« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Serrurerie » : différence entre les versions

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et Cattais<span id="note34"></span>[[#footnote34|<sup>34</sup>]], et il ne nous paraît pas nécessaire de la reproduire
ici.
 
[Illustration: Fig. 53.]
 
Dans la serrurerie, la simplicité des assemblages contribue beaucoup
à la solidité. Si l'on tourmente trop le fer, soit à la forge, soit avec le
burin, on le rend cassant, on lui enlève une partie de sa force. Il importe
donc de combiner les assemblages de ferronnerie en laissant au fer
son nerf. C'est au droit des assemblages que les armatures de ferronnerie
doivent présenter la plus grande résistance; il n'y a donc pas à compliquer les façons sur ces points et à diminuer les forces. Nous avons déjà
présenté dans cet article, et dans l'article GRILLE, un certain nombre
d'ouvrages assemblés qui constatent l'attention des serruriers du moyen
âge à laisser aux fers la plus grande résistance possible aux points d'attache,
de liaison; à éviter les affaiblissements causés par les trous de
boulons, ou par les passages d'une barre dans une autre. En effet, les
trous sont habituellement renflés, les fers croisés sont coudés et non
affamés; les rivures mêmes sont faites dans les parties larges et là
le fer est pur. La lime et nos moyens mécaniques, avec lesquels on arrive
à couper le fer comme on coupe du bois, ont fait introduire dans la
ferronnerie un système d'assemblages qui se rapproche beaucoup trop de
celui de la menuiserie. Cela produit peut-être des ouvrages d'une
apparence
plus nette, mais la solidité y perd, et notre serrurerie se disloque
facilement ou se brise au droit des assemblages. La question est
toujours
une question de forge, et si les assemblages que l'on fait aujourd'hui
dans la serrurerie sont trop souvent défectueux, c'est qu'on préfère
recourir à la mécanique plutôt que de façonner le fer au marteau et
à bras d'homme.
 
Il serait trop long de donner dans cet article tous les assemblages
adoptés par les serruriers du moyen âge. Nous nous contentons d'en
présenter quelques-uns. Voici (fig. 54) des assemblages à trous renflés.
Les châssis de grille assemblés à tenons et goupilles ne présentent
aucune solidité; il est facile d'ailleurs de faire sortir les tenons de leurs
mortaises, en faisant sauter la goupille à l'aide d'un poinçon. L'exemple A
présente l'angle d'une grille de fenêtre en saillie sur le nu du mur, ce
que l'on nommait un <i>cabaust</i><span id="note35"></span>[[#footnote35|<sup>35</sup>]]. La barre d'angle passe dans un trou
renflé posé diagonalement en <i>a</i>, les traverses horizontales <i>b</i> étant forgées
d'un seul morceau avec leurs retours. L'exemple B donne un fragment
de rampe; tous les fers passent les uns dans les autres et ont dû être
posés ainsi. Les barres d'extrémités <i>c</i>, et celles intermédiaires de deux
en deux <i>c'</i>, ont été façonnées avec le trou renflé <i>d</i>, à travers lequel les
tigettes <i>e</i> ont été passées et rivées. Les barres <i>f</i> ont
été coulées dans la
barre d'appui <i>g</i>; après quoi, les trous renflés <i>h</i> ont été façonnés entre
chacune de ces barres <i>f</i>. Alors on a passé les extrémités des barres <i>c c'</i>
par les trous <i>h</i>; ainsi les barres <i>f</i> ont été prendre leur place entre les
brindilles <i>e</i>. On a passé les barres <i>c</i> et <i>f</i> par
les trous renflés de la traverse
basse <i>i</i>; on a rivé les extrémités des barres <i>c</i>, <i>c'</i>, sur les rondelles <i>k</i>,
rapportées sur la barre d'appui; puis, pour terminer, on a posé les
bagues,
qui sont simplement enroulées et non soudées. Le retour <i>m</i>, avec son
œil renflé <i>n</i>, forme poignée à chaque extrémité de la rampe, et fait l'office
 
[Illustration: Fig. 54.]
 
d'une équerre, en arrêtant le roulement des barres verticales.
Impossible
de désassembler une pareille grille, à moins d'arracher les
scellements
<i>o</i> et de couper les rivets. Le figuré C présente encore une grille
saillante, un <i>cabaust</i>. En <i>p</i>, sont les scellements dans le mur. Le mentonnet
<i>q</i>, formant corbeau, est lui-même scellé et sert de repos au talon <i>r</i>.
 
Les assemblages à trous renflés de cette grille sont trop simples pour
avoir besoin d'explications. En D, est une équerre de grille ouvrante, avec
sa fourchette détaillée en <i>t</i><span id="note36"></span>[[#footnote36|<sup>36</sup>]]. On voit encore à Troyes une belle grille
saillante de fenêtre ou de boutique, datant de la fin du XV<sup>e</sup> siècle; nous
croyons nécessaire d'en donner quelques parties.
 
