« Utilisateur:Andre315/Dum3 » : différence entre les versions

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m Andre315 : match
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En ce moment la voix de Hans se fit entendre :
 
 
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— « Halt ! » dit-il.
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Puis je m’endormis d’un profond sommeil.
 
À
À huit heures du matin, un rayon du jour vint nous réveiller. Les mille facettes de lave des parois le recueillaient à son passage et l’éparpillaient comme une pluie d’étincelles.
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À huit heures du matin, un rayon du jour vint nous réveiller. Les mille facettes de lave des parois le recueillaient à son passage et l’éparpillaient comme une pluie d’étincelles.
 
Cette lueur était assez forte pour permettre de distinguer les objets environnants.
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Cet instrument allait, en effet, nous devenir inutile, du moment que le poids de l’air dépasserait sa pression calculée au niveau de l’Océan.
 
«
« Mais, dis-je, n’est-il pas à craindre que cette pression toujours croissante ne soit fort pénible ?
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« Mais, dis-je, n’est-il pas à craindre que cette pression toujours croissante ne soit fort pénible ?
 
— Non. Nous descendrons lentement, et nos poumons s’habitueront à respirer une atmosphère plus comprimée. Les aéronautes finissent par manquer d’air en s’élevant dans les couches supérieures ; nous, nous en aurons trop peut-être. Mais j’aime mieux cela. Ne perdons pas un instant. Où est le paquet qui nous a précédés dans l’intérieur de la montagne ?
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Cela dit, mon oncle prit d’une main l’appareil de Ruhmkorff suspendu a son cou ; de l’autre, il mit en communication le courant électrique avec le serpentin de la lanterne, et une assez vive lumière dissipa les ténèbres de la galerie.
 
 
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Hans portait le second appareil, qui fut également mis en activité. Cette ingénieuse application de l’électricité nous permettait d’aller longtemps en créant un jour artificiel, même au milieu des gaz les plus inflammables.
 
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II aurait dit plus justement « glissons, » car nous nous laissions aller sans fatigue sur des pentes inclinées. C’était le « facilis descensus Averni », de Virgile. La boussole, que je consultais fréquemment, indiquait la direction du sud-est avec une imperturbable rigueur. Cette coulée de lave n’obliquait ni d’un côté ni de l’autre. Ella avait l’inflexibilité de la ligne droite.
 
Cependant la chaleur n’augmentait pas d’une façon sensible ; cela donnait raison aux théories de Davy, et plus d’une fois je consultai le thermomètre avec étonnement. Deux heures après le départ, il ne marquait encore que 10°, c’est-à-dire un accroissement de 4°. Cela m’autorisait à penser que notre descente était
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plus horizontale que verticale. Quant à connaître exactement la profondeur atteinte, rien de plus facile. Le professeur mesurait exactement les angles de déviation et d’inclinaison de la route, mais il gardait pour lui le résultat de ses observations.
 
Le soir, vers huit heures, il donna le signal d’arrêt. Hans aussitôt s’assit ; les lampes furent accrochées à une saillie de lave. Nous étions dans une sorte de caverne où l’air ne manquait pas. Au contraire. Certains souffles arrivaient jusqu’à nous. Quelle cause les produisait ? À quelle agitation atmosphérique attribuer leur origine ? C’est une question que je ne cherchai pas à résoudre en ce moment ; la faim et la fatigue me rendaient incapable de raisonner. Une descente
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de sept heures consécutives ne se fait pas sans une grande dépense de forces. J’étais épuisé. Le mot halte me fit donc plaisir à entendre. Hans étala quelques provisions sur un bloc de lave, et chacun mangea avec appétit. Cependant une chose m’inquiétait ; notre réserve d’eau était à demi consommée. Mon oncle comptait la refaire aux sources souterraines, mais jusqu’alors celles-ci manquaient absolument. Je ne pus m’empêcher d’attirer son attention sur ce sujet.
 
« Cette absence de sources te surprend ? dit-il.
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— Rien de plus exact.
 
Eh bien ?
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Eh bien ?
 
— Eh bien, d’après mes observations, nous sommes arrivés à dix mille pieds au-dessous du niveau de la mer,
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D’ailleurs toute hésitation devant ce double chemin se serait prolongée indéfiniment, car nul indice ne pouvait déterminer le choix de l’un ou de l’autre ; il fallait s’en remettre absolument au hasard.
 
