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==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/293]]==
 
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{{T2|{{t|L’OURS AMOUREUX|150}}|m=4em}}
 
{{—|5}}
 
{{brn|4}}
 
Un jeune curé polonais, le père Lis, venait de s’installer
dans le village de S…, propriété du comte M…
Il devait sa place à la protection de la comtesse Amine,
dans la maison de laquelle il avait passé quelques années
remplissant les doubles fonctions de gouverneur auprès
des enfants, et de courtisan auprès de la noble dame,
chez qui l’âge n’excluait ni la gaieté, ni surtout la coquetterie.
 
Pendant que la comtesse, qui passait l’hiver en ville,
accueillait les hommages d’un officier de dragons, notre
galant curé, lui, essayait d’adoucir son exil en compagnie
des dames du voisinage, ou des jolies paysannes
de sa paroisse. Bientôt il acquit dans la contrée la réputation
d’abuser de son saint emploi, et d’obséder les
femmes et les jeunes filles d’assiduités plus qu’inconvenantes.
 
Un jour, une paysanne fort riche, connue pour sa
beauté, et nommée Anastasie Karsuk, vint le trouver.
Elle avait vingt-trois ans, à peine, et ne comptait que
quatre ans de mariage.
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/294]]==
 
{{nr|284|À KOLOMEA.}}
 
 
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À son arrivée, le curé était seul dans son cabinet
d’étude, partagé entre une pipe d’excellent tabac turc
et un roman français des plus captivants. Lorsque Anastasie
entra, il se leva précipitamment, tout troublé à la
vue de sa ravissante visiteuse, dont le pittoresque costume
des Petits-Russiens rehaussait encore les charmes
et l’incomparable beauté.
 
Le foulard bleu qui encadrait son visage aux traits
classiques, sa bouche charmante, ses yeux noirs et languissants
et les bandeaux de cheveux châtain clair qui
ondoyaient le long de ses tempes, lui donnaient un faux
air de madone, tandis que sa stature haute et majestueuse,
ses bottes de maroquin jaune, sa jupe bariolée et descendant
jusqu’à la cheville, son corsage de drap rouge,
sa chemise ornée de broderies blanches, qui servait
moins à voiler sa gorge qu’à en montrer les gracieux
contours, et sa subkane flottante de drap bleu pâle, autour
de laquelle courait une bordure de peau de mouton
plus éclatante que la neige, lui prêtaient un cachet
d’une étrange et sauvage originalité.
 
Trois rangs de gros coraux, entremêlés de sequins
brillants entouraient son cou, et complétaient sa parure.
Anastasie se tenait à la porte, confuse, arrêtant avec
modestie ses grands yeux doux sur le parquet.
 
Le curé, rentré en possession de son sang-froid, s’avança
à sa rencontre, et s’informa de sa santé avec une
extrême bienveillance.
 
Anastasie, conformément aux coutumes des paysans
galiciens, s’essuya, bien qu’elle ne pleurât pas, les
yeux avec son mouchoir et confia au ''bon pasteur'' le sujet
de sa peine.
 
Son mari, qu’elle adorait, et à qui elle avait apporté
une grosse dot, la délaissait depuis la naissance de son
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/295]]==
 
{{nr||L’OURS AMOUREUX.|285}}
 
 
premier enfant, et s’adonnait un peu à la boisson. Il
perdait le peu que rapportaient ses terres, qu’il ne se
donnait plus la peine de cultiver. Si sa femme s’avisait
de lui adresser quelque reproche, il la menaçait de son
bâton. Il l’aurait déjà souvent frappée jusqu’au sang,
s’il n’eût été intimidé par sa fermeté et son courage.
 
Notre galant curé conseilla à la jolie femme de ne pas
prendre la conduite de son mari trop à cœur.
 
« Je lui parlerai, dit-il. Je ferai appel à sa bonté, à sa
conscience, mais je vous en avertis, mes discours n’obtiendront
pas grand résultat. Ce que vous avez de mieux
à faire, c’est de rire de ses bévues, et non de ternir vos
beaux yeux par vos larmes. Car vous avez de très-beaux
yeux, Anastasie, des yeux superbes. »
 
La jeune femme, rougissante, baissa ses paupières.
 
