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450 V ECOLE FRANÇAfSE DE VIOLON

Le Chevalier de Saint-Georges[1] dans lequel l'auteur s’étend longuement et complaisamment sur les faits et gestes de son héros. Sans doute, il peut paraître singulier de faire état d’un roman dans une étude historique ; mais le livre de M. de Beauvoir, tout en laissant à l’imagination de l’écrivain la part la plus large, repose cependant sur une documentation que nous ne devons pas négliger. C’est ainsi qu’on lit dans l'Avant-propos, adressé au duc Jacques de Fitz-James, quelques lignes qui montrent que M. de Beauvoir n’a pas inventé de toutes pièces les multiples péripéties qui emplissent ses quatre volumes. Dès le début de cet Avant-propos, il s’exprime ainsi sur le compte de «l’homme dont l'étrange figure apparaît perpétuellement dans ces pages» : «Cet homme, c’est le chevalier de Saint-Georges, le brillant mulâtre, l’homme des assauts, des bonnes fortunes et des soupers ; homme unique, en effet, dont un hasard propice m’a fait découvrir le squelette, auquel pend encore une épée à la Tonkin ornée d’un beau nœud d’argent[2].» Un peu plus loin, M. de Beauvoir écrit : «Je dois ajouter que ce n’est qu’à force de soins et de perquisitions studieuses que je suis parvenu, cher duc, à découvrir sur cet homme des particularités et des traits qui aident autant à l’histoire du dix-huitième siècle qu’à la sienne. La tradition orale, c’est-à-dire la causerie familière avec plusieurs débris vivants de son temps, conteurs bienveillans qui ont fouillé pour moi dans les archives de leur mémoire, m’a plus défrayé dans cet aride chemin que les biographies et les notices, toutes ineptes, contradictoires ou tronquées[3]»

M. Roger de Beauvoir, on le voit, traite sévèrement les travaux historiques relatifs à Saint-Georges ; il s’attaque plus particulièrement à l’article Saint-Georges de la Biographie Michaud, article auquel les historiens ultérieurs ont abondamment puisé sans vérifier le bien fondé de son information. Il n’a pas de peine à montrer que son personnage n’entra jamais dans les Mousquetaires, et qu’il ne fut pas davantage : « capitaine des Gardes » du duc de Chartres. La rectification qu’il apporte à cette dernière allégation se vérifie par des documents précis. Toutefois, nous aurons à constater, par la suite, qu’en dépit de leur apparence d’exactitude, les assertions de M. de Beauvoir ne doivent être accueillies qu’avec une extrême prudence. Le romancier accepte comme source principale de son récit la tradition orale, et nous savons que c’est là un moyen d’information qu’il importe de Contrôler soigneusement.

Alors que la Biographie Michaud, s’inspirant de la Notice historique, assure que le père de Saint-Georges l’amena en France à l’âge de dix ans[4], M. de Beauvoir fixe à ce voyage une date bien postérieure, puisque Saint-Georges, selon le romancier, ne l’aurait entrepris qu’à la suite d’une fête donnée à Saint-Domingue, et où il aurait émerveillé l’assistance par ses talents sportifs. Amoureux d’une certaine marquise de Langey, que son père aimait lui aussi, le mulâtre se serait enfui en imposant un ardent baiser à la marquise, pour se payer de sa victoire[5] Dès l’âge de douze ans, il se serait battu en duel, «au couteau», avec le nègre

  1. Le Chevalier de Saint-Georges, par Roger de Beauvoir, Paris, Dumont, 1840, 4 vol. in-8°. Saint-Georges a été aussi mis à la scène par le même Roger de Beauvoir en collaboration avec Mr Mélesville, sous forme d'une comédie en trois actes mêlée de chant qui passa aux Variétés, le 15 lévrier 1840.
  2. Ibid., t.I, p. 7.
  3. Ibid., pp. 8-9
  4. Notice historique, p. XIVI, Biographie Michaud, t. 39, p. 579
  5. Le Chevalier de Saint-Georges, t. II, pp. 247-249