La pente de cette nouvelle galerie était peu sensible, et sa section fort inégale ; parfois une succession d’arceaux se déroulait devant nos pas comme les contre-nefs d’une cathédrale gothique ; les artistes du moyen âge auraient pu étudier là toutes les formes de cette architecture religieuse qui a l’ogive pour générateur. Un mille plus loin, notre tête se courbait sous les cintres surbaissés du style roman, et de gros piliers engagés dans le massif pliaient sous la retombée
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des voûtes. À de certains endroits, cette disposition faisait place à de basses substructions qui ressemblaient aux ouvrages des castors, et nous nous glissions en rampant à travers d’étroits boyaux.
 
La chaleur se maintenait à un degré supportable. Involontairement je songeais à son intensité, quand les laves vomies par le Sneffels se précipitaient par cette route si tranquille aujourd’hui. Je m’imaginais les torrents de feu brisés aux angles de la galerie et l’accumulation des vapeurs surchauffées dans cet étroit milieu !
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— Comment ! quand nous n’avons qu’à descendre !
 
— À
— À monter, ne vous en déplaise !
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— À monter, ne vous en déplaise !
 
— À monter ! fit mon oncle en haussant les épaules.
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Le professeur remua la tête en homme qui ne veut pas être convaincu. J’essayai de reprendre la conversation. Il ne me répondit pas et donna le signal du départ. Je vis bien que son silence n’était que de la mauvaise humeur concentrée.
 
Cependant j’avais repris mon fardeau avec courage, et je suivais rapidement Hans, que précédait mon oncle. Je tenais à ne pas être distancé ; ma grande
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préoccupation était de ne point perdre mes compagnons de vue. Je frémissais à la pensée de m’égarer dans les profondeurs de ce labyrinthe.
 
D’ailleurs, la route ascendante devenait plus pénible, je m’en consolais en songeant qu’elle me rapprochait de la surface de la terre. C’était un espoir. Chaque pas le confirmait.
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M’avait-il compris ou non ? Ne voulait-il pas convenir, par amour-propre d’oncle et de savant, qu’il s’était trompé en choisissant le tunnel de l’est, ou tenait-il à reconnaître ce passage jusqu’à son extrémité ? Il était évident que nous avions quitté la route des laves, et que ce chemin ne pouvait conduire au foyer du Sneffels.
 
Cependant je me demandai si je n’accordais pas une trop grande importance à
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cette modification des terrains. Ne me trompais-je pas moi-même ? Traversions-nous réellement ces couches de roches superposées au massif granitique ?
 
« Si j’ai raison, pensai-je, je dois trouver quelque débris de plante primitive, et il faudra bien me rendre à l’évidence. Cherchons. »
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En effet, il fallut se rationner. Notre provision ne pouvait durer plus de trois jours. C’est ce que je reconnus le soir au moment du souper. Et, fâcheuse expectative, nous avions peu d’espoir de rencontrer quelque source vive dans ces terrains de l’époque de transition.
 
Pendant toute la journée du lendemain la galerie déroula devant nos pas ses
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interminables arceaux. Nous marchions presque sans mot dire. Le mutisme de Hans nous gagnait.
 
La route ne montait pas, du moins d’une façon sensible ; parfois même elle semblait s’incliner. Mais cette tendance, peu marquée d’ailleurs, ne devait pas rassurer le professeur, car la nature des couches ne se modifiait pas, et la période de transition s’affirmait davantage.
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« Une mine de charbon ! m’écriai-je.
 
— Une mine sans mineurs, répondit mon oncle.
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Une mine sans mineurs, répondit mon oncle.
 
— Eh ! qui sait ?
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Hans, prépara quelques aliments. Je mangeai à peine, et je bus les quelques gouttes d’eau qui formaient ma ration. La gourde du guide à demi pleine, voilà tout ce qui restait pour désaltérer trois hommes.
 
Après leur repas, mes deux compagnons s’étendirent sur leurs couvertures et
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trouvèrent dans le sommeil un remède à leurs fatigues. Pour moi, je ne pus dormir, et je comptai les heures jusqu’au matin.
 
Le samedi, à six heures, on repartit. Vingt minutes plus tard, nous arrivions à une vaste excavation ; je reconnus alors que la main de l’homme ne pouvait pas avoir creusé cette houillère ; les voûtes en eussent été étançonnées, et véritablement elles ne se tenaient que par un miracle d’équilibre.
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Or c’est précisément à cette exubérante végétation que la houille doit son origine. L’écorce élastique du globe obéissait aux mouvements de la masse liquide qu’elle recouvrait. De là des fissures, des affaissements nombreux ; les plantes, entraînées sous les eaux, formèrent peu à peu des amas considérables.
 
Alors intervint l’action de la chimie naturelle, au fond des mers, les masses
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végétales se firent tourbe d’abord ; puis, grâce à l’influence des gaz, et sous le feu de la fermentation, elles subirent une minéralisation complète.
 