« Il y a dans le monde d’autres hommes, et des
hommes meilleurs, continua l’aimable prêtre ; des hommes
capables d’apprécier une ravissante femme comme
vous, et de la réjouir au moyen de mille petites douceurs,
au lieu de ne lui causer que des ennuis. À votre
place, Anastasie, je prendrais pour amant quelque beau
garçon du village, ou, si vous êtes ambitieuse, un
homme de qualité. Il y a de grands seigneurs qui seraient
fiers de vous posséder, Anastasie.
 
— Mais la religion ne nous le défend-elle pas ? objecta
timidement la paysanne.
 
— Je sais mieux que vous ce qui en est, repartit le
curé.
 
— Je… je voudrais vous prier… balbutia Anastasie,
fort embarrassée, lissant de sa main la fourrure de sa
subkane, je serais bien reconnaissante si Votre Honneur,
monsieur notre bienfaiteur, voulait faire à mon mari
quelques sérieuses remontrances{{Corr||.}}
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/296]]==
 
{{nr|286|À KOLOMEA.}}
 
 
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— Je n’y manquerai pas, répondit le prêtre. »
 
La pauvre affligée le baisa sur l’épaule, selon l’usage,
tandis qu’il attachait avec passion ses lèvres sur son front
candide. Elle tressaillit, ses joues se couvrirent d’une
subite rougeur et elle quitta la maison plus vite qu’un
chevreuil effarouché.
 
Quelques jours se passèrent. Un matin, le curé entra
inopinément dans la chambre d’Anastasie, qu’il trouva
assise près du berceau de son enfant, le fuseau à la main.
La jolie femme le regarda très-surprise.
 
« Eh bien, où est votre mari ? commença le père Lis.
 
— Hélas ! Votre Honneur, où serait-il, sinon au cabaret,
là-bas, chez le juif ?
 
— Encore ! le scélérat ! le vaurien ! cria le prêtre. Je
l’ai pourtant assez sermonné, Dieu merci ! Il m’avait
témoigné quelque repentir de sa conduite, et m’avait
promis de commencer une nouvelle vie. Il est incorrigible,
cet homme ! »
 
La jeune paysanne soupira.
 
« Et vous, vous êtes-vous un peu consolée ? continua-t-il,
s’asseyant à côté d’elle, et la prenant sans façon par
la taille.
 
— Comment pourrais-je…, balbutia-t-elle ?
 
— Comment ? mais avec un autre homme qui vous
plaise, murmura le père Lis. Si Dieu m’accordait la
grâce de vous tenir lieu de mari, je passerais ma vie à
vos pieds, comme un agneau.
 
— Allez ! je suis très-malheureuse ; il ne me reste
qu’à patienter, répondit la jolie femme.
 
— Votre position changera quand vous le voudrez
bien. Vous n’avez qu’à me dire si cela vous convient que
je vous visite… que je vous console… reprit le curé
d’une voix basse et ardente. Je vous trouve belle, {{tiret|Anas|tasie,}}
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/297]]==
 
{{nr||L’OURS AMOUREUX.|287}}
 
 
{{tiret2|Anas|tasie,}} oh ! si belle… Près de vous, je suis tenté d’oublier
que je suis prêtre…
 
— Vous ne devez pas l’oublier, dit-elle en le repoussant.
 
— Anastasie !… Pourquoi êtes-vous si fière ?
 
— Je ne suis pas fière, mais ce que vous exigez de
moi est un grand crime.
 
— Eh bien ! ne suis-je pas là pour vous absoudre ?
murmura le curé. Et, d’un mouvement brusque, il attira
dans ses bras la jolie femme, et couvrit de baisers brûlants
ses épaules à peine couvertes.
 
Anastasie, pâle de colère et d’indignation, se redressa
pareille à une souveraine offensée, empoigna son séducteur,
et l’envoya rouler au loin. Il se débattit un instant
sur le carreau, puis rampa jusqu’à elle et enlaça avec
frénésie ses hanches voluptueuses.
 
