« Lettre de Ferragus, dans Le Figaro , 23 janvier 1868, La littérature putride » : différence entre les versions

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'''L’article de Ferragus, dans « Le Figaro », 23 janvier 1868 : « La littérature obscène »'''
 
 
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Mais il s’est établi depuis quelques années une école monstrueuse de romanciers, qui prétend substituer l’éloquence du charnier à l’éloquence de la chair, qui fait appel aux curiosités les plus chirurgicales, qui groupe les pestiférés pour nous en faire admirer les marbrures, qui s’inspire directement du choléra, son maître, et qui fait jaillir le pus de la conscience.
 
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Je ne mets pas en cause les intentions ; elles sont bonnes ; mais je tiens à démontrer que dans une époque à ce point blasée, pervertie, assoupie, malade, les volontés les meilleures se fourvoient et veulent corriger par des moyens qui corrompent. On cherche le succès pour avoir des auditeurs, et on met à sa porte des linges hideux en guise de drapeaux pour attirer les passants.
 
J’estime les écrivains dont je vais piétiner les œuvres ; ils croient à la régénération sociale ; mais en faisant leur petit tas de boue, ils s’y mirent, avant de le balayer ; ils veulent qu’on le flaire et que chacun s’y mire à son tour ; ils ont la coquetterie de leur besogne et ils oublient l’égout, en retenant l’ordure au dehors.
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de leur besogne et ils oublient l’égout, en retenant l’ordure au dehors.
 
Je dois, en bonne conscience, faire une exception pour M. Feydeau. Ce n’est que faute d’un peu d’esprit qu’il dépasse la mesure ; mais je louerais beaucoup plus son dernier roman, qui a des parties excellentes, si l’auteur n’avait l’habitude de ne laisser rien à dire à ses lecteurs, en fait de compliments, et si je ne me souvenais de La fille aux yeux d’or. Quoi qu’il en soit, M. Feydeau a voulu, voyant les mœurs de son temps, écrire à son tour Les Liaisons dangereuses. Il est parti d’un point de vue austère ; il flétrit sans ambages les belles façons des grandes dames ; il a dépeint avec une sûreté de coloris incontestable le portrait de son héroïne ; mais il n’a pu se garer du défaut commun. C’est un Joseph Prudhomme faisandé. En deux ou trois endroits il souligne trop, et on peut lui appliquer ce moyen de comparaison qui condamne les autres romanciers trivialistes : il lui serait impossible de mettre son héroïne au théâtre.
 
Remarquez bien que c’est la pierre de touche. Balzac, le sublime fumier sur lequel poussent tous ces champignons-là, a amassé dans Mme Marneffe toutes les corruptions, toutes les infamies ; et pourtant comme il n’a jamais mis Mme Marneffe dans une position grotesque ou triviale que son image pût faire rire ou soulever le goût, on a représenté Mme Marneffe sur un théâtre. Je vous défie d’y mettre la comtesse de Chalis ! Je vous défie d’y laisser passer Germinie Lacerteux, Thérèse Raquin, tous ces fantômes impossibles qui suintent la mort, sans avoir respiré la vie, qui ne sont que des cauchemars de la réalité.
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Le second reproche que j’adresserai à cette littérature violente, c’est qu’elle se croit bien malicieuse et qu’elle est bien naïve : elle n’est qu’un trompe-l’œil.
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La chasteté, la candeur, l’amour dans ses héroïsmes, la haine dans ses hypocrisies, la vérité de la vie, après tout, ne se montrent pas sans vernis, coûtent plus de travail, exigent plus d’observation et profitent davantage au lecteur. Je ne prétends pas restreindre le domaine de l’écrivain. Tout, jusqu’à l’épiderme, lui appartient : arracher la peau, ce n’est plus de l’observation, c’est de la chirurgie ; et si une fois par hasard un écorché peut être indispensable à la démonstration psychologique, l’écorché mis en système n’est plus que de la folie et de la dépravation.
 
