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Le Sexe faible
ThéâtreLouis Conard (p. 519-523).
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LE SEXE FAIBLE.


Louis Bouilhet venait de mourir ; pieusement Flaubert s’attacha à sa mémoire. Il fit publier la Bonne Chanson, à l’occasion de laquelle il écrivit, sur l’œuvre de son ami, une longue étude d’ensemble. (Voir Correspondance, appendice.) Il demanda au conseil municipal de Rouen un emplacement pour l’érection d’un monument au poète de Melaenis, puis recueillant ses manuscrits, ses ébauches, il trouva, abandonnée, inachevée, une comédie en prose : le Sexe faible. « Je vais voir s’il n’y a pas moyen de recaler une comédie de lui, en prose. » (Voir Correspondance, IV, p. 24[1].)

Flaubert s’acharna à rendre jouable cette comédie ; il la récrivit entièrement. « Je bâche et surbûche le Sexe faible. En huit jours, j’ai écrit le Ier acte. » Rapidement achevé, le manuscrit est présenté à Carvalho, directeur du Vaudeville. Commencent alors les enthousiasmes, les hésitations, les corrections motivées ou non : « Carvalho, jusqu’à présent, est charmant. Son enthousiasme est même si fort que je ne suis pas sans inquiétude. » Peu à peu, en effet, Carvalho se dérobait : « Quant à moi, quant au Sexe faible, ledit Carvalho est refroidi et aime mieux jouer d’abord une autre pièce de votre serviteur (seul !), laquelle pièce n’est pas encore finie. » (Correspondance, IV, p. 180.) « Ce n’est pas pour le roi que j’ai été à Paris, mais pour Carvalho, qui n’a rien de royal. Ledit sieur, après six mois de réflexion, voulait me faire fondre en un acte l’acte second et le troisième du Sexe faible. Je l’ai envoyé promener carrément, et il a fini par m’avouer « que j’avais raison ». Le fond de l’histoire est qu’il désire jouer d’abord le Candidat, mais le Candidat n’est pas prêt. » (Correspondance, IV, p. 181.)

Flaubert, fatigué des hésitations de Carvalho, lui retire son manuscrit pour le remettre à Duquesnel. Nouvel échec. « Je vous plains d’avoir affaire à Duquesnel. Il m’a fait remettre le manuscrit du Sexe faible par l’intermédiaire de la Direction des théâtres, sans un mot d’explication, et dans l’enveloppe ministérielle se trouvait une lettre d’un sous-chef, qui est un morceau ! je vous la montrerai. C’est un chef-d’œuvre d’impertinence ! On n’écrit pas de cette façon-là à un gamin de Carpentras apportant un vaudeville au théâtre Beaumarchais.

« C’est cette même pièce, le Sexe faible, qui, l’année dernière, avait enthousiasmé Carvalho. Maintenant personne n’en veut plus, car Perrin trouve qu’il serait inconvenant de mettre sur la scène des Français « une nourrice et un berceau ». Ne sachant qu’en faire, je l’ai portée au théâtre de Cluny.

« Ah ! que mon pauvre Bouilhet a bien fait de crever ! Mais je trouve que l’Odéon pourrait marquer plus d’égards pour ses œuvres posthumes. » (Lettre à G. Sand, voir Correspondance, IV, p. 216.)

Le Sexe faible est présenté à Cluny. Nouvel enthousiasme, nouvelles hésitations, nouvelles colères : « Alors je l’ai porté à Cluny. Or le directeur de cette boîte m’a répondu, quarante-huit heures après, qu’il trouve cette pièce « parfaite » et compte avoir avec elle un grand succès d’argent. Il me parle d’engagements superbes. Il veut séduire à prix d’or, pour jouer le rôle d’une cocotte, Mme *** (qui en est une autre cocotte, moi pas la connaître). Je vous jure que je ne me monte pas le bourrichon, ayant de l’expérience, hélas ! Cependant qui sait ?

« D’après ce que m’écrit le susdit directeur, le Sexe faible serait joué en octobre et les répétitions commenceraient en septembre. » (Lettre à Mme Roger des Genettes, voir Correspondance, IV, p. 219.)