Ainsi se formèrent ces immenses couches de charbon que la consommation de tous les peuples, pendant de longs siècles encore, ne parviendra pas à épuiser.
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— Parce que, demain, l’eau manquera tout à fait.
 
— Et le courage manquera-t-il aussi ? fit le professeur en me regardant d’un œil sévère. »
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Et le courage manquera-t-il aussi ? fit le professeur en me regardant d’un œil sévère. »
 
Je n’osai lui répondre.
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Avais-je bien entendu ? Mon oncle était-il fou ? Je le regardais d’un air hébété. Je ne voulais pas le comprendre. .
 
« Bois, » reprit-il.
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reprit-il.
 
Et relevant sa gourde, il la vida tout entière entre mes lèvres.
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— Mon oncle ! murmurai-je pendant que de grosses larmes mouillaient mes yeux.
 
— Oui, pauvre enfant, je savais qu’à ton arrivée à ce carrefour, tu tomberais à demi mort, et j’ai conservé mes dernières gouttes d’eau pour te ranimer.
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Oui, pauvre enfant, je savais qu’à ton arrivée à ce carrefour, tu tomberais à demi mort, et j’ai conservé mes dernières gouttes d’eau pour te ranimer.
 
— Merci ! merci ! » m’écriai-je.
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Mon oncle parlait avec une extrême surexcitation. Sa voix, un instant attendrie, redevenait dure et menaçante. Il luttait avec une sombre énergie contre l’impossible ! Je ne voulais pas l’abandonner au fond de cet abîme, et, d’un autre côté, l’instinct de la conservation me poussait à le fuir.
 
Le guide suivait cette scène avec son indifférence accoutumée. Il comprenait cependant ce qui se passait entre ses deux compagnons ; nos gestes indiquaient
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assez la voie différente où chacun de nous essayait d’entraîner l’autre ; mais Hans semblait s’intéresser peu à la question dans laquelle son existence se trouvait en jeu, prêt à partir si l’on donnait le signal du départ, prêt à rester à la moindre volonté de son maître.
 
Que ne pouvais-je en cet instant me faire entendre de lui ! Mes paroles, mes gémissements, mon accent, auraient eu raison de cette froide nature. Ces dangers que le guide ne paraissait pas soupçonner, je les lui eusse fait comprendre et toucher du doigt. À nous deux nous aurions peut-être convaincu l’entêté professeur. Au besoin, nous l’aurions contraint à regagner les hauteurs du Sneffels !
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Je secouai la tête avec un air de profonde incrédulité.
 
« Écoute-moi jusqu’au bout, reprit le professeur en forçant la voix. Pendant-que tu gisais, là sans mouvement, j’ai été reconnaître la conformation de cette galerie. Elle s’enfonce directement dans les entrailles du globe, et, en peu d’heures, elle nous conduira au massif granitique. Là nous devons rencontrer des sources abondantes. La nature de la roche le veut ainsi, et l’instinct est d’accord avec la logique pour appuyer ma conviction. Or, voici ce que j’ai à te proposer. Quand Colomb a demandé trois jours à ses équipages pour trouver les terres nouvelles, ses équipages, malades, épouvantés, ont cependant fait droit à sa demande, et il a découvert le nouveau monde. Moi, le Colomb de ces régions souterraines, je ne te demande qu’un jour encore. Si, ce temps écoulé, je n’ai pas rencontré l’eau qui nous manque, je te le jure, nous reviendrons à la surface de la terre. »
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de la terre. »
 
En dépit de mon irritation, je fus ému de ces paroles et de la violence que se faisait mon oncle pour tenir un pareil langage.
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Aux schistes succédèrent les gneiss, d’une structure stratiforme, remarquables par la régularité et le parallélisme de leurs feuillets, puis, les micaschistes disposés en grandes lamelles rehaussées à l’œil par les scintillations du mica blanc.
 
 
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La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m’imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements.
 
Vers six heures du soir, cette fête de la lumière vint à diminuer sensiblement, presque à cesser ; les parois prirent une teinte cristallisée, mais sombre ; le mica se mélangea plus intimement au feldspath et au quartz, pour former la roche par excellence, la pierre dure entre toutes, celle qui supporte, sans en être écrasée, les quatre étages de terrain du globe. Nous étions murés dans l’immense prison de granit.
 
 
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Il était huit heures du soir. L’eau manquait toujours. Je souffrais horriblement. Mon oncle marchait en avant. Il ne voulait pas s’arrêter. Il tendait l’oreille pour surprendre les murmures de quelque source. Mais rien.
 