Je disais que toutes ces imaginations malsaines étaient des imaginations pauvres
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ou paresseuses. Je n’ai besoin que de citer les procédés pour le prouver. Elles vivent d’imitation. Madame Bovary, Fanny, L’Affaire Clémenceau, ont l’empreinte d’un talent original et personnel ; aussi ces trois livres supérieurs sont-ils restés les types que l’on imite, que l’on parodie, que l’on allonge en les faisant grimacer. Combiner l’élément judiciaire avec l’élément pornographique, voilà tout le fonds de la science. Mystère et hystérie ! voilà la devise.
 
Il y a un piège, d’ailleurs, dans ces deux mots : les tribunaux sont un lieu commun de péripéties variées et faciles, et, à une époque d’énervement, comme on n’a plus le secret de la passion, on la remplace par des spasmes maladifs ; c’est aussi bruyant, et c’est plus commode.
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Je ne sais si M. Zola a la force d’écrire un livre fin, délicat, substantiel et décent. Il faut de la volonté, de l’esprit, des idées et du style pour renoncer aux violences ; mais je puis déjà indiquer à l’auteur de Thérèse Raquin une conversion.
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M. Jules Claretie avait écrit, lui aussi, son livre de frénésie amoureuse et assassine ; mais il s’est dégoûté du genre après son propre succès, et il a demandé à l’histoire des tragédies plus vraies, des passions plus héroïques et non moins terribles. On meurt beaucoup dans ses Derniers Montagnards, mais avec un cri d’espérance et d’amour pour la liberté ! La rage n’y est pas ménagée mais celle-là rend doux et tolérant !
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A la fin, ne parvenant pas à écraser suffisamment le noyé dans leurs baisers, ils se mordent, se font horreur, et se tuent ensemble de désespoir de ne pouvoir se tuer réciproquement.
 
Si je disais à l’auteur que son idée est immorale, il bondirait, car la description du remords passe généralement pour un spectacle moralisateur ; mais si le remords se bornait toujours à des impressions physiques, à des répugnances charnelles, il
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ne serait plus qu’une révolte du tempérament, et il ne serait pas le remords. Ce qui fait la puissance et le triomphe du bien, c’est que même la chair assouvie, la passion satisfaite, il s’éveille et brûle dans le cerveau. Une tempête sous un crâne est un spectacle sublime : une tempête dans les reins est un spectacle ignoble.
 
La première fois que Thérèse aperçoit l’homme qu’elle doit aimer, voici comment s’annonce la sympathie : « La nature sanguine de ce garçon, sa voix pleine, ses rires gras, les senteurs âcres et puissantes qui s’échappaient de lui troublaient la jeune femme et la jetaient dans une sorte d’angoisse nerveuse . »
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Laurent s’y délecte à voir les femmes assassinées. Un jour il s’éprend du cadavre d’une fille qui s’est pendue ; il est vrai que le corps de celle-ci, « frais et gras, blanchissait avec des douceurs de teinte d’une grande délicatesse… Laurent la regarda longtemps, promenant ses regards sur la chair, absorbé dans une sorte de désir peureux. »
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Les dames du monde vont à la morgue, paraît-il ; une d’elles y tombe en contemplation devant le corps robuste d’un maçon. « La dame – dit l’auteur – l’examinait, le retournait, le pesait, s’absorbait dans le spectacle de cet homme. Elle leva un coin de sa voilette, regarda encore puis s’en alla. »
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Mais la monotonie de l’ignoble est la pire des monotonies. Il semble, pour rester dans les comparaisons de ce livre, qu’on soit étendu sous le robinet d’un des lits de la morgue, et jusqu’à la dernière page, on sent couler, tomber goutte à goutte sur soi cette eau faite pour délayer des cadavres.
 
Les deux époux, de fureur en fureur, de dépravations en dépravations, en viennent à se battre, à vouloir se dénoncer. Thérèse
=== no match ===
se prostitue, et Laurent, « dont la chair est morte », regrette de ne pouvoir en faire autant.
 
Enfin, un jour, ces deux forçats de la morgue tombent épuisés, empoisonnés, l’un sur l’autre, devant le fauteuil de la vieille mère paralytique de Camille Raquin, qui jouit intérieurement de ce châtiment par lequel son fils est vengé.