Ce cabaust a 2 mètres 10 centimètres de largeur, et se compose de
deux travées saillantes. Trois montants, deux d'angle et un d'axe,
séparent ces travées, composées chacune de quatre divisions de
brindilles
enroulées, avec fleurons de fer battu. Deux montants en retraite,
scellés au mur par des agrafes, maintiennent tout le système. La figure 55
montre les supports inférieurs de cette grille. Les montants d'angle A,
et ceux B appuyés à la muraille, sont réunis par la console C. La traverse
basse D passe derrière le montant A, ainsi qu'on le voit en D' et A', sur
un repos <i>a</i>; et la brindille G porte un goujon qui, passant à travers les
deux trous, est rivé en dehors sur une rondelle et deux rosettes de fer
battu. Les brindilles sont réunies aux montants intermédiaires ou entre
elles par des embrasses. Des tôles gravées garnissent les montants et traverses,
tant pour couvrir les assemblages que pour donner à l'œil plus
de corps à la grille. Les fers d'angle ont 22 millimètres (voyez en E la section
d'un de ces fers, avec sa couverture de tôle). Les rosettes F' sont
maintenues aux brindilles au moyen d'un rivet passant par l'œil F. Chacune
des brindilles est donc d'une seule pièce et sans soudure (voyez en H).
 
L'arrangement des consoles C est à remarquer. Cette façon de donner
de la puissance au redent de la console, qui porte toute la charge de la
devanture de fer, par le bouton extrême et les quatre volutes, ne manque
ni d'adresse ni de grâce. C'est d'ailleurs le point de soudure des deux
montants A et B antérieur et postérieur. La décoration n'est donc, ici
encore, que la conséquence du procédé de fabrication. La serrurerie
française, jusqu'à la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, ne se départ pas de ce principe.
Elle demeure ferronnerie, et ne cherche pas à imiter des formes appartenant
à d'autres branches de l'industrie du bâtiment; on n'en peut dire
autant de la serrurerie italienne.
 
Celle-ci, dès le XV<sup>e</sup> siècle, s'écarte des formes qui lui appartiennent en
propre, pour aller reproduire en miniature des ordres, des entablements,
des pilastres, des membres d'architecture antique qui sont du ressort de
la maçonnerie. C'est ainsi que l'on pensait faire un retour vers l'antiquité;
tandis que chez les Grecs, aussi bien que chez les Romains, les
objets de métal affectent les formes convenables à la matière.
 
À notre tour, quand nous prétendions faire un retour vers l'antiquité en
nous appuyant sur les interprétations fausses dues aux artistes italiens
 
[Illustration: Fig. 55.]
 
pendant la renaissance, nous ne faisions que perpétuer ces erreurs, dont
à peine aujourd'hui on cherche à revenir.
 
De l'autre côté du Rhin, on fabriqua de merveilleux ouvrages de
serrurerie
pendant les XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> siècles. Les grilles du tombeau de Maximilien
à Innsbruck, celles des cathédrales de Constance, de Munich,
d'Augsbourg,
qui datent du XVI<sup>e</sup> siècle, sont de véritables chefs-d'œuvre, et
mériteraient de figurer dans une publication spéciale. Il faut reconnaître
toutefois qu'il y a dans ces ouvrages de ferronnerie une certaine exagération
de formes, des recherches dont on s'est abstenu en France pendant
le moyen âge et même pendant la renaissance. La serrurerie fine des
châteaux de Gaillon, d'Écouen, dont on conserve quelques fragments; la
porte de fer forgé et repoussé de la galerie d'Apollon au Louvre, sont
des ouvrages de la plus grande valeur, et qui nous font assez voir que
l'industrie moderne, sous ce rapport, malgré l'étendue de ses moyens,
n'atteint qu'exceptionnellement à cette perfection.
 
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<span id="footnote34">[[#note34|34]] : <i>Architecture domestique</i>, t. I.
 
<span id="footnote35">[[#note35|35]] : D'où est dérivé le mot <i>cabaret</i> (de <i>cabia</i>). Les boutiques où l'on vendait le vin en
détail étaient fermées de grilles saillantes sur la voie publique, de <i>cabausts</i>, <i>cabarets</i>. Il
y a peu d'années, toutes les boutiques de marchands de vin étaient encore munies de
barreaux, en souvenir de cette tradition.
 
<span id="footnote36">[[#note36|36]] : L'exemple A provient d'une grille du château de Tarascon (XV<sup>e</sup> siècle). L'exemple B,
d'un garde-fou (démonté) dessiné par nous à Poitiers, dans un dépôt de ferrailles de
l'ancien palais des comtes (XIV<sup>e</sup> siècle probablement). L'exemple C, d'une grille de boutique
dessinée par nous à Chartres, en 1835 (XV<sup>e</sup> siècle).]