« Quelques mots sur la non-intervention » : différence entre les versions

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Il est un pays d’Europe, égal aux plus grands par l’étendue de sa domination, dépassant de beaucoup chaque autre par sa richesse, et, grâce à la puissance que celle-ci procure, dont le principe déclaré de politique étrangère est de laisser les autres nations tranquilles. Nul pays n’appréhende ou n’affecte d’appréhender un dessein agressif de sa part. La puissance, habituellement, depuis les temps anciens, porte atteinte aux faibles, et cherche querelle pour prendre l’ascendant sur ceux qui sont aussi forts qu’elle. Mais pas cette nation-ci. Elle veut tenir ce qui lui appartient, et refuse de se soumettre aux agressions, mais tant que les autres nations ne se mêleront pas de ses affaires, elle ne se mêlera pas des leurs. Toutes les tentatives qu’elle fait d’exercer une influence sur les autres, même par la persuasion, sont plus dans leur intérêt que dans le sien : médiations dans les querelles qui surviennent entre États étrangers, coups d’arrêt mis à des guerres civiles obstinées, réconciliations de belligérants, intercessions pour que les vaincus soient traités avec douceur, ou enfin, pour procurer l’abandon de quelque crime national qui scandalise l’humanité, tel que le commerce des esclaves. Cette nation non seulement ne désire aucun bénéfice pour elle-même au détriment des autres, mais elle n’en désire aucun auquel toutes les autres ne participent aussi librement. Elle ne signe aucun traité stipulant des avantages commerciaux exclusifs. Si les agressions de barbares la forcent à mener une guerre victorieuse, et si ses armes victorieuses la mettent en situation d’ordonner la liberté du commerce, elle réclame pour l’humanité entière ce qu’elle réclame pour elle-même. Ses propres ports et marchés sont libres comme l’air : tous ses voisins ont l’entière liberté d’y résider, soit qu’ils ne payent aucun droit, soit qu’ils ne payent tout au plus que l’équivalent de ce que paient ses propres citoyens, sans se préoccuper du fait que de leur côté ils gardent tout pour eux, et persistent dans l’exclusion la plus jalouse et étroite d’esprit de ses marchands et de ses produits.
 
Une nation qui adopte cette politique est une nouveauté dans le monde ; à tel point, semble-t-il, que beaucoup n’en croient pas leurs yeux. Par l’un des paradoxes pratiques que nous rencontrons souvent dans les affaires humaines, c’est cette nation que l’on couvre d’opprobre pour sa politique étrangère, en lui reprochant d’être le type même de la nation égoïste qui ne pense qu’à son propre intérêt ; ou d’être une nation qui ne pense qu’à surpasser ses voisins et rivaliser de stratégie avec eux. On pourrait concevoir qu’un ennemi ou un rival auto-proclamé, distancé dans la course, diffuse une telle accusation dans un moment de colère. Mais que les simples observateurs l’acceptent et qu’elle passe dans la doctrine populaire est une source d’étonnement même pour ceux qui ont le mieux sondé les profondeurs des préjugés humains. Tel est cependant le jugement le plus largement et couramment porté par les Européens sur la politique étrangère de l’Angleterre. Ne nous flattons pas en pensant que ce ne sont qu’élucubrations malhonnêtes de nos ennemis ou de ceux qui servent leur propre intérêt en excitant l’aversion contre nous, une classe qui inclut tous les écrivains protectionnistes, et les porte-paroles de tous les despotes et de la papauté. Plus notre politique est exempte de reproche et louable, plus nous sommes certains de pouvoir nous attendre à être déformés et raillés par ces tristes sires. Malheureusement, cette opinion n’est pas confinée à ceux qu’ils peuvent influencer, mais elle est tenue avec la ténacité d’un préjugé, par d’innombrables personnes libres de tout parti pris intéressé. Son emprise sur leurs esprits est si forte, que lorsqu’un Anglais tente de l’en ôter, leur politesse habituelle ne parvient pas à dissimuler l’incrédulité extrême que provoque son démenti. Ils ont la ferme conviction qu’aucun mot n’est prononcé et qu’aucune action n’est effectuée par un homme d’État anglais dans le domaine des affaires étrangères, qui n’ait pour principe moteur un intérêt particulier anglais. Toutes les assurances contraires leur semblent être de trop évidentes et ridicules tentatives de leur en imposer. Ceux qui sont les plus amicaux envers nous pensent faire une grande concession en admettant que la faute en revient moins au peuple anglais qu’au gouvernement et à l’aristocratie anglais. Ils refusent même de mettre à notre crédit la meilleure attitude qui est de poursuivre notre propre intérêt tout en le reconnaissant honnêtement et sans artifice. Ils croient que nous avons toujours d’autres objectifs que ceux que nous avouons ; et la suggestion la moins plausible et la plus tirée par les cheveux d’un but égoïste leur parait plus digne de foi qu’une chose si extrêmement incroyable que notre désintéressement. Ainsi, pour donner un exemple parmi plusieurs, lorsque nous nous sommes prélevé un impôt de vingt millions (une somme prodigieuse selon leur estimation) pour nous débarrasser de l’esclavage des nègres, et mîmes en péril, comme tous le pensaient, ou détruisîmes, comme beaucoup le pensaient, nos colonies antillaises, l’on crut, et l’on croit encore, que nos excellentes déclarations n’avaient pour but que de tromper le monde, et que par cette attitude d’auto-sacrifice, nous projetions d’atteindre quelque objectif caché, qui ne pouvait être ni imaginé ni décrit, dans l’intention de provoquer la chute d’autres nations. Le renard ayant perdu sa queue avait un intérêt intelligible à persuader ses voisins de se débarrasser de la leur : mais nous, pensent nos voisins, nous coupons notre propre brosse magnifique, la plus grande et la plus luxueuse de toutes, dans l’espoir de dérober quelque avantage inexplicable en incitant les autres à faire de même.
 