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« Hans nous abandonne ! m’écriai-je. Hans ! Hans ! »
 
Ces mots, je les criais en moi-même. Ils n’allaient pas plus loin. Cependant, après le premier instant de terreur, j’eus honte de mes soupçons contre un homme dont la conduite n’avait rien eu jusque-là de suspect. Son départ ne pouvait être une fuite. Au lieu de remonter la galerie, il la descendait. De mauvais desseins l’eussent entraîné en haut, non en bas. Ce raisonnement me calma
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un peu, et je revins à un autre d’ordre d’idées. Hans, cet homme paisible, un motif grave avait pu seul l’arracher à son repos. Allait-il donc à la découverte ? Avait-il entendu pendant la nuit silencieuse quelque murmure dont la perception n’était pas arrivée jusqu’à moi ?
 
Pendant une heure j’imaginai dans mon cerveau en délire toutes les raisons qui avaient pu faire agir le tranquille chasseur. Les idées les plus absurdes s’enchevêtrèrent dans ma tête. Je crus que j’allais devenir fou !
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« Hans ne s’est pas trompé, » dit-il, ce que tu entends là, c’est le mugissement d’un torrent.
 
— Un torrent ? m’écriai-je.
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Un torrent ? m’écriai-je.
 
— Il n’y a pas à en douter. Un fleuve souterrain circule autour de nous ! »
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— Oui, répétait mon oncle avec frénésie, Hans a raison ! Ah ! le brave chasseur ! Nous n’aurions pas trouvé cela ! »
 
Je le crois bien ! Un pareil moyen, quelque simple qu’il fût, ne nous serait pas venu à l’esprit. Rien de plus dangereux que de donner un coup de pioche dans cette charpente du globe. Et si quelque éboulement allait se produire qui nous écraserait ! Et si le torrent, se faisant jour à travers le roc, allait nous envahir !
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Ces dangers n’avaient rien de chimérique ; mais alors les craintes d’éboulement ou d’inondation ne pouvaient nous arrêter, et notre soif était si intense que, pour l’apaiser, nous eussions creusé au lit même de l’Océan.
 
Hans se mit à ce travail, que ni mon oncle ni moi nous n’eussions accompli. L’impatience emportant notre main, la roche eût volé en éclats sous ses coups précipités. Le guide, au contraire, calme et modéré, usa peu à peu le rocher par une série de petits coups répétés, creusant une ouverture large d’un demi-pied. J’entendais le bruit du torrent s’accroître, et je croyais déjà sentir l’eau bienfaisante rejaillir sur mes lèvres.
 
Bientôt le pic s’enfonça de deux pieds dans la muraille de granit ; le travail
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durait depuis plus d’une heure ; je me tordais d’impatience ! Mon oncle voulait employer les grands moyens. J’eus de la peine à l’arrêter, et déjà il saisissait son pic, quand soudain un sifflement se fit entendre. Un jet d’eau s’élança de la muraille et vint se briser sur la paroi opposée.
 
Hans, à demi renversé par le choc, ne put retenir un cri de douleur. Je compris pourquoi lorsque, plongeant mes mains dans le jet liquide, je poussai à mon tour une violente exclamation : la source était bouillante.
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« Il est évident, dis-je, que les nappes supérieures de ce cours d’eau sont situées à une grande hauteur, à en juger par la force du jet.
 
— Cela n’est pas douteux, répliqua mon oncle, il y a là mille atmosphères de pression, si cette colonne d’eau a trente-deux mille pieds de hauteur. Mais il me vient une idée.
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Cela n’est pas douteux, répliqua mon oncle, il y a là mille atmosphères de pression, si cette colonne d’eau a trente-deux mille pieds de hauteur. Mais il me vient une idée.
 
— Laquelle ?
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« Partons ! » m’écriai-je en éveillant par mes accents enthousiastes les vieux échos du globe.
 
 
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La marche fut reprise le jeudi à huit heures du matin. Le couloir de granit, se contournant en sinueux détours, présentait des coudes inattendus, et affectait l’imbroglio d’un labyrinthe ; mais, en somme, sa direction principale était toujours le sud-est. Mon oncle ne cessait de consulter avec le plus grand soin sa boussole, pour se rendre compte du chemin parcouru.
 
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Ce puits était une fente étroite pratiquée dans le massif, du genre de celles qu’on appelle « faille » ; la contraction de la charpente terrestre, à l’époque de son refroidissement, l’avait évidemment produite. Si elle servit autrefois de passage aux matières éruptives vomies par le Sneffels, je ne m’expliquais pas comment celles-ci n’y laissèrent aucune trace. Nous descendions une sorte de vis tournante qu’on eût cru faite de la main des hommes.
 
De quart d’heure en quart d’heure, il fallait s’arrêter pour prendre un repos nécessaire et rendre à nos jarrets leur élasticité. On s’asseyait alors sur quelque
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saillie, les jambes pendantes, on causait en mangeant, et l’on se désaltérait au ruisseau.
 