« Sors d’ici, » commanda-t-elle !
 
Voyant qu’il n’obéissait pas, elle appela ses domestiques
à son aide.
 
L’amoureux curé resta un instant devant elle, la face
contre terre, puis il se releva brusquement, et prit la
fuite.
 
La résistance d’Anastasie aiguisa sa convoitise. Il
n’avait, certes, jamais essuyé un tel refus de la part des
coquettes blasées de l’aristocratie polonaise. Aussi,
s’éloigna-t-il, la tête en feu, bien décidé, dût-il lui en
coûter cher, à vaincre la résistance de la chaste paysanne.
 
Pendant ce temps, le mari, débauché, hantait la
taverne en compagnie d’infâmes vagabonds et buvait
jour et nuit, en jouant aux cartes.
 
Souvent, sa femme venait le chercher. Ses camarades,
alors, le raillaient et le criblaient de quolibets injurieux.
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/298]]==
 
{{nr|288|À KOLOMEA.}}
 
 
Cependant, la fermeté d’Anastasie avait sur lui un tel
ascendant qu’il se levait à son approche, et ne refusait
jamais de la suivre.
 
Ce soir-là, tout se passait comme à l’ordinaire.
 
La taverne regorgeait de monde. L’atmosphère était
tellement épaissie par l’haleine empestée des buveurs,
que les quinquets suspendus au plafond par un fil de
fer pour éclairer la salle, semblaient placés derrière
un transparent opaque. Les verres s’entre-choquaient
bruyamment ; des voix avinées entonnaient des chansons
d’amour, des jurons énergiques dominaient le bourdonnement
incessant de la foule.
 
Quand Anastasie entra dans le cabaret, l’ivresse était
à son apogée. La jeune femme s’était munie contre le
froid — on était à la fin de décembre — d’une ''sunda''<ref>Manteau à manches et à capuchon.</ref>
moelleuse, en poils de chameau. À la main, elle tenait
un ''kautschuk''<ref>Long fouet, au manche court.</ref>. Elle traversa la chambre d’un pas délibéré,
se fraya un passage parmi les groupes attablés,
et, marchant droit à son mari, elle posa le bras sur son
épaule :
 
« Il est temps de rentrer, viens, dit-elle.
 
— Aha ! cria un des ivrognes, la voilà la sévère patronne.
Il s’agit de filer droit, maintenant. Allons, dépêche-toi.
Ne vois-tu pas le ''kautschuk'' prêt à te caresser
les reins ?
 
— Encore une petite partie, ma bonne Anastasie,
supplia Korsuk.
 
— Rien de cela, cria-t-elle, en éparpillant les cartes,
et en relevant son mari d’un coup de poing.
 
Les ivrognes riaient aux larmes ; mais il ne s’en trouva
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/299]]==
 
{{nr||L’OURS AMOUREUX.|289}}
 
 
pas un qui osât résister à la belle et robuste femme, ou
lui adresser quelque parole grossière.
 
Anastasie plaça le bras de son époux sous le sien, et
l’entraîna tout chancelant vers la porte.
 
Ses camarades le suivirent, braillant à tue-tête :
 
{{Pom|Je ne rentrerai pas, je ne rentrerai pas,
Car le gourdin m’attend à la maison.|m=1.5em}}
 
Arrivés devant la maison couverte de chaume et entourée
d’une clôture basse, où demeurait Anastasie, les
amis fortement allumés de Korsuk s’éloignèrent paresseusement,
après lui avoir fait des adieux assaisonnés
de grossières plaisanteries. Ils n’eurent pas plus tôt
tourné l’angle de la route, que des aboiements sonores
et la voix d’Anastasie les rappelèrent devant la cabane.
 
— Un ours ! un ours ! criait Korsuk, vivement ému.
 
En effet, un grand ours brun venait de se dresser derrière
la clôture, poussant des grondements rauques.
 
Lejeune chien blanc, qu’on lâchait habituellement pendant
la nuit, alla se blottir aux pieds d’Anastasie, avec
des hurlements plaintifs. Les paysans, plus épouvantés
que des moutons à l’approche d’un loup, se pressèrent
les uns contre les autres.
 
