« Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/49 » : différence entre les versions

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Dernière version du 23 septembre 2021 à 21:31

XLIX


Le cas du juif Padova, de Rome, est une bien plus grande honte pour l’Église que l’enlèvement du petit Mortara — et autres enfants juifs car ce cas n’était pas rare — qui pourtant a été réprouvé et flétri par tous les catholiques intelligents et respectueux des droits du père de famille. Mais au moins dans les enlèvements d’enfants, tout en violant audacieusement le droit du père qui, excepté pour les ignorants et les fanatiques, prime celui de l’Église, on n’encourageait pas directement les mauvaises mœurs. Cet encouragement à l’immoralité le clergé s’en rend coupable quand il permet à un converti d’abandonner sa femme pour en prendre une autre. Il n’y a pas de saint distinguo qui puisse prévaloir ici. Dans le cas de Padova la sainte Curie a justifié un enlèvement d’une femme mariée par un célibataire et a permis que l’on volât ses enfants au père. Et cet exemple est loin d’être le seul. Voici donc ce que raconte Edmond About. (Je me permets seulement d’abréger le récit).

Padova était marié selon le rite juif avec une juive. N’étant pas même chrétien, comme le protestant, le Juif n’est pas plus sous le contrôle de l’Église que l’infidèle. Je ne veux certes pas admettre de près ni de loin que le protestant soit le moins du monde sous la dépendance de l’Église ou du pape, mais ils se donnent la fantaisie de le prétendre ; autre preuve de la compétence du prêtre dans tout ce qui touche aux droits de la conscience.

Madame Padova, qui était très belle, se laisse enlever par un célibataire, catholique très riche, et abandonne son mari, mais emmène ses enfants. Padova réclame car ils étaient régulièrement mariés. Mais les illustres membres des saintes congrégations l’envoient paître à titre de Juif parce que Mme Padova s’était convertie et mariée à son ravisseur. Celui-ci connaissait le système, savait que sous couleur de religion il autorise quelquefois de grandes immoralités ; tout s’arrange entre une femme indigne et son complice ; elle se fera catholique, on boursillera un peu largement, et l’Église bénira ce libertinage. Et tout est arrivé comme ces deux respectables personnes l’avaient prévu ! Le saint tribunal ecclésiastique a non seulement refusé sa femme a Padova mais il lui a aussi refusé ses enfants que leur estimable mère avait fait baptiser. Et mieux encore que cela ! Le même saint tribunal a condamné Padova à payer une pension à celle qui n’était plus sa femme et qui était allée honnêtement vivre avec un autre ! On l’avait condamné à payer cette pension pour l’entretien des enfants qu’on lui avait volés !

Peut-on offrir plus effrontément une prime au vice ? Ce saint brigandage a-t-il été approuvé au ciel, et Padova était-elle bien sûre d’y entrer après avoir volé à son mari ses enfants et une pension ? Voilà pourtant ce que le clergé ferait dans tous les pays s’il n’y avait pas de lois pour l’empêcher de violer les droits les plus saints en certains cas. Et nous allons voir qu’il l’a fait dans un pays où l’on n’aurait pas dû le permettre.

Faisons ici une petite comparaison qui ne manque pas de piquant.

Le trait le plus odieux de l’esclavage, c’est qu’il est basé sur le principe que l’esclave n’a aucun droit que le maître soit tenu de respecter. Voilà précisément le principe qu’un saint tribunal romain a appliqué à Padova qui n’était pas esclave ! Devant les profonds théologiens membres du tribunal le pauvre Israélite n’avait aucun droit qu’ils fussent tenus de respecter ! Droit de l’époux, droit du père, tout cela devenait lettre morte devant les représentants de Dieu ! Eh bien ! est-il admissible que ce qui était infâme dans l’esclavage devienne précepte divin dans le catholicisme ? Or, pour défendre la Curie dans le cas de Padova il faut affirmer le honteux paradoxe.

Au reste nombre de plumes cléricales sont parfaitement à la hauteur de l’acte.

Eh bien que faisait ici la Curie du précepte de saint Paul ; et aussi de celui de saint Thomas : qu’en tant que question de droit naturel le mariage doit être régi par le droit naturel ? Mais il y a peut-être mieux encore. Le dernier Rituel de Soissons, rédigé au XVIIe siècle, établit les vrais principes sur la question du mariage des non baptisés. Voyez :


On peut considérer le mariage comme contrat ou comme sacrement. Le mariage était un contrat, et un contrat légitime, avant la venue de J. C., et l’est encore chez tous les peuples qui n’ont pas embrassé l’Évangile. Le baptême étant la porte des sacrements il est clair qu’il ne peut y avoir de sacrement de mariage entre ceux qui ne sont pas baptisés ; mais il peut y avoir un mariage légitime en prenant le terme de mariage pour cette union légitime de l’homme et de la femme, nécessaire à la propagation du genre humain, et qui a toujours existé parmi les hommes. C’est en ce sens que l’Apôtre l’enseigne.


Il y a donc mariage légitime selon saint Paul, saint Thomas et le rituel de Soissons chez les non baptisés. De quel droit alors brise-t-on un mariage israélite ? La Curie avait clairement tort en regard de ces trois autorités que l’Église n’a jamais condamnées sur la question. Encore ici on lui a montré le vrai et elle a détourné la tête.