Il va sans dire que, dans cette faille, le Hans-bach s’était fait cascade au détriment de son volume ; mais il suffisait et au delà à étancher notre soif ; d’ailleurs, avec les déclivités moins accusées, il ne pouvait manquer de reprendre son cours paisible. En ce moment il me rappelait mon digne oncle, ses impatiences et ses colères, tandis que, par les pentes adoucies, c’était le calme du chasseur islandais.
 
Le 6 et le 7 juillet, nous suivîmes les spirales de cette faille, pénétrant encore de deux lieues dans l’écorce terrestre, ce qui faisait près de cinq lieues au-dessous
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du niveau de la mer. Mais, le 8, vers midi, la faille prit, dans la direction du sud-est, une inclinaison beaucoup plus douce, environ quarante-cinq degrés.
 
Le chemin devint alors aisé et d’une parfaite monotonie. Il était difficile qu’il en fût autrement. Le voyage ne pouvait être varié par les incidents du paysage.
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Quatre jours plus tard, le samedi 18 juillet, le soir, nous arrivâmes à une espèce de grotte assez vaste ; mon oncle remit à Hans ses trois rixdales hebdomadaires, et il fut décidé que le lendemain serait un jour de repos.
 
 
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Je me réveillai donc, le dimanche matin, sans cette préoccupation habituelle d’un départ immédiat. Et, quoique ce fût au plus profond des abîmes, cela ne laissait pas d’être agréable. D’ailleurs, nous étions faits à cette existence de troglodytes. Je ne pensais guère au soleil, aux étoiles, à la lune, aux arbres, aux maisons, aux villes, à toutes ces superfluités terrestres dont l’être sublunaire s’est fait une nécessité. En notre qualité de fossiles, nous faisions fi de ces inutiles merveilles.
 
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— Et les baleines viennent frapper de leur queue les murailles de notre prison ?
 
— Sois tranquille, Axel, elles ne parviendront pas à l’ébranler. Mais revenons à nos calculs. Nous sommes dans le sud-est, à quatre-vingt-cinq lieues de la base du Sneffels, et, d’après mes notes précédentes, j’estime à seize lieues la profondeur atteinte.
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Sois tranquille, Axel, elles ne parviendront pas à l’ébranler. Mais revenons à nos calculs. Nous sommes dans le sud-est, à quatre-vingt-cinq lieues de la base du Sneffels, et, d’après mes notes précédentes, j’estime à seize lieues la profondeur atteinte.
 
— Seize lieues ! m’écriai-je.
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— Quinze cent quatre-vingt-trois lieues et un tiers.
 
— Mettons seize cents lieues en chiffres ronds. Sur un voyage de seize cents lieues, nous en avons fait douze ?
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Mettons seize cents lieues en chiffres ronds. Sur un voyage de seize cents lieues, nous en avons fait douze ?
 
— Comme tu dis.
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Le professeur ne répondit pas.
 
«
« Sans compter que, si une verticale de seize lieues s’achète par une horizontale de quatre-vingts, cela fera huit mille lieues dans le sud-est, et il y aura longtemps que nous serons sortis par un point de la circonférence avant d’en atteindre le centre !
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« Sans compter que, si une verticale de seize lieues s’achète par une horizontale de quatre-vingts, cela fera huit mille lieues dans le sud-est, et il y aura longtemps que nous serons sortis par un point de la circonférence avant d’en atteindre le centre !
 
— Au diable tes calculs ! répliqua mon oncle avec un mouvement de colère. Au diable tes hypothèses ! Sur quoi reposent-elles ? Qui te dit que ce couloir ne va pas directement à notre but ? D’ailleurs j’ai pour moi un précédent, ce que je fais là un autre l’a fait, et où il a réussi je réussirai à mon tour.
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— Ma foi, mon oncle, vous avez réponse à tout. »
 
Je n’osai pas aller plus avant dans le champ des hypothèses, car je me
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serais encore heurté à quelque impossibilité qui eût fait bondir le professeur.
 
Il était évident, cependant, que l’air, sous une pression qui pouvait atteindre des milliers d’atmosphères, finirait par passer à l’état solide, et alors, en admettant que nos corps eussent résisté, il faudrait s’arrêter, en dépit de tous les raisonnements du monde.
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Par exemple, son mutisme s’augmentait de jour en jour. Je crois même qu’il nous gagnait. Les objets extérieurs ont une action réelle sur le cerveau. Qui s’enferme entre quatre murs finit par perdre la faculté d’associer les idées et les mots. Que de prisonniers cellulaires devenus imbéciles, sinon fous, par le défaut d’exercice des facultés pensantes.
 