REPRENDE : [[Page:Fraser's Magazine for Town and Country (IA frasersmagazine24unkngoog).pdf/786]]
Il est stupide de tenter de traiter tout cela par le mépris : de nous persuader que ce n’est pas de notre faute, et que ceux qui ne nous croient pas ne croiraient pas plus si l’on ressuscitait des morts. Les nations, comme les individus, devraient soupçonner leur propre défaillance lorsqu’ils découvrent qu’ils sont moins bien jugés qu’ils estiment le mériter, et il se peut bien qu’ils sachent qu’ils sont d’une certaine façon en faute lorsque presque tout le monde sauf eux-mêmes les croit habiles et hypocrites. Ce n’est pas uniquement parce que l’Angleterre a mieux réussi que les autres nations à obtenir ce qu’ils visent tous, qu’ils pensent qu’elle doit le rechercher plus qu’eux dans une quête sans repos ni partage. C’est certes une cause qui les prédispose, les préparant à cette opinion et les y faisant pencher. Il est naturel de supposer que ceux qui remportent le prix y ont mis l’acharnement qu’il faut, que le surcroit de succès doit être le fruit de l’effort le plus inlassable ; et qu’en l’absence des moyens ordinairement employés pour distancer les adversaires, lorsque ces derniers sont néanmoins distancés, les moyens employés doivent avoir été encore plus subtiles et profonds. Cette idée préconçue les pousse à chercher partout des indices à l’appui de l’explication de notre conduite par l’égoïsme. Si notre conduite ordinaire ne corrobore pas cette interprétation, ils scrutent les exceptions, et en font la mesure effective des intentions qu’elles contiennent. Ils prennent en outre au premier degré toutes les expressions habituelles par lesquelles nous nous représentons comme étant pires que nous ne sommes ; des expressions souvent employées par les hommes d’État anglais — tandis qu’elles ne le sont presque jamais chez ceux des autres pays — en partie parce que les Anglais, plus que toute autre race humaine, sont si timides dans l’affirmation de leurs qualités qu’ils vont au contraire jusqu’à avouer des vices ; et en partie parce que presque tous les hommes d’État anglais, tout en étant insouciants à un point qu’aucun étranger ne peut deviner quant à l’impression qu’ils produisent sur les étrangers, commettent la sottise obtuse de supposer que les objets les plus vils sont les seuls qui puissent plaire aux esprits de leurs compatriotes non aristocratiques, et qu’il est toujours expédient, sinon nécessaire, de placer ces objets au premier rang.
 
 
 
Il est stupide de tenter de traiter tout cela par le mépris : de nous persuader que ce n’est pas de notre faute, et que ceux qui ne nous croient pas ne croiraient pas plus si l’on ressuscitait des morts. Les nations, comme les individus, devraient soupçonner leur propre défaillance lorsqu’ils découvrent qu’ils sont moins bien jugés qu’ils estiment le mériter, et il se peut bien qu’ils sachent qu’ils sont d’une certaine façon en faute lorsque presque tout le monde sauf eux-mêmes les croit habiles et hypocrites. Ce n’est pas uniquement parce que l’Angleterre a mieux réussi que les autres nations à obtenir ce qu’ils visent tous, qu’ils pensent qu’elle doit le rechercher plus qu’eux dans une quête sans repos ni partage. C’est certes une cause qui les prédispose, les préparant à cette opinion et les y faisant pencher. Il est naturel de supposer que ceux qui remportent le prix y ont mis l’acharnement qu’il faut, que le surcroit de succès doit être le fruit de l’effort le plus inlassable ; et qu’en l’absence des moyens ordinairement employés pour distancer les adversaires, lorsque ces derniers sont néanmoins distancés, les moyens employés doivent avoir été encore plus subtiles et profonds. Cette idée préconçue les pousse à chercher partout des indices à l’appui de l’explication de notre conduite par l’égoïsme. Si notre conduite ordinaire ne corrobore pas cette interprétation, ils scrutent les exceptions, et en font la mesure effective des intentions qu’elles contiennent. Ils prennent en outre au premier degré toutes les expressions habituelles par lesquelles nous nous représentons comme étant pires que nous ne sommes ; des expressions souvent employées par les hommes d’État anglais — tandis qu’elles ne le sont presque jamais chez ceux des autres pays — en partie parce que les Anglais, plus que toute autre race humaine, sont si timides dans l’affirmation de leurs qualités qu’ils vont au contraire jusqu’à avouer des vices ; et en partie parce que presque tous les hommes d’État anglais, tout en étant insouciants à un point qu’aucun étranger ne peut deviner quant à l’impression qu’ils produisent sur les étrangers, commettent la sottise obtuse de supposer que les objets les plus vils sont les seuls qui puissent plaire aux esprits de leurs compatriotes non aristocratiques, et qu’il est toujours expédient, sinon nécessaire, de placer ces objets au premier rang.
 
Ainsi, tous ceux qui parlent ou agissent au nom de l’Angleterre sont liés par la plus forte obligation, à la fois de prudence et de devoir, d’éviter de tendre des perches à des interprétations erronées, de brider sévèrement la manie de déclarer agir pour des motifs plus mesquins que ceux qui déterminent réellement notre action, et de faire attention de ne pas perversement ou capricieusement monter en épingle quelque occurrence particulière d’action fondée sur un principe moins honorable que celui qui nous guide ordinairement. À l’heure actuelle, ces deux salutaires consignes de prudence sont ignorées de manière flagrante par nos hommes d’État en exercice.