L’ours ayant fait mine de franchir la haie, nos héros
se précipitèrent tous, pêle-mêle, dans la chaumière,
montèrent au grenier, et renversèrent l’échelle qui y
conduisait. Le chien, effrayé, se réfugia en rampant
sous l’âtre.
 
Anastasie resta seule. La courageuse femme ne perdit
pas la tête un seul instant. Elle entra, ferma vivement
la porte, courut dans sa chambre, saisit une perche
et se plaça devant le berceau de son enfant, bien décidée
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/300]]==
 
{{nr|290|À KOLOMEA.}}
 
 
à lui faire un rempart de son corps si le danger devenait
pressant.
 
À sa grande surprise, la porte s’entre-bâilla doucement
et se referma de même. Des pas lourds retentirent dans
le vestibule, et l’ours se présenta dans la salle.
 
Anastasie se signa et brandit sa perche d’un air menaçant.
 
« Comment, Anastasie ! vous ne me reconnaissez
pas », modula l’ours d’un ton aimable.
 
La jeune femme, terrifiée, regarda l’animal sans pouvoir
articuler une parole.
 
« C’est moi ; l’ours, c’est moi ! » murmura une voix
bien connue.
 
C’était l’amoureux curé qui avait imaginé ce déguisement
bizarre, pour s’introduire auprès de l’objet de ses
désirs.
 
« Quoi ! c’est vous, dit enfin Anastasie. Pourquoi me
causez-vous une pareille frayeur ?
 
— Pour vous régaler plus tard de bien douces joies.
 
— Qu’est-ce que cela signifie, remarqua, au grenier,
un des fuyards. N’entends-tu pas ? L’ours est dans la
chambre, et parle à Anastasie. »
 
Tout à coup, les lèvres roses de la jolie paysanne s’épanouirent
en un sourire. Une idée comique lui vint.
L’ours, qui s’était rapproché d’elle, lui débitait mille
flatteries.
 
« Un amour aussi brûlant que le mien ne mérite-t-il
pas de récompense, soupira-t-il enfin tout palpitant.
 
— Sans doute. Patientez un instant encore, et je vous
la donnerai, votre récompense. »
 
Elle quitta la pièce, en verrouilla la porte, et appela
les paysans.
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/301]]==
 
{{nr||L’OURS AMOUREUX.|291}}
 
 
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« Holà ! poltrons ; il n’y a aucun danger. Arrivez donc,
tas de vauriens ! »
 
Et elle adossa l’échelle à l’entrée de la trappe.
 
Lorsque son mari et sa suite héroïque furent descendus,
elle leur raconta brièvement les propositions et les
tentatives du curé, et leur assura que le diable, pour le
punir de sa coupable passion, venait de le métamorphoser
en ours.
 
— Dieu nous assiste ! murmura le mari en se signant.
 
— Ce n’est pas tout. Maintenant, c’est à nous à le
punir, afin de le délivrer, ajouta Anastasie.
 
— Mais… s’il mord, objecta Korsuk.
 
La jeune femme secoua la tête et partit d’un éclat de
rire.
 
— Imbécile, dit-elle. Il n’est pas plus ours que toi ou
moi. C’est le prêtre en personne, qui venait dans l’intention
de me séduire.
 
— Alors, malheur à lui, l’hypocrite, cria le mari.
 
— Faites ce que je vous dis, ordonna Anastasie. Toi,
cours à l’église, sonne le tocsin, et rassemble devant
notre porte toute la population. C’est elle qui le jugera.
Vous autres, aidez-moi. Nous allons nous emparer de
lui ».
 
Anastasie, suivie des compagnons de son mari, rentra
dans la chambre.
 