Pendant les deux semaines qui suivirent notre dernière conversation, il ne se
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produisit aucun incident digne d’être rapporté. Je ne retrouve dans ma mémoire, et pour cause, qu’un seul événement d’une extrême gravité. Il m’eût été difficile d’en oublier le moindre détail.
 
Le 7 août, nos descentes successives nous avaient amenés à une profondeur de trente lieues ; c’est-à-dire qu’il y avait sur notre tête trente lieues de rocs, d’océan, de continents et de villes. Nous devions être alors à deux cents lieues de l’Islande.
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Un doute me prit alors. Étais-je bien en avant ? Certes. Hans me suivait, précédant mon oncle. Il s’était même arrêté pendant quelques instants pour rattacher ses bagages sur son épaule. Ce détail me revenait à l’esprit. C’est à ce moment même que j’avais dû continuer ma route.
 
« D’ailleurs, pensai-je » j’ai un moyen sûr de ne pas m’égarer, un fil pour me
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guider dans ce labyrinthe, et qui ne saurait casser, mon fidèle ruisseau. Je n’ai qu’à remonter son cours, et je retrouverai forcément les traces de mes compagnons. »
 
Ce raisonnement me ranima, et je résolus de me remettre en marche sans perdre un instant.
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Avant de remonter, je pensai qu’une ablution me ferait quelque bien.
 
 
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Je me baissai donc pour plonger mon front dans l’eau du Hans-bach !
 
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En effet, quelle puissance humaine pouvait me ramener à la surface du globe et disjoindre ces voûtes énormes qui s’arc-boutaient au-dessus de ma tête ? Qui pouvait me remettre sur la route du retour et me réunir à mes compagnons ?
 
«
« Oh ! mon oncle ! » m’écriai-je avec l’accent du désespoir.
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« Oh ! mon oncle ! » m’écriai-je avec l’accent du désespoir.
 
Ce fut le seul mot de reproche qui me vint aux lèvres, car je compris ce que le malheureux homme devait souffrir en me cherchant à son tour.
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Je voulus parler à voix haute, mais de rauques accents passèrent seuls entre mes lèvres desséchées. Je haletais.
 
 
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Au milieu de ces angoisses, une nouvelle terreur vint s’emparer de mon esprit. Ma lampe s’était faussée en tombant. Je n’avais aucun moyen de la réparer. Sa lumière pâlissait et allait me manquer !
 
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Quand je revins à la vie, mon visage était mouillé, mais mouillé de larmes. Combien dura cet état d’insensibilité, je ne saurais le dire. Je n’avais plus aucun moyen de me rendre compte du temps. Jamais solitude ne fut semblable à la mienne, jamais abandon si complet !
 
Après ma chute, j’avais perdu beaucoup de sang. Je m’en sentais inondé ! Ah ! combien je regrettai de n’être pas mort « et que ce fût encore à faire ! » Je
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ne voulais plus penser. Je chassai toute idée et, vaincu par la douleur, je me roulai près de la paroi opposée.
 
Déjà je sentais l’évanouissement me reprendre, et, avec lui, l’anéantissement suprême, quand un bruit violent vint frapper mon oreille. Il ressemblait au roulement prolongé du tonnerre, et j’entendis les ondes sonores se perdre peu a peu dans les lointaines profondeurs du gouffre.
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D’où provenait ce bruit ? de quelque phénomène sans doute, qui s’accomplissait au sein du massif terrestre. L’explosion d’un gaz, ou la chute de quelque puissante assise du globe.
 
J’écoutai encore. Je voulus savoir si ce bruit se renouvellerait. Un quart
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d’heure se passa. Le silence régnait dans la galerie, Je n’entendais même plus les battements de mon cœur.
 
Tout à coup mon oreille, appliquée par hasard sur la muraille, crut surprendre des paroles vagues, insaisissables, lointaines. Je tressaillis.
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J’écoutai de nouveau, et cette fois, oui ! cette fois, j’entendis mon nom distinctement jeté à travers l’espace !
 
C’était mon oncle qui le prononçait ? Il causait avec le guide, et le mot « förlorad » était un mot danois ! é
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tait un mot danois !
 
