« C. E. Casgrain : mémoires de famille/0 » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
transclusion
(Aucune différence)

Version du 18 octobre 2021 à 02:53


C. E. CASGRAIN



Jean-Baptiste Casgrain, fils de Jean-François Casgrain et de Catherine LeComte Dupré, le premier de ce nom venu en Canada, naquit à Airvault, petite ville du Poitou, située à huit lieues de Saumur et du Bocage, faisant partie de la Vendée militaire. Son père était laboureur, et avait trois fils : Jacques, Philippe qui disparut en mer, et Jean qui était le cadet et qui fait le sujet de ce préambule. Il quitta très-jeune le toit paternel à cause des mauvais traitements que lui suscitait sa belle-mère, et demeura pendant quelque temps dans une ville voisine d’Airvault, chez un traiteur. Il s’enrôla ensuite dans les brigades irlandaises au service de la France, servit comme grenadier de la première division sous le capitaine Fitz-Gibbon, et fit plusieurs campagnes. Comme il était bel homme et soldat courageux, il fut engagé au service du marquis de la Tesserie, colonel en pied des carabiniers. La maison française de la Tesserie, et la maison anglaise de Grenville, alliées toutes deux, avaient formé un bataillon à leurs frais pour faire le service en Turquie. Il fut le trentième de ceux qui furent choisis pour remplacer les chevaliers de Malte tués en Orient. Les carabiniers dont il faisait partie, servaient, dans le Levant, sous la même discipline que les chevaliers de Malte. Quatre seulement parmi ceux de ces derniers, qui prirent part à cette expédition, retournèrent en France ; encore étaient-ils incapables de servir. Dans un engagement très-vif, Jean eut le nez fendu d’un coup de cimeterre. L’ennemi fut vaincu ; mais vingt-deux chevaliers de Malte et treize carabiniers périrent. Plus tard il fut fait prisonnier par les Turcs en même temps qu’un chef de brigade du nom de Sabran. Pendant leur captivité, un prêtre renégat, que Sabran avait connu jadis pendant ses études, voulut les convertir à l’Islamisme. En entendant ces propositions, le chef de brigade, qui était très-pieux et qui avait même étudié pour entrer dans les ordres sacrés, fut indigné. « Ah ! s’écria-t-il en s’adressant à son compagnon d’infortune, est-il possible qu’on vienne outrager Dieu d’une pareille manière. » À ces mots, Jean Casgrain se précipita furieux sur le renégat et l’aurait tué si le janissaire qui était à sa suite n’eût tiré son cimeterre et ne se fut jeté sur lui. Le brave carabinier saisit une chaîne pour se défendre et frappa le janissaire à mort. Jean et Sabran furent alors jetés dans un cachot, et reçurent cinquante-neuf coups de nerf de bœuf. Sabran en mourut. Jean reçut de plus vingt-cinq coups de bâton de Calabre sous la plante des pieds. Un chevalier de Malte qui était prisonnier avec eux reçut les mêmes traitements que Jean et en mourut. Avant d’expirer, Sabran prédit à son compagnon qu’il serait bientôt délivré. Mais il lui recommanda de ne point se battre contre ses frères prisonniers pour obtenir sa liberté ; car c’était la coutume de délivrer de ses fers le vainqueur. Jean offrit de se battre contre les plus braves des janissaires ; mais ils refusèrent.

De retour en France, il alla rejoindre à Arras, en Picardie, son régiment nommé les Invincibles. En arrivant, il fut mis aux arrêts, car les carabiniers, qui combattaient sous la même discipline que les chevaliers de Malte, ne pouvaient se rendre et devaient mourir les armes à la main. Traduit devant un conseil de guerre, il présenta pour toute défense une déposition qu’il tenait cachée dans son bonnet et dont il ne connaissait pas le contenu, car il ne savait pas lire. C’était une lettre d’un chevalier de Malte, nommé de Launay, qui rendait justice à sa bravoure. Il fut absous et réintégré dans son poste d’honneur.

Pendant les guerres sanglantes qui désolèrent l’Europe sous le règne de Louis XV, il fit les campagnes de Hongrie, du Danemark et de Poméranie, ainsi que celle de Bohème en 1743. S’étant distingué, la même année, à la fameuse retraite du maréchal de Belle-Île devant Prague, il fut promu au grade de sergent-major de son régiment. Il combattit aussi à une bataille considérable livrée à Nancy. Son régiment ayant été dirigé sur Maestricht, intercepta un convoi envoyé par le prince Charles de Lorraine, et il fut blessé dans ce combat d’une balle qui lui passa de la joue à l’oreille droite, et d’un coup de sabre qui lui sillonna la figure du front à la joue gauche. Il fut présent au siége de Berg-op-Zoom, en 1747, où les Français entrèrent en marchant dans le sang jusqu’à la cheville du pied. À la bataille de Fontenoy, gagnée par les Français le 11 mai 1745, il combattait à cheval comme sergent-major d’un bataillon d’artillerie. Il y fut blessé par un coup d’escopette qui lui brisa la cheville du pied.

Usé par la guerre, l’héroïque vétéran, qui avait assisté à cinquante combats et engagements, fut obligé d’abandonner le service ; et, se trouvant sans ressource, il lui fallut dire adieu à sa terre natale. Il s’embarqua pour la Nouvelle France accompagné de Monsieur Bonenfant, dont la fille devait plus tard épouser un de ses fils, et de Monsieur Letellier de St.-Just, aïeul de l’Honorable Luc Letellier de St.-Just, membre du Conseil Législatif, et aujourd’hui Sénateur.

S’étant fixé à Québec, il ouvrit un commerce de vin, à la Cloche Bleue, dans la rue Sous le fort, à droite de l’escalier de la Basse-Ville.

Il fit une assez bonne fortune. — C’était un homme blond ; il était devenu replet sur ses vieux jours, et mourut à la Rivière-Ouelle, dans un âge très-avancé. Ses restes reposent dans l’église de cette paroisse. — Extrait des « Mémoires de familles. »