« Regardez donc ce qui est arrivé à notre pauvre curé,
s’écria-t-elle. Pour l’expiation de ses crimes, il a été
changé en bête fauve. Aussi, mes amis, aidez-moi à le
délivrer. Donnez-moi des cordes, d’abord, pour le
lier. L’ours eut beau pousser un grognement sourd ;
voyant qu’il n’inspirait aucune crainte, il eut beau menacer,
implorer, les paysans ne tinrent aucun compte de
ses supplications. Ils le saisirent par les pieds et par les
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/302]]==
 
{{nr|292|À KOLOMEA.}}
 
 
mains, tandis qu’Anastasie lui nouait au cou une grosse
corde, qui, au moindre mouvement, menaçait de
l’étrangler.
 
Le tocsin remplissait l’air de sa voix sinistre. Le village
entier se rassemblait devant la demeure des Korsuk,
formant un grand cercle. Au milieu de la foule, Anastasie
était debout, tenant le prêtre en laisse.
 
« Voyez donc ! Regardez notre malheureux curé, commença-t-elle.
Il m’a obsédée de propositions criminelles.
Pour le punir, le ciel l’a changé en ours ! »
 
La foule partit d’un immense éclat de rire, comprenant
ce dont il s’agissait.
 
« À présent, j’exige que la ''grouada''<ref>Communauté.</ref> prononce son
jugement contre lui, et lui inflige un châtiment exemplaire,
continua la paysanne. Ce n’est qu’à ce prix que
son âme sera délivrée des peines éternelles.
 
— Anastasie, tu es une brave femme, repartit le
doyen, un vieillard à cheveux blancs. Ordonne toi-même
la punition qui est due à ce misérable.
 
— Eh bien ! je me promènerai à cheval sur son dos
par tout le village, dit-elle après un instant de réflexion,
et les femmes qu’il a séduites le fouetteront pour le faire
courir. Puis nous le plongerons dans la vasque à l’eau
bénite, et nous l’y laisserons jusqu’au matin. J’espère
qu’alors Dieu aura pitié de lui, et lui rendra sa figure
humaine.
 
— Bravo ! bravo ! crièrent cent voix simultanément.
C’est une bonne idée. Mettons-la tout de suite à exécution. »
 
En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, le
curé est jeté par terre. La jolie et robuste femme se hisse
 
 
==[[Page:Sacher-Masoch - A Kolomea - Contes juifs et petits russiens, 1879.djvu/303]]==
 
{{nr||L’OURS AMOUREUX.|293}}
 
 
sur son dos, et tient la corde en manière de guides. Une
bande de paysannes le rouent de coups, et la foule entière
l’escorte, poussant des clameurs sauvages et éclairant
avec des torches enflammées ce cortège grotesque.
 
Chaque fois que le malheureux s’arrêtait, à bout de
forces, gémissant et succombant sous sa charge, la séduisante
écuyère l’excitait par ses coups de pied et ses
rires moqueurs, et toute la bande se ruait sur lui, armée
de gourdins et de ''kautschuks'', jusqu’à ce qu’il eût repris
sa marche traînante et embarrassée.
 
C’est ainsi qu’ils arrivèrent devant l’église. Là, quatre
hommes s’emparèrent de l’ours, plus mort que vif, après
l’exercice qu’il venait de faire, le soulevèrent, et l’emportèrent
dans la nef, suivis des assistants en délire. On
n’écouta ni ses cris, ni ses prières. On le jeta dans la
vasque, dont on scella solidement le couvercle.
 
Le lendemain seulement, il fut délivré par le sacristain.
 
Il garda le lit pendant plusieurs jours, en proie à une
fièvre ardente. Le hasard voulut que, lors de sa première
sortie, il se rencontrât nez à nez avec la justicière, la
belle paysanne. De loin déjà, celle-ci se mit à rire.
 
« Dieu me récompensera, j’espère, dit-elle ironiquement
et les lèvres pincées, du service que j’ai rendu à
Votre Grâce, à notre bienfaiteur. Je vous ai délivré de
votre métamorphose ; par la même occasion, j’ai sauvé
votre âme. Maintenant, il n’arrivera plus qu’un prêtre
soit changé en bête.
 
Le curé, honteux, baissa les yeux, sans répondre. Le
récit de son aventure fit le tour de la contrée. Peu de
temps après, il fut transféré dans un autre diocèse.
 
{{brn|2}}
 
{{c|FIN}}
 
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