Alors je compris tout. Pour me faire entendre il fallait précisément parler le long de cette muraille qui servirait à conduire ma voix comme le fil de fer conduit l’électricité.
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« Courage, reprit mon oncle ; ne parle-pas, écoute-moi. Nous t’avons cherché en remontant et en descendant la galerie. Impossible de te trouver. Ah ! je t’ai bien pleuré, mon enfant ! Enfin, te supposant toujours sur le chemin du Hans-bach, nous sommes redescendus en tirant des coups de fusil. Maintenant, si nos
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voix peuvent se réunir, pur effet d’acoustique ! nos mains ne peuvent se toucher ! Mais ne te désespère pas, Axel ! C’est déjà quelque chose de s’entendre ! »
 
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« Quarante secondes, » dit alors mon oncle ; il s’est écoulé quarante secondes entre
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les deux mots ; le son met donc vingt secondes à monter. Or, à mille vingt pieds par seconde, cela fait vingt mille quatre cents pieds, ou une lieue et demie et un huitième. »
 
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«
« Descendre, et voici pourquoi. Nous sommes arrivés à un vaste espace, auquel aboutissent un grand nombre de galeries. Celle que tu as suivie ne peut manquer de t’y conduire, car il semble que toutes ces fentes, ces fractures du globe rayonnent autour de l’immense caverne que nous occupons. Relève-toi donc et reprends ta route ; marche, traîne-toi, s’il le faut, glisse sur les pentes rapides, et tu trouveras nos bras pour te recevoir au bout du chemin. En route, mon enfant, en route ! »
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« Descendre, et voici pourquoi. Nous sommes arrivés à un vaste espace, auquel aboutissent un grand nombre de galeries. Celle que tu as suivie ne peut manquer de t’y conduire, car il semble que toutes ces fentes, ces fractures du globe rayonnent autour de l’immense caverne que nous occupons. Relève-toi donc et reprends ta route ; marche, traîne-toi, s’il le faut, glisse sur les pentes rapides, et tu trouveras nos bras pour te recevoir au bout du chemin. En route, mon enfant, en route ! »
 
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Tout à coup le terrain manqua sous mes pieds. Je me sentis rouler en rebondissant sur les aspérités d’une galerie verticale, un véritable puits ; ma tête porta sur un roc aigu, et je perdis connaissance.
 
 
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Lorsque je revins à moi, j’étais dans une demi-obscurité, étendu sur d’épaisses couvertures. Mon oncle veillait, épiant sur mon visage un reste d’existence. À mon premier soupir il me prit la main ; à mon premier regard il poussa un cri de joie.
 
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Le lendemain, à mon réveil, je regardai autour de moi. Ma couchette, faite de toutes les couvertures de voyage, se trouvait installée dans une grotte charmante, ornée de magnifiques stalagmites, dont le sol était recouvert d’un sable fin. Il y régnait une demi-obscurité. Aucune torche, aucune lampe n’était allumée, et cependant certaines clartés inexplicables venaient du dehors en pénétrant par une étroite ouverture de la grotte. J’entendais aussi un murmure vague et indéfini, semblable à celui des flots qui se brisent sur une grève, et parfois les sifflements de la brise.
 
 
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Je me demandai si j’étais bien éveillé, si je rêvais encore, si mon cerveau, fêlé dans ma chute, ne percevait pas des bruits purement imaginaires. Cependant ni mes yeux ni mes oreilles ne pouvaient se tromper à ce point.
 
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— Certainement.
 
Et ma tête ?
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Et ma tête ?
 
— Ta tête, sauf quelques contusions, est parfaitement à sa place sur tes épaules.
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— Ah ! n’est-ce que cela ?
 
— M’expliquerez-vous ?
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M’expliquerez-vous ?
 
— Je ne t’expliquerai rien, car c’est inexplicable ; mais tu verras et tu comprendras que la science géologique n’a pas encore dit son dernier mot.
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— Oui, répondit mon oncle, la mer Lidenbrock ; et, j’aime à le penser, aucun navigateur ne me disputera l’honneur de l’avoir découverte et le droit de la nommer de mon nom ! »
 
Une vaste nappe d’eau, le commencement d’un lac ou d’un océan, s’étendait au delà des limites de la vue. Le rivage, largement échancré, offrait aux dernières ondulations des vagues un sable fin, doré et parsemé de ces petits coquillages où vécurent les premiers êtres de la création. Les flots s’y brisaient
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avec ce murmure sonore particulier aux milieux clos et immenses ; une légère écume s’envolait au souffle d’un vent modéré, et quelques embruns m’arrivaient au visage. Sur cette grève légèrement inclinée ; à cent toises environ de là lisière des vagues, venaient mourir les contreforts de rochers énormes qui montaient en s’évasant à une incommensurable hauteur. Quelques-uns, déchirant le rivage de leur arête aiguë, formaient des caps et des promontoires rongés par la dent du ressac. Plus loin, l’œil suivait leur masse nettement profilée sur les fonds brumeux de l’horizon.
 