« À propos de pièces, je vais derechef m’exposer aux injures de la populace et des folliculaires. Le directeur du théâtre de Cluny, à qui j’ai porté le Sexe faible, m’a écrit une lettre admirative et se dispose à jouer cette pièce au mois d’octobre. Il compte sur un grand succès d’argent. Ainsi soit-il ! Mais je me souviens de l’enthousiasme de Carvalho, suivi d’un refroidissement absolu, et tout cela augmente mon mépris pour les soi-disant malins qui prétendent s’y connaître. Car, enfin, voilà une œuvre dramatique déclarée par les directeurs du Vaudeville et de Cluny « parfaite », par celui des Français « injouable », et par celui de l’Odéon « à refaire d’un bout à l’autre ». Tirez une conclusion maintenant, et écoutez leurs avis ! N’importe ! comme ces quatre messieurs sont les maîtres de vos destinées parce qu’ils ont de l’argent, et qui ont plus d’esprit que vous, n’ayant jamais écrit une ligne, il faut les en croire et se soumettre. » (Lettre à G. Sand, voir Correspondance, IV, p. 221.)

Mais certaines objections au sujet de l’attribution des rôles ont ému Flaubert. Il prie aussitôt Banville de faire une démarche auprès de Weinschenk. Celui-ci, après avoir lu a pièce, écrit à Flaubert :

Paris, jeudi 8 octobre 1874.
Mon cher ami,

Je suis allé hier au théâtre Cluny, mais je n’ai pas pu voir Weinschenk. La répétition de Zola menaçait de durer toujours, ou du moins de finir trop tard, et c’est Baralle qui a eu l’obligeance de me remettre le manuscrit du Sexe faible. Le même Baralle a dû voir Weinschenk dans la soirée, et il m’enverra aujourd’hui même un mot, pour me dire à quelle époque votre présence à Paris sera nécessaire. Cette époque sera probablement plus tardive que vous ne le pensiez, parce que, pour venir en aide à Édouard Plouvier, qu’une maladie incurable a presque réduit à la misère, on reprendra le Mangeur de fer après [a pièce de Zola et avant le Sexe faible. Je vous transmettrai le mot de Baralle dès que je l’aurai reçu.

En rentrant chez moi, j’ai, comme vous le pensez-bien, lu d’une traite les cinq actes du Sexe faible. Sans aucun doute possible, Weinschenk avait raison et j’avais tort ; la comédie a sa force en elle-même, et quoiqu’il soit avantageux d’avoir une étoile quand on est joué à Cluny, il est évident qu’aucun des rôles de la pièce ne demande, ni ne justifierait l’emploi d’une étoile. Celui de la comtesse de Mérilhac n’est pas du tout assez important ni assez développé pour être offert à Mme Doche, et la distribution, telle qu’elle est indiquée sur le manuscrit, me paraît excellente. Que l’intérêt appartienne à l’ensemble de l’œuvre et ne soit détourné par aucun rôle en particulier, ce n’est pas un défaut, au contraire ; et je pense que le résultat ne peut qu’y gagner.

Quant à la pièce, elle me paraît être d’une belle invention, d’un comique intense et bien moderne ; les personnages sont amusants, nouveaux, pris sur le vif ; toutefois j’ai deux objections que je vous demande la permission de vous exposer. L’idée de la pièce est celle-ci : la tyrannie de la Femme est violente, écrasante, invincible, tracassière, variée, multiforme, inévitable, dans quelque situation qu’on soit placé ; à la bonne heure, mais il faudrait que, dès le commencement, dès les premières lignes de la pièce, un personnage formulât cet argument pour le public et lui dît : Voilà ce que nous allons vous montrer ! Il faudrait mieux que, tout le long de la pièce, il fût là pour redire : Vous voyez que, comme nous vous l’avions annoncé, la tyrannie de la Femme, etc. On a beau montrer au public une chose sous tous ses aspects, il ne la verra jamais, si on ne lui dit pas : Remarque que nous te montrons cette chose ! Ce personnage pourrait être Amédée Peyronneau, qui saurait tout, aurait jugé tout, comme un dieu parisien, et aurait avalé l’essence de Balzac et de Gavarni ; il n’en serait que plus comique lorsqu’il est lui-même pincé, car il serait la démonstration de cet axiome : Contre la femme, la science même ne sert de rien !

