaire.

Le 23, je trouvai l’archevêque triste.

Il ne put me cacher son mécontentement du retard que le gouvernement de Versailles mettait pour se prononcer sur la négociation.

Il me donna une note et me dit : Lisez, je vous prie.

Voici le texte de cette note :

Écrit le dimanche 23 avril, et remis à M. Washburn, ministre des États-Unis, qui s’est chargé de faire parvenir et qui, en effet, a fait parvenir le lendemain à M. Lagarde, la note suivante, dont nous croyons devoir exactement reproduire les termes :

Au reçu de cette lettre, en quelque état que se trouve la négociation dont il a été chargé, M. Lagarde voudra bien reprendre immédiatement le chemin de Paris et rentrer à Mazas. On ne comprend guère que dix jours ne suffisent pas à un gouvernement pour savoir s’il veut accepter ou non l’échange proposé. Ce retard nous compromet gravement, et peut avoir les plus fâcheux résultats.

Signé : G…,
archevêque.
De Mazas, le 23 avril 1871.

Le 24, je vis Rigault pour lui parler du retard de M. Lagarde et lui faire lire la note que l’archevêque lui avait fait parvenir par l’intermédiaire de l’ambassadeur américain.

Après avoir pris connaissance de cette note, Rigault me dit :

— Ces fourbes de Versailles jouent cet imbécile de Lagarde. Il n’obtiendra rien. Vois souvent Darboy, et cherchez ensemble un moyen nouveau : nous ne pouvons pas laisser Blanqui aux Versaillais. Il nous le faut quand même. Offre tous les otages, si la chose est nécessaire.

— Je vais, lui répondis-je, agir en conséquence et faire de mon mieux !

De ce jour mon temps fut employé avec une ardeur fiévreuse. J’étais plein d’espoir, car il me semblait impossible que Versailles refusât de rendre Blanqui en échange de tous les otages.

Avant de faire connaître la seconde négociation, je crois pouvoir dire un mot de la prétendue barbarie avec laquelle la Commune martyrisait les otages à Mazas !

M. J. d’Arsac a publié un volume intitulé : La Guerre civile et la Commune de Paris, en 1871.

À la page 492, on lit :

Il se trouve, parmi les prêtres incarcérés, des vieillards qui ne résisteront pas longtemps au régime de la prison. La santé de Monseigneur est, dit-on, gravement atteinte, et plonge en ce moment dans le deuil tous les fidèles du diocèse. Les hommes de la Commune ont beau charger leurs geôliers de spéculer sur la vie des confesseurs, leur œuvre périra misérablement avec eux, tandis que, sans s’en douter, ils auront ajouté une étoile de plus à la couronne du clergé de France.

M. l’abbé Lagarde, vicaire-général de l’archevêque, cet ecclésiastique retenu à Versailles, contre son gré, serait tombé malade, par suite des privations endurées à Mazas.

M. J. d’Arsac a voulu, sans doute, mystifier ses lecteurs, car il savait fort bien que les prisonniers de la Commune recevaient à Mazas tout ce qu’ils désiraient, et qu’ils communiquaient librement avec leurs visiteurs.

Maintenant, voyons les procédés des Versaillais qui assassinaient leurs prisonniers, qui avaient fusillé Duval et égorgé Flourens. Nous n’avons, pour les montrer, qu’à publier la lettre de madame Antoine, sœur de Blanqui, à M. Thiers, et la réponse de celui-ci : On jugera de quel côté étaient les barbares.


À M. Thiers, chef du pouvoir exécutif.
Monsieur le Président,

Frappée depuis plus de deux mois d’une maladie qui me prive de toutes mes forces, j’espérais néanmoins en recouvrer assez, pour accomplir auprès de vous la mission à laquelle ma faiblesse prolongée me force aujourd’hui de renoncer.

Je charge mon fils unique de se rendre à Versailles pour vous présenter une lettre en mon nom, et j’ose espérer, Monsieur le Président, que vous voudrez bien accueillir sa demande.

Quels qu’aient jamais été les événements, ils n’ont en aucun temps prescrit les droits de l’humanité, ni fait méconnaître ceux de la famille, et c’est au nom de ces droits, Monsieur le Président, que je m’adresse à votre justice pour connaître l’état de santé de mon frère, Louis-Auguste Blanqui, arrêté, étant fort malade, le 17 mars dernier, sans que, depuis ce temps, un seul mot de sa part soit venu calmer mes douloureuses inquiétudes sur sa santé si sérieusement compromise.

Si c’est demander au delà de ce que vous pouvez accorder, Monsieur le Président, que de solliciter une permission pour le voir, ne fût-ce que pendant de courts instants, vous ne pourrez refuser à toute une famille désolée, dont je suis l’interprète, l’autorisation pour mon frère de nous adresser quelques mots qui nous rassurent, et pour nous, celle de lui faire savoir qu’il n’est point oublié dans son malheur par les parents qui le chérissent à si juste titre.

Veuillez agréer, etc.

Signé : Veuve Antoine, née Blanqui.
.


La réponse ne se fit pas longtemps attendre. Elle est contenue tout entière dans la lettre suivante, envoyée aux journaux de Paris :

Monsieur le Rédacteur,

Je vous prie de vouloir bien donner place, dans votre journal, à la lettre que j’ai l’honneur de vous adresser, ainsi qu’à la réponse faite par M. le chef du pouvoir exécutif.

À cette lettre, M. le chef du pouvoir exécutif a fait répondre que la santé de M. Blanqui est fort mauvaise, sans donner pourtant des inquiétudes sérieuses pour sa vie ; mais que malgré cette considération et mes instances au nom de ma famille et au mien, il refuse formellement d’autoriser aucune communication, soit verbale, soit écrite, entre M. Blanqui et sa famille, jusqu’à la fin des hostilités entre Paris et Versailles.

Ainsi, mon frère mourant est condamné au secret le plus rigoureux ; nous ne pouvons ni le voir, ni lui écrire, ni recevoir un mot de lui !

Je m’abstiens, Monsieur le Rédacteur, de toute protestation stérile en présence de ces faits que le jugement public appréciera.

Agréez, Monsieur, etc.

Veuve Antoine, née Blanqui.
Paris, le 14 avril 1871.


Je le répète, où sont les barbares ?

Les otages peuvent, à Mazas, avoir tout ce qu’ils veulent, et la Commune tant calomniée les autorise à recevoir les visites qu’ils désirent. Blanqui, prisonnier des dirigeants de Versailles, est retranché du monde des vivants ; on le cache, on le séquestre dans une casemate au fort du Taureau !