« Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/44 » : différence entre les versions

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Version du 23 septembre 2021 à 21:08

XLIII


Non ! Ce qui est vrai, c’est que la séparation a tous les inconvénients du divorce sans aucun de ses avantages ; c’est qu’elle sépare autant que le divorce ce que Dieu, dit-on incorrectement aujourd’hui, a uni ; c’est enfin que la séparation constitue toujours une injustice contre la partie innocente. Or une injustice est une immoralité ! Et la gardienne de la morale n’en devrait pas montrer l’exemple. Ce qui est incontestable encore c’est que la séparation jette dans l’immoralité ceux que le divorce pousserait dans une vie régulière et honnête ; c’est que la séparation, faisant pratiquement d’un homme marié un célibataire, augmente le nombre des séducteurs. Or l’Église n’a pas reçu la mission d’augmenter le nombre de ceux qui sont fatalement une des grandes plaies de la morale publique.

Quelle est la vraie différence entre le divorce et la séparation ? Treilhard répond :

« 1o  Le divorce est le droit pour les époux séparés de se remarier » ; — conséquence : ils vivent moralement dans l’état de mariage.

« 2o  La séparation est l’interdiction aux époux séparés de jouir de la faculté de se remarier » — conséquence forcée, l’adultère pour les deux conjoints ; dans six ou sept cas sur dix pour la femme et dans neuf ou dix cas sur dix pour l’homme. Donc l’exemple de l’inconduite pour les enfants arrivés à l’adolescence.

La législation civile produit donc des conséquences morales et la législation infaillible des conséquences immorales !

L’État, par sa législation, diminue les crimes. L’Église les augmente par la sienne. Et elle le sait ! Mais elle ne veut pas démordre, par suite des nécessités que son arrogante assertion de son infaillibilité lui impose, des fausses notions théologiques qu’elle s’est faites, ni des injustices que ces fausses notions lui font commettre depuis des siècles !

En un mot, l’autorité civile et l’autorité religieuse avaient à trouver un remède à certaines situations difficiles, et même impossibles quelquefois, entre gens mariés. Pour se conformer aux exigences du dogme, l’autorité civile, qui ne devrait se préoccuper que de la question de justice envers les parties, a pendant longtemps, pendant des siècles, accepté le remède ecclésiastique, qui ne corrigeait rien et empirait tout au point de vue de la moralité chez les séparés. L’autorité civile s’est donc décidée, une fois délivrée du joug ecclésiastique, à adopter un autre remède. Sans doute mieux vaudrait n’avoir pas besoin de remède. Mais il en fallait un, et le remède ecclésiastique ne produisant que l’immoralité chez les conjoints séparés, on a eu enfin recours au divorce qui diminue les faits d’immoralité chez eux. Cris sans fin de ceux qui se préoccupent plus de dogme que de la morale ! Eh bien l’autorité civile a enfin vu et compris, après des siècles d’esclavage intellectuel imposé par l’Église, qu’il fallait préférer la morale au dogme. En 1816 on a préféré, sous la poussée ecclésiastique, le dogme à la morale. En 1880, on s’est enfin décidé à faire passer la morale avant le dogme. Pourquoi a-t-on eu raison en 1880 et avait-on tort en 1816 ? Parce que la chose dont doivent se préoccuper principalement les sociétés, quels que soient leurs cultes, est la moralité des individus. Il y a beaucoup d’opinions religieuses différentes mais une seule morale. Sous tous les cultes, comme en l’absence de tout culte, il faut mener une vie morale. On est obligé d’être honnête homme à quelque dogme que l’on croie. Or le remède ecclésiastique, la séparation, produisant beaucoup plus d’immoralité que le divorce, la société civile n’a fait que son devoir en choisissant le moindre de deux maux sociaux et en préférant celui des deux remèdes sous lequel la morale avait le moins à souffrir et aussi la justice envers la partie innocente.

Ici encore l’autorité civile s’est montrée plus philosophique, plus logique, plus morale, plus sensée que l’autorité ecclésiastique qui, au fond, défend bien plus sa suprématie que son dogme.

L’argument : Que deviennent les enfants après le divorce ? ne signifie rien. Que deviennent-ils donc sous la séparation ? Sous le divorce ils voient celui des parents avec lequel ils restent mener une vie honnête dans une situation régulière. Sous le régime de la séparation ils le voient mener une vie répréhensible dans huit cas sur dix. Le divorce est donc infiniment plus moralisateur, ou si l’on aime mieux, infiniment moins démoralisateur, que la séparation de corps. Celle-ci n’est réellement, comme je l’ai dit plus haut, qu’une hypocrisie pratique. Le divorce a au moins le mérite de la franchise dans les situations. Il n’y a que l’esprit sectaire, l’esprit faussé par la théologie, qui se refuse à voir cela. Mais, partisan et applicateur pratique du probabilisme, le prêtre est forcé de préférer les situations fausses parce qu’elles concordent seules avec son dogme.

Admettons maintenant pour un instant le principe de l’intérêt des enfants. Mais quand il n’y a pas d’enfants ne faut-il pas forcement retomber sur le pur principe de justice envers les parties ? Et si le principe de justice est repoussé par le dogme qui doit l’emporter des deux ? Qu’y a-t-il de plus élevé, de plus sacré devant Dieu et devant les hommes, que la justice ?

Quand un dogme découle d’une injustice, ou que l’injustice en découle, c’est tout simplement un dogme faux. On ne sortira pas de là.

Et à ceux qui prétendent, pour le seul besoin de leur cause, que le divorce est démoralisateur, je me permets de rappeler les faits que voici.

En Belgique le divorce existe dans la loi et dans les mœurs. On y compte une séparation sur 235 mariages et 32.000 habitants. En France, avant que la loi n’eût accordé la faculté de divorcer, on comptait une séparation sur 152 mariages et 14.000 habitants. Donc, en France, deux séparations pour une en Belgique. Mais comparons deux pays de même population flamande. Dans le département du Nord, on a une séparation sur 197 mariages, et dans la Flandre orientale, une sur 691.

Le divorce dans la loi n’a donc pas démoralisé la population belge. Loin de là le mariage y est plus respecté.[1]

  1. Discours de M. Naquet sur le divorce à la séance du 27 mai 1879.