Seconde objection : Votre dénouement est aussi beau, aussi terrible peut-être que celui de Georges Dandin ; mais vous l’avez exprimé par un seul mot : Voulez-vous bien me dire où est ce bureau, Madame ? C’est mettre tous ses œufs dans un panier, et confier ce panier aux flots irrités ; car, supposez que l’acteur ait une hésitation dans la voix, supposez qu’à ce moment-là on remue un petit banc ou qu’on ouvre ou ferme une porte de loge, on n’entend pas le mot, et alors vous n’avez plus de dénouement. Mais je vais plus loin, il n’est même pas utile qu’on ouvre ou ferme une porte de loge, car le public n’entend pas un mot s’il n’est pas prévenu qu’on va le lui dire et qu’il va l’entendre ; ceci encore est axiomatique. Donc, selon moi, pour que votre dénouement ait son plein effet, il faudrait ceci : Paul Duvernier, acculé par la meute féminine, comme le sanglier les chiens, voit qu’il n’a plus d’espoir de s’échapper, et que bien décidément il est pris ; alors chacune des femmes (dans une forme qui ferait prévoir la réponse au public) lui demanderait à son tour : « Eh bien, avez-vous encore quelque chose à dire ? » — « Qu’avez-vous à dire maintenant ? » suite d’interrogations serrées, pressées, impitoyables, implacables ; c’est alors qu’après un silence, qui imposerait l’attention au public, il répondrait à l’ensemble des interrogations : « Ce que j’ai à répondre ? un seul mot : Voulez-vous bien me dire où est ce bureau, Madame ? » ; et alors Amédée Peyronneau, dont ce dénouement effroyable dessillerait les yeux en en faisant tomber tout à coup des écailles énormes, pourrait conclure par un mot terrible, décisif, résumant la pièce et la morale de la pièce (bien entendu, je ne sais pas lequel).

Enfin, il me semble que Grémonville, arrivant au dernier moment, pourrait jouer un rôle plus imprévu et plus épique ; il pourrait être, lui, un grand désabusé, un philosophe résigné, et fouailler un peu le troupeau triomphant des femmes.

Pardonnez-moi, mon cher ami, ces très petites objections ; vous savez quelle est ma sincère et respectueuse admiration pour vous ; mais il m’a semblé que je me montrerais indifférent si, après avoir lu la pièce que vous avez retouchée, je ne vous disais pas toute ma pensée telle qu’elle est.

Je vais tout de suite reporter le manuscrit au théâtre.

Je vous offre toutes mes amitiés et Georges y joint ses respects. Nous nous rappelons notre séjour près de vous, comme un repos de joie heureuse et tranquille au milieu de notre vie pleine du bruit des omnibus de la rue de Buci.

Je suis bien sincèrement et de tout cœur votre dévoué

Théodore de Banville.


Le Sexe faible franchit enfin sa dernière étape. De Cluny il passe au Gymnase :

« J’attendais pour vous écrire que j’eusse à vous apprendre quelque chose de certain sur le Sexe faible. Ce qu’il y a de certain, c’est que je l’ai retiré de Cluny il y a huit jours. Le personnel de Weinschenk était odieux de bêtise, et les engagements qu’il m’avait promis il ne les a pas faits. Mais, Dieu merci, je me suis retiré à temps. Actuellement, ma pièce est présentée au Gymnase. Point de nouvelles, jusqu’à présent, du sieur Montigny. » (Correspondance, IV, p. 232.)

La pièce fut refusée. Flaubert en remit le manuscrit dans ses cartons. C’est là que nous l’avons trouvé pour le publier ici même.

  1. [Note Wikisource] : les renvois à la Correspondance portent sur la première édition de celle-ci (1887-1906).