C’était un océan véritable, avec le contour capricieux des rivages terrestres, mais désert et d’un aspect effroyablement sauvage.
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Je me souvins alors de cette théorie d’un capitaine anglais qui assimilait la terre à une vaste sphère creuse, à l’intérieur de laquelle l’air se maintenait lumineux par suite de sa pression, tandis que deux astres, Pluton et Proserpine, y traçaient leurs mystérieuses orbites. Aurait-il dit vrai ?
 
 
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Nous étions réellement emprisonnés dans une énorme excavation. Sa largeur, on ne pouvait la juger, puisque le rivage allait s’élargissant à perte de vue, ni sa longueur, car le regard était bientôt arrêté par une ligne d’horizon un peu indécise. Quant à sa hauteur, elle devait dépasser plusieurs lieues. Où cette voûte s’appuyait-elle sur ses contreforts de granit ? L’œil ne pouvait l’apercevoir ; mais il y avait tel nuage suspendu dans l’atmosphère, dont l’élévation devait être estimée à deux mille toises, altitude supérieure à celle des vapeurs terrestres, et due sans doute à la densité considérable de l’air.
 
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L’imprévu de ce spectacle avait rappelé sur mon visage les couleurs de la santé ; j’étais en train de me traiter par l’étonnement et d’opérer ma guérison au moyen de cette nouvelle thérapeutique ; d’ailleurs la vivacité d’un air très dense me ranimait, en fournissant plus d’oxygène à mes poumons.
 
On concevra sans peine qu’après un emprisonnement de quarante-sept jours dans une étroite galerie, c’était une jouissance infinie que d’aspirer cette brise chargée d’humides émanations salines.
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chargée d’humides émanations salines.
 
Aussi n’eus-je point à me repentir d’avoir quitté ma grotte obscure. Mon oncle, déjà fait à ces merveilles, ne s’étonnait plus.
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— Eh bien, prends mon bras, Axel, et suivons les sinuosités du rivage. »
 
J’acceptai avec empressement, et nous commençâmes à côtoyer cet océan nouveau. Sur la gauche, des rochers abrupts, grimpés les uns sur les autres, formaient un entassement titanesque d’un prodigieux effet. Sur leurs flancs se déroulaient d’innombrables cascades, qui s’en allaient en nappes limpides et
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retentissantes ; quelques légères vapeurs, sautant d’un roc à l’autre, marquaient la place des sources chaudes, et des ruisseaux coulaient doucement vers le bassin commun, en cherchant dans les pentes l’occasion de murmurer plus agréablement.
 
Parmi ces ruisseaux ; je reconnus notre fidèle compagnon de route, le Hans-bach, qui venait se perdre tranquillement dans la mer, comme s’il n’eût jamais fait autre chose depuis le commencement du monde.
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Cependant je voulus pénétrer plus avant. Un froid mortel descendait de ces voûtes charnues. Pendant une demi-heure, nous errâmes dans ces humides ténèbres, et ce fut avec un véritable sentiment de bien-être que je retrouvai les bords de la mer.
 
Mais la végétation de cette contrée souterraine ne s’en tenait pas à ces champignons. Plus loin s’élevaient par groupes un grand nombre d’autres arbres au
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feuillage décoloré. Ils étaient faciles à reconnaître ; c’étaient les humbles arbustes de la terre, avec des dimensions phénoménales, des lycopodes hauts de cent pieds, des sigillaires géantes, des fougères arborescentes, grandes comme les sapins des hautes latitudes, des lepidodendrons à tiges cylindriques bifurquées, terminées par de longues feuilles et hérissées de poils rudes comme de monstrueuses plantes grasses.
 
« Étonnant, magnifique, splendide ! s’écria mon oncle. Voilà toute la flore de la seconde époque du monde, de l’époque de transition. Voilà ces humbles plantes de nos jardins qui se faisaient arbres aux premiers siècles du globe ! Regarde, Axel, admire ! Jamais botaniste ne s’est trouvé à pareille fête !
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— Pourquoi ?
 
— Parce que la vie animale n’a existé sur la terre qu’aux périodes secondaires,
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lorsque le terrain sédimentaire a été formé par les alluvions, et a remplacé les roches incandescentes de l’époque primitive.
 
— Eh bien ! Axel, il y a une réponse bien simple à faire à ton objection, c’est que ce terrain-ci est un terrain sédimentaire.
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Après une heure passée dans la contemplation de ce merveilleux spectacle, nous reprîmes le chemin de la grève pour regagner la grotte, et ce fut sous l’empire des plus étranges pensées que je m’endormis d’un profond sommeil.
 
 
== reste ==
Le lendemain je me réveillai complètement guéri. Je pensai qu’un bain me serait très salutaire, et j’allai me plonger pendant quelques minutes dans les eaux de cette Méditerranée. Ce nom, à coup sûr, elle le méritait entre tous.